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Joseph J. Lévy, Entre les corps et les Dieux. Entretiens avec Jean Benoist. Itinéraires anthropologiques. Liber et De vive voix, Montréal et Québec, 2000, 240 p., illustr., réf.[Notice]

  • Jean-Jacques Chalifoux

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  • Jean-Jacques Chalifoux
    Département d’anthropologie
    Université Laval
    Sainte-Foy (Québec) G1K 7P4
    Canada

Jean Benoist : médecin et faiseur d’anthropologues. Faiseur d’anthropologues comme on dit faiseur de pluie. Cette anecdote témoigne de deux choses fondamentales dans l’attitude de Jean Benoist, le professeur. La première est la confiance dans ses étudiants qu’il a encouragés à sortir des cadres établis. La seconde est la finesse avec laquelle il abordait les différences culturelles à une époque généralement bien peu politiquement correcte. Attitude qui contrastait avec les points de vue mécaniques d’autres anthropologues nouvellement convertis au marxisme et pour qui les valeurs symboliques n’étaient qu’opium du peuple. Tel était le contexte de ces années où Benoist fut considéré par eux (et d’autres au nationalisme mal placé) comme un conservateur et un étranger. Or rien n’était plus faux, le temps ayant prouvé que Jean Benoist est resté jusqu’à aujourd’hui un loyal compagnon des Québécois et que ses travaux ont marqué de façon primordiale la reconnaissance ethnologique et sociale des sociétés créoles et la lutte anti-raciste de l’anthropobiologie. Quand Benoist est arrivé au Québec, l’Université de Montréal, le vent du changement culturel dans les voiles, prenait l’initiative d’ouvrir la formation en sciences sociales sur les relations interculturelles. Avec la fondation du Département d’anthropologie, de nombreux jeunes Montréalais passionnés d’autrui avaient non seulement envie de découvrir le monde en direct mais de s’investir dans une reconstruction critique de leur « caractère national » par le regard éloigné. C’est dans ce contexte que Benoist a reçu des gens comme Michel Brault, Claude Jutras, Yves Préfontaine, Pierre Perrault et Gilles Vigneault. Ce livre de Jean Benoist par Joseph J. Lévy, un de ses fidèles étudiants et maintenant collègue de l’Université du Québec à Montréal, est non seulement un témoignage de la carrière d’un professeur mais également une tranche de l’histoire du Québec. Lévy approfondit, sur le mode autobiographique, des hommages qui ont déjà été rendus au professeur Benoist et où il est qualifié de « visiteur lumineux » (Bernabé et al. 2000). On ne peut mieux dire, car il est vrai que sa parole séduit par sa façon de mettre le monde en perspective poétique sans jamais cesser de faire surgir des visions qui parlent le langage des sciences. Benoist raconte comment de médecin il est devenu anthropologue et comment il a tissé une toile de l’Afrique aux Antilles, du Québec à l’Europe et à l’Océan Indien reproduisant ainsi dans sa vie les grands courants de la mondialisation originelle. Mais attention, Benoist n’est pas un globe-trotter, il prend racine dans ces lieux et reproduit sa pensée comme un véritable rhizome, il est un modèle de ces démarches ethnographiques multi-sites et multi-centrées que l’on croit originales aujourd’hui. Le livre est composé de dialogues divisés en quatre parties : Départ, Premiers itinéraires, Métissages, Entre corps et dieux. Il ne faut cependant pas s’attendre à un récit linéaire, car Joseph Lévy, par son écoute active, fait surgir des tensions et amène Jean Benoist à dévoiler ses réflexions politiques et épistémologiques. Bien que se disant timide et préférant des rapports humains intimistes, Benoist n’a jamais retenu son franc parler comme lorsqu’il revendique une approche rééquilibrée quant à la place des deux sexes dans la recherche « sans aller jusqu’aux excès absurdes d’une anthropologie “féministe” » (p. 32). Ou encore lorsqu’il affirme sa fascination pour la construction nationale au Québec et comment il avait réagi lorsque invité à McGill en 1961, on lui avait servi du « Ah, you are a real french » qu’il avait pris comme une « gifle identitaire » aux « Canadiens–français », car il « se sentait bien parmi eux ». La principale contribution scientifique de Benoist est certainement son effort persistant …

Parties annexes