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INTRODUCTION

L’adoption de la Loi sur les archives a eu des conséquences majeures sur la façon de concevoir l’archivistique au Québec. Elle constitue le résultat du passage d’une organisation basée sur une conception où la gestion documentaire et l’archivistique étaient distinctes et placées sous la responsabilité d’institutions différentes, à la fusion de ces domaines relevant désormais de la compétence d’une seule et unique institution. Cet article vise à aider les lecteurs à mieux comprendre les bouleversements apportés par l’adoption de la Loi sur les archives (RLRQ, c. A-2.1), les réactions du milieu archivistique ainsi que les tentatives de révision. Nous vous proposerons tout d’abord de parcourir brièvement l’histoire de l’encadrement institutionnel de la gestion documentaire au Québec jusqu’à l’adoption de la Loi sur les archives.

Les réflexions concernant la législation archivistique de même que les impacts sur la pratique professionnelle peuvent emprunter différentes avenues. Pour notre part, nous avons choisi de concentrer notre réflexion sur l’adoption et les demandes de modifications de la loi québécoise sur les archives et, plus particulièrement, des impacts de celle-ci sur la gestion des archives publiques.

Après avoir décrit l’évolution de l’encadrement institutionnel, nous examinerons les réactions du milieu archivistique au dépôt du projet de loi 3 qui est devenu, le 21 décembre 1983, la loi sur les archives et ferons état de son impact sur la gestion documentaire au Québec. Nous nous pencherons ensuite sur l’arrivée d’autres lois et textes normatifs qui ont eu une incidence directe ou indirecte sur la gestion documentaire au Québec, ce qui nous amènera à nous interroger sur l’impact de ces lois sur la situation de cette gestion dans nos organismes publics.

Nos regards se porteront ensuite sur le rôle du milieu associatif, et plus spécifiquement sur celui de l’Association des archivistes du Québec (AAQ), pour faire modifier l’actuelle Loi. Nous examinerons les différentes actions posées depuis 2012 à ce chapitre et nous ferons une analyse quantitative et qualitative des mémoires et lettres d’appui reçus par Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) lors de la consultation du milieu archivistique sur la révision de la Loi sur les archives, lancée en novembre 2020. L’article se terminera par un bilan de la pause-café sur cette même révision qui s’est tenue lors du congrès de l’AAQ au printemps 2021 et un espoir de voir la loi modifiée avant le prochain échéancier électoral.

1. L’ARCHIVISTIQUE AU QUÉBEC AVANT L’ADOPTION DE LA LOI

Au Québec, si la notion de gestion documentaire est assez récente, la gestion des archives dans le sens « patrimonial » du terme remonte, quant à elle, au Régime français. L’intendant Gilles Hocquart sera celui qui, en recommandant que les documents de la colonie soient regroupés et conservés dans un endroit à l’abri du feu, a d’ailleurs donné son nom à l’édifice abritant les Archives nationales à Montréal. Le gouvernement, l’armée, le régime seigneurial, les tribunaux, les compagnies de fourrures ainsi que les institutions religieuses ont produit quantité d’archives, sans parler des nombreuses correspondances privées. La colonie passe ensuite sous le régime anglais en 1763 qui l’administre jusqu’à l’instauration, en 1867, du régime confédéral sous lequel nous vivons toujours.

Comme le souligne Louise Gagnon-Arguin dans son ouvrage, L’archivistique, son histoire, ses acteurs depuis 1960 :

C’est à la Confédération que l’on doit la mise en place de structures qui vont favoriser la conservation des archives. Ainsi, la nouvelle organisation politique prévoit la création d’un poste de registraire. Dans la province de Québec, le sous-registraire se verra confier la charge de la conservation des documents officiels du gouvernement. […] [C]ette responsabilité ne s’étend pas à l’ensemble des documents, mais plutôt à ceux qui sont produits par le Secrétariat de la province.

Gagnon-Arguin, 1992, p. 12

Les Archives de la Province de Québec relevant du Secrétariat de la province, avec à sa tête Pierre-Georges Roy, ne seront fondées qu’en 1920 avec comme mandat « de veiller particulièrement à la conservation des archives du Régime français » (Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Historique, en ligne, 2021). On était loin à ce moment de la vision intégrée de l’archivistique et ne tombaient sous la responsabilité des Archives du Québec, que les documents n’ayant plus de valeur pour l’administration. Ce n’est qu’en 1970, au moment où les Archives du Québec prennent le nom d’Archives nationales du Québec (ANQ) que leur est confié « par voie législative, le pouvoir de décider de la conservation ou de l’élimination des documents gouvernementaux » (Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Historique, en ligne, 2021).

Depuis lors, l’encadrement institutionnel de la gestion des documents administratifs a subi une importante évolution, conséquence d’un changement dans la conception de la gestion documentaire et de son changement d’organisme de tutelle. Le moment clé de cette transformation est l’adoption de la Loi sur les archives (1983). Avant cette loi, la gestion des documents administratifs relevait de la responsabilité du Secrétariat de la province d’abord et, par la suite, du Conseil du trésor et ne visait que le gouvernement du Québec. À ce moment, la gestion des documents administratifs et la prise en charge des archives étaient distinguées. L’adoption de la Loi sur les archives est venue profondément transformer la conception de la gestion documentaire dans l’administration publique en élargissant la définition des archives aux documents administratifs, ce qui n’a pas été sans conséquence sur le travail des gestionnaires de documents au sein des organismes publics, effets qui se font toujours ressentir aujourd’hui.

Nous décrirons, dans cette première partie, l’importante évolution de l’encadrement institutionnel de la gestion documentaire au gouvernement. Un retour en arrière jusqu’au début des années 1960 permet de mieux comprendre les bouleversements apportés avec l’adoption de la Loi sur les archives par sa conception singulière de l’archivistique et le transfert de compétences en matière de gestion documentaire vers les Archives nationales du Québec qui deviendront par la suite Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

1.1. L’encadrement institutionnel de la gestion documentaire gouvernementale au Québec

Au moment de la Confédération en 1867, la responsabilité des documents gouvernementaux et des archives revient au Secrétariat de la province (Gouvernement du Québec, 1886). Jusque dans les années 1960, si les archives sont l’objet de l’attention soutenue de Pierre-Georges Roy, premier archiviste de la province de Québec, et de son fils et successeur, Antoine Roy, à peu près rien ne semble avoir été fait pour inciter les ministères à être responsables de leurs documents, et pour cause : la notion de gestion documentaire est inexistante au Québec comme ailleurs dans le monde. De plus, le temps écoulé depuis la création des ministères n’est pas assez long pour justifier de telles préoccupations dans les officines gouvernementales. Les premiers versements dignes de ce nom se feront lors du démantèlement de certains ministères dans les années 1960 et la gestion documentaire se mettra en place dans le cadre de la modernisation de l’État au même moment que la création de services de gestion documentaire dans les ministères.

Un premier changement majeur intervient en 1961, lorsque le ministère des Affaires culturelles est créé et que les Archives du Québec[1] sont placées sous sa juridiction sans pour autant revenir sur l’Acte concernant le département du Secrétaire et Registraire de la province de 1886. L’encadrement des archives et celui des documents du gouvernement sont alors distingués. Un intérêt pour le devenir des documents gouvernementaux se manifeste en 1962 par la création d’un Comité des archives dont le principal mandat est d’encadrer la destruction des documents administratifs devenus inutiles pour le gouvernement (Gagnon-Arguin, 2011, p. 81). Des outils de gestion documentaire sont alors mis en place : « inventaire des documents, plan de classification, durée de conservation, centre de préarchivage, modes de disposition finale des documents, production de copies de sécurité et archivage » (Héon, 1995, p. 10).

En décembre 1969, le gouvernement abolit le Secrétariat de la province. La Loi abrogeant la Loi du secrétariat et modifiant d’autres dispositions législatives (1969) confirme la responsabilité du conservateur des ANQ, nouvelle appellation des Archives du Québec, qui demeurent sous la juridiction du ministère des Affaires culturelles (Demers, 1989, p. 16) en matière d’archives historiques. L’introduction du Rapport des Archives du Québec pour l’année 1969 se penche sur les articles de la loi qui concernent les archives en faisant part du fait que l’Assemblée nationale « adoptait une loi des Archives nationales qui place désormais sous l’autorité du ministère des Affaires culturelles toutes les archives gouvernementales » (Ministère des Affaires culturelles, 1969). En effet, c’est au conservateur qu’est soumis l’examen des documents gouvernementaux qui ne sont plus d’usage courant, des inventaires des documents des ministères, des documents eux-mêmes et c’est lui qui décide de ce qui sera conservé de manière permanente. Le modèle adopté est donc celui qui est le plus courant : le producteur est responsable de ses documents, mais doit se soumettre à l’autorité du conservateur pour ce qui concerne les documents à valeur historique.

En 1971, le Conseil du trésor est créé. Selon l’article 22 de la Loi sur l’administration financière, il « exerce les pouvoirs du lieutenant-gouverneur en conseil en ce qui concerne l’élaboration et l’application de la politique administrative générale suivie dans la fonction publique » (RLRQ, c A-6.001, chap. 17). Il hérite donc de son autorité en matière de gestion des documents administratifs. Le 18 juin 1975, la Directive 11-75 vient opérationnaliser la loi de 1969. Elle énonce les règles générales en matière de disposition des documents devenus inutiles pour l’administration gouvernementale (C.T. 91831, 1975) et établit une prise de décision collective pour la disposition des documents. Les responsabilités sont dès lors partagées entre le producteur et le conservateur.

En 1976, la Politique administrative concernant la gestion des documents est adoptée. Elle prévoit tout d’abord l’instauration « d’un Comité de gestion des documents composé du Conservateur des archives nationales ou de son délégué et de sept fonctionnaires des ministères et organismes désignés par le Conseil du trésor » (Ministère des Affaires culturelles, 1976-1977) qui auront pour responsabilité, sous l’autorité du Conseil du trésor, d’encadrer la gestion documentaire du secteur public par la rédaction d’outils et de normes (inventaire, classement, calendriers, gestion des formulaires, administration d’un dépôt de préarchivage, etc.), par l’émission de recommandations et par la promotion de la gestion documentaire. Pour leur part, les ministères et organismes doivent désigner un coordonnateur de la gestion documentaire, déterminer les conditions de communicabilité, soumettre un calendrier de conservation et une liste d’éliminables hors calendrier. Le ministère des Travaux publics et de l’Approvisionnement, quant à lui, est chargé de la gestion du semi-actif. Le conservateur participe à l’élaboration des calendriers de conservation et les demandes de destruction lui sont soumises. Finalement, la Politique administrative concernant la gestion des documents s’appuie sur l’autorité du Vérificateur général qui doit :

… examiner à la demande du comité tout calendrier de conservation des documents du gouvernement et émettre son avis sur ceux qui ont une incidence financière ou comptable et émettre un avis sur toute demande de destruction de documents non-inscrits dans un calendrier de conservation et comportant une incidence financière ou comptable.

Ministère des Affaires culturelles, 1976-1977

Cette politique est « à l’origine de la gestion rationnelle des documents semi-actifs [et] marque une étape importante pour l’établissement d’une sélection méthodique des documents destinés à entrer aux Archives nationales pour conservation permanente » (Lessard, 2004-2005, p. 183). Après 6 ans d’activité, le mandat du Comité prend fin en 1982.

1.2. 1983 : La Loi sur les archives, « le projet de loi de l’âge d’or et du troisième âge » (Hains, Assemblée nationale, 5 décembre 1983)

Le projet de loi sur les archives, en 1983, marque un tournant majeur dans l’évolution du cadre institutionnel québécois de même que dans la conception de l’archivistique dans son ensemble. Ce bouleversement se traduit par le passage d’une organisation basée sur une conception où gestion documentaire et gestion archivistique étaient distinguées et relevaient d’institutions différentes (le Conseil du trésor et les ANQ), à une fusion de ces domaines relevant désormais de la compétence d’une seule et unique institution (les ANQ). L’objectif premier de l’adoption du projet de loi 3[2] est « de doter les organismes publics et les détenteurs d’archives privées d’un outil qui leur permette de gérer efficacement leurs archives. Il vise en outre à protéger les archives québécoises actuelles et à venir, et à en faciliter l’accès ou l’utilisation » (Richard, Assemblée nationale, 24 mai 1983).

Attendu depuis longtemps par le milieu archivistique, comment expliquer que le dépôt du projet de loi se soit fait en 1983 ? Si on en croit les témoins de l’époque[3], cet intérêt constituerait une heureuse conséquence de l’adoption, en 1982, de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (Loi sur l’accès) (RLRQ, chap. A.2.1). Le ministère des Affaires culturelles, dirigé à l’époque par le ministre Clément Richard, aurait été convaincu que l’accès aux documents des organismes publics assujettis à cette loi devait passer par une saine gestion documentaire. Pour que la Loi sur l’accès atteigne ses objectifs, il fallait donc légiférer en cette matière.

Le projet de loi soumis en première lecture soulève de nombreuses réactions : 63 mémoires sont déposés et 33 groupes sont reçus en commission parlementaire, les 24 et 25 mai 1983. Ces groupes représentent les divers milieux concernés directement par la loi : l’AAQ, les municipalités (Ville de Québec, Ville de Montréal, Communauté urbaine de Montréal), les organismes publics (Commission scolaire de Saint-Jérôme), les universités (McGill), le milieu des archives privées (Fédération des sociétés d’histoire, Société historique du Saguenay, Société historique de la Gaspésie, Séminaire de Québec, etc.), les milieux de la recherche (Institut d’histoire de l’Amérique française, Comité des chercheurs des Archives nationales, Centre d’études canadiennes-françaises de l’Université McGill, etc.) ainsi qu’un groupe d’archivistes présent à titre personnel : Denys Chouinard, Jean-Yves Rousseau et Carol Couture. Chacun de ces groupes expose sa lecture du projet de loi, globalement bien accueilli malgré ses nombreux écueils. Jacques Mathieu, président de l’Institut d’histoire de l’Amérique française (IHAF), résume ainsi le projet soumis par le ministre des Affaires culturelles :

Cette loi, ce projet constitue aussi un énoncé général sur lequel on pourra s’appuyer pour savoir quelle attitude prendre. Il constitue également un premier pas vers la gestion des documents par l’approbation des calendriers de conservation. Il favorise l’instauration de pratiques archivistiques dans les organismes gouvernementaux décentralisés et, à tout le moins, par défaut, il respecte les dépôts d’archives privées. On conviendra, malgré tout, qu’il s’agit de bien petits pas. C’est pourquoi des améliorations précises, concrètes, nous semblent souhaitables.

Mathieu, Assemblée nationale, 24 mai 1983

Pour ce qui concerne spécifiquement le milieu archivistique, le premier écueil du projet est l’absence de définition claire des archives, voire selon certains, une définition erronée. La plupart des témoins relèvent que le texte est incohérent du fait de cette lacune. Ainsi, Monique Larouche-McClemens, présidente de l’AAQ, souligne que pour les archivistes :

… le terme « archives » regroupe trois phases successives d’activités dans la vie d’un ou des documents, soit des périodes active, semi-active et inactive. Ce qui devient problématique dans le texte du projet de loi intitulé Loi sur les archives, c’est qu’on semble attribuer au terme « archives » une notion de documents inactifs uniquement.

Association des archivistes du Québec, 1983, p. 15

Cette remarque est d’ailleurs reprise par Carol Couture, représentant du groupe formé par Denys Chouinard, Jean-Yves Rousseau et Carol Couture lors de leur passage en commission parlementaire (Assemblée nationale, 1983). Pour sa part, Ginette Noël, archiviste de la Ville de Québec, fait valoir que la définition énoncée dans le projet de loi ne permet pas de prendre en compte le fait que certains « documents actifs » au regard du projet de loi comme les procès-verbaux et les règlements municipaux sont déjà réputés être des « archives historiques » face au Code municipal[4] et à la Loi sur les cités et villes[5].

En fait, plusieurs intervenants soulignent l’inadéquation du vocabulaire face à la pratique internationalement reconnue et qu’adopté tel que présenté, le projet de loi consacrerait :

… qu’un archiviste (ou professionnel de la science des archives) est un spécialiste du traitement des documents inactifs, dits historiques. […], [laissant en plan] les archivistes du milieu qui sont spécialistes des trois périodes d’activité des documents ou spécialistes des deux périodes actives et semi-actives ? »

AAQ, 1983, p. 15

La question de l’autorité compétente pour l’application de la loi se révèle également être épineuse. Elle est abordée par l’ensemble des groupes. D’un côté, tous les intervenants s’accordent à dire qu’« [i]l y a une nécessité évidente que la loi crée un responsable unique ayant préséance sur tout pour la conservation des archives » (Assemblée nationale, 1983)[6] sans pour autant être unanime quant à la portée de cette autorité (archives définitives ou ensemble du cycle de vie) ni quant au détenteur de cette autorité (ministre ou conservateur). C’est alors tantôt la centralisation des responsabilités entre les seules mains du ministre des Affaires culturelles et au détriment des ANQ qui est dénoncée (Assemblée nationale, 1983)[7], tantôt l’absence même d’autorité unique qui est relevée (Assemblée nationale, 1983)[8], tantôt encore l’absence d’énoncé des compétences du conservateur qui est signifiée[9] (Assemblée nationale, 1983). D’un autre côté, l’absence de contrôle sur l’ensemble du cycle de vie de tous les documents gouvernementaux est l’objet d’inquiétude de l’AAQ (Assemblée nationale, 1983) et du groupe Chouinard, Rousseau, Couture (Assemblée nationale, 1983) qui, dans la seconde partie de son intervention, expose ce que serait une « politique de traitement des archives du gouvernement » (Assemblée nationale, 1983).

Des ajustements seront apportés au projet de loi. Ceux-ci permettront au Québec, suivant en cela les pays de traditions latines, l’adoption de l’approche du continuum de la gestion des archives par opposition à la distinction formelle entre Records et Archives que l’on retrouve dans les pays de traditions anglo-saxonnes.

Quelques mois plus tard, le ministre des Affaires culturelles, Clément Richard, reconnaîtra d’ailleurs, devant l’Assemblée nationale, la pertinence et l’intérêt des interventions faites en Commission parlementaire qui :

[N]ous ont permis de bonifier le projet de loi sur les archives, de lever certaines ambiguïtés par l’inclusion de définitions claires, de préciser davantage les responsabilités du ministre des Affaires culturelles et du Conservateur des archives nationales dans la gestion des archives publiques, et de clarifier nos intentions eu égard aux archives détenues par des organismes privés ou par des individus.

Assemblée nationale, décembre 1983

1.3. Adoption de la loi (principales mesures et accueil)

La Loi sur les archives entre officiellement en vigueur le 21 décembre 1983. Elle reprend et impose la conception de l’archivistique telle que proposée par certains intervenants, comme pratique « englobant deux spécialités de la science des archives, soit la gestion des documents administratifs et la gestion des documents historiques » (Assemblée nationale, 1983)[10]. Pour ce qui concerne la gestion des documents gouvernementaux, elle l’encadre par les obligations relatives au calendrier de conservation. Cependant, elle n’établit toujours pas de responsabilité claire en matière de gestion documentaire.

1.4. Application et impacts de la loi

Par l’entrée en vigueur de la Loi sur les archives, le Conseil du trésor se voit écarté de la gestion des documents administratifs qui sont désormais désignés par le mot « archives » ainsi que le réclamait une partie de la communauté archivistique.

Selon des modalités différentes qui tiennent compte de l’autonomie des divers types d’organismes publics, la Loi sur les archives vise les ministères et les organismes gouvernementaux, le Conseil exécutif et le Conseil du trésor, le lieutenant-gouverneur, l’Assemblée nationale et les organismes dont elle nomme les membres, les tribunaux, les coroners et les commissaires enquêteurs, les organismes municipaux, les organismes de transport public, les organismes scolaires et d’éducation supérieure, ainsi que les établissements de santé et de services sociaux, soit essentiellement les mêmes organismes que ceux visés par la Loi sur l’accès aux organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[11].

L’autorité de la Loi est néanmoins plus prégnante sur les ministères et les organismes gouvernementaux décrits au paragraphe 1° de l’annexe de la Loi, ainsi que sur les tribunaux, coroners et commissaires enquêteurs prévus au paragraphe 3°. En effet, ceux-ci sont tenus de verser annuellement au conservateur leurs documents inactifs (article 15). De plus, les organismes visés au paragraphe 1° de l’annexe doivent suivre la Politique administrative concernant la gestion des documents actifs du gouvernement du Québec (C.T. 157432 du 10 septembre 1985).

Cette politique vise notamment les objectifs suivants :

  • assurer une gestion effective et efficace des documents au même titre que la gestion des ressources humaines, financières, matérielles, etc. dans les organismes publics, […]

  • assurer une gestion efficace et rentable des documents actifs, notamment par :

    • la mise en place de procédés administratifs qui permettent l’accès rapide à toute l’information disponible nécessaire à une prise de décision ou à un avis éclairé,

    • un meilleur contrôle par les organismes publics de la création ou réception, de la classification, du classement, de la diffusion, de l’utilisation, de l’exploitation, de la protection et du repérage de leurs documents,

    • la diminution de la multiplication excessive des documents, […]

    • la concertation des responsables de la gestion des documents actifs des organismes publics et des responsables de l’intégration des outils de gestion bureautique et informatique. (Conseil du trésor, 1985)

Cette politique attribue aux organismes publics assujettis plusieurs responsabilités, dont celles :

  • d’affecte[r] les ressources requises à la conception, au développement, à l’implantation, à la mise à jour et à l’évaluation d’un système de gestion des documents actifs ; lorsque le nombre le requiert de confier ce rôle à une unité administrative dont c’est la principale fonction notamment de :

    • déterminer les systèmes et les méthodes de travail qui visent à exploiter l’information véhiculée par les documents et justifier les supports les plus appropriés, […]

    • établir et tenir à jour un plan de classification des documents,

    • établir et tenir à jour un index de repérage des documents,

    • établir et tenir à jour le calendrier de conservation de ses documents et le faire approuver par les Archives nationales du Québec. (Conseil du trésor, 1985)

Ces mêmes organismes doivent également appliquer la Politique administrative de gestion des documents semi-actifs du gouvernement du Québec (C.T. 167568 du 25 mai 1988).

Ces deux politiques ne sont proposées qu’aux organismes visés par le paragraphe 2° de l’annexe de la loi, qui vise le lieutenant-gouverneur et l’Assemblée nationale, ainsi qu’aux tribunaux, coroners et commissaires enquêteurs identifiés au paragraphe 3° de l’annexe. Pour leur part, les organismes visés aux paragraphes 4° à 7°, soit les organismes municipaux, paragraphe 4°, les organismes de transport public, paragraphe 5°, les établissements scolaires et d’éducation supérieure, paragraphe 6°, ainsi que les établissements de santé et de services sociaux, paragraphe 7°, doivent, quant à eux, se doter de telles politiques.

Par ailleurs, tous les organismes publics assujettis doivent suivre la Politique de gestion des documents inactifs des organismes publics, adoptée en 1991, dont la portée est modulée selon les différents paragraphes de l’annexe de la Loi sur les archives.

En ce qui concerne la gestion documentaire des ministères, les Archives nationales obtiennent le pouvoir de conseiller et de contrôler ces derniers dans l’élaboration, l’approbation et la modification du calendrier de conservation (articles 4 à 13 et 35 à 37). La loi est applicable par le biais des règlements et des politiques afférents qui ont été établis et adoptés au cours des années suivantes. Parmi les règlements, celui sur le calendrier de conservation, le versement, le dépôt et l’élimination des archives publiques (RLRQ, c. A-21.1, r.2), adopté en 1984 par le Conseil des ministres, précise les modalités de confection et de transmission du calendrier de conservation. Il détermine aussi la démarche pour le versement (pour les organismes visés aux paragraphes 1° et 3° de l’annexe) et le dépôt (pour les organismes visés au paragraphe 2° de l’annexe) des documents inactifs et l’élimination ou le déplacement de documents publics.

Malgré ces différents textes, les lacunes de la Loi sur les archives rendent difficile son application. Parmi celles-ci, l’absence totale d’indication concernant la responsabilité et l’imputabilité de la gestion des documents au sein des organismes publics est certainement la plus importante. Or, ni les rôles et responsabilités des ANQ puis de BAnQ, décrits dans les différents textes normatifs, ni les moyens fournis par le ministère des Affaires culturelles ne permettraient d’exercer la surveillance requise pour assurer le respect des obligations découlant de la loi, et des politiques et règlements.

En réalité, BAnQ n’est présente pour les organismes publics que lorsqu’il est question d’archives dans le sens patrimonial du terme. Cette responsabilité envers l’application et le respect du cadre légal et réglementaire en matière de gestion des documents administratifs relève donc des organismes publics eux-mêmes et tout particulièrement des équipes responsables de cette fonction. Cette lacune a pour conséquence que les ministères et organismes gouvernementaux ne sont pas encouragés à investir des ressources afin de garantir la pérennité des documents qui, devenus inactifs, devront être versés à BAnQ.

Il n’existe cependant pas de données probantes concernant l’évolution de la gestion documentaire dans les organismes publics. Cela aurait permis de poser un regard documenté sur l’évolution, les ressources humaines, matérielles et financières qui y ont été allouées par les organismes publics et les résultats obtenus selon le type et la taille des organismes depuis l’adoption de la loi en 1983.

C’est d’ailleurs pour pallier ce manque de données que fut réalisé en 2017, à l’initiative de l’Association des archivistes du Québec (AAQ), de BAnQ et du Réseau des services d’archives du Québec (RAQ), le Portrait statistique des centres et services d’archives du Québec.

L’enquête démontre qu’au regard des ressources humaines, la situation est loin d’être idéale. En effet, pour l’année de référence, seize (16) organismes du gouvernement ne comptent aucun cadre pour la fonction de gestion documentaire et deux (2) d’entre eux n’ont aucun professionnel affecté à cette fonction (Portrait statistique des centres et services d’archives du Québec 2017)[12].

L’adoption de la loi et de ses politiques et règlements avait pour objectif d’assurer un certain contrôle de la masse documentaire or, aucune mesure n’a réellement été mise en place pour s’assurer que les organismes publics avaient les moyens pour y parvenir. Ceci a pour effet que cette loi et ses documents afférents ne sont pas connus et par conséquent n’ont pratiquement aucune incidence sur la gestion documentaire. Par exemple, en matière de gestion documentaire, cette loi établit l’obligation de l’établissement d’un calendrier de conservation sans que son inapplication entraîne de sanctions. Or, une structuration, rendue nécessaire à la fois par l’obsolescence de la Loi sur les archives et par les développements technologiques, s’effectue en parallèle par la mise en place d’un cadre légal et normatif en matière de gestion de l’information applicable à la gestion documentaire. C’est ce dont nous traiterons dans la prochaine partie.

2. ÉVOLUTION ET STAGNATION

Depuis l’adoption de la Loi sur les archives, d’autres lois touchant à la gestion documentaire se sont greffées au cadre législatif existant (Loi sur les archives ainsi que ses politiques et règlements), ou ont fait l’objet de modifications sous l’effet combiné des développements technologiques et des préoccupations concernant la protection des renseignements personnels et, dans une moindre mesure, l’accès aux documents des organismes publics. Cette évolution qui se situe hors du contexte archivistique a pour effet d’accentuer l’obsolescence de la Loi sur les archives ; cette dernière n’ayant pas bénéficié d’une telle actualisation. Tout cela concourt à compliquer l’arrimage entre les différentes exigences législatives, laissant le ministère de la Culture et des Communications ainsi que BAnQ dans le wagon de queue d’un train qui, par ailleurs, file sur ses rails, offrant même au passage un rôle spécifique au gestionnaire de documents, ce que la Loi sur les archives ne leur confie même pas.

Ainsi, les ministères et les organismes du gouvernement du Québec sont désormais soumis à un cadre juridique et normatif qui définit comme suit ce qu’est une ressource informationnelle :

… une ressource utilisée par une entreprise ou une organisation, dans le cadre de ses activités de traitement de l’information, pour mener à bien sa mission, pour faciliter la prise de décision ou encore la résolution de problèmes. Une ressource informationnelle peut être une ressource humaine, matérielle ou financière directement affectée à la gestion, à l’acquisition, au développement, à l’entretien, à l’exploitation, à l’accès, à l’utilisation, à la protection, à la conservation et à la destruction des éléments d’information. Une ressource peut donc être une personne, un fichier ou le système informatique lui-même.

SCT a

Cette définition, qui fait d’ailleurs partie du Thésaurus de l’activité gouvernementale, est largement répandue depuis l’adoption de la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement (Loi sur les ressources informationnelles).

Bien qu’aucune loi ayant une incidence documentaire ne mentionne la responsabilité du Secrétariat du Conseil du trésor (SCT) en matière de gestion de l’information, le cadre normatif en matière de ressources informationnelles est placé sous la responsabilité du Sous-secrétariat de la dirigeante principale de l’information et de la transformation numérique du SCT. Ce cadre s’appuie notamment sur la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (LCCJTI, RLRQ, c. C-1.1), adoptée en 2001, la norme ISO 15489 Information et documentation – Gestion des documents d’activité, dont la première version date de 2001 et la Loi sur les ressources informationnelles (RLRQ, c. G-1.03) adoptée en 2011, modifiée une première fois en 2018 puis de nouveau en 2021.

2.1. Adoption de la Loi sur le cadre juridique des technologies de l’information

Adoptée en 2001, la LCCJTI a une portée générale, c’est-à-dire qu’elle concerne le statut juridique de tous les documents, peu importe leur support. Elle est donc étroitement liée à la gestion des documents, notion qui se trouve au coeur de la loi et qui est ainsi définie : « Un document est constitué d’information portée par un support. […] L’information peut être rendue au moyen de tout mode d’écriture » (RLRQ, c C-1.1, art. 3). L’adoption de la LCCJTC a d’ailleurs mené à la modification de la définition du terme « document » dans la Loi sur les archives[13], de même que dans la Loi sur l’accès au profit de celle de la LCCJTI plus pertinente au regard des avancées technologiques.

La notion d’équivalence fonctionnelle entre le papier et le numérique qui est un des objectifs de la loi, oblige par ricochet les organismes publics à devoir aussi gérer leurs documents sur support électronique.

En effet, un des premiers objets de la loi est : « […] d’assurer la sécurité juridique des communications effectuées par les personnes, les associations, les sociétés ou l’État au moyen de documents, quels qu’en soient les supports. On précise les précautions à prendre afin de conserver la validité juridique des documents tout au long de leur cycle de vie. » (SCT b) Ce cycle doit être compris de façon beaucoup plus large que ce qui est entendu dans la Loi sur les archives. Il ne s’agit pas à proprement parler des stades actif, semi-actif et inactif d’un document. Au regard de la LCCJTI, le cycle de vie d’un document se constitue des éléments suivants : la création, la modification, le transfert de l’information, la consultation, la transmission, la conservation et l’archivage ou la destruction.

Sur le plan de la gestion documentaire, la loi oblige l’organisation, selon les articles 5 à 7 et 19, à devoir assurer l’intégrité des documents. L’intégrité du document est assurée, lorsqu’il est possible de vérifier que l’information n’en est pas altérée, qu’elle est maintenue dans son intégralité et que le support qui porte cette information lui procure la stabilité et la pérennité voulue. L’intégrité du document doit être maintenue au cours de son cycle de vie. Dans l’appréciation de l’intégrité, il est tenu compte, notamment, des mesures de sécurité prises pour protéger le document au cours de son cycle de vie (RLRQ, c C-1.1, art. 6).

Aussi, l’organisation doit veiller à ce que les documents ayant fait l’objet d’un transfert de support répondent à certaines conditions. Les documents dont la loi exige la conservation et qui ont fait l’objet d’un transfert peuvent être détruits et remplacés par les documents résultant du transfert. Toutefois, avant de procéder à la destruction, la personne qui en est chargée :

1° prépare et tient à jour des règles préalables à la destruction des documents ayant fait l’objet d’un transfert, sauf dans le cas d’un particulier ;

2° s’assure de la protection des renseignements confidentiels et personnels que peuvent comporter les documents devant être détruits ;

3° s’assure, dans le cas des documents en la possession de l’État ou d’une personne morale de droit public, que la destruction est faite selon le calendrier de conservation établi conformément à la Loi sur les archives

chapitre A-21.1. RLRQ, c C-1.1, art. 20

Ensuite, le maintien de l’intégrité du document au cours de son cycle de vie (section IV) concerne directement la gestion documentaire. En effet, l’article 17 de la Loi précise que le changement de support de l’information est possible à condition que le processus soit « […] documenté de sorte qu’il puisse être démontré, au besoin, que le document résultant du transfert comporte la même information que le document source et que son intégrité est assurée. […] La documentation [doit être] conservée durant tout le cycle de vie du document résultant du transfert » (RLRQ, c C-1.1, art. 17). Toute l’importance pour l’organisme de conserver cette documentation s’explique par l’article 18 qui énonce qu’un document issu d’un transfert de support documenté ne peut être refusé à titre de preuve si la documentation du processus de transfert est jointe (RLRQ, c C-1.1, art. 18). Dans beaucoup de ministères et organismes publics, cette loi, tout comme la Loi sur l’accès, vient confirmer l’importance de la gestion de l’information et de la gestion documentaire ainsi que la nécessité de se doter à la fois de professionnels de la gestion documentaire et d’un progiciel de GID.

La gestion intégrée des documents (GID) vise à élaborer des systèmes de gestion documentaire prenant en compte aussi bien les documents papier que les documents électroniques. Elle permet aux organisations de garantir l’authenticité, l’intégrité, la fiabilité et l’exploitabilité des documents électroniques, qui peuvent aussi bien remplir leurs fonctions de preuve et d’information.

Alaoui, 2017

Au sein des organisations publiques, le début du XXe siècle se caractérise, selon Michel Roberge, par un environnement devenu hybride. À ce propos, il explique que :

… les organisations fonctionnent de plus en plus dans des environnements hybrides composés de systèmes informatiques autonomes, de dossiers composés en partie de documents en format papier et technologiques ou de systèmes de GÉD[14] appliqués à certaines séries documentaires à contenu homogène.

Roberge, 2004, p. 13.1

Devant la généralisation du numérique et la mise en place de grands projets de numérisation de documents, il devient nécessaire de s’adapter à ces changements technologiques. Pour permettre de suivre cette évolution qui s’engage de plus en plus au sein du gouvernement, notamment dans sa sphère administrative, le principe de la neutralité technologique s’impose. Pour les ministères et organismes, l’équivalence fonctionnelle promue dans la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (RLRQ, c. C-1.1) signifie notamment que les documents papier doivent être gérés, mais tout ce qui est produit par les moyens technologiques doit l’être aussi. Avant l’adoption de cette loi, et malgré les obligations découlant à la fois de la Loi sur l’accès et de la Politique administrative sur la gestion des documents actifs du gouvernement ou de celles adoptées par les organismes publics visés par les paragraphes 4° à 7° de l’annexe, les habitudes de travail amenaient souvent les utilisateurs à enregistrer leurs documents sur des serveurs ou autres supports et à les classer selon une organisation individuelle, voire sectorielle, mais nullement d’un point de vue organisationnel générant ainsi des centaines et même des milliers d’arborescences de classement différentes. Aussi, le calendrier de conservation était rarement appliqué par les utilisateurs qui conservaient les documents durant toute leur vie professionnelle.

L’entrée en vigueur de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information a donné une reconnaissance juridique à l’utilisation des documents technologiques dans les affaires courantes. Ainsi, ces documents ont maintenant une valeur probante équivalente à celle du papier. Des responsabilités en matière de conservation, d’archivage et de communication des documents, peu importe désormais le support, s’ajoutent à celles des organismes publics en matière de gestion des documents administratifs. Des principes, tout comme des méthodes et des outils, viennent soutenir ce positionnement.

2.2. Adoption de la norme ISO 15489 Information et documentation – Gestion des documents d’activité

De grands principes qui soutiennent la gestion des documents sont énoncés dans la norme ISO 15489 Information et documentation – Gestion des documents d’activité dont la première édition paraît en 2001. Celle-ci s’inscrit dans le courant normatif des séries ISO 9000 (Couture et Roy, 2006-2007, p. 143). La norme ISO 15489 vise :

… la production et la conservation de documents authentiques, fiables, intègres et exploitables pour réaliser les activités de façon efficace et efficiente, pour documenter et rendre compte de ses activités, pour protéger et défendre les droits de l’organisation et pour offrir un témoignage pertinent de ses réalisations.

Couture et Roy, 2006-2007, p. 146

Son accueil dans la communauté archivistique québécoise demeure toutefois mitigé. Cynthia Couture et Julie Roy ont expliqué cette réception dans un article de la revue Archives paru en 2006-2007 : « On parle de façon générale du fait que les principes qu’elle énonce sont déjà connus et appliqués au Québec ou encore que les outils proposés sont déjà implantés » (Couture et Roy, 2006-2007, p. 147). Cette critique pourrait cependant être nuancée, comme le font remarquer avec justesse les deux autrices, puisque les normes servent justement à partager le savoir-faire des spécialistes d’un domaine (Couture et Roy, 2006-2007, p. 147).

2.3. Cadre de référence gouvernemental pour la gestion intégrée des documents

Financé par le SCT et les ANQ, le projet d’un cadre de référence gouvernemental en gestion intégrée des documents (GID) voit le jour à l’été 2004. La prolifération de la masse documentaire numérique, mal ou non contrôlée, pousse « le Gouvernement du Québec, comme la plupart des grandes administrations publiques [à] se doter d’une vision, de méthodes et d’outils pour mieux gérer ses documents sur tous supports, incluant les supports numériques » (Marcoux, 2004, p. 1). Le but de ses travaux est « de répondre aux exigences d’affaires, de preuves légales, de repérage, de protection des renseignements personnels ou confidentiels, et ce, dans un contexte où des documents papier et électroniques doivent être intégrés au même dossier » (SCT d).

2.4. Adoption de la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement

Adoptée en 2011, révisée une première fois en 2018, et une seconde fois en 2021, la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics a pour objectifs :

1° d’instaurer un cadre de gouvernance et de gestion en matière de ressources informationnelles applicable aux organismes publics et aux entreprises du gouvernement, lequel vise particulièrement :

2° à permettre d’offrir aux citoyens et aux entreprises des services simplifiés, intégrés et de qualité qui s’appuient sur les technologies de l’information incluant les technologies numériques, tout en assurant la pérennité du patrimoine numérique gouvernemental ;

3° à optimiser la gestion des ressources informationnelles et des services publics en favorisant la mise en commun, notamment, du savoir-faire, de l’information, des systèmes, des infrastructures et des ressources ;

4° à assurer la protection adéquate des ressources informationnelles des organismes publics utilisées en soutien à la prestation des services publics ou à l’accomplissement des missions de l’État ;

5° à instaurer une gouvernance et une gestion optimales des données numériques gouvernementales pour simplifier l’accès aux services publics par les citoyens et les entreprises, mieux soutenir l’action gouvernementale, accroître la performance et la résilience de l’administration publique et rehausser la qualité et la protection de ces données ;

6° à coordonner les initiatives de transformation numérique des organismes publics en vue d’offrir des services publics entièrement numériques ;

7° à assurer une gestion rigoureuse et transparente des sommes consacrées aux ressources informationnelles ;

8° à promouvoir l’usage des meilleures pratiques en matière de gouvernance et de gestion des ressources informationnelles et le développement de l’expertise gouvernementale relativement aux technologies de l’information, incluant les technologies numériques ;

9° à favoriser la mise en oeuvre d’orientations et de stratégies communes à l’ensemble des organismes publics.

RLRQ, c. G -1,03, art. 1

Pour ce faire, la loi prévoit la désignation d’un dirigeant principal de l’information et de dirigeants réseau et sectoriel. Le Conseil du trésor se voit confier divers pouvoirs et responsabilités, dont ceux « de prendre des directives et la responsabilité d’élaborer et de proposer au gouvernement des politiques en matière de gouvernance et de gestion des ressources informationnelles au sein des organismes publics » (Assemblée nationale, 2010).

La notion de ressources informationnelles comme définie par la loi implique directement la gestion des documents ainsi que les ressources humaines, financières et matérielles qui y sont affectées. Les documents, peu importe le support, permettent aux organismes de mener à bien leur mission, facilitent la prise de décision ou encore la résolution de problèmes. Or, sans une gestion documentaire efficace, il devient difficile, voire impossible, pour l’organisme public d’y parvenir. L’encadrement de ces ressources informationnelles par la Loi sur les ressources informationnelles est donc essentiel.

Or, plusieurs organismes publics ne voient pas le lien entre les ressources informationnelles et la gestion des documents. Les premières sont trop fréquemment perçues uniquement sous l’angle de la gestion des systèmes informatiques par le dirigeant principal de l’information aussi responsable des TI. La gestion des documents est, quant à elle, encore trop souvent associée aux documents papier. Ceci a pour effet de minoriser cette dernière fonction, pourtant vitale, au sein de plusieurs organismes publics alors que la définition qui en est donnée devrait paver la voie à une plus grande collaboration entre les deux domaines. Ne fait-on pas mention, dans la loi, de la conservation et de la destruction des éléments d’information, fonctions pour lesquelles les responsables de la gestion documentaire sont spécifiquement formés ?

L’adoption, en juin 2021, de nouvelles modifications à la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles, lors de l’adoption du projet de loi 95, introduit la notion de données numériques gouvernementales vues comme :

… un actif informationnel stratégique du patrimoine numérique gouvernemental. […] Pour l’application de la présente loi, on entend par :

1° « donnée numérique gouvernementale » toute information portée par un support technologique, incluant un support numérique, détenue par un organisme public.

RLRQ, c. G 1-03, art. 12.10

Ceci a pour effet de creuser davantage l’écart entre la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles (RLRQ, c. G-1.03) et la Loi sur les archives (RLRQ, c. A-21.1). L’effort qui est attendu de l’ensemble de l’appareil gouvernemental pour assurer « [leur] mobilité [et leur] valorisation » (RLRQ, c. G,1-03, art. 12.10) devrait pourtant interpeller BAnQ au premier chef.

À la lecture de ces informations, il est clairement établi, que d’un point de vue légal, l’imputabilité ainsi que l’autorité en matière de gestion des ressources informationnelles incombe uniquement au Conseil du trésor. Son rôle concerne l’adoption de textes normatifs dans ce domaine puisqu’il conserve, jusqu’à aujourd’hui, à travers son sous-secrétariat de la dirigeante principale de l’information et de la transformation numérique, la responsabilité d’« assurer, à l’échelle gouvernementale, la cohérence des activités et des investissements dans le domaine des ressources informationnelles » (SCT c). Il est à noter qu’aucune mention n’est faite de cette responsabilité dans la Loi sur les archives ni dans aucune autre loi ayant une incidence sur la gestion documentaire. Plus encore, BAnQ n’est pas spécifiquement identifiée comme un partenaire dans la mise en place de la transformation numérique de l’État.

3. VOLONTÉ DE MODIFIER LA LOI SUR LES ARCHIVES

L’évolution du cadre législatif entourant la gestion documentaire et les responsabilités dévolues à d’autres acteurs que les archivistes causent d’importantes insatisfactions parmi les acteurs des milieux tant institutionnels que professionnels. Le milieu des archives a donc, depuis une dizaine d’années, posé certains gestes, jusqu’à maintenant demeurés sans succès, afin d’actualiser la loi. Dans la partie suivante, nous ferons un retour sur ces tentatives en nous attardant particulièrement sur la consultation du milieu archivistique québécois concernant la révision de la Loi sur les archives réalisée en décembre 2020 et sur laquelle est fondé beaucoup d’espoir.

3.1. Initiatives des années 2010

Les premières interventions visant une révision de la Loi sur les archives remontent au début des années 2010 lors d’une consultation menée par BAnQ. Celle-ci avait d’abord fait connaître ses grands objectifs dans un billet de blogue publié, le 4 juillet 2013, par sa Direction générale des archives. Le 3 octobre de la même année, elle faisait connaître les onze (11) orientations qui découlaient de ces objectifs sous le titre Révision de la Loi sur les archives et de ses documents afférents.

Nous avons vu précédemment que l’AAQ s’est impliquée au moment de l’adoption de la Loi sur les archives en 1983. Son intérêt pour cette loi ne s’est pas arrêté là, à preuve le nombre d’articles publiés dans la revue Archives sur ce sujet.[15] La première tentative de révision de la Loi sur les archives ainsi que des politiques et règlements qui en découlent s’est déroulée en 2013. La Direction générale des archives de BAnQ avait alors travaillé à un projet de révision, le premier depuis l’adoption de la loi. Au terme des travaux préliminaires, Normand Charbonneau, directeur général des archives et conservateur, présente la vision de BAnQ aux congressistes lors de la conférence d’ouverture du congrès de l’AAQ. Comme indiqué ci-dessus, afin que les informations circulent plus largement, BAnQ fait ensuite connaître ses grands objectifs dans un billet de blogue publié en juillet 2013, puis fait de même avec les orientations qui en découlent au début du mois d’octobre. Faisant suite à une série de rencontres individuelles avec des acteurs du milieu professionnel, le 18 octobre de la même année, une journée de réflexion (BAnQ, 24 octobre 2013) est organisée pour discuter des éléments terminologiques inclus dans la loi à laquelle participe le président de l’Association, monsieur André Gareau et sa vice-présidente, la présidente du RAQ, Diane Baillargeon, la responsable du Groupe d’expertise en gestion documentaire (GEGD), Francine Légaré, ainsi que plusieurs membres de la communauté archivistique représentants divers secteurs d’activité dont Julie Simard, représentant les ministères et organismes gouvernementaux, Hélène Laverdure, actuelle directrice générale des archives et conservatrice à BAnQ, alors directrice du Service des archives de la Ville de Québec représentant le secteur municipal, Marie-Pierre Aubé, archiviste de l’Université Concordia représentant le secteur de l’éducation, Nathalie Richard représentant le secteur de la santé et vice-présidente de l’AAQ, Céline Widmer du Musée McCord, représentant les services d’archives privées agréés (SAPA) ainsi que les professeures Dominique Maurel de l’EBSI et Natasha Zwarich de l’UQAM. Les résultats de ces rencontres seront ensuite présentés à divers groupes comme le GEGD, l’ARMA Montréal, etc. Les attentes étaient donc élevées dans le milieu qui espérait voir rapidement aboutir ces travaux.

Malheureusement, le processus sera arrêté par le départ d’acteurs clés, ce qui a eu pour conséquence que le projet de refonte de la Loi sur les archives s’est retrouvé déclassé parmi les priorités législatives et électorales du ministère de la Culture et des Communications.

En 2015, constatant qu’aucune suite n’avait encore été donnée à cette journée, l’AAQ et le RAQ signaient conjointement une lettre à la ministre de la Culture et des Communications, Hélène David, soulignant l’urgence de modifier la loi et de l’adapter à son époque. Les signataires, Marie-Pierre Aubé, présidente de l’AAQ ainsi que Diane Baillargeon, présidente du RAQ, rappelaient à la ministre que :

… les consultations avec le milieu archivistique, dont le Réseau des services d’archives du Québec (RAQ) et l’Association des archivistes du Québec (AAQ), le Groupe d’expertise en gestion documentaire (GEGD) et le Regroupement des services d’archives privées agréés (RSAPAQ) ont déjà été réalisées par Bibliothèque et Archives nationales du Québec [, que] tous les regroupements sont d’accord avec les orientations présentées par BAnQ […] en 2013 et [que] rien n’empêcherait, si la volonté est au rendez-vous, d’adopter une Loi sur les archives renouvelée lors de la reprise des travaux parlementaires de l’automne 2015.

AAQ, RAQ 2015, page 2

Cette volonté semble pourtant faire défaut puisqu’aucun projet de loi ne sera soumis à l’Assemblée nationale en 2015, ni depuis d’ailleurs.

L’AAQ reprend l’offensive en 2019. Après s’être insurgée en 2017 contre les suppressions de postes à BAnQ (AAQ, 2017) et être intervenue en 2018 sur le financement des SAPA (AAQ, 2018), elle écrit à la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, pour lui demander une rencontre afin de la convaincre de l’urgence de réviser la Loi sur les archives (AAQ, 2019). L’AAQ insiste alors sur le rôle dynamique que doivent jouer les archivistes dans un monde numérique. Aujourd’hui, peut-on lire les archivistes :

… se doivent d’être des architectes de l’information, d’agir dès la conception des systèmes d’information qui régissent la création, le traitement et la disposition finale de l’information numérique ce qui inclut notamment le traitement des opérations et des transactions tout au long du cycle de vie des données.

AAQ, 2019, page 1

Le président, Frédéric Giuliano, insiste ensuite sur l’importance, pour que les archivistes puissent bien jouer ce rôle, de « s’appuyer sur une Loi sur les archives […] réactualisée qui leur accorde une reconnaissance fonctionnelle […] qui leur conférera toute la légitimité et la crédibilité nécessaire pour agir directement dans les projets de gouvernance des ressources informationnelles […] » (AAQ, 2019, page 2).

Le 20 juin 2019, le président-directeur général de BAnQ, Jean-Louis Roy, fait paraître dans Le Devoir une lettre intitulée La déperdition du patrimoine documentaire québécois (Roy, 2019). Le texte annonçait que la Vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, se pencherait sur la question de la gestion du patrimoine au Québec. Le 9 juillet suivant, l’AAQ répondait par une lettre intitulée Numérique : à quand une nouvelle Loi sur les archives ? (AAQ, 2019) dans laquelle elle faisait part de son soutien aux propos de M. Roy en ce qui concerne « le parcours des documents publics, produits numériquement » (Roy, 2019) et rappelait son « inquiétude quant à l’arrimage de la législation actuelle avec la « civilisation numérique [ainsi que le fait qu’elle] est particulièrement préoccupée par l’obsolescence de la Loi sur les archives adoptée en 1983, des années avant l’introduction des ordinateurs dans les administrations » (AAQ, 2019).

Coïncidence ou pas, dans les jours qui ont suivi la parution de cette lettre, dans Le Devoir l’AAQ a finalement pu rencontrer des membres du cabinet de la ministre et leur faire valoir ses arguments.

Elle a ainsi contribué à donner une voix aux archivistes qui espèrent depuis trop longtemps déjà une toute nouvelle Loi sur les archives. En novembre 2020, une nouvelle consultation sur la révision de la loi est lancée par BAnQ.

3.2. La consultation de 2020

Force est de constater que les efforts déployés par le milieu des archives depuis 2013 pour faire modifier la loi de 1983 n’avaient pas abouti. Cependant, au fil du temps et à la faveur de différentes crises, notamment celle du financement des SAPA en 2019 ou celle des archives religieuses, créé par le congédiement de l’ensemble du personnel de l’Univers culturel Saint-Sulpice et la fermeture des Archives des Sulpiciens en 2020, les différents acteurs ont développé un argumentaire sur la nécessité de revoir en profondeur la Loi sur les archives. Or, il en fallait plus. L’élan devait venir de l’intérieur même de la machine gouvernementale.

Certains enjeux, comme les fuites des données de renseignements personnels qui s’additionnaient, tant dans le secteur privé que dans le secteur public[16], ou la commercialisation des renseignements personnels[17] touchant directement les citoyens, poussent le gouvernement à mettre en oeuvre des réformes législatives pour pallier les lacunes des lois en vigueur. C’est ainsi que sont apparus, au menu législatif, les projets de loi 64 modifiant la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (RLRQ. c. A-2.1) et le projet de loi 95 modifiant la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement (RLRQ, c. G-1.03). Ces deux projets de loi ont été adoptés en 2021.

Ce n’est malheureusement pas le cas de la Loi sur les archives, qui semble loin des préoccupations quotidiennes des citoyens et des dirigeants politiques. Bien que les praticiens de l’archivistique se plaignent souvent et depuis longtemps de la perception de la population à leur endroit[18], il n’en reste pas moins que les citoyens accordent une grande confiance aux archivistes en ce qui concerne la conservation des documents anciens et se sentent totalement rassurés sur le sort des documents qui leur sont confiés. Si la population en général ne milite pas en faveur de la révision de la Loi sur les archives[19], le milieu archivistique n’est pas seul à sentir la nécessité de revoir la loi de 1983 ; BAnQ en était arrivée à la même conclusion et souhaitait aussi la réviser. Dans ce contexte, quelle stratégie pouvait-elle proposer, en pleine pandémie, alors que tous les regards et toutes les énergies de la société étaient tournés vers le règlement de la crise sanitaire et la reprise économique pour en arriver à amener le gouvernement à mettre la révision de la loi à son agenda ?

L’objectif de la consultation menée par BAnQ en 2020 visait à permettre à toutes les personnes et à tous les organismes qui le souhaitaient de déposer un mémoire de dix pages au maximum présentant « leur point de vue sur la pertinence de réviser le contenu de la présente Loi sur les archives et de son cadre de réglementation » (BAnQ, 2020). D’entrée de jeux, BAnQ inscrit cette consultation « dans le contexte d’une utilisation croissante des technologies de l’information, de la transformation numérique de l’État, et des enjeux actuels et futurs, de conservation et de diffusion du patrimoine documentaire québécois » (BAnQ, 2020).

Les personnes et groupes intéressés étaient invités à réfléchir à la révision de la Loi sur les archives selon six grandes orientations qui faisaient écho aux principales doléances du milieu archivistique :

  • L’actualisation du vocabulaire (Orientation 1)

  • La notion de reddition de compte (Orientation 2)

  • Les enjeux de la diffusion et de la réutilisation de l’information numérique (Orientation 3)

  • L’élaboration d’une loi structurante (Orientation 4)

  • Les modalités d’assujettissements des organismes publics (Orientation 5)

  • La révision des politiques et règlements découlant de la Loi sur les archives (Orientation 6) (BAnQ, 2020).

Les mémoires devaient être soumis au plus tard le 15 janvier 2021 pour pouvoir être publiés sur le site Internet de BAnQ. Les documents reçus après cette date seraient toutefois pris en compte, sans être diffusés sur Internet. Ce délai serré visait à permettre à BAnQ d’analyser et de faire la synthèse des mémoires reçus avant la fin du mois de mars afin d’étayer un document à remettre au ministère de la Culture et des Communications à la fin de l’année financière 2020-2021.

3.3. Analyse quantitative des lettres et mémoires reçus

La consultation ayant été lancée en novembre 2020, il restait peu de temps aux groupes intéressés pour rédiger leur position. Malgré ce court délai, treize mémoires ainsi que deux lettres seront envoyés à BAnQ, ce qui témoigne du grand intérêt suscité par cette consultation dans le milieu archivistique québécois.

Les quinze mémoires ou lettres reçus proviennent des personnes ou organismes suivants :

Tableau 1

Liste des lettres et mémoires reçus lors de la consultation menée par BAnQ en 2020

Liste des lettres et mémoires reçus lors de la consultation menée par BAnQ en 2020

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Comme nous pouvons le remarquer, la consultation a suscité l’intérêt de tous les types de groupes d’archivistes avec toutefois une prédominance pour ceux qui touchent exclusivement à la gestion documentaire comme l’ARMA, le GEGD, le CDGCEQ et la LLLMO. Aussi, nous retrouvons des groupes s’intéressant uniquement à la gestion des archives définitives comme c’est le cas du CRAO et du RAQ. Ce dernier secteur est aussi défendu par des historiens professionnels ou amateurs comme l’IHAF, la Société canadienne d’histoire de l’Église catholique (SCHEC) et la Fédération Histoire Québec (FHQ). Si l’AAQ est la seule organisation qui regroupe tous les archivistes, quel que soit leur champ de pratique, à s’être manifestée, elle est aussi celle qui représente le plus d’individus.

À titre comparatif, soulignons que lors des travaux de la Commission parlementaire qui a mené à l’adoption de la Loi sur les archives de 1983, 17 mémoires avaient été déposés.

Tableau 2

Liste des auteurs de mémoires déposés en Commission parlementaire en 1983

Liste des auteurs de mémoires déposés en Commission parlementaire en 1983

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Deux considérations peuvent être tirées de la liste des mémoires : d’une part que le milieu documentaire n’était alors représenté que par une seule association, soit l’AAQ, et d’autre part, le nombre important de membres de la société civile qui avait pris la peine d’écrire des mémoires, dont un Conseil de bande, une association d’anglophones et plusieurs archivistes à titre personnel. Notons aussi la présence de deux bibliothèques, un type d’organisme totalement absent de la consultation de 2020.

Toutes les orientations proposées par BAnQ en 2020 n’ont pas été commentées comme le démontre le tableau suivant. De plus, onze mémoires ainsi qu’une lettre contenaient des commentaires sur d’autres sujets que ceux découlant des orientations de BAnQ.

Tableau 3

Sujets traités dans les mémoires et lettres reçus par BAnQ dans le cadre de la consultation menée en 2020

Sujets traités dans les mémoires et lettres reçus par BAnQ dans le cadre de la consultation menée en 2020

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Les orientations qui ont suscité le plus de commentaires sont, dans l’ordre, l’orientation 4 touchant le besoin de doter le Québec d’une loi plus structurante (9 mémoires et 1 lettre), l’orientation 1 concernant la révision du vocabulaire (7 mémoires), ainsi que les orientations 3 (diffusion) et 6 (révision des politiques et règlements) ayant été traitées chacune dans 6 mémoires et 1 lettre.

La palme, avec 12 mémoires et 1 lettre, revient cependant aux commentaires ajoutés par les auteurs puisque 12 organismes ont inclus des commentaires sur d’autres sujets que ceux visés par les orientations. Les sujets les plus souvent traités sont respectivement : le réseau des SAPA (9 occurrences), la reconnaissance fonctionnelle des archivistes (4 occurrences), la non-obligation d’appliquer les calendriers de conservation dans la loi actuelle (3 occurrences), ainsi que le soutien aux archives religieuses (2 occurrences).

3.4. Analyse qualitative des lettres et mémoires reçus

L’analyse de contenu des lettres et mémoires reçus nous permet de constater qu’une grande diversité se dégage des analyses ainsi que des solutions et recommandations présentées par les uns ou les autres.

Orientation 1 – L’actualisation du vocabulaire

Bien que la plupart des groupes demandent la modification de certains termes, particulièrement l’actualisation de la définition du mot « archives », en y ajoutant d’autres valeurs que celles d’information (AAQ, FHQ), d’intégrer la notion de document patrimonial (FHQ) et d’ajouter la notion d’aliénation comme mode de disposition des documents (CGDCEQ), les solutions avancées diffèrent d’un mémoire à l’autre. Par exemple, alors que l’AAQ recommande l’actualisation du vocabulaire en intégrant les termes de la norme ISO 15489, la CDGECQ recommande plutôt d’actualiser la terminologie en intégrant la dimension technologique : « de façon évolutive […], notamment en ce qui concerne les actifs informationnels, tels les données et métadonnées générées et contenues dans les bases de données, plateformes d’hébergement, serveurs et systèmes d’exploitation, applications logicielles et autres » (CDGCEQ, 2021, p. 1).

Cet organisme n’est pas le seul à souhaiter un rapprochement avec la gestion des actifs informationnels puisque le mémoire du RAM recommande « d’ajouter le concept de ressource informationnelle à l’intérieur de la [nouvelle] loi » (RAM, 2021, p. 5).

Les définitions incluses dans la loi font aussi l’objet de l’attention des groupes ayant déposé des mémoires. Le terme « archives » est celui qui pose le plus fréquemment problème aux auteurs des mémoires et le principal écueil soulevé porte sur « l’interchangeabilité des termes document et archives » (CDGCEQ, 2021, p. 1), qui est soulevé de différentes manières dans les mémoires de l’ARMA, du CDGCEQ, du RAM et du RAQ. D’autres mémoires (AAQ, FHQ, RAQ) soulignent l’absence de valeur autre que la valeur d’information accolée aux documents et archives.

En plus de la terminologie et des définitions, les différents mémoires soulèvent des enjeux concernant le nom même de la loi (AAQ et ARMA) sans pour autant proposer un titre. Ainsi, le mémoire de l’AAQ propose de :

… modifier le titre de la loi de façon à mettre l’accent sur les activités et les pratiques de la discipline archivistique plutôt que sur l’objet (les archives), prenant en cela l’exemple de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels ou de la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles dont les titres réfèrent explicitement à leur objectif.

AAQ, 2021, p. 4

De son côté, le mémoire de l’ARMA suggère :

… d’harmoniser [le] titre [de la loi] à celui de la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles des organismes publics et des entreprises du gouvernement, afin d’accorder une reconnaissance fonctionnelle et une crédibilité aux professionnels de l’information au même titre que celle qui a été accordée aux dirigeants de l’information par cette loi.

ARMA, 2021, p. 2

Orientation 2 – La notion de reddition de compte

Cinq organismes ont traité de cette question dans leur mémoire sous les angles de l’imputabilité des organismes publics (AAQ, LLLMO), de la reddition de compte (AAQ, ARMA), de la fonction de responsable de la gestion documentaire (AAQ, LLLMO), de la mise en place d’un comité de gestion des documents au sein des organismes publics (AAQ, ARMA, RAM) et enfin, de la complémentarité avec d’autres lois (ARMA, RAQ).

La désignation d’un responsable de la gestion documentaire semble faire l’unanimité parmi les groupes qui ont traité de cette question et certains mémoires indiquent d’ores et déjà des responsabilités qui devraient lui être dévolues, par exemple, de :

… [connaître] […] chaque nouvelle solution technologique adoptée pour recueillir et conserver l’information. [Le responsable de la gestion documentaire] doit être en mesure d’évaluer la capacité du nouveau système à traiter l’information de façon sécuritaire et en conformité avec les obligations de l’organisation.

LLLMO, 2021, p. 3

Orientation 3 – Les enjeux de la diffusion et de la réutilisation de l’information numérique

Ce thème est traité dans les différents mémoires sous l’angle des principes archivistiques (AAQ, EBSI, LLLMO, RAM et RSAPAQ) de la conception des systèmes d’information (AAQ) et des obligations qui devraient être incluses dans la loi à ce chapitre (AAQ, FHQ, IHAF).

Toutefois, l’orientation ne semble pas avoir été comprise de la même façon par les différents groupes, à preuve, la grande variété de recommandations qui en découlent. Si certains organismes axent leurs commentaires sur des aspects plus technologiques, comme la réutilisation des archives dans un monde numérique (EBSI), la disponibilité, l’accessibilité, l’interopérationnalité, la réutilisation, l’authenticité, l’intégrité, la fiabilité et la sécurité de l’information (AAQ), la gestion de l’authenticité et la gestion des versions (LLLMO), d’autres l’abordent plutôt du point de vue de la constitution, de la préservation et de l’accessibilité (RAM) ou encore de la valeur historique des archives (FHQ, IHAF, RSAPAQ).

Orientation 4 – L’élaboration d’une loi structurante

Du rôle de BAnQ et de son conservateur à la mise en commun de ressources, cette orientation a beaucoup inspiré les auteurs des mémoires. Six organismes ont traité du rôle de BAnQ ou de son conservateur (AAQ, EBSI, IHAF, RAQ, RSAPAQ et SHEC). L’AAQ et le RAQ réclament plus de pouvoir pour BAnQ afin qu’elle puisse jouer son rôle pour gérer les archives publiques ou privées. L’IHAF s’inquiète de la conservation des archives numériques produites par les ministères et les organismes gouvernementaux ainsi que les organismes privés. Pour leur part, cinq organismes (AAQ, ARMA, EBSI, GEGD, RAQ) croient que BAnQ devrait être plus active en matière de normalisation des pratiques archivistiques, de la production de guides de bonnes pratiques et autres outils de gestion.

Orientation 5 – Les modalités d’assujettissements des organismes publics

L’orientation 5 n’a suscité qu’un seul commentaire ; l’AAQ souhaitant que soient révisés les critères d’assujettissement des organismes publics à la loi. C’est donc peu de dire qu’elle ne soulève pas d’enthousiasme dans le milieu archivistique québécois. À moins que le peu de commentaires touchant cette orientation ne découle d’une incompréhension de l’objectif sous-jacent à l’orientation.

Orientation 6 – La révision des politiques et règlements découlant de la Loi sur les archives

On trouve ici le commentaire le plus étonnant fait par le GEGD, soit de :

Réviser les politiques de gestion des documents plutôt que la Loi sur les archives et n’en faire qu’une seule. Cette politique serait gouvernementale et elle permettrait d’adapter le vocabulaire, de mieux asseoir les obligations des organismes publics en matière de gestion des documents actifs, semi-actifs et inactifs et d’intégrer la reddition de compte des organismes publics auprès des dirigeants sectoriels de l’information et auprès de BAnQ pour le volet patrimonial.

GEGD, 2021, p. 11

Le GEGD est donc l’unique organisation à postuler que la seule révision des politiques de gestion des documents, sans toucher à la loi, suffirait à régler les dysfonctionnements actuels soulevés par les autres mémoires. Cela aurait sûrement comme avantage d’alléger le processus de modification, mais est-ce suffisant et faisable ? Pourrait-on adopter tous les changements souhaités par la communauté archivistique et, surtout, comment se ferait l’arrimage entre le texte législatif de 1983 et ces nouvelles politiques de gestion des documents ? En un mot, une politique peut-elle aller plus loin qu’une loi ou n’est-elle pas un instrument d’application des principes qui y sont énoncés ?

Les autres mémoires qui traitent de cette orientation demandent plutôt d’arrimer les politiques à la nouvelle version de la loi. Par ailleurs, deux groupes, l’AAQ et le GEGD, demandent que soient rehaussées les pénalités liées aux infractions définies par la loi.

Autres commentaires

La partie des mémoires touchant à d’autres commentaires est sûrement une des plus intéressantes puisqu’elle permet à chaque organisme de mettre en lumière les questions qui la préoccupent plus particulièrement.

Les différents mémoires traitent tour à tour de l’obligation de l’application des calendriers de conservation (AAQ, EBSI, LLLMO) et militent en faveur d’une plus grande reconnaissance fonctionnelle des professionnels de l’archivistique (AAQ, ARMA, GEGD, LLLMO, RAM, RAQ). Par exemple, le mémoire du RAM déplore que « l’archiviste est rarement nommé comme gestionnaire, laminant son action et son influence, il est même souvent inexistant dans les petites municipalités. » (RAM, 2021, p. 7).

Malgré tout, le sujet le plus souvent et le plus longuement traité dans cette partie, s’il ne constitue pas la totalité de certains mémoires, touche à la gestion des archives privées, en général ou de celles des archives religieuses en particulier. Cela s’explique facilement, puisqu’aucune orientation proposée par BAnQ ne visait les archives privées, sans parler de la crise qui a touché les archives sulpiciennes à l’été 2020 et qui était encore fraîche dans les mémoires.

De même, la viabilité du réseau des SAPA inquiète les auteurs des mémoires. L’EBSI, l’AAQ, le CGDCEQ, la FHQ, le RSAPAQ ainsi que la SCHEC soulèvent les problèmes récurrents de financement des SAPA et demandent la bonification des enveloppes budgétaires. Le RSAPAQ va même plus loin en suggérant que BAnQ ne puisse à la fois être l’organisme qui contrôle la performance des SAPA et celui qui décide de leur financement ; selon eux, l’agrément et le financement devraient relever directement du ministère de la Culture et des Communications.

Sans surprise, les archives religieuses retiennent l’attention de la SCHEC qui propose plusieurs solutions allant de la reconnaissance des archives religieuses comme partie intégrante du patrimoine du Québec à l’attribution de « moyens financiers conséquents [afin de] soutenir des initiatives et des projets visant notamment les regroupements locaux de services d’archives privées » (SCHEC, 2021, p. 10).

3.5. Bilan de la pause-café

En mai 2021, l’AAQ a mis à l’horaire de son congrès annuel virtuel quelques activités de type « pause-café ». Ces sessions, plus informelles, tentent de recréer les discussions animées qui se tenaient pendant les pauses, autour des machines à café, avant que le télétravail s’implante à cause de la pandémie de coronavirus en mars 2020. L’idée est donc de regrouper, autour d’un animateur et de rapporteurs, des petits groupes qui discutent librement, mais durant une période assez courte, autour de questions intéressant les participants. Au bout de ce laps de temps déterminé, chaque groupe revient en plénière et les rapporteurs présentent aux autres groupes le résumé des échanges. Au bout des deux rondes de discussions d’une vingtaine de minutes chacune, une synthèse des idées les plus intéressantes est réalisée ; celles-ci peuvent devenir le point de départ d’autres actions. Pour aider à visualiser les commentaires ou suggestions, des vignettes peuvent être apposées sur des « murales » qui deviennent vite une mosaïque de «  mots-clés » qui servent à « visualiser » la discussion.

La révision de la loi sur les archives a ainsi fait l’objet d’une pause-café dont le titre était : Pour une révision de la Loi sur les archives ! De quoi rêvez-vous ?

L’objectif général de la première ronde de discussion était de connaître, au regard des réalités de terrain des participants, quelles seraient les principales améliorations à apporter au cadre juridique qui entoure les archives ? Quelles seraient les mesures à mettre en place pour atteindre de façon optimale les objectifs d’une loi qui viserait à assurer une gouvernance de données et des documents numériques dans les organisations publiques ? Bref, que devrait contenir une nouvelle Loi sur les archives afin de garantir la conservation et la diffusion des archives publiques et privées et de faire en sorte que les archivistes et spécialistes de l’archivistique puissent jouer pleinement leur rôle ? Pour lancer la discussion, quelques questions spécifiques étaient affichées sur les murales et transmises aux participants de chaque groupe. Les discussions pouvant bien sûr les amener ailleurs, ce qui est le propre des discussions en roue libre.

La première question cherchait à cerner quels problèmes vécus dans la pratique des archivistes présents pouvaient être attribuables, en tout ou en partie, à l’obsolescence de la Loi sur les archives actuelles et ce qui, selon eux, en constituait, la plus importante lacune.

Sans surprise, l’absence de reddition de compte des organismes publics et d’imputabilité de ses dirigeants face à leurs obligations et à leurs responsabilités au regard de la gestion de leurs archives, courantes, intermédiaires et définitives a été pointée du doigt par les participants. Tous ont noté que cet état de fait amène les organismes à ne pas investir les ressources humaines, financières et matérielles nécessaires, ce qui leur permet de bafouer l’esprit sinon la lettre de la loi en toute impunité. Plus spécifiquement, les problèmes suivants ont été notés :

  • L’absence de reddition de compte des organismes publics et de l’imputabilité de leur dirigeant ;

  • La faiblesse des sanctions pour les organismes publics en cas de non-respect des obligations légales, d’ailleurs peu ou pas appliquées ;

  • L’établissement du calendrier de conservation uniquement pour se conformer à l’obligation légale plutôt que comme un élément structurant de la gestion de l’information ;

  • L’absence de gouvernance de la gestion des documents dans les organismes ;

  • Le manque de ressources humaines ayant la formation adéquate et le temps nécessaire pour accomplir leurs tâches ;

  • La non-reconnaissance de la compétence des archivistes au regard de la gestion des données et des archives numériques ;

  • L’absence d’obligations faites aux organismes privés concernant la gestion de leurs archives.

Les participants ont aussi soulevé le déséquilibre entre l’importance accordée par le législateur à la Loi sur les archives, dépassée autant dans sa forme que dans son fond, et la place octroyée à la LGGRI (RLRQ, c. G-1.03), à la LCCJTI (RLRQ, c. C-1.1) et à la Loi sur l’accès des documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (RLRQ, c. A-2.1), au désavantage de la première, ce qui entraîne les problèmes suivants :

  • Le risque de perte de documents numériques parce que ceux-ci sont mal ou pas gérés ;

  • Aucune obligation d’établir une gestion du cycle de vie des données dans les systèmes informatiques ;

  • Le manque de littératie numérique des archivistes et des utilisateurs ;

  • Le désavantage des archivistes devant les autres spécialistes TI dont le rôle est légalement reconnu au contraire de leurs collègues archivistes ;

  • Un responsable de la gestion documentaire, cité dans la LGGRI et dans le projet de loi 64 modifiant la Loi sur l’accès, mais pas dans la Loi sur les archives.

De plus, les participants ont souligné la méconnaissance de la Loi sur les archives dans certains organismes publics pourtant soumis à cette législation depuis 35 ans. Plusieurs ont déploré qu’après plus de trois décennies, certaines obligations ne soient toujours pas remplies, sans aucune conséquence pour les organismes et leurs dirigeants.

La terminologie utilisée dans la loi actuelle a aussi fait l’objet de plusieurs commentaires. Les uns déplorent que les archives soient encore synonymes de « vieux papiers » et qu’une définition plus extensive des archives n’ait pas percolé ni à l’intérieur des administrations ni dans la société. Les autres dénoncent l’absence des concepts d’authenticité et d’intégrité des documents tirés de la norme ISO 15489 ainsi que de l’inclusion des termes de « données », « métadonnées », « base de données », « systèmes informatiques », « infonuagique », « médias sociaux », « outils collaboratifs », etc., ce qui discrédite les efforts des archivistes en exercice pour se faire une place dans les projets visant la gestion des archives numériques. En bref, il est plus que temps de délaisser la notion de document au profit de celles d’information et de données, ces dernières étant pleinement intégrées dans la Loi sur les ressources informationnelles par l’ajout du Chapitre II.4 « Données numériques gouvernementales » depuis l’adoption du projet de loi 95 en juin 2021.

Selon les participants, la loi montre aussi des lacunes importantes au chapitre de la gestion des archives privées. Par exemple, le rôle du réseau des SAPA, dans l’écosystème archivistique privé comme public, est très mal compris et pas assez soutenu. La reconnaissance de leur apport pour la conservation et la valorisation du patrimoine archivistique local et régional devrait passer par une période d’agrément plus longue et un financement substantiellement augmenté. Certains vont jusqu’à préconiser que les SAPA relèvent d’un autre organisme que BAnQ.

Les discussions de la pause-café ont aussi fait ressortir que la prochaine Loi sur les archives devrait inclure des obligations pour la protection des archives d’entreprises et religieuses qui ont une valeur patrimoniale. En ce qui concerne ces dernières, une solution structurante devrait être trouvée si on ne veut pas que le laisser-faire actuel occasionne une perte de sens pour la société québécoise tout entière.

Si la première ronde de discussion cherchait à identifier les problèmes, la deuxième visait à trouver des solutions et invitait les participants à imaginer comment une Loi sur les archives révisée pourrait contribuer à mieux intégrer la gestion des documents numériques. Par ailleurs, faisant écho à une recommandation du mémoire soumis par l’AAQ, elle cherchait aussi à sonder les participants sur le nom de la prochaine loi. Devrait-on en changer le titre et, si oui, quel pourrait être le nouveau nom ?

Plusieurs des solutions proposées visaient la reconnaissance du titre de « spécialiste des archives » au sein des organismes puisque les ressources humaines dans les organismes visés par la Loi sur les archives constituent le moteur de toute action. Les participants vont même jusqu’à se demander si BAnQ est encore le meilleur véhicule pour porter la mission de la gestion des documents et des archives. Cette mission ne serait-elle pas mieux servie si elle était portée par une autre instance politique, par exemple, le Secrétariat du Conseil du trésor, et la gestion des archives définitives englobée dans la Loi sur le patrimoine culturel (RLRQ, c. P-9.002) ? Cette solution, qui constituerait un retour à la situation qui existait avant l’adoption de la Loi sur les archives, montre la déception du milieu archivistique face au modèle de l’archivistique intégrée mis de l’avant par la loi de 1983.

Ce cri du coeur, qui semble être un dernier sursaut pour trouver une solution à l’immobilisme, constitue un symptôme de l’effritement de la confiance du milieu envers BAnQ qui devrait être pris au sérieux par l’institution. Étonnamment, après un tel constat, l’hypothèse d’un changement de nom de la loi n’a pas suscité d’enthousiasme. Les participants ont cependant indiqué que si tel était le cas, le nouveau nom devrait englober l’ensemble du cycle de vie et tenir compte autant des archives publiques que des archives privées et donner une place à la discipline archivistique. Aucune suggestion répondant à tous ces impératifs n’a été avancée, ni en groupe ni en plénière.

CONCLUSION

Ce rappel de l’évolution de la gestion documentaire et des archives avant et depuis l’adoption de la Loi sur les archives actuelle a permis de constater le chemin parcouru, tant au chapitre du rattachement gouvernemental que de « la Matière, [d]es Moyens et de la Manière » (Minotto, 2006, p. 96), pour emprunter l’expression de Claude Minotto, au sein des organismes publics.

Un changement s’est d’abord opéré dans la « matière » puisqu’à partir de l’adoption de la loi en 1983, les ANQ, puis BAnQ, deviennent responsables de la gestion des archives prise dans son sens élargi soit celui d’« ensemble des documents, quelle que soit leur date ou leur nature, produits ou reçus par une personne ou un organisme pour ses besoins ou l’exercice de ses activités et conservés pour leur valeur d’information générale » (Loi sur les archives, RLRQ, A-21.1, art. 2).

Un autre changement important est l’étendue des organismes publics visés par la loi. Celle-ci étend son autorité non seulement aux ministères et organismes gouvernementaux ainsi qu’aux tribunaux, mais aussi aux organismes publics décentralisés, identifiés dans une annexe à la loi, soit les organismes des secteurs municipaux (paragraphe 4), des transports (paragraphe 5), de l’éducation (paragraphe 6), ainsi que de la santé et des services sociaux (paragraphe 7), désignés familièrement par l’expression consacrée « les 4 à 7 ».

Les changements les plus importants portent cependant sur les « moyens » ou plutôt sur les obligations, incluses dans la loi, ses politiques et ses règlements afin que les objectifs de la loi puissent être atteints : contrôle de la masse documentaire par l’établissement d’un calendrier de conservation, organisation et repérage de l’information par l’adoption d’un plan de classification[20] et la sauvegarde du patrimoine documentaire gouvernemental par le versement des documents inactifs ayant une valeur « d’information générale », aux ANQ puis à BAnQ ou encore conservation de ces mêmes documents dans les organismes publics décentralisés.

Finalement, du point de vue de la « manière », la responsabilité de la gestion des documents administratifs est successivement passée du Secrétariat de la province, au Conseil du trésor, au ministère des Affaires culturelles et, au sein de ce ministère, aux ANQ, uniquement en ce qui a trait aux archives historiques jusqu’en 1983, puis à BAnQ à partir de la fusion en 2006.

Or l’article démontre que les ambitieux objectifs de la loi de 1983 n’ont pas été pleinement atteints. L’absence de mécanismes de contrôle et d’imputabilité des organismes publics, ainsi que le silence de la loi en ce qui concerne l’obligation d’appliquer le calendrier de conservation, puisque la seule interdiction formelle apparaissant à l’article 18 porte sur l’élimination de documents dont le calendrier de conservation prévoit la conservation permanente, ont fait mal aux intentions premières du législateur, à la crédibilité de l’organisme de contrôle et au milieu archivistique tout entier.

Par ailleurs, le cadre législatif touchant aux documents ou aux ressources informationnelles s’est enrichi depuis 1983 et d’autres lois sont venues compléter, sinon concurrencer la Loi sur les archives. Cet état de fait a contribué à marginaliser l’impact de la loi, particulièrement depuis l’adoption de la LCCJTI en 2001 qui a redéfini le terme « document » afin de tenir compte du numérique, et plus récemment encore de la dernière mouture de la Loi sur les ressources informationnelles qui introduit la notion de données numériques gouvernementales.

Cette définition renouvelée du terme document qui a été reprise dans d’autres textes législatifs dont la Loi sur les archives ne change pas le fait que la loi de 1983 est un pur produit de l’ère prénumérique bâtie sur la notion de « document » et de « dossier » et qui nécessite une refonte complète pour répondre aux impératifs de la gestion de l’information et des données.

Les interventions du milieu associatif, au premier chef, celles de l’AAQ, montrent l’insatisfaction grandissante des praticiens de l’archivistique face à leur loi de référence. Après une tentative avortée de refonte au début des années 2010, l’espoir est grand de voir la Loi sur les archives être profondément remaniée à court terme.

L’article résume les résultats de la consultation du milieu archivistique menée par BAnQ à la fin de l’année 2020. Le nombre important et la qualité des mémoires soumis tout comme le résultat de la pause-café sur la révision de la loi pendant le congrès 2021 de l’AAQ font ressortir les principales attentes des archivistes et gestionnaires de documents oeuvrant autant dans le secteur public que dans le secteur privé. Actualisation de la terminologie, ajout d’une reddition de compte, désignation d’un responsable de la gestion documentaire, augmentation des pouvoirs de BAnQ pour faire appliquer la loi, meilleure adaptation au numérique, sans parler d’un meilleur soutien au secteur des archives privées, particulièrement aux SAPA ainsi qu’aux archives religieuses constituent les revendications que nous retrouvons le plus fréquemment dans les mémoires et relayées lors de la pause-café.

Il faut aussi souligner que d’autres organismes souhaiteraient que BAnQ se retire au contraire de la gestion des SAPA au profit du ministère de la Culture et des Communications ou même que son rôle soit de nouveau limité aux seules archives définitives pour l’ensemble des organismes publics.

Pour sa part, BAnQ travaille activement depuis un an à la révision de la Loi sur les archives et souhaite son adoption par le nouveau gouvernement Legault. Le soutien du milieu des archives à la concrétisation de ce projet demeure un élément important et l’AAQ entend porter cette voix afin de favoriser la concrétisation de ce projet porteur. Le président de l’AAQ fait d’ailleurs partie, aux côtés d’autres experts, du Comité consultatif sur la modernisation de la Loi sur les archives et de ses documents afférents. Placé sous la présidence de Normand Charbonneau qui a été, entre autres choses, conservateur et directeur général des archives à BAnQ et chef de l’exploitation à Bibliothèque et Archives Canada, le comité est formé de Marie-Christine April, Diane Baillargeon, Linda Beaupré, Julien Bréard, Sabine Mas et François Dansereau, et du côté de BAnQ, Hélène Laverdure, Martin Lavoie, François David, et Sophie Côté. Le comité a pour mandat d’accompagner BAnQ dans son projet de modernisation de la Loi sur les archives ainsi que des politiques et règlements qui en découlent.

Tout n’est cependant pas gagné et bien des considérations nous séparent encore de l’adoption d’une nouvelle Loi sur les archives. Parmi celles-ci, mentionnons la dimension légale. L’appareil législatif constitue un tout qui se doit d’être cohérent. Modifier une loi entraîne donc la révision de plusieurs autres lois et nécessite une analyse des légistes du ministère de la Justice ainsi que des arbitrages politiques. Et puisque ce qui est souhaité est une réforme en profondeur, le travail en sera donc que plus imposant.

Il faudra également tenir compte des impacts économiques du projet de loi. Le projet de loi devra aussi être soumis au Conseil du trésor afin que soit menée une analyse coût-bénéfice de son instauration.

Une fois toutes ces étapes franchies, le projet de loi devra enfin être soumis au calendrier législatif. Pour y parvenir, il faudra qu’il puisse jouir de l’appui du ministère de la Culture et des Communications et du Conseil exécutif après que ceux-ci l’auront évalué à l’aulne de leurs nombreuses autres priorités. Le défi revient donc à BAnQ qui devra présenter, au nouveau titulaire du ministère de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, un dossier suffisamment bien ficelé qui saura trouver sa place dans l’agenda législatif du début de l’année 2023.

Si tout n’est pas gagné, tout n’est pas perdu non plus ; chaque session parlementaire, plusieurs lois sont adoptées et d’autres sont modifiées, alors pourquoi pas celle-ci ?