Corps de l’article
« Archives de Quarantaine » est une initiative collaborative entre archivistes et citoyens belges pour documenter la crise sanitaire de COVID-19 et son impact sur les individus, les organisations et la société. La plateforme en ligne lancée en 2020 a recueilli plus de 3 000 objets documentaires natifs numériques liés à la pandémie. Cette plateforme est devenue un lieu de conservation de sources plurielles et un espace de partage de bonnes pratiques pour la collecte de sources numériques. Maintenant, deux ans plus tard, l’équipe responsable du projet, l’Association des archivistes francophones de Belgique (AAFB), a créé une exposition virtuelle présentant une sélection d’archives sur la pandémie du coronavirus.
Le vernissage de l’exposition a eu lieu en mars 2022 sur YouTube (https:// www.youtube.com/watch?v=4kSgoMs7uNs) présentant les éléments exposés et contextualisant l’approche, les méthodes et les outils employés pour collecter et mettre en valeur la mémoire collective de la crise sanitaire. Cette exposition virtuelle se démarque par son originalité et est disponible sur la plateforme « Archives de Quarantaine ».
L’exposition virtuelle Archives de Quarantaine nous offre une sélection délibérée de 41 entrées, ou fenêtres selon les responsables du projet, aux archives de la crise de COVID-19. Ces entrées reflètent des regards pluriels sur une pandémie sans précédent. Plus précisément, il s’agit de divers formats technologiques de documents (texte, son, vidéo, photo, montage photo, site/page Web, publication sur un réseau social, publicité, etc.) qui mémorisent des créations, des actions de solidarité, des décisions, des événements, des émotions, des expressions ou des instants uniques vécus individuellement ou collectivement durant la crise sanitaire du coronavirus, notamment lors des périodes de confinement. À titre d’exemple, nous pouvons mentionner : des photos de l’opération masques de l’Association solidaire des masques stéphanois ou celles relatives à l’impression 3D de visières par l’École polytechnique de Louvain; l’enregistrement en direct via les réseaux sociaux de la Cérémonie d’évocation de la Ducasse de Mons; des témoignages sonores sur la prise de décisions en temps de crise; des oeuvres et créations artistiques originales; des récits de vie; la photo d’une pancarte ou d’autocollants exprimant des contestations contre les mesures sanitaires; de l’humour caricatural; des messages d’espoir; des avis analytiques d’experts sur la situation économique et sociale; etc. Les documents exposés sont regroupés autour de ces sujets : art et création, folklore, société, solidarité, littérature, écriture, humour, confinement, fermetures et annulations, politique, fêtes et rassemblements, Web et réseaux sociaux, travail et syndicalisme, santé.
En cliquant sur chacune de ces entrées ou fenêtres, le visiteur de l’exposition est alors invité à afficher dans sa taille d’origine, à écouter ou à visualiser un document. Le lien l’amène sur la même page à une fiche descriptive qui précise, en premier lieu, le format ou le type de document choisi (dessin, lettre, témoignage oral, enregistrement d’un concert, ressource iconographique, etc.) et lui attribue un intitulé. Ensuite, on y mentionne : le service d’archives responsables de la collecte du document, les droits d’auteurs relatifs à ce dernier, le(s) sujet(s) qu’il évoque, son permalien, des renvois vers des ressources sur le même sujet ou complétant l’interprétation du document exposé. Enfin, la date de création de la fiche est indiquée. Le visiteur de l’exposition appréciera, entre autres, la qualité des documents (ex. : résolution des images, clarté des voix), l’ergonomie du site (ex. : facilité de navigation, identité visuelle du site) et la sobriété de la scénographie.
Nous pouvons affirmer que cette exposition d’archives sur la COVID-19 se distingue à plusieurs égards d’autres expositions proposées par des services d’archives sur le même thème ou des fonds et collections qu’ils conservent de manière générale[1]. Elle introduit une dynamique fédérée et proactive de constitution des archives d’un présent éphémère et de leur valorisation. En effet, le principal mode d’accroissement des archives reste le versement des archives lorsqu’il s’agit bien évidemment d’archives institutionnelles. Un service d’archives pourrait faire appel à d’autres modes pour enrichir et compléter le(s) fonds ou les collections qu’il conserve. Il décide ensuite de mettre en valeur les fonds qu’il conserve par le biais des expositions, de productions d’instruments de recherche et/ou de leur mise en commun avec d’autres institutions archivistiques (l’exemple du portail européen des archives). Les archives issues de cette exposition proviennent de dons de documents numériques en provenance de divers services d’archives participant au projet Archives de Quarantaine et oeuvrant dans différents secteurs (associatif, privé, universitaire, municipal, etc.). La plupart des documents exposés sont produits par des archivistes contribuant à ce projet ou résultent des appels lancés par ces archivistes auprès des citoyens les invitant à sauvegarder les traces d’un événement historique ayant marqué leur quotidien. Chacun s’est investi dans la collecte d’archives selon son champ d’intervention, dans d’autres cas, selon son intuition (une photo lors d’un événement, d’une rue, d’un phénomène ; une oeuvre extraordinaire ou une innovation médicale ; une entrevue avec un artiste, un syndicaliste ou une personne aînée, etc.) pour mémoriser des instants uniques. L’archiviste se trouve alors au coeur et comme acteur de cette opération de création des archives. Il prend des photos, immortalise des scènes du quotidien, collecte des témoignages, sollicite des dons de documents, surveille le cyberespace, sensibilise le grand public à l’importance de pérenniser ce moment historique. Il contextualise ensuite les documents qu’il nous propose dans cette exposition en livrant lui-même un témoignage sur l’origine, la signification des documents exposés, il les met en lien avec d’autres documents, il explique leur importance comme matériau pour écrire l’histoire de ce vécu durant la crise sanitaire, il rend hommage aux créateurs et donateurs des archives et il partage avec les membres de sa communauté les outils et techniques qu’il a mobilisés pour alimenter cette exposition.
Dans cette exposition, l’archiviste a mis en lumière des archives inédites ne maîtrisant pas tout à fait son processus de collecte ou de conservation, citons ici les archives du Web. L’exposition devient ainsi un espace pour partager son expérience, ainsi que les techniques et les outils qu’il a employés en vue de rassembler des documents dynamiques issus du Web et des réseaux, et pour communiquer les difficultés rencontrées et les défis soulevés. S’appuyant sur cet exemple de contenus fragiles et complexes, l’archiviste sollicite ainsi les pouvoirs publics pour le soutenir davantage dans sa mission de sauvegarde de la mémoire collective native numérique, de sa valorisation auprès des chercheurs et du grand public. En documentant sa démarche, l’archiviste nous offre également une meilleure compréhension de l’approche et des outils développés de préserver les traces de cette période particulière. Il souligne également l’apport des archives en tant qu’institution dans la gestion des impacts sociaux de la crise sanitaire (ex. : offrir un soutien psychologique aux citoyens ébranlés par cette crise en les aidant à exprimer leurs émotions, en pérennisant leurs souvenirs).
À notre humble avis, cette exposition virtuelle pourrait servir de référence pour plusieurs autres initiatives d’archivage de ressources liées à des événements de notre société depuis les choix technologiques opérés pour la collecte et la mise en ligne des archives jusqu’à la mise en place d’actions de promotion et de valorisation des collections constituées et du rôle accompli par l’archiviste dans sa société.
Parties annexes
Note
-
[1]
Pour ce faire, nous avons visité les sites suivants : le site des expositions virtuelles des Archives nationales du monde de travail (France), le site des expositions virtuelles des archives de la Ville de Montréal (https://archivesdemontreal.com/expositions-virtuelles/), le site des expositions virtuelles du service des archives et de gestion de l’information de l’Université de Montréal (https://archives.umontreal.ca/les-archives-historiques/expositions-virtuelles/), le site de l’exposition Collection COVID-19 : Elle, ses histoires de l’Université d’Ottawa (https://biblio.uottawa.ca/atom/index.php/covid-19-telling-her-stories-collection), des sites dédiés aux archives Web du coronavirus par quelques bibliothèques et archives nationales (États-Unis, Grande-Bretagne, France, Australie) ainsi que les collections abritées par le service Archive-It d’Internet Archive (https://archive-it.org/explore?q=covid-19&show=Collections).