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1. Introduction

Dans le contexte de l’apprentissage d’une langue cible (Lx)[1] par des personnes adultes immigrantes, alors que le développement des habiletés orales est essentiel à l’intégration de celles-ci (Derwing, 2017), ce développement demeure le plus souvent subordonné à celui de la littératie dans la Lx (Newton et coll., 2022). Ce constat est d’autant plus marquant dans les cours d’alphabétisation et de francisation des adultes (désormais alphafrancisation), où des élèves amorcent leur apprentissage des compétences de littératie de base au même moment que leur apprentissage de la Lx (Friedman et coll., 2022). De plus, les études menées auprès de personnes adultes immigrantes en apprentissage de la langue et de la littératie (PAIALeL) sont peu nombreuses (Andringa et Godfroi, 2020) et mettent davantage en lumière les caractéristiques générales des PAIALeL que les manières dont elles apprennent une Lx ou bénéficient des activités menées en classe (Laberge et coll., 2019). Le matériel adapté aux PAIALeL est d’ailleurs rare et peu de balises ont été posées pour en évaluer la qualité (Bédard, 2021).

Dans cet article, nous nous inspirons d’un concept issu de la littérature scientifique anglophone sur les PAIALeL afin de proposer des pistes d’analyse pour favoriser le développement des compétences orales en Lx chez des PAIALeL. Notre objectif est de concevoir un outil permettant de relever les caractéristiques des supports offerts qui sont susceptibles de soutenir ou non des PAIALeL dans leur apprentissage. Nous présenterons d’abord des informations sur l’apprentissage d’une Lx par des PAIALeL, puis sur la littératie visuelle, qui est au coeur de notre outil. Ensuite, nous proposerons une grille d’analyse et deux exemples de son utilisation.

2. L’apprentissage d’une Lx par des PAIALeL

Les PAIALeL forment une population fortement hétérogène, autant en termes de parcours linguistiques et migratoires que de compétences littératiées (Harris, 2022) : certaines en sont à leur première expérience scolaire en milieu formel, alors que d’autres ont fréquenté de tels milieux au moins brièvement, et certaines ont appris à lire ou à écrire dans une autre langue, mais d’autres non (Niveaux de compétence linguistique canadiens [NCLC], 2017). Les activités menées en classe et leur matériel ne sont donc pas compris et utilisés de la même manière par chaque PAIALeL. En effet, des activités éprouvées dans d’autres contextes d’enseignement, lorsque présentées à des PAIALeL, peuvent générer des réactions inattendues, telles que l’entraide dans des contextes d’évaluation individuelle (Keller, 2017) ou la copie d’une consigne en guise de réponse (Altherr Flores, 2021b). Malgré leur scolarité souvent très brève, les PAIALeL demeurent généralement des personnes plurilingues (Haznedar et coll., 2018). Certaines ont donc appris des langues hors de milieux scolaires ou littératiés, par exemple par l’observation d’un pair compétent dans la Lx, par la mémorisation de messages à transmettre ou par des conversations plurilingues dans lesquelles les langues connues permettent de résoudre les incompréhensions (Moore, 1999). Ces manières d’apprendre sont donc bien différentes de celles ayant inspiré des activités « classiques », comme les dictées, les exercices troués et les jeux de rôles.

Cependant, l’enseignement offert aux PAIALeL témoigne généralement d’une approche traditionnelle organisée par phénomènes linguistiques (enseignement explicite de la grammaire, de la syntaxe ou du vocabulaire) et accorde peu de place au développement des compétences orales (Choi et Ziegler, 2015), qui plus est des compétences orales spontanées (Fillion, 2021). De plus, bien des activités de production orale (PO) sont décontextualisées et ne permettent de mobiliser ni les connaissances, ni les compétences des élèves pour les engager dans une interaction porteuse de sens (Ollerhead, 2012). Cette situation d’apprentissage peut se révéler particulièrement difficile pour des adultes qui amorcent leurs premiers apprentissages littératiés, de surcroit en Lx. Pour leur offrir davantage de repères, il faudrait donc minimiser la place de l’écrit, surtout en début d’apprentissage (Keller, 2017). Cela pourrait s’avérer d’autant plus important pour le développement des compétences orales, surtout considérant que celles-ci sont le plus souvent instrumentales au développement de l’écrit ou évaluées sans être enseignées, en particulier pour la compréhension orale (CO) (Vandergrift et Goh, 2012).

3. Littératie visuelle

Les personnes choisissant une activité pour la classe de Lx – qu’elles enseignent ou mènent une étude – sont influencées par leur propre expérience d’apprentissage (Borg, 2018)[2]. Dans le cas des activités visant le développement des compétences orales en alphafrancisation, le fait que ces personnes aient une longue expérience de scolarisation peut occulter bon nombre d’opérations mentales et de codes sociaux et pédagogiques qu’elles ont automatisés, ce qui les empêche d’anticiper les difficultés que pourraient rencontrer des PAIALeL (Bigelow et Tarone, 2004). Bien qu’il soit possible de détailler chaque étape de traitement nécessaire pour réaliser une activité écrite (voir Marrapodi, 2013), ce travail demeure fastidieux et influencé par le vécu d’apprenant d’une personne très scolarisée.

L’une des compétences ainsi invisibilisée par l’expérience scolaire est ce qu’Altherr Flores (2021a) nomme visual literacy (littératie visuelle). Cette forme de littératie représente l’aisance à reconnaitre, interpréter et utiliser les éléments de genres textuels inhérents à chaque support. Plus précisément, Doak et coll. (1996) ont identifié quatre étapes pour lire un contenu visuel : 1) choisir de lire ou de regarder le contenu, 2) trouver le message qu’il peut véhiculer, 3) repérer des détails supplémentaires pour enrichir son interprétation et 4) compléter l’interprétation du contenu visuel. En classe, il s’agit par exemple d’identifier ce qui fait partie d’un en-tête, de repérer la consigne, de comprendre comment indiquer sa réponse (p. ex., encercler un choix de réponse ou inscrire un mot à un endroit spécifique), d’établir ou non des relations entre le texte et les images et d’isoler des éléments décoratifs tels qu’une bordure ou un trait entre deux sections (Altherr Flores, 2021b). Si le décodage des éléments de littératie visuelle ne requiert pas d’effort particulier pour des adultes baignant dans un environnement très littératié depuis un jeune âge (Neumann et coll., 2012), cette interprétation peut être beaucoup plus exigeante pour des PAIALeL (Huettig, 2015), mais le nombre d’études portant sur le développement de compétences par ces adultes demeure insuffisant (Andringa et Godfroi, 2020).

Dans l’une des rares études portant sur ce thème, à partir d’entrevues pendant lesquelles des PAIALeL apprenant l’anglais verbalisaient leur interprétation d’un test écrit simple, Altherr Flores (2021a) a montré que chaque élément de littératie visuelle pouvait donner lieu à des interprétations variées, surcharger les élèves et donner un aperçu erroné de leurs habiletés. Par exemple, la représentation simplifiée d’une enveloppe et d’un timbre (Figure 1) n’a été interprétée ainsi par aucun participant. Les participants n’ont pas reconnu la disposition des éléments composant une enveloppe postale et ont intégré la question et les choix de réponse à leur interprétation de l’objet. Plusieurs ont interprété le dessin d’un timbre comme un drapeau étatsunien, et une personne a cru qu’il s’agissait d’un climatiseur. D’autres ont aussi compris que les mots formaient une liste de règles destinées aux personnes vivant aux États-Unis.

Figure 1

Représentation simplifiée d’une enveloppe postale (Altherr Flores, 2021a, p.517).

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Cette variabilité se retrouve aussi dans l’interprétation des images et des formes accompagnant ou faisant partie des consignes (Altherr Flores, 2021a). Lorsque la manière de répondre était représentée dans la consigne (Figure 2), les personnes participantes ne la remarquaient pas ou ne l’interprétaient pas. Une seule a reconnu qu’il y avait un cercle, mais elle n’arrivait pas à expliquer pourquoi. Finalement, lorsqu’une image illustrait la consigne (Figure 3), les participants n’établissaient aucun lien entre les deux éléments, sauf une personne, pour qui le dessin représentait un insecte, l’amenant ainsi à croire que les mots inscrits à sa droite en formaient le nom. Dans une étude préliminaire, les trois interprétations les plus fréquentes pour cette même image étaient un poisson, un insecte et « je ne sais pas », et les participants ne détectaient pas les caractères gras, écrivaient dans les parenthèses réservées au score obtenu et cochaient souvent les deux cases servant à indiquer leur genre (Altherr Flores, 2017).

Figure 2

Réponse modélisée (Altherr Flores, 2021a, p.516).

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Figure 3

Consigne avec image (Altherr Flores, 2021a, p.515).

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Dans une autre étude, portant cette fois sur le contenu et la forme des réponses de PAIALeL à trois versions d’un bref test écrit, la chercheuse a relevé autant de manières de répondre à une même question que de participants, démontrant que des PAIALeL tentent d’interpréter les éléments de ce genre textuel, mais sont peu familières avec ces codes (Altherr Flores, 2021b). Les réponses recueillies se répartissaient en trois catégories : aucune réponse, une rédaction attendue présentée de manière inattendue (p. ex., sur l’image au lieu des lignes fournies) ou une réponse inattendue présentée selon la manière attendue (p. ex., des traits aléatoires sur les lignes; retranscription d’une partie de la question; une seule lettre sur une ligne; réponse sans lien avec la question). Selon Altherr Flores (2021b), des PAIALeL désirent donc écrire une réponse et sont en mesure de le faire dans une certaine mesure, sans avoir les repères nécessaires pour s’orienter dans le genre textuel des tests.

Ces résultats corroborent ceux d’autres études ayant montré que moins une image est fidèle à la réalité (p. ex., traits simplifiés, deux dimensions, noir et blanc), plus les adultes ayant peu d’expérience scolaire peinent à l’interpréter (Reis et coll., 2006), surtout si l’image ne présente qu’une partie d’un objet plutôt qu’un tout (p. ex., une oreille sans le contexte de la tête) (Dowse, 2004). De plus, la recherche d’informations visuelles par des adultes en apprentissage de la littératie serait effectuée en parcourant une image ou un écran de manière aléatoire, à l’inverse des personnes déjà littératiées, lesquelles scrutent systématiquement l’input visuel de haut en bas et de gauche à droite (Huettig, 2015). Des difficultés s’expriment aussi hors de la classe, notamment lorsque les indications concernant la prise d’un médicament sont exprimées par des pictogrammes utilisant des conventions telles que la réduction de la taille d’un objet pour représenter sa distance, le recours à des pointillés pour illustrer un objet dissimulé ou la représentation d’une séquence chronologique par plusieurs images (Dowse et coll., 2010).

Dans le contexte de l’alphafrancisation, comme peu de matériel a été conçu spécifiquement pour des PAIALeL, le personnel enseignant crée beaucoup d’activités, les échange entre collègues ou utilise du matériel destiné à d’autres contextes, tels que le premier cycle du primaire, l’alphabétisation des adultes en langue première ou la francisation régulière des adultes (Bédard, 2021). À la lumière des travaux d’Altherr Flores (2021a; 2021b), le recours à ce dernier type de matériel pourrait entrainer des difficultés pour des PAIALeL. Nous nous posons alors la question suivante : quels éléments de littératie visuelle des supports écrits accompagnant des activités orales facilitent ou complexifient l’apprentissage d’une Lx par des PAIALeL, lorsque ces activités sont conçues pour une autre population?

4. Grille d’analyse d’activités

Bien qu’il soit recommandé de proposer à des PAIALeL des activités minimisant la place de l’écrit et de l’analyse de la langue recourant ou non au métalangage (Fillion et coll., 2021; Keller, 2017), cette ligne directrice semble difficile à suivre pour des activités initialement prévues pour un public différent. Ainsi, à partir d’indicateurs relevés par Altherr Flores (2021a; 2021b), nous avons conçu une grille d’analyse afin de déterminer quels éléments peuvent soutenir des PAIALeL dans la réalisation d’une activité et lesquels peuvent alourdir leur tâche s’ils portent à confusion ou n’ont pas d’utilité évidente. Notre grille d’analyse (Figure 4) regroupe ces éléments de littératie visuelle en trois catégories : la charge visuelle du support écrit, les dispositifs d’aide et les images.

Figure 4

Grille d’analyse

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Premièrement, la charge visuelle représente l’effort nécessaire pour interpréter l’ensemble du support écrit, en particulier les éléments caractéristiques du genre textuel et de la consigne (Altherr Flores, 2021a). Ce groupe d’éléments se divise en deux : 1) les éléments centraux, qui permettent de comprendre les attentes de l’activité et d’offrir une réponse attendue, et 2) les éléments périphériques, qui ornent ou organisent le document (p. ex., des bordures, un tableau ou la pagination). Les éléments centraux incluent la consigne et le moyen de consigner une réponse (p. ex., choix de réponse, espace de rédaction) (Altherr Flores, 2021a). Plus ces éléments sont réduits à l’essentiel, simples, unis et aérés, plus ils peuvent soutenir des PAIALeL (Alther Flores, 2021b; 2017); à l’inverse, des choix de réponse peu différenciés (Marrapodi, 2013), des polices et tailles de caractères variées ou un espace de rédaction disproportionné exigent davantage de traitement (Choi et Ziegler, 2015) et peuvent nuire à la compréhension des attentes. Les éléments périphériques, tels qu’un pictogramme représentant la compétence ciblée ou un texte sans lien avec la consigne, sont autant d’éléments devant être détectés, interprétés et triés et alourdissant la charge visuelle du support écrit, surtout s’ils interfèrent avec les éléments centraux (Altherr Flores, 2017). Dans l’exemple de la Figure 5, qu’Altherr Flores (2021b) estime inadéquat, certaines PAIALeL pourraient s’attarder à décoder le pictogramme de crayon et le titre de section avant de commencer l’activité proposée, en plus de comprendre qu’une réponse est attendue sur la première ligne et sur la cinquième, qui sont plutôt des bordures.

Figure 5

Exemple d’éléments centraux et périphériques (Altherr Flores, 2021b, p. 5)

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Deuxièmement, les dispositifs d’aide englobent tous les éléments destinés à favoriser la compréhension de l’activité et de la manière d’y participer. D’abord, les effets de texte sont largement utilisés en milieu scolaire, mais forment un code dont la détection et l’interprétation requiert beaucoup d’exposition (Altherr Flores, 2021a). La mise en évidence de certains mots par des caractères gras n’aiderait pas des PAIALeL à diriger leur attention, puisque ces dernières ne la remarquent pas ou n’y associent pas de sens particulier (Altherr Flores, 2021a). Ensuite, des dispositifs d’aide illustrant le style de réponse attendu, tels qu’un cercle autour du mot encercler (Figure 2) ou une réponse fournie pour le premier item, lanceraient plutôt des PAIALeL sur de fausses pistes (Altherr Flores, 2021a), notamment puisqu’elles ont alors tendance à encercler les mots se trouvant à la fois dans la consigne et dans les items (Altherr Flores, 2017). Ainsi, alors que certaines PAIALeL sont en train d’apprendre à « être et agir à l’école » (DeCapua et Marshall, 2022), elles risquent de ne pas détecter ces éléments ou de ne pas savoir comment les interpréter, surtout si elles proviennent de cultures orales, où les exemples sont observables dans les comportements de pairs compétents plutôt que par écrit (Keller, 2017).

Finalement, le choix des images et leurs relations avec leur entourage visuel sont aussi susceptibles de contribuer ou de nuire à la réussite de l’activité par des PAIALeL (Altherr Flores, 2021a). D’abord, plus une image représente fidèlement la réalité, plus des personnes ayant peu développé leurs compétences littératiées arrivent à l’interpréter facilement et rapidement (Bigelow et Vinogradov, 2011). Les illustrations simplifiées (p. ex., sans arrière-plan, voir Figure 5) peuvent offrir certains repères à des PAIALeL, sans être aussi efficaces que des photographies (Reis et coll., 2006), alors que les dessins de style clipart et les pictogrammes sont difficiles à décoder (Altherr Flores, 2021a; 2021b). Peu importe le réalisme du style de l’image, cette dernière devrait être en couleurs, puisque les tons de gris exigent un plus grand effort de traitement (Reis et coll., 2006). Ensuite, les PAIALeL ont plus de facilité à réaliser une consigne nécessitant l’interprétation d’une image lorsqu’il s’agit d’une photographie nette reflétant leur vie quotidienne ou des expériences récentes (Altherr Flores, 2021b; 2017). Enfin, les activités requérant l’interprétation d’une image afin de formuler une réponse sont plus difficiles que celles n’en comportant pas, puisque l’image devient un élément de plus à décoder et à intégrer à la compréhension de la consigne (Altherr Flores, 2017). Ces images demeurent toutefois nécessaires à la réalisation de l’activité, et donc plus appropriées que des images ornementales, qui complexifient l’utilisation du support écrit.

Dans notre grille d’analyse (Figure 4), les divers éléments de littératie visuelle sont regroupés selon les trois mêmes catégories, soit la charge visuelle du support écrit, les dispositifs d’aide et les images. La section suivante présente deux exemples d’activités analysées à l’aide de cette grille.

5. Analyse d’un support écrit

Afin de fournir un exemple d’application de notre grille d’analyse, nous avons parcouru les recueils d’activités Digne d’Attention!, dont plusieurs extraits sont utilisés en alphafrancisation (Bédard, 2021). Considérant la grande variabilité des compétences littératiées des PAIALeL (Harris, 2022) et la priorisation du développement des compétences orales dans les cours d’alphafrancisation (Fillion, 2021), nous avons ciblé des activités dont les objectifs déclarés ne concernent que la CO et/ou la PO, sans être associés à la lecture ou à l’écriture. Nous avons consulté toutes les activités orales des deux premiers volumes Digne d’Attention! afin d’isoler des activités orales prototypiques. Deux exemples seront analysés dans cette section : une activité de CO et une activité combinant la CO et la PO. Notre analyse porte sur les supports écrits proposés, et non sur la qualité ou l’efficacité des activités[3].

5.1. Activité de compréhension orale

L’activité de CO analysée se trouve dans le premier module[4] du cahier de l’élève Digne d’Attention!. Des enregistrements numérotés présentant des bâtiments et leurs étages sont diffusés en classe, puis les élèves associent chaque énoncé aux images figurant sur le support écrit (Figure 6) et inscrivent chaque numéro dans une boite près de l’image choisie. Dans le but de développer la CO, cette activité a l’avantage de ne pas exiger de PO (Laberge et coll., 2019) et très peu de production écrite (Fillion et coll., 2021).

Figure 6

Support écrit (CO)

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Nous avons complété notre grille d’évaluation pour le support écrit proposé pour cette activité (Annexe 1). Premièrement, même si les éléments périphériques (un en-tête et la pagination) sont éloignés du corps de l’activité, la consigne est longue et complexe, ce qui alourdit la charge visuelle, d’autant plus que la manière de consigner les réponses requiert l’interprétation de multiples boites dispersées et liées aux images par des crochets et des flèches. Deuxièmement, l’absence d’exemple et d’éléments mis en évidence permet d’éviter de surcharger davantage la tâche de traitement : la complexité du document n’est donc pas amplifiée par des dispositifs d’« aide ». Troisièmement, les dessins simplifiés en noir et blanc représentent des bâtiments peu réalistes et rares au Québec. De plus, une coupe des sous-sols du quatrième bâtiment est montrée, déplaçant le sol vers le milieu de l’image et ajoutant ainsi deux difficultés supplémentaires à l’image.

À la lumière de cette analyse, nous estimons que ce support écrit ne convient pas à des PAIALeL, mais pourrait être adapté à leurs compétences de littératie visuelle en développement. Nous suggérons de remplacer les dessins par des photographies en couleurs (Reis et coll., 2006) de bâtiments situés à proximité du lieu de formation ou fréquentés par plusieurs élèves (p. ex., un centre de ressources pour personnes immigrantes) et de les projeter à l’avant de la classe. Les élèves pourraient ainsi pointer leur réponse sur les images projetées, ce qui permettrait de développer la CO indépendamment du développement des compétences écrites et de la familiarité de la tâche scolaire écrite (Bigelow et Vinogradov, 2011).

5.2. Activité de compréhension et de production orales

L’activité combinant la CO et la PO que nous avons analysée se trouve dans le même module[5] du cahier de l’élève Digne d’Attention!. Dans cette activité d’échange d’informations favorisant la répétition (Figure 7), les élèves circulent pour indiquer leur ville ou leur quartier, leur adresse et leur numéro de téléphone à leurs pairs, qui écoutent pour noter ces informations aux bons endroits sur le support écrit.

Figure 7

Support écrit (CO/PO)

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Notre analyse de ce support écrit (Annexe 2) révèle de nombreux éléments de littératie visuelle pouvant alourdir la tâche de PAIALeL. Premièrement, la charge visuelle est marquée par l’absence de cohésion entre les espaces de rédaction et les trois éléments de consigne, le tout dans et hors d’un tableau englobant aussi des images et des numéros. Deuxièmement, tous les éléments de consigne sont en majuscules et en caractères gras, mais aucun modèle de réponse n’est inséré dans cet ensemble déjà chargé. Troisièmement, les images choisies sont particulièrement complexifiantes : dans le document, la première image est abstraite et peu familière, avec trois bâtiments dessinés sans contexte et la superposition de noms de villes et d’un point d’interrogation, la deuxième contient un référent concret et familier (une enveloppe), mais aussi un dessin simplifié d’une main non rattachée à un bras (abstrait) (Dowse, 2004), et la dernière représente un modèle de téléphone désuet (peu familier).

D’après notre analyse, ce support visuel est donc peu approprié pour des PAIALeL. Comme le but de l’activité est de développer les compétences orales et que ni les images, ni le tableau ne soutiennent les élèves dans la réalisation de l’activité, nous suggérons de ne pas utiliser de support écrit. L’activité pourrait plutôt prendre la forme de l’une de celles proposées par Fillion et coll. (2021) pour développer l’aisance à l’oral de PAIALeL.

6. Conclusion

La mise à l’essai de notre grille d’analyse des éléments de littératie visuelle caractérisant un support écrit révèle que si des activités conçues pour un public différent doivent être mises en place auprès de PAIALeL, le matériel proposé doit être adapté à ce contexte. Les images, le genre textuel et les manières d’utiliser les supports écrits sont ancrés dans le contexte socioculturel de sociétés très littératiées et demandent un traitement supplémentaire pour des PAIALeL (Altherr Flores, 2021a; 2021b). De plus, le développement des compétences orales en Lx est souvent subordonné à celui des compétences écrites (Vandergrift et Goh, 2012) : nous contestons donc le recours systématique à des supports écrits, de surcroit auprès d’élèves que ces supports surchargent plus qu’ils ne les aident. Compte tenu de la rareté du matériel destiné aux PAIALeL (Bédard, 2021), l’adaptation de matériel conçu pour un public différent est prometteuse. Elle doit toutefois remettre en question les automatismes développés par un personnel enseignant baignant dans une société hautement littératiée (Bigelow et Tarone, 2004) et être arrimée aux manières d’apprendre de PAIALeL, qui demeurent méconnues (Andringa et Godfroi, 2020).