Résumés
Résumé
L’objectif de cet article est de montrer l’intérêt des approches inductives pour la recherche qualitative en communication sociale. Plus précisément, il vise à appréhender comment l’approche méthodologique de la théorisation enracinée (MTE) peut être utilisée pour mener une recherche théorique, dans laquelle les écrits scientifiques sont considérés comme des données.
Mots-clés :
- Méthodologie,
- induction,
- théorisation enracinée,
- communication sociale,
- recherche théorique,
- représentations sociales
Corps de l’article
Introduction
En recherche, il est fréquent d’entendre parler de l’ouverture d’esprit et de la flexibilité à avoir, notamment en raison de la nature itérative de la démarche. Le chercheur doit plusieurs fois revenir sur ses choix méthodologiques, des choix fondamentaux qui en viennent à changer beaucoup l’issue du processus. Ces qualités représentent un fil conducteur à considérer dans les pages qui suivent. En effet, la recherche qualitative en communication sociale vise bien souvent à appréhender la réalité telle qu’elle semble se présenter et à lui attribuer un sens. Ainsi, il importe pour le chercheur d’être ouvert aux possibilités de redéfinition de la problématique étudiée, empruntant ainsi une « perspective avec laquelle [il] perçoit les données [lui permettant] de donner du sens » (Luckerhoff & Guillemette, 2012, p. 3) à ce qui émerge de l’analyse.
Il n’en demeure pas moins que, de l’intuition de départ jusqu’à la compréhension de l’objet étudié, on ne peut ignorer la pertinence d’adopter une attitude rigoureuse qui n’autorise pas à prendre pour acquis, à considérer comme vrai ce qui est perçu. Plusieurs auteurs s’entendent pour dire qu’il est important d’opérer un détachement avec nos présuppositions, ce que Moscovici appelle « les croyances existantes », de rompre avec cette intuition qui peut mener « au jugement rapide [de ce] qui semble à première vue évident » (Bonneville, Grosjean, & Lagacé, 2007, p. 13), sans pour autant « disqualifier le sens commun ou les savoirs ordinaires [en instaurant] une séparation trop stricte entre la “non-science” [...] et la “science” » (Quivy & Van Campenhoudt, 2006, p. 18). En conséquence, supposer que l’approche qualitative demande entre autres « l’ouverture, la créativité, la sensibilité théorique et la flexibilité méthodologique » (April & Larouche, 2006, p. 145) implique que le chercheur devrait prendre en compte sa position lorsqu’il réalise la collecte des données. Cette approche est effectivement liée à l’engagement du chercheur quant à son objet, qu’il influence en raison de sa subjectivité personnelle. En ce sens, « les recherches qualitatives – en examinant la place du chercheur dans le processus de connaissance et la fonction des savoirs qu’il produit – ont contribué au renouvellement des questions sur le rapport entre la science et les sujets » (Martineau, 2007, p. 70). Ainsi, il nous semblait intéressant d’explorer la manière avec laquelle, dans une recherche qualitative en sciences sociales, cette proximité du chercheur avec les phénomènes étudiés peut être conjuguée avec les critères de validité scientifique de la recherche, dans une perspective inductive.
Cet article vise d’abord à identifier la place de l’induction autant dans le raisonnement et le positionnement du chercheur que dans les conditions mises en place pour élaborer la recherche. En ce sens, il nous intéressera d’approfondir d’autres approches qui suivent des trajectoires caractérisées par leur « mouvement » (Plouffe & Guillemette, 2012). Nous voulons effectivement illustrer ici la possibilité de faire autrement, de sortir du chemin tracé par des protocoles encadrés et préconçus. Plus précisément, nous discuterons de la pertinence d’utiliser une approche méthodologique telle que la théorisation enracinée (MTE) dans la deuxième section de notre article. Ensuite, nous verrons comment elle peut être utilisée pour mener une recherche théorique qui vise à considérer les écrits scientifiques comme données à analyser. Enfin, nous explorerons comment ces considérations rencontrent notre questionnement de recherche qui s’inscrit en communication sociale, dans une perspective théorique, dans la mesure où nous nous intéressons principalement à ces « processus d’ajustement mutuel et de co-orientation à travers la négociation du sens » (Katambwe, 2011, p. 14). Ultimement, ce texte nous permettra de poursuivre notre réflexion théorique qui vise à comprendre des phénomènes sociaux qui ont été conceptualisés en sociologie et en science politique notamment, et qui mériteraient selon nous d’être rapprochés à l’univers conceptuel de la communication sociale.
1. L’induction : aux sources du raisonnement et du positionnement du chercheur
Lorsqu’un chercheur veut amorcer une recherche, il peut le faire en s’appropriant les écrits scientifiques à travers une vaste recension lui permettant de dresser les contours de l’objet qu’il désire étudier, pour ensuite produire un cadre théorique applicable au phénomène qu’il appréhende. Dans cette perspective, il cherche à confirmer ou infirmer les théories et concepts déjà mis à l’épreuve, de sorte à en renforcer la portée ou à la fragiliser. Il s’agit en effet d’une démarche déductive qui amène le chercheur à remanier les cadres théoriques existants. Dans ce type d’approche, « on construit spéculativement un cadre théorique à partir de théories existantes et on procède déductivement pour appliquer la théorie sur les données empiriques et ainsi expliquer les phénomènes observés » (Guillemette & Luckerhoff, 2009, p. 5). Précisons que, dans cette partie du texte, notre objectif est de montrer comment ces perspectives peuvent enrichir le champ des connaissances. Il ne s’agit donc pas de trancher en faveur de l’une ou l’autre de ces perspectives ni de simplement les dichotomiser, mais plutôt de montrer leurs particularités.
Ainsi, afin d’aller plus loin dans la compréhension et de mieux saisir les données qui échappent aux catégories prédéfinies, il semble important de pouvoir se tourner vers une tradition différente, de nature inductive. En effet, l’objectif d’une telle démarche, comme le soulignent Poupart, Deslauriers, Groulx, Laperrière, Mayers et Pires (1997), « n’est pas d’atteindre l’explication parfaite, mais bien de mesurer le progrès accompli grâce aux cas négatifs et à travers les modifications de l’explication par rapport à la connaissance initiale » (p. 303). L’approche inductive peut donc apparaître sous différents aspects dans un processus de recherche, autant sur le plan théorique que sur le plan méthodologique. Cependant, il convient de préciser que, selon nous, et suivant Blais et Martineau (2006), l’induction se veut d’abord une approche qui vise à « “donner un sens” à un corpus de données brutes, mais complexes, dans le but de faire émerger [...] de nouvelles connaissances en recherche » (p. 2), le sens étant lui-même au coeur de l’analyse.
En outre, une démarche déductive préconise la formulation d’hypothèses à vérifier par l’opérationnalisation empirique. Par ailleurs, il est possible d’utiliser une approche qui « vise à ce que le cadre théorique soit généré à partir des données plutôt qu’à partir des recherches antérieures » (Guillemette, 2006, p. 36). Puisque le chercheur ne peut se couper entièrement de l’univers théorique qui l’accompagne, il va utiliser ses connaissances comme « sources » à partir desquelles il puise ce qui est « à assembler [et à considérer] comme théoriquement possible ou probable » (St-Denis, 2012, p. 244). L’idée principale derrière cette dernière approche est plutôt d’utiliser « une façon particulière de préciser l’objet de recherche » (Guillemette, 2006, p. 36) en suivant des « intuitions » (par une suspension du recours préalable aux cadres théoriques). Il s’agit donc de laisser la place à ce qui émerge des données, et ce, dès les premiers pas effectués sur le parcours. Fondamentalement, c’est sur cette base que le chercheur arrimera les différentes phases de sa recherche. Il est ainsi question, encore une fois, de faire preuve d’ouverture et d’oser les retours en arrière, dans un « processus d’analyse [...] en interaction avec les données » (April & Larouche, 2006, p. 145), en réalisant les deux opérations (collecte et analyse) simultanément et de façon réciproque. Cette perspective demande « la mise entre parenthèses des savoirs du chercheur » (Guillemette, 2006, p. 37 et 39), en plus de « la suspension du recours à des cadres théoriques » (Poupart et al., 1997, p. 311) afin de mettre le processus en branle et d’envisager le phénomène étudié comme un « territoire à explorer » (Strauss & Corbin, 1990, p. 25).
Insistons ici sur l’intérêt d’une telle position de recherche dans une discipline comme la communication sociale. En effet, elle résonne avec la perspective de l’interactionnisme symbolique proposée par des chercheurs de l’École de Chicago, Blumer et Strauss entre autres, qui ont participé à l’élaboration théorique et scientifique en communication sociale. Ces auteurs insistent sur l’importance d’ajuster la recherche scientifique à la réalité empirique sans pour autant que cette réalité ne s’explique que par sa simple observation. « Les deux auteurs plaident pour une validation de l’interprétation par la confrontation avec la concrétude du monde empirique, cette validation n’annulant en rien le caractère construit de l’interprétation » (Guillemette & Luckerhoff, 2009, p. 7). Ainsi, leur perspective et l’approche inductive, en général, répondent aux mêmes critères, soient ceux de justifier les découvertes en fonction d’une « observation systématique » et de « vérifier l’adéquation des analyses avec les observations » (Guillemette & Luckerhoff, 2009, p. 7).
Qui plus est, l’approche inductive se réclame d’avoir « recours à [plusieurs] traditions de recherche » (Blais & Martineau, 2006, p. 2) différentes dont la théorisation enracinée (Luckerhoff & Guillemette, 2012), la phénoménologie (Giorgi, 1997) et l’ethnographie (Latour & Woolgar, 1996), chacune ayant leurs particularités. Bien que nous nous intéressions principalement à la première de celles-ci, nous allons maintenant donner quelques précisions concernant les deux autres.
La phénoménologie peut être définie comme étant « l’étude des structures de la conscience » (Giorgi, 1997 p. 342), autrement dit, de tous les phénomènes qui se présentent à la conscience. La phénoménologie constitue une approche inductive puisqu’elle ne propose pas la vérification d’hypothèses issues des lacunes d’une recension des écrits ni une analyse en fonction de catégories prédéterminées. Elle se concentre plutôt sur l’idée de faire « une description exclusive de la façon dont le contenu du phénomène se présente tel qu’en lui-même » (Giorgi, 1997, p. 342). Ainsi, il apparaît clairement selon nous que cette approche s’apparente davantage à une perspective radicale du constructivisme en raison de son intérêt pour l’expérience vécue par la seule conscience de l’individu. Qui plus est, la phénoménologie permet une analyse « précisément sous l’angle du sens que ces phénomènes ont pour les sujets qui les vivent » (Giorgi, 1997, p. 344). Le sujet devient ainsi l’objet de recherche en soi puisque le chercheur s’intéresse à « la compréhension de la signification de sens par l’acteur » (Blais & Martineau, 2006, p. 3). La finalité descriptive de ce type d’approche semble moins rencontrer notre angle de traitement et de construction de la science.
L’ethnographie de son côté peut être considérée comme l’étude des faits sociaux en fonction de leur observation systématique, par la prise en considération de l’immersion du chercheur dans un contexte où le contenu analysé est produit (Latour & Woolgar, 1996). Cette approche méthodologique permet au chercheur d’observer les constructions du réel en fonction de leurs contextes de production. Il s’agit donc de « se rendre familier d’un terrain tout en demeurant indépendant et à distance » (Latour & Woolgar, 1996, p. 23). L’ethnographie peut ainsi être considérée comme une méthodologie qui utilise l’induction dans la mesure où le chercheur doit faire preuve d’un mélange subtil de rigueur et de proximité afin d’être en mesure de donner du sens aux données. Cette approche, tout comme l’analyse inductive, « se prête particulièrement bien à l’analyse de données portant sur des objets de recherche à caractère exploratoire, pour lesquels le chercheur n’a pas accès à des catégories déjà existantes dans la littérature » (Blais & Martineau, 2006, p. 4). Sans vouloir minimiser le potentiel de développement, de présentation et de description des catégories ayant émergé de l’analyse, une telle méthodologie nous semble peu adaptée à notre objectif de théorisation. Effectivement, cette approche ne cadre pas avec la volonté d’analyser les écrits scientifiques en tant que données dans le but d’en faire la critique et d’en laisser émerger de nouvelles bases théoriques, ce que la méthodologie de la théorisation enracinée nous permet de faire.
2. L’approche de la théorisation enracinée : une méthodologie générale
Nous considérons que le principal intérêt à utiliser une approche inductive est d’appréhender certains objets de recherche dans une démarche souple et adaptée à ceux-ci. Ainsi, les pertinences sociale et scientifique de l’objet auront tendance à s’éclaircir avec la progression de la recherche, « au fur et à mesure que la démarche s’ouvre à de nouveaux champs d’exploration » (Guillemette, 2006, p. 37). De plus, une méthode inductive telle que la méthodologie de la théorisation enracinée (MTE) se caractérise par le fait de vouloir rompre avec les savoirs préexistants, ce qui permet de laisser parler les données qui émanent de l’objet lui-même en rejetant l’obligation d’appliquer un cadre théorique préalable, tel que discuté plus tôt.
Par ailleurs, cette méthodologie générale se veut un dialogue, une interaction entre les différentes phases constitutives du parcours. En effet, cette posture refuse l’aller simple vers les résultats. Selon Guillemette (2006), les « auteurs s’entendent sur la circularité des exercices de recueil et d’analyse de l’information » (p. 37). En théorisation enracinée, il existe un consensus autour de l’idée que les phases de collecte et d’analyse sont réalisées « “ensemble”, [qu’elles sont déployées] “en parallèle” [dans un] “processus cyclique” [ou enfin, dans une] “interaction continuelle” » (Guillemette, 2006, p. 37). Plus encore, il s’agit d’une « approche circulaire [qui] se distingue de l’approche séquentielle que l’on retrouve habituellement dans les processus de recherche » (Guillemette & Luckerhoff, 2009, p. 14). Par la suite, les auteurs vont même ajouter que « l’approche de la MTE s’apparente davantage à une trajectoire hélicoïdale (une courbe qui s’enroule autour d’un axe en mouvement) » (Luckerhoff & Guillemette, 2012, p. 41; Plouffe & Guillemette, 2012), pour faire référence aux retours sur les étapes préalablement entamées par le chercheur, afin d’établir de nouveaux liens théoriques et approfondir les connaissances sur le phénomène étudié. Cette façon de faire sous-entend l’ajustement constant au fil des analyses, ce qui permet de préciser certains concepts, de réorienter la question de recherche, de modifier les stratégies de collecte et finalement de découvrir de nouvelles pistes de théorisation. Les avantages d’utiliser cette stratégie sont donc indéniables dans une démarche exploratoire qui vise à mieux comprendre ou à pousser plus loin une réflexion. Incidemment, cette interdépendance des phases de la recherche participe selon nous à générer son propre processus de validation. Dans cette optique d’« analyse théorisante » (Guillemette, 2006, p. 35), la comparaison constante de l’émergence empirique avec les constructions théoriques et empiriques existantes va permettre au chercheur de « tirer des énoncés “enracinés” dans les données du phénomène à l’étude » (Lapointe & Guillemette, 2012, p. 199). Le fait de s’autoriser à procéder à l’analyse en même temps qu’à la collecte de données permet de confronter directement les nouvelles données avec les savoirs existants, un critère fondamental de la MTE (Guillemette, 2006; Lapointe & Guillemette, 2012). Par ailleurs, des auteurs affirment cette idée que « le chercheur confronte constamment les concepts et les énoncés développés avec les données empiriques; ce qui lui permet de juger de l’adéquation entre ses ébauches théoriques et les données empiriques » (Plouffe & Guillemette, 2012, p. 95), pour insister sur la dimension de production théorique de cette méthode. Ils estiment que ce critère est celui qui permet « d’opérationnaliser l’orientation inductive de toute leur démarche » (Guillemette & Luckerhoff, 2009, p. 8). La construction du chercheur est donc élaborée par comparaison. Nous y reviendrons.
La collecte des unités qui composent le corpus se précise, tout comme l’objet de recherche et le questionnement, au fur et à mesure que le chercheur chemine dans sa démarche. Le choix s’effectue en fonction de la capacité de l’unité à produire du sens pour mieux comprendre le phénomène identifié, ainsi qu’en fonction de ses liens avec la problématique à l’étude, et non à partir d’une population statistique. Cet échantillonnage théorique ne prétend pas être statistiquement représentatif puisqu’il vise « à recueillir de l’information sur une situation précise » (Plouffe & Guillemette, 2012, p. 100).
Enfin, ces considérations mènent le chercheur à ajuster sa réflexion, à la peaufiner jusqu’à ce qu’il arrive à un cul-de-sac ne lui permettant plus de défricher davantage sa route. C’est le stade qui correspond à la « saturation théorique » (Plouffe & Guillemette, 2012, p. 107). Ce niveau d’avancement dans la démarche indique au chercheur qu’il peut cesser la collecte pour entamer la mise en lumière des découvertes effectuées (Poupart et al., 1997). « C’est alors qu’intervient le critère de l’emergent-fit [qui] consiste à vérifier si les analyses provenant de l’exploration sont cohérentes (ou en adéquation) avec les données empiriques » (Plouffe & Guillemette, 2012, p. 95). Autrement dit, le chercheur comparera sa construction empirique pour voir si elle fait sens (« fit ») avec les données. S’il n’y a pas de « fit », il devra revoir sa démarche pour que les résultats rendent compte de la réalité observée de façon systématique.
Pour nous, la MTE se révèle être une méthodologie intéressante dans la mesure où elle permet de « théoriser à partir d’une recherche de terrain en se donnant la plus grande liberté possible pour la découverte de nouvelles compréhensions des phénomènes » (Guillemette, 2006, p. 35). Par nouvelles compréhensions, nous entendons aussi nouveaux points de vue. L’objet de recherche que nous définissons dans le cadre de nos travaux actuels concerne les mouvements sociaux et les représentations de l’action collective dans les discours. Plus précisément, ce projet de recherche vise à étudier la manière dont les actions politiques sont médiatisées dans un contexte où les phénomènes de contestation émergent tant sur le plan local que sur le plan international. Les querelles conceptuelles au sujet des mouvements sociaux (Blumer, 1995) et des nouveaux mouvements sociaux (Neveu, 2011), des répertoires d’action collective (Tilly, 2006) et de structure des opportunités politiques (Tarrow, 1996), ou d’espace public oppositionnel (Sagradini, 2009) et de contre-démocratie (Rosanvallon, 2006), ne semblent pas permettre d’appréhender clairement la dynamique de cette réalité sociale. C’est pourquoi, dans notre démarche, la MTE devrait constituer une méthodologie générale pertinente en ce sens qu’elle « vise d’abord l’élaboration d’une théorie » (Laperrière, 1997, p. 309). Nous y reviendrons au moment de parler des concepts sensibilisateurs.
Dans ce contexte, il devient intéressant de se demander : comment est-il possible de considérer les écrits scientifiques comme des données discursives produites dans un contexte social construit? Il s’agirait en effet d’opter pour une approche interprétative, dans « une logique de reconstruction constante par une intégration des théories émergentes à l’architecture des connaissances dans un champ disciplinaire » (Guillemette, 2006, p. 46).
Selon nous, la pertinence scientifique d’une telle recherche correspond à notre objectif d’interpréter et d’approfondir les connaissances. Ainsi, la liberté offerte par l’ouverture à l’émergence des données rend possible la découverte de nouvelles pistes de recherche.
3. La recherche théorique : une démarche interprétative
Ce qui nous intéresse particulièrement dans cet article est de montrer l’intérêt d’utiliser la MTE dans un projet de thèse théorique. Suivant les propositions de Guillemette et Luckerhoff (2009), nous voulons explorer le fait de considérer les écrits scientifiques comme des données produites socialement dans un contexte déterminé. En effet, ces chercheurs argumentent que « toutes les sortes de données [doivent être] considérées comme potentiellement pertinentes [...]. Le corpus de données peut être constitué à partir [notamment] des résultats d’autres recherches (même des données quantitatives) » (p. 17).
Ainsi, il est possible de penser que la recherche de type théorique se révèle pertinente en sciences sociales, bien qu’elle semble avoir été graduellement délaissée par les chercheurs des différentes disciplines au profit d’approches davantage empiriques, ces dernières apparaissant plus formalisées. D’emblée, précisons que la recherche théorique ne vise pas à démontrer « à partir d’un “réel” observable et mesurable; elle vise plutôt à montrer, à mettre en scène, à peser le pour et le contre, à faire des choix et à les soutenir au moyen d’une argumentation » (Martineau, Simard, & Gauthier, 2001, p. 4). Or, des chercheurs en sciences sociales ont vu la nécessité de mettre en lumière le caractère scientifique propre aux recherches de type théorique (Gohier, 1998; Lacelle, 2009; Raiche & Noël-Gaudreault, 2008). Certains de ces chercheurs ont donc proposé de « classer les types de recherches théoriques en cinq catégories selon la fonction que nous désirons leur donner » (Raiche & Noël-Gaudreault, 2008, p. 2). Les types dégagés sont les suivants : l’analyse de pertinence, l’analyse conceptuelle, la synthèse des connaissances, l’élaboration de modèles ou de théories, ainsi que le développement méthodologique. De leur côté, des chercheurs comme Gohier (1998), Martineau, Simard et Gauthier (2001) ou Lacelle (2009) ont plutôt suggéré des définitions de la recherche théorique en sciences sociales, plus particulièrement en éducation, et ont voulu envisager une typologie en fonction des méthodologies utilisées.
Retenons que les recherches théoriques visent l’identification des liens conceptuels, leurs définitions, leurs constructions ou leurs critiques, la modélisation, et la synthèse de théories (Lacelle, 2009). En effet, à la différence d’une simple « recension des écrits qui amène le chercheur à choisir un ancrage théorique » (Quivy & Van Campenhoudt, 2006, p. 99), la recherche théorique cherche à revoir les constructions théoriques qui se retrouveraient dans la recension des écrits d’une démarche dite traditionnelle ou hypothético-déductive. Ce type de recherche va ainsi permettre de faire des liens entre les données recueillies et contextualisées dans un ensemble théorique plus large. L’idée est donc de formuler « de nouveaux concepts, ou [de donner] un sens nouveau aux anciens » (Quivy & Van Campenhoudt, 2006, p. 100), dans le but précis de produire de la théorie. Qui plus est, les recherches de ce type visent
[…] à produire des énoncés théoriques à partir d’autres énoncés théoriques. À l’inverse des recherches de type terrain, elle[s] ne travaille[nt] pas à partir de données empiriques; l’écrit, le texte, constitue donc la première source de ses énoncés (Van der Maren, 1995)
Martineau, Simard, & Gauthier, 2001, p. 3
Cet intérêt pour le texte permet-il d’établir un lien entre la recherche théorique et l’herméneutique?
On parle d’herméneutique lorsque « le but est l’interprétation de textes [dans une approche interprétative qui] se veut objective dans le sens où elle s’intéresse aux “structures objectives” du sens dans le texte (par opposition au sens subjectif, à l’intentionnalité des acteurs) » (Gerber, 2007, p. 3). Ainsi, l’« herméneutique générale s’efforce à la compréhension des discours qui présentent un savoir et transmettent un savoir collectif [...] elle s’intéresse donc par essence à la tradition et à la culture » (Berner, 2001, p. 45). Gerber (2007) cite des chercheurs comme Oevermann et Reichertz et explique « que leur approche était performante pour l’interprétation de tous types de données qualitatives » (p. 3). Ainsi, selon Oevermann (1979, dans Gerber, 2007), toute forme de données, si elle est considérée sous forme de texte, peut être analysée en fonction de cette approche. Par ailleurs, « [l]a justification théorique d’une méthode herméneutique trouve son origine dans une conception de la socialisation basée sur le langage, et une conception des sciences sociales tributaires de la textualité du monde » (Gerber, 2007, p. 4). Nous reviendrons sur cette dernière observation au moment de discuter des particularités de notre positionnement disciplinaire et de notre conception de la communication.
Pour le moment, retenons qu’herméneutique et recherche théorique poursuivent un objectif similaire de compréhension des productions de sens, inscrites dans un contexte social. Cependant, l’approche de l’herméneute se penche principalement sur le langage comme véhicule du sens qu’il tente de mettre en lumière. Plus encore, il « s’intéress[e] non au sens subjectif du locuteur, mais au sens objectif, créé par recours aux règles objectives inhérentes à toute action langagière, et observable dans toute reproduction textuelle de cette action » (Gerber, 2007, p. 4), ce qui rompt avec notre intérêt de recherche. En effet, pour nous, le sens émerge d’une vision fonctionnelle de l’environnement social, qui permet à l’individu ou au groupe de rendre intelligibles ses comportements. Dans cette perspective, nous nous inscrivons davantage dans la lignée des chercheurs qui envisagent que c’est plutôt dans l’intention du locuteur que se situe le sens et non uniquement dans les normes du langage qu’il utilise. Le langage, dans cette perspective, est perçu comme un élément du contexte social de production du message. Pour nous, le sens se situe dans « [l]es choix que font les locuteurs parmi l’ensemble des possibles [pour constituer] la structure de sens » (Gerber, 2007, p. 5). Ces choix relèvent d’influences diverses, socialement ancrées. Nous parlerons, en ce sens, de représentations sociales. C’est avec ces lunettes que nous appréhendons la compréhension des phénomènes sociaux qui nous intéressent. Dans cette optique, Gerber (2007) ajoute qu’« il importe de maintenir une nette séparation conceptuelle entre la structure de sens objective d’un texte d’une part, et le sens subjectif des sujets qui produisent le texte d’autre part, pour s’intéresser uniquement à la première » (p. 5); nous ne pouvons nous ranger derrière cette approche. Notre souci de compréhension et de théorisation nous amènera en effet à vouloir, entre autres, considérer le sens attribué par les sujets eux-mêmes. Dans le cas qui nous occupe, les sujets sont des auteurs d’écrits scientifiques que nous analyserons afin de critiquer leur pertinence scientifique et en revoir les prérogatives si nécessaire. Ainsi, dans le même sens qu’Habermas (1981, dans Ipperciel, 1997), nous nous intéressons à « un au-delà du langage naturel et du contexte dialogique » (Ipperciel, 1997, p. 103), où se situe un sens construit socialement, ce qui sort en soi du cadre de l’herméneutique telle que décrite plus tôt.
Entre ces deux types de recherches, théorique et herméneutique, il apparaît intéressant d’utiliser une méthodologie proprement inductive comme la MTE pour circonscrire la communication sociale en tant que discipline. Chacune des voies offre une issue intéressante pour parvenir à ce positionnement.
Pour notre part, le parcours emprunté jusqu’ici nous a amenée à concevoir la recherche théorique comme une étape préalable à la recherche empirique, une démarche dite traditionnelle qui comporte des actions relativement normalisées comme observer, formuler des hypothèses et les vérifier. Dans cette optique, il nous apparaît important d’illustrer le sens des écrits théoriques par l’opérationnalisation sur le terrain. Par ailleurs, nous avons maintenant été ouverte à les envisager comme deux approches imbriquées. Cette vision correspond à la perspective de la MTE dans la mesure où elle permet de « s’assurer que [les] résultats d’analyse proviennent des données et non de [nos] préconceptions théoriques » (Guillemette & Luckerhoff, 2009, p. 10). Dès lors, les écrits scientifiques peuvent être utilisés comme des données à analyser, dans l’objectif de participer à la théorisation par leur remise en question. En effet, les constructions théoriques existantes peuvent être confrontées entre elles afin d’en faire émerger les particularités et les améliorer. En conséquence, la pertinence d’une recherche théorique réside dans « la position épistémologique du chercheur et les visées fondamentales de la recherche » (Gohier, 1998, p. 270). Plus encore, l’intérêt pour le type de projet proposé par Gohier (1998) résonne avec la pertinence d’adopter un angle de traitement nuancé « entre la recherche de faits absolus et l’ignorance des phénomènes du monde sensible à laquelle conduit une vision interprétative radicale » (p. 270).
Enfin, notre souci de théorisation rencontre celui des chercheurs de l’École de Chicago qui, comme nous l’avons vu, ont travaillé à fonder la discipline de la communication sociale à travers la lunette de l’interactionnisme symbolique. Tout comme ces derniers, nous pensons que c’est dans la communication qu’il est possible d’appréhender les comportements humains, en plus de situer l’intérêt de nos recherches dans l’interprétation des rapports qui s’instaurent dans des contextes déterminés. Ainsi, « la communication et non le langage doi[t] fournir le cadre de référence au sein duquel [...] la société pourra être définie » (Lohisse, 2006, p. 172). C’est donc à cette perspective que nous accorderons de l’importance pour la suite. En effet, l’interactionnisme est, de façon générale, un univers théorique qui « considère davantage l’individu dans son contexte social [et qui] se préoccupe également de la signification du processus d’interaction à travers l’interprétation des actions, gestes et comportements » (Audet & Larouche, 1988, p. 12). L’interactionnisme se rapproche des théories interprétatives en raison du subjectivisme qui y est associé. Pour nous, cette posture confirme sa pertinence dans le cadre d’une recherche qui vise à explorer et à établir des liens théoriques en communication sociale, plus précisément avec le concept de représentations sociales. Ce sont justement les éléments que nous abordons maintenant.
4. Notre perspective théorique : communication et représentations sociales
D’emblée, précisons que nous nous inscrivons dans la lignée des chercheurs qui ont jeté les bases théoriques de la communication sociale pour mettre en lumière ses caractéristiques fondamentales. Ainsi, nous accordons à la communication une nature sociale d’abord en considération de son caractère humain, ensuite en raison de son intérêt pour les discours et leur portée, mais surtout parce que nous l’envisageons « comme un processus interprétatif (on essaie implicitement de donner ensemble un sens, une direction à des faits ou des faits de langage) » (Katambwe, 2008, p. 7). Il s’agit clairement d’une perspective qui permet de comprendre des phénomènes qui appartiennent à une réalité construite dans la négociation. Par ailleurs, le contexte actuel dans lequel nous évoluons nous invite à accorder une attention particulière à l’analyse des relations. Ce sont ces éléments qui sont à la base de notre questionnement sur le rôle des médias dans les discours et leur effet sur la dynamique sociale. Incidemment, au-delà de la transmission des contenus manifestes, les messages révèlent une symbolique qui émerge des interactions, ce qui nous intéresse particulièrement. Plus précisément, il s’agit pour nous d’un objectif de compréhension et de théorisation par l’interprétation du contexte de production des écrits scientifiques et des discours qui se disputent une place dans l’espace public.
D’ailleurs, l’objet de notre problématique de recherche concerne les interactions entre différents acteurs sociaux. En effet, nos sociétés contemporaines semblent souffrir d’une montée importante de l’individualisme, bien que la société soit noyée dans la multiplication des techniques de diffusion, un des éléments d’une tendance qui correspond à ce que nous appellerons crise des représentations. C’est d’ailleurs en s’inspirant des observations d’autres chercheurs que nous en arrivons à cette proposition. En effet, Rosanvallon (2006) parle de « l’impolitique » (p. 257), Brin, Giasson et Sauvageau (2010) mettent en lumière ce qu’ils appellent une « crise des perceptions » (p. 432), alors que pour Della Porta (2011) il s’agirait d’une crise des conceptions traditionnelle, libérale (représentative) de la démocratie, des critiques qui révèlent le même paradoxe, le même malaise social (Nadeau & Giasson, 2003). Effectivement, l’actuel climat de tensions politiques et sociales se caractérise par l’incapacité des systèmes politiques à satisfaire l’ensemble des acteurs sociaux et ainsi représenter et défendre leurs intérêts. On assisterait alors à la consolidation d’espaces de luttes pour l’attention du plus grand nombre, dans lesquels les médias agiraient, entre autres, sur la sensibilité du public (Neveu, 2011). Toutes ces questions nous amènent à penser que les médias ont une influence sur les opportunités discursives des groupes, et en particulier sur les mouvements sociaux, à occuper la scène.
Discuter de ces considérations nous pousse donc à vouloir établir des liens entre représentations et discours médiatiques dans nos recherches. Dans la prochaine partie de l’article, nous préciserons notre vision du concept de représentations sociales en raison de son caractère polysémique et de ses utilisations variées dans les différentes disciplines des sciences sociales (Lalancette, 2011). Ainsi, il nous apparaît important d’y prêter une attention particulière pour mieux comprendre de quelle manière ce concept peut contribuer à appréhender les phénomènes de production et de réception de discours au sein d’une société, plus précisément en ce qui a trait aux mobilisations sociales.
Émile Durkheim est le premier à évoquer la notion de représentation dans ses travaux sociologiques sur les religions et les mythes. Il existerait selon lui deux types de représentations : individuelles et collectives. La première catégorie relèverait de la prise en compte de l’individu, c’est-à-dire de sa conscience et de sa mémoire qui sont alimentées de l’extérieur et qui s’influencent mutuellement. La deuxième catégorie serait issue de la première et exprimerait une réalité qui lui est propre par l’association des consciences individuelles vers la socialisation (Seca, 2010).
Par la suite, s’inspirant de Durkheim, les travaux du psychosociologue Serge Moscovici vont faire en sorte que le concept de représentation sociale devienne un champ d’études à part entière. En effet, plusieurs chercheurs s’inscrivent dans le prolongement de ses travaux (Jodelet, Doise et Herzlich, notamment). Dès le début, Moscovici s’efforce de faire ressortir le caractère scientifique et politique de la compréhension des pratiques sociales et des perceptions qui en découlent. Il s’intéresse aussi à leur transformation dans un processus de dynamique contextuelle. C’est à travers l’étude de la représentation de la psychanalyse, alors une science nouvelle pour la société française, que Moscovici élabore sa théorie dans le but d’expliquer la façon dont les individus construisent leurs rapports à la réalité par la rétention de connaissances et l’intégration de comportements aux schèmes de pensée préexistants (Seca, 2010).
Avec son ouvrage devenu incontournable, La Psychanalyse, son image et son public, Moscovici (1961) donne une nouvelle perspective à l’étude des représentations sociales. Il rompt avec la vision durkheimienne classique pour emprunter un point de vue plus constructiviste du concept. En effet, les représentations sociales ne sont plus en partie préexistantes à l’individu. Selon Moscovici (1984), les représentations sociales sont des cadres de références qui sont partagés à l’intérieur des communautés. Ils constituent des principes qui guident les opinions et les perceptions en lien avec des objets spécifiques. Ainsi, les représentations sociales peuvent être envisagées comme étant partie prenante de tous les rapports sociaux qui s’instaurent quotidiennement. Ces représentations deviennent des constructions de sens autour desquelles les membres d’une communauté s’entendent et s’y réfèrent de façon commune pour en dégager des significations. Les chercheurs envisagent que les représentations sociales seront différentes selon les groupes et leurs membres, ces différences s’appréhenderont du point de vue de leurs connaissances et de leurs comportements. De ces éléments, retenons principalement que les représentations sociales s’élaborent par un processus d’échange et d’interaction collective qui fait émerger un sens commun propre à une société, à une communauté, en plus de constituer l’ensemble des possibilités de communication dans un contexte donné (Moscovici, 1986). Qui plus est, il est intéressant de voir que, selon les travaux de Moscovici (1994), les représentations concernent habituellement un enjeu public. En effet, l’importance d’une représentation peut notamment être alimentée par les médias qui construisent eux aussi des représentations, en l’occurrence médiatiques. Par rapport à celles-ci, les acteurs sociaux doivent se positionner en faisant appel à ce que Moscovici nomme leurs croyances existantes. Lorsqu’elles sont partagées par un grand nombre de personnes au sein d’une société donnée, la stabilité des représentations atteint un niveau tel que les opinions sont consolidées.
Suivant Seca (2010), il est possible de penser que les représentations sociales seraient formalisées dans le discours et que ces discours pourraient concourir à modifier les attitudes, les croyances et les façons de concevoir les situations. En ce sens, il est intéressant de voir que les représentations évoluent en fonction des discours qui sont mis de l’avant dans l’espace public. En plus de mettre en lumière le lien entre représentations et pratiques sociales, les travaux de Flament (1994) avancent que les discours s’adaptent à l’évolution des représentations. Ces idées nous portent ainsi à réfléchir au rôle des médias dans un contexte d’évolution des discours dans une société. En relevant l’exemple de la couverture médiatique des actions collectives des mouvements sociaux, le lien se trace entre le discours véhiculé par les médias et les représentations ou pratiques sociales en évolution. Dans cette perspective, notre intérêt est d’explorer le rôle des médias et leur influence sur les discours.
Par conséquent, dans le prolongement de Lalancette (2011), nous sommes amenée à porter notre regard sur les stratégies discursives utilisées dans la construction des représentations sociales afin d’en appréhender la teneur et l’efficacité, pour ainsi être en mesure d’apprécier leur aptitude à influencer le sens, son interprétation et celle des comportements en société. Les médias semblent contribuer à offrir des représentations positives ou négatives des mouvements sociaux. Quels éléments sont mis de l’avant dans les contenus publiés qui pourraient contribuer à consolider les significations autour d’objets spécifiques?
Pour comprendre l’effet des médias sur les stratégies des mouvements, nous nous appuyons sur des « concepts sensibilisateurs » tels que proposés par Guillemette et Luckerhoff (2006, p. 14). Ces concepts correspondent aux « perspectives (Glaser & Strauss, 1967) et [aux] points d’inspiration aidant à proposer [des pistes pour] guider les premières activités de partage, de collecte des données et d’analyse » (Ben Affana, 2012, p. 144). Ils constituent des lunettes qui permettent au chercheur de voir les nuances concernant le phénomène étudié. Ainsi, sans avoir la même fonction qu’un cadre théorique contraignant, ils influenceront le regard pour lui permettre de décoder le sens. C’est en partie grâce à eux que le chercheur est « capable de dépasser l’évidence de premier niveau pour découvrir ce qui semble caché au sens commun » (Guillemette & Luckerhoff, 2009, p. 13). Ces concepts sensibilisateurs, par leur richesse, guident le chercheur pour lui permettre de reconnaître plus facilement les données saillantes qui émergent de l’analyse. « [C]e sont leurs savoirs expérientiels, théoriques et culturels » (Guillemette & Luckerhoff, 2009, p. 14) qui vont mener à identifier les cohérences, les récurrences et les divergences entre les constructions émergentes et les connaissances déjà acquises. Ils amèneront le chercheur à réorienter et structurer sa pensée dans le but de constituer un véritable outil de compréhension et de prise sur le réel. Ces concepts sensibilisateurs sont donc liés à leurs univers théoriques respectifs, ce qui positionne le chercheur qui les utilise. Puisqu’il adopte une posture inductive, les concepts sensibilisateurs qui l’accompagnent seront appelés à évoluer avec la démarche. En principe, ils participeront à la cohérence de la démarche de recherche relativement à l’approche utilisée. En effet, chaque approche de recherche rivalise avec d’autres formes de constructions théoriques et empiriques de production des connaissances et requiert la possibilité pour quiconque voudrait évaluer la pertinence des résultats de pouvoir revenir sur la démarche. C’est de cette façon que les résultats d’une recherche qualitative seront acceptés et légitimés par la communauté.
Dans le cadre d’une recherche théorique, il devient possible pour nous de tracer les liens conceptuels qui existent entre les différents paradigmes de la communication sociale qui s’intéressent à la question de la médiatisation de l’action collective protestataire. Pour nous, il s’agirait de réaliser une analyse empirique des écrits théoriques afin de dégager des concepts qui s’inscriraient davantage dans la lignée disciplinaire de la communication sociale. Ainsi, la MTE constitue une méthode à privilégier dans un objectif de théorisation, quand on veut « envisager de nouvelles approches théoriques et méthodologiques » (Katambwe, 2011, p. 9). Par ailleurs, la MTE nous permet de prendre une distance par rapport aux auteurs pour approfondir la réflexion théorique et comprendre comment le discours scientifique conceptualise notre objet et ainsi l’inscrire dans notre discipline. Par l’analyse de contenu des écrits scientifiques, nous devrions être capable de faire émerger les fondements de l’état actuel des connaissances.
Comme nous l’avons constaté plus tôt, l’intérêt du champ de la communication sociale se situe autant dans l’individuel que dans le collectif, afin d’analyser des phénomènes d’interactions qui placent les acteurs et entités en relation. Joindre ces questionnements constitue un défi pour le positionnement d’une telle discipline dans le champ des sciences sociales. C’est précisément cet objectif que nous visons dans le choix des concepts qui vont guider nos analyses futures.
Conclusion
Dans cet article, nous avons tenté de faire valoir l’intérêt de la recherche théorique en communication sociale parce qu’elle permet d’explorer, « par son effort de conceptualisation et de modélisation [...] à partir de postulats » (Lacelle, 2009, p. 57), et d’élaborer un modèle répondant à plusieurs fonctions : décrire, interpréter, prescrire ou prédire (Lacelle, 2009; Sorin, 1996). La légitimité scientifique d’utiliser la MTE comme démarche de recherche se confirme devant
[…] son opérationnalisation méthodique de l’induction […,] les principes de l’exploration et de l’inspection, l’application du critère de l’emergent-fit, l’échantillonnage théorique, la manière particulière d’avoir recours aux écrits scientifiques, la sensibilité théorique et la circularité de la démarche
Guillemette & Luckerhoff, 2009, pp. 16-17
Plus encore, notre intérêt pour la question des représentations à l’intérieur de la discipline de la communication sociale atteint l’objectif de théorisation propre à la MTE. Nous pensons que davantage de recherches inscrites dans cette perspective pourraient contribuer plus largement aux champs des connaissances en sciences sociales.
Ultimement, ce texte aura permis d’envisager le fait de considérer les écrits scientifiques comme des données à analyser produites dans un contexte socialement construit, devenant en soi le corpus d’une recherche scientifique pertinente. Par ailleurs, les éléments proposés pourraient certainement nous être utiles dans nos recherches personnelles. Avec une telle approche, nous pourrions arriver à identifier les stratégies discursives utilisées pour construire les représentations sociales. L’induction pourrait certainement nous permettre d’obtenir une compréhension approfondie des enjeux contemporains qui nous préoccupent. En effet, une telle démarche permet d’entrevoir de nouvelles pistes d’analyse pour explorer toute situation qui met en scène des groupes dans leur processus de construction identitaire et de socialisation. Analyser les stratégies discursives utilisées pour construire les représentations de l’identité des groupes de façon inductive semble être une démarche à privilégier afin de faire ressortir les différentes positions qui amènent les débats à prendre de l’ampleur dans l’espace public. C’est d’ailleurs dans cette voie que nous envisageons de nous diriger dans nos futures recherches.
Parties annexes
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