Alix Johnson, anthropologue formée à l’université de Santa Cruz en Californie, est professeure en études internationales au Macalester College du Minnesota. Ses recherches portent sur les dimensions sociales, matérielles et politiques des infrastructures technologiques, notamment en Islande. En articulant les liens entre changements technologiques, géopolitiques et environnementaux, le livre vise à faire dialoguer les lieux et les données numériques, et à analyser comment ils se façonnent mutuellement à partir de l’étude du spectaculaire développement de l’industrie du stockage de données en Islande. Le travail empirique restitué dans l’ouvrage retrace l’histoire matérielle et politique qui a fait de l’Islande l’un de lieux les plus convoités pour ce type d’activités. Pour attirer les données sur ce territoire, différents protagonistes ont oeuvré à soigner les représentations de l’île en recourant à l’image de la terre de feu et de glace, déjà utilisée pour les campagnes publicitaires qui ont permis au tourisme de fleurir. L’imaginaire et l’émoi suscités par les glaciers qui composent l’île ont de quoi séduire les entrepreneurs toujours en recherche de solutions pour refroidir les serveurs des centres de stockage de données voraces et coûteux en énergie. Ce livre fait atterrir le nuage (cloud) au sol en dévoilant sa matérialité et en l’ancrant à son environnement spatial et politique. Ce livre de Johnson se compose de trois parties : « Articulation », « Anchoring » et « Excess ». « Articulation » contient deux chapitres et analyse les relations entre l’Islande et l’industrie du stockage de données. « These chapters interrogate the construction of Iceland as an especially good place for data to live — including efforts on the part of Icelanders to represent the island, engagement by outsiders drawn by their own interests, and strategic coproductions between them » (p. 22). Dans le second chapitre, « Switzerland of Bits », Alix Johnson montre notamment comment différentes organisations en Islande ont travaillé pour défaire l’image du pays associé à la crise financière de 2008. Pour se situer du bon côté des nations modernes de l’Occident, l’Islande a oeuvré à devenir un paradis de l’information (et donc des données) plutôt qu’un paradis fiscal. C’est à l’issue d’une résolution parlementaire en 2010, que l’intention et les moyens ont été mis en place pour faire de l’Islande « a data haven », un havre des données. « Anchoring », composé également de deux chapitres, explore « the work of constructing and operating data centers, as well as the experience of living in their vicinity » (p. 23). Cette partie interroge sur les effets de l’implantation des centres de données dans le pays en prenant deux exemples de territoires qui ont été modifiés par ces infrastructures. Dans le troisième chapitre, Alix Johnson analyse la construction et le développement d’un centre de stockage de données, sur la péninsule de Reykjanes, dans une ancienne base militaire américaine qui fut active du temps de la Guerre froide et au-delà, puisque le site demeura opérationnel jusqu’en 2006. Pour l’anthropologue, le fait qu’un centre de données prospère sur les installations d’anciennes infrastructures d’occupation du territoire, engendre des implications sociales et spatiales qu’elle décrit finement. Dans la troisième partie du livre, « Excess » composé d’un unique chapitre, Alix Johnson décrypte le secret et le mystère qui planent autour des centres de données qui mettent en place de nombreuses règles de sécurité pour empêcher l’accès des sites à toute personne extérieure à ces entreprises. L’autrice défend le fait que ce qui est protégé ou caché, ce sont moins les données que la dimension extractive et inéquitable de ces infrastructures en lien avec le monde extérieur, à commencer par le territoire qu’elles …
Parties annexes
Bibliographie
- Carnino, Guillaume, et Clément Marquet, 2018. « Les datacenters enfoncent le cloud : enjeux politiques et impacts environnementaux d’internet ». Zilsel, 3 (1) : 19-62. https://doi.org/10.3917/zil.003.0019.
- Crawford, Kate, 2021. Atlas of AI. Power, Politics, and the Planetary Costs of Artificial Intelligence. New Haven et Londres, Yake University Press.
- Durand Folco, Jonathan, et Jonathan Martineau, 2023. Le capital algorithmique : accumulation, pouvoir et résistance à l’ère de l’intelligence artificielle. Montréal, Écosociété Montréal.
- Hogan, Mél, 2015. « Data flows and water woes: The Utah Data Center ». Big Data & Society, 2 (2). https://doi.org/10.1177/2053951715592429.
- Libertson, Frans, Julia Velkova, et Jenny Palm, 2021. « Data-center infrastructure and energy gentrification : Perspectives from Sweden ». Sustainability : Science, Practice and Policy, 17 (1) : 152-61. https://doi.org/10.1080/15487733.2021.1901428.
- Stefánsson, Jón Kalman, 2017. D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds. Paris, Gallimard.
- Velkova, Julia, 2016. « Data that warms : Waste heat, infrastructural convergence and the computation traffic commodity ». Big Data & Society, 3 (2). https://doi.org/10.1177/2053951716684144.