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Penser et donner à voir le geste ordinaire : entre transmission, détournement et réinvention[Notice]

  • Catherine Cyr

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  • Catherine Cyr
    Université du Québec à Montréal

« Et si la langue d’avant la langue était le corps? » Cette question, avancée par Francine Alepin, artiste de mime corporel et chercheuse en théâtre, est apparue au fil de la création de La glaneuse de gestes, spectacle tissé de mouvements captés sur le vif – glanés – et transposés en une écriture scénique toute subjective. C’est le geste ordinaire qui intéresse l’artiste : les marches, les postures, les rituels paisibles qui forment le gestuaire des habitants de Mexico, avec lesquels elle noue un échange se déployant au-delà des mots. Dans un refus de l’ethnocentrisme comme de l’exhaustivité, c’est une « poésie du quotidien », issue d’une rencontre avec l’altérité mais trouvant ses points d’ancrage dans le corps, qu’Alepin déplie, par petites touches, sur le plateau du théâtre. La démarche de la créatrice, convoquant tout à la fois éthique et esthétique, me semble trouver une forte résonance avec plusieurs des processus de création, des pratiques et des oeuvres abordés dans le dossier thématique de ce numéro consacré aux gestes ordinaires dans les arts du spectacle vivant. En effet, les différentes contributions réunies ici mettent aussi de l’avant une poïesis, une poétique ou un ethos marqués par une attention envers le commun – au sens double d’usuel, ou de coutumier, et de partagé. Dirigé par Ariane Martinez, maîtresse de conférences en études théâtrales à l’Université de Lille, le dossier comporte neuf articles qui découlent de réflexions menées lors du colloque Gestes ordinaires dans les arts du spectaclevivant tenu à Périgueux, en juillet 2016, à l’occasion de la trente-quatrième édition de Mimos, le Festival international des Arts du Mime et du Geste. Ces textes ne composent pas les actes du colloque, mais en constituent le prolongement, la bifurcation, voire l’échappée. Tous posent la question du rapport à cette « langue d’avant la langue » que constitue le corps, qu’il s’agisse d’interroger la virtuosité insoupçonnée du geste banal ou, au contraire, dans la lignée de la chorégraphe Yvonne Rainer, de la réfuter implacablement; ou encore qu’il s’agisse d’investir des dispositifs spectaculaires qui, par détournement ou approfondissement d’une grammaire gestuelle, énoncent une contre-interpellation de la violence coloniale, mettent en lumière diverses formes de dominations « ordinaires » et invitent à redessiner un espace de rencontre. Ces neuf articles attirent notre attention sur la portée signifiante, à haute charge, du geste commun, soit-il transmis, déconstruit ou réinventé. Faisant écho à ce dossier thématique, la section « Document » prend la forme d’un entretien mené par Sophie Doucet, chercheuse à l’Université Rennes 2, avec le metteur en scène Éric Lacascade. Celui-ci y évoque son travail singulier autour des gestes du quotidien, entendus comme étant l’« expression directe de la vie », dont le plateau théâtral éveille et déploie les possibles. En revenant, notamment, sur sa récente mise en scène des Bas-fonds de Gorki, l’artiste met au jour ce qui, dans sa démarche, anime un processus de transformation, voire de transfiguration, du geste de tous les jours, faisant du banal le lieu, ou le matériau, de l’étonnement. Dans la section « Recherche-création », Véronique Lemaire, chercheuse au Centre d’études théâtrales de l’Université Catholique de Louvain, mobilise les réflexions des scénographes Véronique Caye, Éric Soyer et Peter Missotten dans un dossier s’intéressant à des démarches singulières qui font de l’espace le point de départ et le système organisateur de la création théâtrale. Intitulé « Lorsque l’espace est premier », ce dossier est accompagné d’un carnet de photographies. Suit, dans la partie « Pratiques et travaux », un texte de Marie-Eve Skelling Desmeules qui, en écho à la thématique de ce numéro, propose, à partir …

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