Présentation

Le répertoire : lieu de mémoire, lieu de création[Notice]

  • Jeanne Bovet et
  • Yves Jubinville

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  • Jeanne Bovet
    Université de Montréal

  • Yves Jubinville
    Université du Québec à Montréal

Dans le discours de l’histoire comme dans celui de la critique et de la théorie théâtrales, la notion de répertoire demeure centrale. Mais il apparaît clairement que son emploi dans des contextes culturels, artistiques et nationaux très différents ne saurait se limiter à l’idée de « collection de chefs-d’oeuvre » à laquelle on a longtemps associé le terme. À l’évidence, il n’y a plus un mais une diversité de répertoires et ceux-ci n’offrent plus la même image de prestige et de stabilité qu’auparavant. L’étendue des usages et des appropriations apparaît, en ce sens, le signe incontestable du fait que le champ d’application de cette catégorie ne correspond plus à un « théâtre hégémonique » dont la valeur de référence assurait jadis une fonction de légitimation et de pérennisation. Plus que jamais, le régime de création / production actuel invite à considérer le terme dans ses variations mineures, singulières et hétérogènes qui attestent que l’épaisseur historique ou mémorielle du théâtre est une donnée sans cesse réévaluée et jamais définitivement acquise. Fruit de la collaboration de quatorze chercheurs universitaires provenant d’horizons divers, le dossier que nous présentons ici prend la mesure de cette nouvelle éthique du répertoire en proposant un ensemble d’analyses qui examinent des oeuvres et des corpus dramatiques, des créateurs individuels et collectifs, de même que des situations, événements et contextes qui donnent à penser la manière dont sont rejoués ou réactivés les enjeux du répertoire. Cette perspective générale, qui fait une bonne place au contemporain, n’interdit pas de prendre du recul par rapport aux temps présents. Pour poser les bases de la discussion, il a paru important en effet de revenir sur quelques éléments historiques essentiels. Le premier concerne la période moderne où le répertoire a joué un rôle de premier plan, en fournissant notamment l’occasion et les moyens à la mise en scène de s’affirmer comme le vecteur principal de l’évolution esthétique et du développement institutionnel du théâtre. La figure du metteur en scène apparaît ainsi associée, depuis la fin du XIXe siècle, à une nouvelle dynamique du système théâtral qui repose sur l’acte d’interprétation, entendu au sens de relecture et de renégociation du legs transmis par les textes, et qui devient le gage de la vision artistique originale du créateur. On ne saurait ignorer non plus que dans l’histoire du XXe siècle le « Grand Répertoire » ait été l’objet de convoitises et de luttes tout autant que de renonciations et de redécouvertes éclatantes. Les révolutions entreprises par les maîtres de l’art scénique se donneraient à lire, en ce sens, comme une succession de règlements de comptes avec Shakespeare (Brook), Molière (Planchon), Goethe (Grüber), Goldoni (Strehler) et Pirandello (Vassiliev), dont le statut de « classiques » aura servi ni plus ni moins de valeur-refuge au moment où le théâtre voyait sa position contestée dans le champ culturel. Ce récit canonique de la modernité a le mérite de nommer les forces en présence et de faire apparaître un certain sens de l’histoire qui éclaire l’enjeu du répertoire. Or, il en va des récits de ce genre comme de toute construction narrative dominante qui révèle tôt ou tard ses partis pris et ses points aveugles. Ce récit appartient surtout à une certaine histoire européenne du théâtre dont il faut bien admettre les a priori et les limites, et qui appelle nécessairement l’élaboration de modèles alternatifs de compréhension. Qu’il suffise, à cet égard, de signaler dans ce dossier la présence d’un nombre significatif d’études traitant de la question du répertoire dans des contextes culturels où la modernité, s’il est toujours permis d’employer ce vocable, s’est affirmée suivant des …