La recension des revues de théâtre en langue anglaise en 2009 et 2010 permet de mesurer la volonté d’appréhender l’objet théâtral en tant que point de rencontre réunissant plusieurs perspectives théoriques et pratiques artistiques. Dans de nombreux travaux, les chercheurs accordent ainsi une place non négligeable non seulement aux analyses multidisciplinaires, mais aussi à des oeuvres scéniques qui unissent théâtre, danse, marionnette, mime, soit un bon nombre de pratiques artistiques jugées jusqu’ici minoritaires. Sous l’influence notamment des théories de la performance, les chercheurs sont amenés à repenser ici et là les limites et les définitions du théâtre, pour lui attribuer le plus souvent une fonction active à partir de laquelle le spectateur est appelé à jouer un rôle de premier plan. Non seulement plusieurs dossiers ou articles portent spécifiquement sur les spectateurs, mais d’autres se fondent sur le principe que l’événement théâtral est en soi un lieu de transformations aussi bien pour les individus que pour les collectivités. Une telle perspective s’exprime dans les éditoriaux de Catherine A. Schuler et David Z. Saltz, publiés dans Theatre Journal, qui envisagent de relire certains textes canoniques à la lumière de théories contemporaines, ce qui a pour effet de troubler, voire même de bouleverser, la vision classique de la modernité théâtrale (TJ, vol. 61, no 2). Pour Saltz, cette tendance révisionniste témoigne de la rigueur des recherches diffusées en 2009, lesquelles apportent un regard « revigorant, exaltant et plaisant » (TJ vol. 61, no 2 p. 8) sur l’objet théâtral. Schuler, pour sa part, insiste sur le plaisir généré par le croisement de différents savoirs et qui forment, dans le meilleur des cas, des amalgames étonnants (TJ, vol. 61, no 1, p. vii). Kimberly Jannarone et Matthew S. Buckley s’attardent, dans leurs études respectives, à revisiter l’histoire théâtrale et à questionner certaines interprétations qui ont fait autorité. Dans « Audience, Mass, Crowd : Theatre of Cruelty in Interwar Europe » (TJ, vol. 61, no 2), Jannarone remet en cause la place occupée par l’oeuvre théorique d’Artaud, considérée comme une figure de proue d’un théâtre progressiste en Europe, pour la situer davantage dans le contexte historique de l’Entre-deux-guerres. En interprétant Le Théâtre et son double à partir des relations entre les acteurs et les spectateurs, de même qu’à travers le développement de la culture de masse et ses ramifications dans le monde théâtral des années 1930, l’auteure met en lumière les affinités idéologiques de l’oeuvre d’Artaud avec les théâtres fascistes italiens et allemands davantage qu’avec les avant-gardes historiques. Matthew S. Buckley remarque, quant à lui, dans « Refugee Theatre : Melodrama and Modernity’s Loss » (TJ, vol. 61, no 2), que, si le mélodrame met souvent en scène des personnages exilés, c’est son exclusion, aussi bien dire son exil, de l’histoire officielle du drame qu’il convient aujourd’hui de requestionner. Déplorant cette situation, l’auteur fait valoir que le mélodrame a alimenté la culture et l’imaginaire modernes à travers son esthétique et la vision du monde qu’il véhiculait. Partant du principe selon lequel l’émotion du public est prépondérante dans ce genre théâtral, Buckley s’intéresse à la manière dont la reproduction du modèle mélodramatique a pu changer, affecter et transformer le public à travers le temps, notant du même coup qu’il imprègne encore largement la conscience du spectateur contemporain. Cette volonté de réaffirmer la place que le théâtre occupe dans une histoire artistique et culturelle se manifeste également dans l’article de Harry J. Elam Jr. et Michele Elam. Dans « Blood Debt : Reparations in Langston Hugues’s Mulatto » (TJ, …
Canadian Theatre Review (CTR), nos 137, 138, 139 et 140, 2009, et no 141, 2010Modern Drama (MD), vol. 52, nos 1, 2, 3 et 4, 2009New Theatre Quaterly (NTQ), vol. 25, nos 1, 2, 3 et 4, 2009, et vol. 26, no 1, 2010Theatre Journal (TJ), vol. 61, nos 1, 2 et 3, 2009[Notice]
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Tanya Déry-Obin
Université Concordia