Dans le paysage théâtral de Belgique francophone, René Kalisky représente une sorte d’hapax. Connu mais relativement peu joué sur les scènes, commenté dans un métadiscours scientifique (Marc Quaghebeur, Michèle Fabien, notamment), il ne semble pas vraiment appartenir au monde du théâtre alors qu’il ne paraît pas davantage relever du champ littéraire. Kalisky serait ainsi surtout porté par un réseau (passant par les articles de Marc Quaghebeur, les critiques de Jacques De Decker et le soutien des Archives et Musée de la Littérature) s’il n’avait été aussi mis en scène par Antoine Vitez, ce qui lui assura une certaine forme de reconnaissance dans le monde théâtral. La raison de ce statut ambigu est notamment à chercher dans son écriture dramatique déroutante et peut-être trop singulière pour une époque, la fin des années 1960, en mal de collectif. Sans s’engager réellement dans l’analyse de ce paradoxe, l’ouvrage de Serge Goriely entreprend une analyse systématique de l’écriture de Kalisky à travers l’ensemble des pièces que celui-ci a écrites. Pointant la reconnaissance dont a bénéficié le dramaturge, notamment à travers le nombre de traductions, il revient sur la réception contrastée de son oeuvre et sur la quasi absence de celle-ci comme objet de recherche. Goriély incrimine la réputation de complexité qui fut associée à ce théâtre et propose de combler un manque en étudiant la dizaine de pièces que Kalisky a rendues publiques. Face à ce corpus mais aussi devant les quelques textes théoriques écrits par Kalisky afin d’éclairer son travail et son positionnement esthétique, Goriely pose la question de la cohérence. Or cette dernière, conclut-il, n’est ni thématique ni formelle. L’unité réside davantage dans le traitement de l’Histoire. Ainsi, ce seront les questions adressées par Kalisky à l’Histoire qui guideront également l’étude de Goriély. Face à la complexité de cette oeuvre, le spécialiste avance prudemment, presque précautionneusement, explicitant chaque aspect de sa démarche, discutant tous ses choix, et évoluant au fond sur le mode de la reprise et du développement, mode où se reconnaît le caractère cyclique qui marque aussi le travail de Kalisky. Et Goriély pose effectivement une première hypothèse avec l’idée que le dramaturge aurait construit son théâtre comme un cycle. Mais son analyse reposera davantage sur la notion de surtexte théorisée par Kalisky dans un commentaire d’une dizaine de pages joint à l’édition de la pièce Dave au bord de mer. Goriély s’attache à dégager le lien entre la prise de position esthétique que développe Kalisky dans cette introduction et sa rencontre avec Antoine Vitez. L’auteur dramatique rejette les écritures qui lui sont contemporaines et notamment celles inscrites dans la mouvance brechtienne. Opposé à cette perspective critique, il vise à élaborer un théâtre de la séduction où l’ambiguïté prendrait une place importante. Les textes et le jeu des comédiens qu’il voit sur les scènes ne libèrent pas le théâtre. En tant qu’auteur, Kalisky veut intégrer les apports de Craig qui, avec son concept de « surmarionnette », entendait déjà libérer le théâtre d’un jeu de l’acteur trop conventionnel. À un acteur qui n’interprète ni ne personnifie mais crée, il faut des textes appropriés. Or, l’écriture dramatique n’investit pas cette voie et, dans ce vide, Kalisky, selon Goriély, élit le travail d’Antoine Vitez comme une sorte de modèle. Vitez, on le sait, proposait un théâtre éminemment ludique, un théâtre qui, comme l’écrit Goriély, exposait le simulacre théâtral. Le postulat vitézien selon lequel il est possible de faire théâtre de tout bouscule quelque peu l’autorité du texte pour faire de ce dernier un élément plus relatif du langage théâtral. En contrepoint, Kalisky propose le concept de « surtexte » qui synthétise …
GORIELY, Serge, Le théâtre de René Kalisky. Tragique et ludique dans la représentation de l’histoire, Bruxelles - Paris-Francfort, P.I.E. Peter Lang, 2008[Notice]
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Nancy Delhalle
Chargée de cours à l’Université de Liège (Belgique)