Les premières réflexions qui ont mené à ce dossier ont germé en moi à la suite d’une proposition de Gilbert David et d’Hélène Jacques de participer à un dossier de Tangence consacré au devenir de l’esthétique théâtrale, lequel est paru à l’automne 2008. L’espace d’un été, ce fut l’occasion pour moi de tenter de résumer et de systématiser l’expérience d’une douzaine d’années de critique théâtrale dans un grand quotidien. Dans cette étude, je cherchais à préciser les caractéristiques de certaines expériences particulièrement significatives qu’il m’a été donné de voir et d’analyser. Avaient surtout retenu mon attention les créations qui mettaient à l’épreuve mes limites de critique, en d’autres mots, celles dont le fonctionnement pouvait difficilement être cerné par le biais de la terminologie actuelle. Je me suis alors attaché à décrire en quoi ces objets scéniques fonctionnaient différemment de certains spectacles plus traditionnels. Dans un premier temps, j’ai mis l’accent sur le « dialogisme hétéromorphe » propre à ces nouveaux objets scéniques. Je venais sans m’en rendre compte de mettre le doigt dans l’engrenage de l’interdisciplinarité en un de ses points névralgiques : l’interartistique. L’année suivante, une bourse du CRILCQ m’a permis de réfléchir plus longuement à la manière dont la dramaturgie québécoise pouvait être modifiée par de tels bouleversements formels, accueilli que j’étais à l’Université de Montréal pour une année de recherches postdoctorales. Au terme de ce séjour riche en lectures, en analyses et en cogitations, l’occasion me parut belle d’inviter à une journée d’études des chercheurs, jeunes et moins jeunes, intéressés comme moi par les formes théâtrales contemporaines qui s’élaborent tout près de nous. J’ai constaté que ces interrogations sur les nouvelles pratiques scéniques québécoises étaient bel et bien partagées par d’autres. L’ensemble des considérations rassemblées dans ce dossier débouche aujourd’hui sur une conception des pratiques actuelles qui méritent peut-être d’être pensée comme une « esthétique de la divergence ». Du dialogisme à la divergence, non sans un détour par la polyphonie hétéromorphe, le chemin peut paraître alambiqué. Il révèle à tout le moins la difficulté qu’il y a aujourd’hui à saisir un ensemble d’objets scéniques tranchant avec la production régulière « par-delà la singularité des orientations que prennent les créateurs du théâtre contemporain » (David et Jacques, 2008 : 6). Hans-Thies Lehmann a proposé dans son ouvrage décisif le terme de « théâtre postdramatique » pour désigner ces nouvelles formes scéniques, ce qui aurait pu régler la question pour un certain temps. Ses travaux ont au contraire poussé quantité de chercheurs à s’intéresser davantage à ce champ particulier de la production théâtrale et à essayer de mieux en comprendre le fonctionnement. Ce dossier de L’Annuaire théâtral veut apporter sa contribution à ce domaine de recherche. Le dernier numéro de la revue entièrement consacré à cette question « Regards croisés : théâtre et interdisciplinarité », le numéro 26, remonte d’ailleurs à 1999 et il avait été confié à Marie-Christine Lesage. Il mettait notamment en lumière « l’expérience perceptive que met de l’avant un théâtre situé au carrefour d’autres disciplines » (Lesage, 1999 : 11). Cependant, à l’instar des récents numéros examinant les liens entre le théâtre et les autres arts (« Entre théâtre et cinéma… », no 30, « Cirque et théâtralité : nouvelles pistes » et « Théâtre/ Roman : rencontre du livre et de la scène », no 33), ce dossier ne portait qu’en partie sur des spectacles québécois. La particularité du nôtre est justement de recourir à un corpus limité pour l’essentiel aux pratiques québécoises. Ce choix mérite justification. Premièrement, il s’explique moins par des considérations identitaires à exploiter à partir d’un corpus …
Voix divergentes du théâtre québécois contemporain[Notice]
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Hervé Guay
Université du Québec à Trois-Rivières