Un théâtre qui résiste[Notice]

  • Yves Jubinville

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  • Yves Jubinville
    Directeur

Dans ce numéro, nous présentons à nos lecteurs un dossier sur un phénomène qui touche d’au plus près l’activité théâtrale contemporaine, celle qui prospère et prolifère dans les salles montréalaises et québécoises, mais également un peu partout dans le monde. Comment nommer ce phénomène ? La difficulté avec le contemporain réside d’abord à ce niveau. C’est ce qu’explique le responsable du dossier, Hervé Guay, en évoquant, dans son liminaire, la décennie où il a exercé le métier de critique au quotidien Le Devoir, décennie pendant laquelle il a été confronté à des spectacles résistant à l’analyse, voire au jugement, et qui mettaient en lumière l’obsolescence d’un certain lexique conceptuel encore largement en vigueur aujourd’hui. On lira les études de cet ensemble dans l’optique où chacun des auteurs accepte en effet le risque de circuler sur un terrain non balisé pour décrire des objets qui, à première vue du moins, semblent vouloir marquer une rupture avec des modèles toujours dominants et qui invitent à délaisser, pour en rendre compte, les schémas explicatifs usuels. Hervé Guay parle, ici, de « polyphonie hétéromorphe » et là « d’esthétique de la divergence » pour désigner des spectacles où les différents langages de la scène interagissent entre eux suivant une logique bousculant les hiérarchies habituelles. Il évoque des spectacles, des textes, des artistes et une approche de la création qui commande des modes de production inédits ainsi qu’une nouvelle écoute du spectateur. Nous sommes, ajoute-il, à la lisière des pratiques scéniques interdisciplinaires ou interartistiques et dans la lignée de ce que le critique allemand Hans-Thies Lehmann a décrit, il y a vingt déjà, comme un « théâtre postdramatique ». Mais le terme de « divergence », qui sert ici de point d’appui à la réflexion, indique, à notre sens, beaucoup plus que le décentrement du texte dans la représentation dont parle Lehmann. Il renvoie à la conception, héritée du logocentrisme, qui a longtemps vu dans l’art de la mise en scène l’expression d’une vision unique et cohérente du monde. Cette cohérence serait, aujourd’hui, remise en cause dans les pratiques de plusieurs créateurs scéniques québécois, dont certains, il est bon de le souligner, refusent même l’étiquette de metteur en scène. Des raisons multiples motivent le choix de centrer l’attention sur le territoire québécois, mais elles ne servent aucunement à cloisonner la perspective critique et épistémologique qui se dessine à travers les études de ce dossier. De fait, tout indique qu’il y ait au contraire convergence de cette initiative avec les travaux récents qui, en France notamment, commencent à questionner l’histoire canonique de la mise en scène mais aussi la théorie entourant son avènement à la fin du 19e siècle. Comment penser, historiquement, cette fonction en dehors des catégories classiques d’auteur (auctorias) et d’unicité qui ont contribué à prescrire bon nombre des discours modernes sur la représentation ? C’est en partant du contemporain que les collaborateurs à ce dossier ont choisi de rebrasser les cartes du débat. La section « Pratiques et travaux » accueille, par ailleurs, trois études sur le théâtre hongrois. Celles-ci ont été rassemblées grâce au concours et à l’initiative de Dominique Lafon (Université d’Ottawa), Katalin Kürtösi (Université de Szeged)et Tibor Egervari (Université d’Ottawa). On y trouvera une matière très riche sur l’évolution récente des pratiques scéniques et dramaturgiques dans ce pays ainsi qu’un portrait lucide d’une institution théâtrale marquée à la fois par des changements politiques et culturels importants et par l’influence grandissante des scènes étrangères. Ce numéro 47 de L’Annuaire théâtral inaugure enfin une ère nouvelle qui s’inscrit sous le signe de la coopération avec le Centre de recherche interuniversitaire sur …

Parties annexes