Ces cinq dernières années auront été fastes pour le théâtre de Michel Vinaver. L’auteur a lui-même mis en scène À la renverse d’abord, au Théâtre de l’Est parisien en 2004, puis aux Artistic Athévains en 2006 ; Iphigénie Hôtel ensuite, aux Amandiers de Nanterre cette fois, et toujours en 2006. Par-dessus bord l’a été à son tour, par Christian Schiaretti cependant, au Théâtre National Populaire de Villeurbanne puis au Théâtre de la Colline au printemps 2008, avant que L’ordinaire, monté par Vinaver encore, ne couronne le tout à la Comédie-Française au printemps 2009. Prolonger l’écho de ce succès, c’est l’un des objectifs de la revue Registres : revue d’études théâtrales de l’Université de Paris III – Sorbonne Nouvelle dans son numéro hors série de janvier 2009, intitulé Michel Vinaver : côté texte/côté scène, qui fait largement référence à ces pièces et spectacles-là. Le titre bipartite de ce numéro reflète la structure de l’ouvrage, partagé en deux sections : « Côté texte/Conversations avec Michel Vinaver » et « Côté scène/Michel Vinaver, metteur en scène ». Texte et scène ne sont, en effet, guère susceptibles de se réduire l’un à l’autre chez ce dramaturge qui préfère que son écriture reste « un objet insoluble » dans la représentation (Revue du Théâtre National de Strasbourg, no 21 (février 1990), p. 7). Une contribution critique – la plus développée du recueil – précède toutefois ces deux sections. Sous le titre « Michel Vinaver : la chronique et la poésie » – déjà donné dans le premier numéro de la revue électronique du Théâtre de la Colline qu’elle a dirigé en 2004 et dont plusieurs textes sont ici repris –, Catherine Naugrette – rédactrice en chef de Registres – s’appuie sur la « chronique » rédigée par l’un des personnages de L’ordinaire pour montrer que ce genre narratif, et parfois même le geste du chroniqueur, concerne l’oeuvre entière. C’est que la fiction s’y construit sur fond d’événements historiques, qu’ils soient empruntés à l’Histoire (la guerre de Corée, par exemple, dans Aujourd’hui ou les Coréens, 1955 ; les attaques terroristes du 11 septembre 2001 dans la pièce du même titre), à la réalité économique et sociale (Par-dessus bord, 1969), ou encore à la chronique judiciaire (Portait d’une femme, 1984). La suite de la démonstration recourt à la différence entre chroniqueur et poète exposée par Aristote, que l’écriture de Vinaver déjoue, aux dires de Naugrette, en opérant un incessant travail de montage entre le quotidien et l’historique, l’ordinaire et le politique, et cela, de manière à constituer un vaste « palimpseste mythique » (p. 24). La première section donne la parole à Michel Vinaver dans une série de cinq entretiens réalisés, à une exception près, entre janvier et mai 2004 au Théâtre de la Colline, lequel prête son concours à la publication. Catherine Naugrette ouvre le bal en interrogeant l’auteur sur la « dévastation », sujet auquel elle a consacré une profonde réflexion dans Paysages dévastés : le théâtre et le sens de l’humain (Circé, 2004). Présente dans l’oeuvre depuis sa traduction de The Waste Land de T. S. Eliot – qui fut, pour le jeune Vinaver, un poème fondateur –, cette notion s’avère chez lui moins apocalyptique que liée au « thème de la dégradation universelle ». De plus, dans la pensée vinavérienne, si l’humanité résiste à cette dévastation, c’est qu’elle est d’autant plus sensible au comique de la situation qu’elle ne possède plus d’illusion. Ensuite Vinaver, s’attachant à définir le genre de son oeuvre entre tragédie et comédie, l’apparente à celles de d’Anton Tchekhov et …
Naugrette, Catherine (dir.), Registres : revue d’études théâtrales, « Michel Vinaver : côté texte/côté scène », hors série, no 1 (janvier 2009), 152 p.[Notice]
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Eric Eigenmann
Université de Genève