Cet ouvrage réunit pour l’essentiel les communications présentées lors du colloque international Pour une histoire critique du spectacle militant : théâtre et cinéma militants (1966-1981), tenu en mai 2003 à l’Université de Paris X Nanterre, ainsi qu’à la Cinémathèque française (Chaillot), au Théâtre de l’Aquarium (Cartoucherie) et au Théâtre des Amandiers (Nanterre). On y revient sur la période de 1966 à la fin des années 1970, soit depuis les luttes contre la présence américaine au Vietnam jusqu’à la victoire de François Mitterand en 1981. Cette dernière balise temporelle situe le lecteur quant au corpus retenu, très majoritairement français. En préface, Christian Biet et Olivier Neveux soulignent que leur objectif n’était pas de faire l’apologie du passé mais bien d’examiner « ce qui s’est passé et comment ça s’est passé » (p. 9). Et ils posent d’emblée la question qui sous-tend la plupart des exposés et occupe conséquemment l’esprit du lecteur : « Quelle autonomie peut-on proposer à une forme esthétique lorsqu’une contrainte politique apparaît comme première ? Comment donner à une forme esthétique l’efficacité spectaculaire capable de fonder une adhésion à un message politiquement repérable ? » (p. 10) Le message militant est effectivement lié à un moment de l’histoire, à un événement qui surgit et bouleverse le cours des choses. Militantisme et urgence vont de pair, ce qui entraîne des conditions de création et de production inhabituelles. Quelles sont donc les oeuvres issues de cette « période de surpolitisation », comme la nomme Frédérique Matonti ? Et comment les mettre en valeur, quarante ans après leur production, quand les archives sont rares, que les limites de l’expérience esthétique demeurent évidentes et que les témoins, parfois, s’esquivent ? La première partie de l’ouvrage, « Histoires », s’ouvre sur un entretien d’Olivier Neveux avec Philippe Ivernel, à qui on doit des publications essentielles sur le théâtre d’intervention. Il revient sur les expressions « théâtre politique », « propagande », « théâtre documentaire » et sur celle qu’il préfère : « théâtre d’intervention ». Ce faisant, il rappelle le militantisme du début du siècle avec Bertolt Brecht, Edwin Piscator et l’agit-prop soviétique. À son avis, le travail théâtral des années 1970 s’est souvent référé à une pluralité d’orientations politiques sans jamais se lier jusqu’au bout à une seule d’entre elles, voire à un parti. Les artistes ont plutôt eu tendance à s’approprier des fragments de théorie politique, sans forger d’ensembles théoriques conséquents et cohérents. Ivernel résume ainsi l’impression que nous laisse cette lecture sur les rapports entre le spectacle et le politique, en France, de 1966 à 1981. Isabelle Marinone, pour sa part, présente le cinéma « militant anarchiste » français, qu’elle définit comme étant invisible mais efficace. Invisible, parce que les films sont peu nombreux, mais efficace parce qu’il diffuse un esprit critique et poursuit une lutte active, guidée par la mémoire et la pédagogie. Elle évoque le Cinéma du peuple (début du xxe siècle), le cinéma militant des années 1970 (Groupe Medvedkine, Situationnistes, groupe Cinétracts) et les thématiques majoritairement retenues par ces cinéastes, comme la guerre d’Espagne. La contribution d’Emmanuel Wallon, « L’extrême gauche et l’art en France », est très éclairante quant aux paradoxes relevés chez ceux qui se disent à la fois artistes et militants. Même s’il demeure difficile de saisir la complexité du débat politique dans la France des années 1970, alors que de nombreux groupuscules bousculent idéologiquement les partis et la gauche, Wallon n’est pas tendre envers les « témoins qui s’esquivent » (p. 51), tout en reconnaissant que les archives manquent et que cette période est encore trop proche pour être étudiée de …
Biet, Christian, et Olivier Neveux (dir.), Une histoire du spectacle militant : théâtre et cinéma militants 1966-1981, Montpellier, Éditions L’Entretemps, 2007, 464 p.[Notice]
…plus d’informations
Hélène Beauchamp
École supérieure de théâtre, Université du Québec à Montréal