FR :
Après des années de spectacles aphones et hauts en couleur, la parole s’immisce au Cirque du Soleil par la voix salée d’un travesti new-yorkais vêtu de cuir qui nous convie à accepter le freak en soi. L’article explore, notamment à partir d’ouvrages savants sur les exhibitions et la tradition américaine du freakshow et du sideshow, la paradoxale proposition, à la fois intimiste et discursive, d’une parole revendiquant l’unicité. Zumanity, malgré la promesse d’une intimité spectaculaire, offre des gesticulations érotiques sans but, sans joie ni allégresse. Le sexe demeure, selon les numéros et la susurration voluptueuse du maître de cérémonie, quelque chose qui ne nourrit ni ne rend heureux. Reprocher au cabaret érotique sa vacuité, c’est du même coup critiquer celle de notre société consommatrice et superficielle, représentée en un condensé caricatural à Las Vegas. Avec Zumanity, le Cirque du Soleil s’est éloigné du cirque pour frayer avec l’idée américaine du cabaret allemand de l’entre-guerre. En prêtant la gouverne à des gens de théâtre, le Cirque s’est donné la permission de dévier, encore une fois, des préceptes du genre circassien tout en cherchant à renouveler son style et son bassin de créateurs et d’artisans. Le discours de Zumanity demeure étrangement métathéâtral (et métacircassien), dans la mesure où il affirme la volonté et la capacité du Cirque du Soleil de révéler ses atouts sans gêne ni honte. Le spectacle se targue d’en être un sur l’intime – l’intimité du sexe, le dévoilement de ses désirs, de ses perversions et de ses préférences. En réalité, c’est le Cirque qui s’exhibe. Non pas un individu ni un regroupement, mais une entreprise à vocation culturelle qui révèle son désir de faire américain, d’être vu par et avec ceux qui comptent, de défrayer la chronique mondaine, de souligner sa propre audace.
EN :
After years of colourful yet speechless spectacles, speech arises in a Vegas-based Cirque du Soleil show through the unexpected voice of a leather-clad New York transvestite preaching the acceptance of the inner freak. Tapping into American “freakshow” and “sideshow” scholarship, this article explores the paradoxical discourse on intimacy and uniqueness which emerges in Zumanity. In spite of its promise of spectacular sensuousness, Zumanity offers vain, joyless erotic gyrations. The assorted sexual acts and proclivities in the show fail to titillate in spite of the mistress of ceremony’s voluptuous whispers. To point out an erotic cabaret’s vacuity is to merely comment on superficial consumer society through its Vegas metonymy. The Cirque du Soleil has strayed away from circus with Zumanity where it instead flirts with an American idea of the German cabaret of the twenties and early thirties. By giving free reign to theatre artists, the Cirque has once again challenged the assumptions and expectations of circus while renewing its aesthetics and creative talent. Zumanity’s discourse remains strangely metatheatrical (and meta-circus) in the sense that it insists on the Cirque’s ability to reveal its attributes without prudishness. The show is billed as exploring sensuous intimacy – sexual intimacy, revealing one’s desires, perversions, and preferences. In fact, what precisely is exhibited is the Cirque’s own corporate exhibitionism. In this, we see the Québec cultural corporation’s desire to be American, to be seen and desired, to underscore its own audacious behavior.