![Couverture représentant la thématique Gestes ordinaires dans les arts du spectacle vivant](/fr/revues/annuaire/2018-n63-64-annuaire05147/coverpage.jpg 135w)
L'Annuaire théâtral
Revue québécoise d’études théâtrales
Numéro 39, printemps 2006 Histoire du théâtre et théâtre de l’Histoire Sous la direction de Yves Jubinville
Sommaire (17 articles)
Dossier — Histoire du théâtre et théâtre de l’Histoire
-
Plaidoyer pour l’histoire
-
L’histoire du théâtre : quelle histoire?
Alain Viala
p. 13–26
RésuméFR :
De quoi fait-on l’histoire quand on tente de faire l’histoire du théâtre, et qu’on tente de la faire de façon globale et synthétique (au moins pour le théâtre en français)? La nécessité de tracer une vue d’ensemble interdit en effet de se réfugier dans la commodité de présenter tel ou tel élément comme une « contribution à », mais impose des choix souvent difficiles. Plutôt qu’une réflexion abstraite, sont ici envisagés quatre exemples de spectacles divers de nature mais incluant tous du texte et de la scène. Les concaténations qu’ils révèlent avec différents aspects de l’histoire littéraire, intellectuelle, artistique, mais aussi sociale et politique invitent à considérer que l’histoire du théâtre est nécessairement inscrite dans une histoire culturelle globale.
EN :
Of what do we make history when we attempt to account for the past of theatre, when we endeavour to come to a synopsis, at least in the context of francophone theatre? The need to trace out the "big picture" prevents us from taking convenient refuge in the presentation of this or that aspect as a "contribution to", but also imposes often difficult choices. Rather than relying on abstract theorisation, we instead offer here four theatrical examples, different in nature, yet each one including textual and scenic dimensions. The links they reveal with different aspects of literary, intellectual, artistic, social and political history lead us to consider that theatre history is necessarily embedded within a larger, global cultural history.
-
L’éblouissant soleil ou le mythe du national-classicisme français. Lectures et représentations du « Grand Siècle » : Corneille et le national-classicisme
Christian Biet
p. 27–46
RésuméFR :
Durant l’entre-deux-guerres, Corneille a, le plus souvent, été l’emblème du national-classicisme bleu horizon, puis l’enseigne baroque de l’intellectuel « en crise », puis encore la figure fasciste, nazie, pédagogique, mais qui s’échappe quand on veut la saisir sous les feux des cérémonies, enfin Corneille est devenu le symbole de la famille et de la patrie vichystes. Mais il n’a jamais pu être totalement cerné par ces images : malgré la propagande lénifiante et désespérée d’un Delacour pétainiste, Corneille résiste, pour peu qu’on le lise et surtout qu’on le joue. Le public applaudit aux sentences hautaines, rit aux ambiguïtés, se moque d’Auguste qu’il imagine en Hilter, vibre lorsque Jean-Louis Barrault parcourt la scène l’épée à la main, tandis qu’André Castelot, dans La Gerbe et Rebatet, dans Le Cri du peuple, s’indignent. Brasillach l’a bien vu, Corneille n’est pas simple, et il joue des tours à ceux qui s’en emparent, il ne dit pas une chose puisqu’il met en place des contradictions. Il en dit beaucoup trop. Et si, tout à fait légitimement, la critique et la scène se sont emparés du personnage Pierre Corneille et de ses textes pour les actualiser, au sens de Vitez, il est clair que jamais cette actualisation n’a pu être totalement simple, ou satisfaisante parce que transparente. C’est peut-être là l’intérêt d’un auteur majeur, ou plutôt qu’un auteur de textes fondés sur la mise en place des contradictions, de comédies et de tragédies passionnées de complexité : qu’il résiste à l’interprétation, dans tous les sens qu’ont et qu’ont eu ces mots.
EN :
During the inter-war period, Corneille has been most often the emblem of a sky-blue national classicism, then the baroque badge of the intellectual "in crisis" and then again the figure of fascism, the Nazi, the pedagogue, yet who slips away when one tries to grasp him in ceremonial light. Finally, Corneille has also become the symbol of the family and of the Vichy fatherland. But he has never been completely defined by these images, despite the desperate Leninising propaganda of the likes of the Petainist Delacour, Corneille has resisted, providing he be read and more importandy he be performed. The audience applauds the lofty judgements, laughs at the ambiguities and mocks the Augustus imagined as Hitler; it vibrates as Jean-Louis Barrault crosses the stage, sword in hand or while André Castelot, in La Gerbe and Rebatet in Le Cri du peuple, express outrage. Brasillach was absolutely correct, Corneille is not simple; he plays tricks on those who impudently take him up for he does not represent only one thing; he builds upon contradiction, too much contradiction even. And if, quite legitimately, criticism and stagecraft have adopted the character and the texts of Corneille, to bring them up to date, in the sense of Vitez, it is equally clear that this reinterpretation has never been totally simple nor of complete satisfying transparency. Therein lies, perhaps, the interest of a major author, or rather the author of texts founded on the edification of contradictions, of comedies and tragedies of complexity. It is also the reason that he has resisted interpretation, in all senses this word has and has had.
-
Un genre à part. Le théâtre dans les manuels d’histoire de la littérature québécoise, ou l’histoire d’un revirement spectaculaire
Karine Cellard
p. 47–59
RésuméFR :
Dans la vulgate critique qu’élaborent au XXe siècle les différents manuels d’histoire de la littérature canadienne-française puis québécoise, le genre théâtral tient une place à part qui s’avère symptomatique de son rapport à l’institution littéraire. D’abord exclu par une élite cléricale et traditionnelle qui le juge plus sévèrement que les autres genres littéraires, le théâtre en vient à représenter de manière emblématique, dans les histoires littéraires contemporaines, la laborieuse accession à la modernité de la collectivité québécoise tout entière. En un survol panoramique des manuels d’histoire littéraire publiés depuis le début du siècle, l’article interroge les formes de la jeune tradition dramaturgique et son économie dans le cadre global de l’histoire littéraire québécoise.
EN :
In the critical vulgate developed throughout the twentieth century in various French-Canadian and later Québécois literature history textbooks, drama as a genre holds a particular place which is symptomatic of its relationship to the institution of literature. First excluded from manuals by a clerical and traditional elite who judged drama more severely than other literary genres, it became emblematic, in contemporary textbooks, of the laborious accession to modernity by Québec society as a whole. Through a critical survey of literature history textbooks published since the earlier part of the twentieth century, this article examines the forms of the still young drama tradition and the place it occupies in the larger context of Quebec literature history.
-
Comment sortir du cauchemar? Le discours de l’histoire dans les tragédies des guerres de religion
Samuel Junod
p. 60–74
RésuméFR :
Cet article analyse la tragédie de la Renaissance (Des Masures, Rivaudeau, La Taille, Garnier, Matthieu) et ses rapports avec la notion d’histoire. Si l’histoire garantit la vérité du discours tragique, elle est aussi un principe d’incertitude que la tragédie tente de dissiper. La tragédie de la Renaissance, plus pathétique que didactique ou dramatique, ne parvient que très imparfaitement à donner sens à l’histoire contemporaine, mais elle réussit à enregistrer le sentiment d’emballement qui accompagne la perception de l’histoire. Pour intégrer un discours sur l’histoire passée autant que présente, la tragédie, protestante en particulier, doit sacrifier l’orthodoxie générique.
EN :
This article addresses the notion of history in the French Renaissance tragedies (Des Masures, Rivaudeau, La Taille, Gamier, Matthieu). History traditionally guaranties the truthfulness of the tragic discourse. However, during the time of religious wars, History becomes subject to uncertainty and anxiety. French Renaissance tragedies can be characterized as pathetic rather than didactic or dramatic. Tragic plays are largely unable to decide of the meaning of History, they are only able to register the dominant feeling about historic events. In the tragedies written by Protestant authors in particular, History challenges the Aristotelian criteria, both stylistically and dramatically, since historical facts are more important than the laws of the genre.
-
La figure et la toile : de l’historicisme dans la mise en scène
Didier Plassard et Brigitte Prost
p. 75–96
RésuméFR :
Le concept d’historicisme pourrait être utilisé pour désigner la reconstitution sur la scène d’une époque ou de codes théâtraux du passé, comme on le fait dans la peinture ou l’architecture. Mais c’est dans le sens philosophique du mot, dérivé des études marxistes, que Bertolt Brecht l’a introduit à la fin des années 30. Ce concept a ensuite été repris dans les années 70, avec des significations très différentes : tandis que Brecht voulait montrer le caractère transformable de la société, certains spécialistes l’ont appliqué à toute mise en scène référant de façon précise à une époque, même celle d’aujourd'hui. Les mises en scène considérées comme exemplaires de ce traitement (Georges Dandin et Le Tartuffe par Roger Planchon, Dom Juan par Patrice Chéreau), très influencées par Brecht, ont cherché à représenter les transformations de la société du Grand Siècle. Pourtant, on peut découvrir que cette conception moderne de l’Histoire s’accompagnait de formes beaucoup plus anciennes de relation au passé, telles que l’historia magistra vitae de Cicéron.
EN :
The concept of historicism could be used to designate stage reconstitutions of ancient times or of ancient theatrical codes, as one does in painting or architecture. But it was in its philosophical acceptance, derived from the Marxist studies, that Bertolt Brecht introduced it in the late 1930s. This concept was then used in the 1970s, but with very different meanings: while Brecht intended to show the mutability of the society, some scholars applied it to every production which precisely refers to any times, even today's. The productions usually considered as exemplary of this treatment (George Dandin and The Tartuffe by Roger Planchon, Dom Juan by Patrice Chéreau), very much influenced by Brecht, attempted to represent the social transformations of the Grand Siècle. But one can discover that this modern conception of History was accompanied by much older ways of connecting present to the past, such as Cicero's historia magistra vitae.
-
Ronfard en métaphrase : Le conteneur de l’histoire est assez grand pour tout le monde
Caroline Garand
p. 97–105
RésuméFR :
À travers l’exploration de l’image du conteneur de l’histoire et des modalités formelles de son inscription textuelle, le présent article étudie le traitement réservé à la matière historique dans la dramaturgie de Jean-Pierre Ronfard. Plus précisément, il s’agit de voir comment le dramaturge cherche à contrer la perte du « substrat historique » qui, selon lui, caractérise la société actuelle en proposant une vision d’événements historiques majeurs qui fonctionne par polarisation. Entre outrance et insignifiance, il s’agit avant tout de faire réagir le lecteur/spectateur qui, choqué d’un tel traitement, devrait être amené à s’interroger sur la valeur et le sens réels des événements sélectionnés comme représentatifs d’une histoire plus large.
EN :
Through the exploration of the image of the container of history and of its formal manifestations in the texts, this paper studies the treatment of history in the dramatic works of Jean-Pierre Ronfard. More precisely, the central question is to see how the playwright goes against what he calls the "loss of the historical substratum", which he sees as a dominant feature of the present-day society, with the creation of a vision of history that works by polarization. Between outrageousness and insignificance, the first goal is to make the reader/spectator react, to shock him, which is supposed to create in him the need to reflect about the real value and significance of the historical events shown on the stage and selected as symbolic of a larger history.
Document
-
Prolégomènes à l’étude d’une source documentaire : le traitement du théâtre dans les hebdomadaires montréalais de la Belle Époque
Hervé Guay
p. 109–128
RésuméFR :
L’histoire des spectacles se construit souvent à partir des discours de presse. D’où la nécessité de prendre en compte la spécificité des discours sur le théâtre que l’on retrouve dans les journaux. Entre autres, la notion de genre journalistique s’avère utile pour s’assurer que l’analyse saisit ces documents dans leurs multiples dimensions. Des exemples tirés de la presse hebdomadaire montréalaise de 1898 à 1914 illustrent l’intérêt de ce type d’analyse. Montréal connaît durant cette période un bouillonnement culturel qui se reflète tant dans les salles de spectacles que dans les journaux de langue française. Les hebdomadaires, en particulier, accordent au théâtre beaucoup d’espace et multiplient les articles qui lui sont consacrés. En visant une meilleure compréhension des discours sur le théâtre, des publicités aux critiques les plus fouillées, ce type d’analyse jette un éclairage inédit sur les relations complexes que tissent presse et théâtre au fil du temps.
EN :
Drama and stage histories are often elaborated from media's narratives. Hence the necessity to examine the distinctive features of theatre narratives that we find in newspapers. Notably, the notion of "journalistic genre" is useful to insure that an analysis captures a document within its many dimensions. Excerpts from the Montreal weekly press between 1898 and 1914 illustrate the relevance for this type of research. During this period, Montreal develops a vibrant cultural life that is echoed in art venues as well as in French newspapers. The weekly newspapers, in particular, allocate an important writing space to theatre, publishing many articles on the subject. By aiming to a better understanding of theatre narratives, from advertising to the most critical analysis, our study sheds a new light on the complex relationships between theatre and the press throughout the years.
Pratiques & travaux
-
Présentation
-
La province, parent pauvre de l’histoire du théâtre? Nouvelles recherches sur la Normandie
Florence Naugrette
p. 132–142
RésuméFR :
L’histoire du théâtre en France a longtemps été centrée sur Paris : la centralisation de l’État français a entraîné une valorisation de la reconnaissance parisienne des oeuvres, des dramaturges et des acteurs. La manière dont on a écrit l’histoire du théâtre s’en est ressentie, non seulement par un effet miroir, mais aussi par une accentuation du phénomène, redoublé par le centralisme des études universitaires, l’accès aux sources en études théâtrales étant facilité à Paris par la proximité des grandes bibliothèques. Les histoires du théâtre français sont ainsi généralement limitées à l’histoire du théâtre parisien. Cette situation évolue depuis quelques décennies, grâce au regain d’intérêt pour l’histoire culturelle. Cette étude présente les recherches menées à Rouen en collaboration avec des musicologues, par des enseignants et des étudiants de Lettres, sur la vie théâtrale à Rouen au XIXe siècle. Elle souligne l’intérêt national de ce type d’études, qui ne se cantonne pas dans l’exhumation pittoresque d’un passé purement local, mais met au jour, par la comparaison entre Paris et la province, certains mécanismes de la réception des oeuvres dans leur contexte culturel global.
EN :
The history of French drama has long revolved around Paris: the centralisation of the French state has lead to a valorisation of public success in Paris for actors, authors, as well as for the works themselves. Be it due to a mirror effect, or a feedback effect, this phenomenon can be felt in the way the history of drama has been written: isn't Paris a polar center for dramatic studies, a city where the access to primary sources is made easier by the nearness of the major libraries? The histories of French drama thus usually limit their scope to a history of drama in Paris. This situation is slowly changing, thanks to the new interest for cultural history. The present study sums up studies made in association with musicologists, by Rouen literature lecturers and students, over the theatrical life of Rouen in the XIXth Century. It throws into relief the national interest of this type of research which, far from being the unearthing of a merely local past, exposes through this comparison between Paris and its province, specific processes of a play's reception in a global cultural context.
-
Le théâtre socialiste dans le nord de la France avant 1914
Marjorie Gaudemer
p. 143–151
RésuméFR :
Le double axe de réflexion induit par la problématique « théâtre et histoire » est intéressant pour aborder le théâtre militant en France : il permet en effet de relever la connaissance fragmentaire dont il est encore l’objet aujourd’hui et d’exposer la spécificité de son répertoire. Pour traiter l’histoire du théâtre et l’histoire au théâtre sous l’angle particulier du théâtre militant, le présent article s’appuie précisément sur la pratique artistique des socialistes dans le nord du pays, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Ce faisant, il débouche sur le questionnement de la pertinence de l’appropriation dramatique et de la transposition scénique de l’événement réel à des fins propagandistes.
EN :
The two lines of thought produced by the question of "theatre and history" provide an interesting way to tackle the subject of militant theatre in France: indeed in this way the fragmentary knowledge about it can be collected and the nature of its repertoire described. In order to discuss the history of theatre—and history in the theatre—from the specific angle of militant theatre, this article looks at the artistic practice of socialists in the north of the country, at the end of the XIXth and beginning of the XXth Century. In so doing it leads to questioning the relevance of dramatic adaptation and scenic transposition of real events for propagandist purposes.
-
Le théâtre catholique en France 1920-1940, une identité collective?
Henry Phillips
p. 152–162
RésuméFR :
Pendant les années 1920-1930, la France est témoin d’une campagne, menée par de nombreux commentateurs et critiques catholiques, hostiles à ce qu’ils considèrent un théâtre moralement corrompu, en faveur d’un théâtre qui véhicule des valeurs spécifiquement catholiques. Dans ses Douze leçons sur l’histoire, Antoine Prost s’interroge sur une histoire qui accepte comme légitime la voix collective d’entités particulières qui se désigne par le pronom « nous ». On peut appliquer cette interrogation au cas du théâtre catholique pour savoir si la voix stridente en faveur du théâtre catholique représente le groupe « catholiques ». Cela amène à une réflexion sur un certain nombre d’« entités incomplètes », non seulement dans le rapport du catholicisme à la vie et à la culture nationales après 1905, mais aussi dans le rapport du théâtre catholique au théâtre tout court, où ceux qui parlent « pour » les catholiques cherchent à réinstaurer cette entité comme véritablement collective et dans leur propre milieu et dans la société française en général.
EN :
The 1920s and 1930s in France witnessed a campaign led by Catholic commentators and critics against what they considered to be a morally corrupt theatre in favour of a Catholic theatre articulating Catholic religious values. In his Douze leçons sur l’histoire, Antoine Prost asks to what degree historians can accept as legitimate the collective voice of entities designated by the use of the pronoun "we". This historical question can be applied to the case of Catholic theatre in order to investigate whether the strident voice in favour of Catholic theatre is representative of the group called "Catholics". This leads to the investigation of a number of "incomplete entities", not only in the relation of Catholicism itself to national and cultural life in France after 1905, but also in the relation of Catholic theatre to theatre as a whole, where those who speak "for" Catholics seek to reinstate this entity as truly collective both for their own community and for French society as a whole.
Notes de lecture
-
Entre le miracle et la fatalité. 350 ans de théâtre au Canada français de Jean Béraud
-
PETERSON ROYCE, Anya, Anthropology of the Performing Arts: Artistry, Virtuosity and Interpretation in a Cross-Cultural Perspective, Walnut Creek, CA, AltaMira Press, 2004, 260 p., ill.
-
Safty, Essam, La mort tragique : idéologie et mort dans la tragédie baroque en France, Paris, L’Harmattan, 2005, 421 p.