Résumés
Résumé
Si l’influence de Craig sur Kantor est reconnue par ce dernier, il n’en reste pas moins que l’héritage ne se transmet que partiellement : le passage en effet des catégories du précieux au boueux, des matières riches aux objets pauvres pose la question de la réorientation de l’héritage théâtral à la faveur des événements historiques. La Première Guerre mondiale, ignorée par Craig, est tenue par Kantor comme une césure historique et esthétique définitive, qui dévalue les partis-pris craiguiens. Ainsi, si les poétiques de chacun s’articulent bien sur la mort et sur le Passé, les réalisations scéniques diffèrent radicalement : c'est que les régimes d’historicité ne sont plus les mêmes. Origine perdue, lieu d’éternité où rayonne la Surmarionnette pour Craig, le Passé constitue pour Kantor une catégorie plus instable, mal enfouie, toujours « revenante », à l’opposé de toute nostalgie. C’est cette expérience provoquée par l’accélération et les soubresauts d’une Histoire fossoyeuse qui fait de Kantor un homme de son temps : les objets pauvres, très loin de l’esthétisme craiguien, deviennent alors les réceptacles d’une mémoire fragile, les signes incertains d’un temps qui porte les marques du plus lointain passé alors qu’il date d’hier. Être de son temps, c’est ce que l’Histoire enseigne à Kantor : se situer sur une frontière instable entre art et réalité, constructivisme et émotion, passé proche et présent fuyant, dans l’impureté de la boue.
Abstract
Even though Kantor has recognized Craig's influence on his work, the legacy has only been transmitted: the passage from the categories of the precious to the muddied, from rich materials to poor objects, poses the question of the reorientation of the theatrical legacy in along the lines of historical event. The First World War, ignored by Craig, is held by Kantor to be a definitive cultural and aesthetic break, which undermines Craigian bias. Thus, even though both poetics are articulated around notions of death and the past, the scenic manifestations differ greatly, mostly because the regimes of historicity are not the same. For Craig a lost origin, the place of eternity from which surges forth the Übermarionette, the past constitutes for Kantor a more unstable category, poorly buried, always returning, opposed to all nostalgia. It is this experience, provoked by the acceleration and the jolts of history that make Kantor a man of his age: poor objects, far from a Craigian aesthetic, become the receptacles for a fragile memory, the uncertain signs of a time which bears the marks of a long ago past, although it was only yesterday. To be a man of his time, this is what History taught to Kantor; to position oneself on the border between art and reality, between constructivism and emotion, close past and fleeting present, in the impurity of the mud and mire.