Dossier - Perspectives littéraires sur le rap québécoisEntretiens

« [U]ne force littéraire à aller chercher » : entretien avec Webster (Aly Ndiaye)[Notice]

J’ai beaucoup réfléchi à cette question. Je me rends compte qu’il y a un élément conscient et un autre inconscient. L’élément conscient, c’est que, quand j’avais peut-être 12 ou 13 ans, j’ai été témoin de l’arrivée de la vague hip-hop à Québec. Je fais partie de cette génération pour qui le rap n’existait pas, puis il est arrivé ici. Nous avons été happés par cette vague-là, c’est quelque chose qui nous a marqués, de voir ces nouveaux styles, qu’ils soient musicaux ou vestimentaires. Ces nouveaux codes culturels nous parlaient beaucoup. Et en même temps, j’ai fréquenté le premier groupe de rappeurs à Québec, qui s’appelait Presha Pack et était mené par mon cousin. J’étais un peu plus jeune, mais je tournais autour d’eux et j’étais fasciné par cet élément collectif, ce réflexe de toujours rapper aux coins de rues, partout. Ça m’a touché, et les choses ont continué avec un moment de ma vie où je cherchais un médium d’expression. [Rires.] J’ai toujours eu beaucoup d’imagination, mais je ne savais pas comment articuler cette imagination-là. Je dis toujours que j’aurais voulu dessiner, même encore aujourd’hui j’aimerais dessiner, mais je ne suis pas bon en dessin, puis je n’y ai pas mis de temps. J’aurais toujours voulu jouer d’un instrument, aussi. C’est comme si l’écriture hip-hop se trouvait au croisement du dessin et de la musique parce qu’il y a un élément musical, rythmique et qu’on travaille avec les images en les mettant en mots. C’est une espèce de dessin aussi. Le rap s’est placé sur mon chemin comme ça. Au départ, je rappais les textes des rappeurs américains. Et un jour, je me suis dit : « Pourquoi pas moi? Je pourrais, moi aussi, le faire. » C’est comme ça que j’ai commencé. J’allais à l’école, je rappais « Murder Was the Case » de Snoop Dogg, puis j’ai décidé d’y aller. J’arrivais à l’école et – drôle de coïncidence, c’était dans mon cours d’histoire, l’histoire qui va me suivre aussi pendant longtemps – j’ai pris une feuille de papier et j’ai écrit. J’ai même mis un titre, « Lyrics », puis j’ai écrit mon premier texte. Quelques phrases, puis après, j’ai continué de rapper un autre texte et un autre. Ce sont des feuilles que j’ai encore aujourd’hui. J’ai gardé tous mes textes depuis mon premier. Je l’ai encore, ce texte-là. Souvent, je dis que c’est mon réflexe d’historien de tout garder. Tout, tout, tout ce que j’ai pu toucher, je l’ai gardé. J’ai commencé à écrire comme ça, je dirais que c’est l’aspect conscient. L’aspect inconscient, c’est qu’avec le recul, je me rends compte que c’était la première fois que, à travers le mouvement hip-hop, je me voyais représenté. Dans ma jeunesse – je suis né ici, j’ai grandi ici, durant les années 1980, 1990 –, je ne me suis jamais vu dans les médias d’ici. Aucun média n’a transcrit ma réalité de jeune métis des ruelles de Limoilou. Que ce soit d’un point de vue dit « culturel » ou d’un point de vue social, ce ne sont pas des réalités qui, au Québec, ont été traduites dans nos téléromans, dans nos films. Ça n’a pas été traduit dans nos chansons non plus, ni à la radio. Tout le canevas médiatico-culturel ne s’adressait pas à moi. Mais quand j’ai vu le rap, je me suis dit : « Ah, me voici! C’est là que j’étais tout ce temps-là! » Donc le rap me parlait. Je sais qu’il a parlé à toute cette génération-là : oui, des jeunes issus de l’immigration, oui, des jeunes Afro-Québécois, Afro-Canadiens et aussi …

Parties annexes