C’est au cours de fêtes et de block parties, pendant les années 1970, dans les quartiers afro-américains, afro-caribéens et latino-américains de New York, que le rap aurait émergé; durant ces événements, des animatrices et animateurs (appelés masters of ceremonies, ou MCs) auraient peu à peu pris l’habitude de haranguer la foule qui dansait au rythme de la musique proposée par des disk jockeys (DJs), passant progressivement à l’avant-scène des performances (Rose, 1994; Mitchell, 2001). Le rap, soit l’acte « chanté » et verbal inscrit dans le mouvement plus vaste de la culture hip-hop dont il est en fait le dernier-né (une culture qui comporte plusieurs autres volets : le graffiti, l’art rythmique du D.J., le breakdance, des styles vestimentaires cohésifs et changeants…), s’est construit en continuité avec plusieurs pratiques musicales fondées historiquement et maintenues par les Afro-Américain·es : griots, chants d’esclaves scandés, blues, musique jazz et son rythme syncopé, entre autres (Rose, 1994; Strode et Wood, 2008). Dès ses origines, le rap est donc profondément ancré dans la culture afro-américaine et afro-caribéenne (Low, Sarkar et Winer, 2009; Rose, 1994). Dans ces quartiers new-yorkais où une population noire locale était concentrée, une diversité de membres de communautés immigrantes, surtout d’Amérique latine, s’est vite ajoutée au mouvement (Rose, 1994; Mitchell, 2001). Rappant pour animer des fêtes de quartier, les MCs visent également à conscientiser les foules, à verbaliser le vécu des communautés auxquelles ils et elles appartiennent. Le rap incarne ainsi un moyen de prendre la parole pour des personnes ou des groupes marginalisés. Au rythme de son expansion dans le monde, d’autres communautés, souvent elles aussi marginalisées, investiront à leur tour le genre, adaptant le hip-hop à des identités, à des langues et à des influences locales variées (Mitchell, 2001). De là, le rap connaîtra un essor considérable, peut-être justement parce qu’il offre la possibilité de faire entendre de nouvelles voix. S’intéresser au hip-hop et au rap, c’est donc s’intéresser à un phénomène de culture populaire dans tous les sens du terme, un phénomène changeant et mouvant selon les lieux où il est implanté. Depuis maintenant plusieurs décennies, le Québec fait partie des endroits où des artistes investissent le genre et où un public grandissant s’intéresse à cette production. Dans leur survol historique publié dans Vrai parler en 2020, Olivier Boisvert-Magnen et Félix B. Desfossés insistent sur la double influence qui s’exerce sur le rap québécois : celle des États-Unis, notamment dans les débuts du mouvement (Boisvert-Magnen, 2020), et celle de la France, puisque des artistes comme MC Solaar, IAM, NTM ont pu inspirer les rappeuses et rappeurs québécois à rapper en français (Ibid.). Ce sont au départ les membres des diasporas afrodescendantes qui traversent la frontière et ramènent le rap de New York à Montréal. Le rap new-yorkais sera diffusé par Michael Williams et Butcher T à la station de radio CKGM, tandis qu’une population montréalaise d’origines variées commencera à produire son propre rap. Les pionniers du hip-hop au Québec sont aussi des pionnières : Boisvert-Magnen et Desfossés rappellent que les rappeuses Teddy Bear (Yanick Toussaint) et Blondie B (Ludmila Zelkine) travaillaient ensemble et en plusieurs langues dès le début des années 1980. Il semble cependant que ce soit le succès de groupes fondateurs de rap français, durant les années 1990, qui a contribué à convaincre les maisons de disques québécoises de se lancer dans l’aventure du hip-hop (Savard, 2020; Sarkar et Winer, 2006). Le groupe Dubmatique, influencé par le rap français et sénégalais, marque une ouverture dans la réception des oeuvres par le grand public, avec plus de 100 000 …
Parties annexes
Bibliographie
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