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Introduction

En tant que minorité au Québec, les personnes musulmanes doivent non seulement faire face à des discours islamophobes et à des débats virulents dans les médias (Antonius, 2008), mais aussi composer avec une représentation figée de l’Islam comme étant une antinomie aux orientations non hétérosexuelles (Chehaitly, Rahman et Chbat, 2021; Siraj, 2012). C’est dans ce contexte que les personnes musulmanes issues de la diversité sexuelle au Québec se trouvent à l’intersection de plusieurs expériences d’oppression (Alvi et Zaidi, 2021; Chehaitly, Rahman et Chbat, 2021; Larouche, 2010; Monheim, 2014). En raison de leur orientation non hétérosexuelle, ces personnes sont considérées dans la société québécoise et dans les communautés musulmanes comme s’éloignant des normes sociales attendues des personnes musulmanes (Monheim, 2014; Rahman, 2010). Certaines sont, par conséquent, contraintes de se conformer aux représentations stéréotypées et véhiculées sur les personnes musulmanes, qui sont perçues comme adoptant un mode de vie contraire aux valeurs occidentales et libérales (Leroux, 2013). Elles peuvent se sentir prises entre leur orientation sexuelle et leur adhésion à la religion musulmane, compte tenu des nombreuses présomptions à l’hétérosexualité attendues au sein des communautés musulmanes et des communautés LGBTQ+ envers les personnes musulmanes.

En outre, la possibilité de revendiquer simultanément une identité musulmane et une orientation non hétérosexuelle leur est généralement enlevée (Alvi et Zaidi, 2021; Monheim, 2014; Rahman, 2010). Parallèlement, par peur de représailles et de stigmatisation, elles peuvent difficilement dénoncer les expériences de discrimination qu’elles rencontrent au sein des diverses communautés (Chbat, 2017; Purdie-Vaughns et Eibach, 2008). L’invisibilité de leurs expériences d’oppression engendre ainsi des conséquences multiples à plusieurs niveaux (Purdie-Vaughns et Eibach, 2008).

À un niveau plus personnel, ces personnes peuvent ressentir des sentiments de culpabilité, de tristesse, de honte ainsi qu’un sentiment d’être trahies par Dieu en cherchant à concilier religion et sexualité (Minwalla, Rosser, Feldman et Varga, 2005). Ces sentiments résultent des scripts sexuels religieux traditionnels qui prohibent l’homosexualité (Minwalla et al., 2005). En effet, les prescriptions et les injonctions religieuses peuvent exercer une influence particulière sur la sexualité des personnes religieuses (Ahrold et Meston, 2010; Beckwith et Morrow, 2015). À la lumière de ce qui précède, l’objectif de cette étude est d’explorer les influences des scripts sexuels présents dans la religion musulmane et dans la société québécoise sur le vécu sexuel et le vécu de l’orientation sexuelle des personnes musulmanes issues de la diversité sexuelle. Les scripts sexuels sont notamment les prescriptions et les injonctions religieuses en matière de sexualité en Islam et les normes sexuelles en contexte québécois.

D’abord, les enjeux spécifiques rencontrés par cette population cible issus des écrits scientifiques seront mis en lumière. Ensuite, le cadre théorique et la méthodologie de recherche seront présentés. Les résultats de l’étude seront abordés par la suite, soit l’incidence des scripts sexuels présents dans la religion musulmane et dans la société québécoise sur le vécu sexuel et sur l’orientation sexuelle des participant·e·s, ainsi que leurs expériences de marginalisation et d’opposition identitaire entre leur orientation sexuelle et leur identité religieuse en contexte québécois. Finalement, les stratégies d’adaptation des participantes et participants pour faire face aux enjeux propres à leur vécu sexuel et de leur orientation sexuelle seront énoncées de façon approfondie.

Regard intersectionnel sur les enjeux rencontrés par les personnes musulmanes issues de la diversité sexuelle en contexte québécois

Les personnes musulmanes, qui sont issues de contextes sociaux et géographiques variés à travers le monde, pratiquent différentes coutumes culturelles et possèdent une variété d’interprétations de l’Islam, ce qui influence également les attitudes et les discours concernant l’homosexualité au sein de diverses communautés musulmanes. Cette pluralité de perspectives touche l’interprétation des textes sacrés, l’autorité religieuse et bien plus (Hirji, 2010). Toutefois, les principaux courants traditionnels de l’Islam stipulent que les relations sexuelles ne sont permises que dans le cadre d’un mariage hétérosexuel (Kugle et Hunt, 2012). Conjointement, d’éminents penseurs islamiques traditionnels véhiculent un discours univoque en ce qui concerne l’homosexualité : elle est une perversion qui va à l’encontre de la reproduction et de la nature humaine (Kugle et Hunt, 2012; Siraj, 2009). Par ce discours hétéronormatif omniprésent dans des sociétés musulmanes, un certain opprobre persiste socialement relativement à l’homosexualité (Kugle et Hunt, 2012).

Cependant, des études empiriques menées en Occident rapportent que les personnes musulmanes issues de la diversité sexuelle défendent leur orientation sexuelle. Elles argumentent qu’il n’y a nulle part dans le Coran une citation mot pour mot prohibant l’homosexualité (Ilieff et Moro, 2019; Minwalla et al., 2005). Par exemple, en Angleterre, des membres de l’organisme de bienfaisance Imaan, qui luttent pour les droits sexuels des personnes musulmanes issues de la diversité sexuelle, organisent des ateliers avec des activistes musulmans (Shah, 2016). Ces ateliers visent à démystifier ensemble la charia islamique (Shah, 2016). Cette démystification permet entre autres de produire de nouvelles compréhensions et interprétations de versets coraniques à l’aide d’une approche inclusive et d’égalité des genres (Shah, 2016). De plus, comme autre stratégie afin de faire face à cet antagonisme religieux et sexuel, les personnes musulmanes issues de la diversité sexuelle s’approprient les textes religieux inclusifs qui mettent en avant les valeurs d’amour et de compassion, de même que les fondements de l’Islam comme la tolérance, la justice, l’inclusion et la paix (Minwalla et al., 2005; Siraj, 2012).

Outre ces spécificités du vécu de l’orientation sexuelle des personnes musulmanes, en ce qui a trait à la sexualité des personnes religieuses, plusieurs études démontrent que la religion peut engendrer des attitudes conservatrices chez ces fidèles (Ahrold et Meston, 2010; Beckwith et Morrow, 2005) ainsi que des affects négatifs à l’égard de la sexualité (Fisher, White, Byrne et Kelley, 1988; Lefkowitz, Gillen, Shearer et Boone, 2004). En effet, comme la religiosité « recouvre l’intensité de l’engagement personnel » de l’individu croyant à un système de croyances (Bertrand, 1997, p. 217), ces personnes cherchent à se conformer aux dogmes religieux (Bertrand, 1997).

De surcroît, en contexte occidental, l’intégration des personnes racisées et (im)migrantes à la société dans laquelle elles vivent peut influencer leurs pratiques sexuelles (Iușan, 2013). Les expériences de discrimination et les stéréotypes négatifs à l’égard des personnes (im)migrantes peuvent entre autres expliquer leur degré d’intégration au sein de la société (Yahyaoui, El Methni, Ben Hadj Lakhdar et Gaultier, 2010). Par ailleurs, l’étude d’Ahmadi (2003) menée auprès de personnes iraniennes immigrantes en Suède affirme que des changements peuvent s’opérer en matière de sexualité à la suite d’un processus d’immigration. En effet, elles peuvent développer davantage une vision individualiste de la sexualité axée sur leurs propres besoins et conforme aux normes sexuelles prévalentes dans les pays occidentaux (Ahmadi, 2003), illustrant ainsi l’influence des scripts sexuels d’une société sur les pratiques sexuelles.

Par ailleurs, plusieurs études empiriques documentent les diverses formes de discrimination rencontrées par les personnes musulmanes issues de la diversité sexuelle en contexte occidental (Alvi et Zaidi, 2021; Chehaitly et al., 2021; Monheim, 2014). L’étude de Chehaitly et al. (2021) menée au Québec mentionne que les personnes musulmanes issues de la diversité sexuelle ressentent la pression de devoir choisir entre leur orientation sexuelle ou leur religion. Cela est dû aux représentations dichotomiques et stéréotypées qui leur sont associées (Chehaitly et al., 2021). Il devient ainsi difficile pour certaines personnes musulmanes LGBTQ+ de concilier leurs multiples identités du fait de leurs expériences de marginalisation complexes (Alvi et Zaidi, 2021; Chehaitly et al., 2021). Cette même conciliation génère une détresse psychologique chez certaines personnes, qui s'ajoute au fait de se retrouver à l’intersection de multiples formes de discrimination comme le racisme, l’islamophobie, le sexisme et l’homophobie (Chehaitly et al., 2021). D’une part, elles ressentent le devoir de se plier aux attentes de leurs parents et de leur communauté religieuse en ne parlant pas de leur orientation sexuelle et, d’autre part, en contexte occidental, elles doivent justifier leur adhésion à la religion musulmane et déconstruire les représentations négatives des personnes musulmanes (Chehaitly et al., 2021; Monheim, 2014). Les études empiriques sur le sujet s’entendent pour dire que les diverses expériences de discrimination subies par ces personnes peuvent engendrer un conflit intérieur chez elles, car elles doivent repenser et négocier leur identité (Monheim, 2014; Voirol, 2018). Les résultats de l’étude d’Acosta (2008) soulignent qu’en effet, elles cherchent notamment à créer des communautés leur ressemblant pour ainsi se sentir mieux et développer de nouveaux liens avec des personnes partageant une réalité commune.

Cadre théorique et méthodologie

Dans le cadre de cette étude, la théorie des scripts sexuels a été mobilisée, conjointement avec un cadre analytique intersectionnel (Crenshaw, 2010), afin de favoriser une compréhension plus riche et nuancée du vécu sexuel et du vécu de l’orientation sexuelle des participant·e·s. En premier lieu, les auteurs de la théorie des scripts sexuels, soit Simon et Gagnon (1986), soutiennent que les conduites sexuelles sont construites socialement et s’apprennent par les scripts sexuels qui servent de « guides » aux individus afin de reconnaître une situation ou un contexte sexuel (Gagnon, 2008, p. 78). L’organisation et la structuration des scénarios sexuels se font par le biais de trois principaux scripts interreliés à travers lesquels se construit la sexualité : les scripts culturels, les scripts interpersonnels et les scripts intrapsychiques.

Tout d'abord, les scripts culturels proviennent des prescriptions collectives quant à ce qui est acceptable ou non en lien avec la sexualité dans une société (Brickell, 2006; Simon et Gagnon, 1986, 2003). En effet, selon Simon et Gagnon (1986), les scripts culturels constituent la toile de fond de la sexualité des individus appartenant à une même société et sont souvent prédictifs du comportement sexuel réel d’une personne. En ce qui a trait à cette étude, les scripts culturels sont principalement les injonctions et les prescriptions religieuses en matière de sexualité, ainsi que les normes sexuelles dominantes dans la société québécoise. Le deuxième niveau de script, soit les scripts interpersonnels, se définit comme étant l’interaction entre deux individus lors d’une situation sexuelle donnée (Simon et Gagnon, 1986). Lorsque les individus construisent les scripts sexuels qui leur conviennent le mieux, ils se les approprient en tenant compte de leurs préférences ou désirs sexuels. Ces scripts choisis sont ainsi présents lors des interactions entre des partenaires intimes à l’aide d’une séquence ritualisée d’actes (Simon et Gagnon, 1986). Ces rapports intimes ont lieu lorsque les personnes impliquées jugent que leurs comportements répondent aux attentes sexuelles souhaitées de l’autre, attentes influencées par les scripts culturels (O’Byrne et Watts, 2010; Simon et Gagnon, 1986, 1987). Ce niveau de script permet d’identifier dans le discours des participant·e·s leurs pratiques sexuelles adoptées avec leurs partenaires intimes, ainsi que de mieux comprendre et d’expliquer la négociation interpersonnelle de leurs limites et leurs désirs sexuels.

Enfin, le troisième niveau de script sexuel, soit les scripts intrapsychiques, représente les schèmes cognitifs distincts d’une personne qui proviennent d’éléments d’origines diverses, comme les fantasmes sexuels, les scripts culturels et des éléments d’expériences personnelles (Simon et Gagnon, 1986). Documenter les scripts intrapsychiques des participant·e·s permet d’identifier leurs préférences et leurs limites en matière de sexualité influencées par les scripts culturels provenant de la religion musulmane et de la société québécoise.

Étant donné que la théorie des scripts sexuels met de l’avant les influences sociales sur la sexualité humaine (Brickell, 2006; Simon et Gagnon, 1986) mais qu’elle ne théorise pas explicitement les inégalités sociales au sein des relations interpersonnelles et intimes (Brickell, 2006), la théorie de l’intersectionnalité a également été mobilisée afin de tenir compte des conséquences négatives des expériences d’oppression rencontrées par les participant·e·s. L’intersectionnalité permet d’illustrer les relations complexes entre différentes catégories d’oppression (Crenshaw, 2010) ainsi que les conséquences du croisement de ces catégories sur le vécu sexuel et le vécu de l'orientation sexuelle.

Au niveau méthodologique, comme cet objet de recherche est un sujet sensible et peu documenté dans les écrits scientifiques, une recherche qualitative et exploratoire s’avérait pertinente. Également, l’entretien semi-dirigé a été choisi comme méthode de collecte de données afin d’obtenir une compréhension plus profonde des expériences de vie des participant·e·s. Plusieurs critères d’éligibilité devaient être respectés pour participer, soit 1) avoir 18 ans ou plus et vivre au Québec, 2) être en mesure de mener l’entrevue en français, en anglais ou en arabe, 3) avoir eu au moins une fois une pratique ou des pratiques sexuelles avec une personne du même genre que soi et 4) s’identifier comme une personne musulmane croyante. Afin d’avoir un critère clair de ce que signifie être une personne musulmane, nous avons choisi de spécifier qu’il fallait s’identifier comme une personne musulmane croyante, afin de s’assurer que les personnes interviewées ne soient pas des personnes qui s’identifient seulement à la culture musulmane sans toutefois croire en Dieu. Dans cette étude, l’accent est mis principalement sur la dimension de la foi religieuse.

Onze participant·e·s ont été interviewés et les entrevues menées en anglais et arabe ont été traduites en français. Parmi ces personnes, 8 étaient nées ailleurs qu’au Québec, et plus précisément dans des pays arabo-musulmans. Parmi les 3 participant·e·s nés au Québec, un homme était nouvellement converti à la religion musulmane. Les 10 autres participant·e·s étaient issus de communautés arabo-musulmanes. Leur âge était compris entre 20 et 61 ans. En ce qui a trait à l'identité de genre, 2 personnes s’identifiaient comme femme, 2 personnes comme non binaires et 7 comme homme. Les orientations sexuelles des participant·e·s étaient diverses : 3 s’identifiaient comme homosexuel·le, 1 comme bisexuel-pansexuel, 1 comme asexuel·le·, 1 comme lesbienne, 2 comme gai, 1 comme hétérosexuelle flexible, 1 comme queer et 1 personne n'a pas souhaité faire mention de son orientation sexuelle (voir la section Définitions à la fin du texte). Finalement, la majorité des participant·e·s était de courant sunnite (sunnisme, s.d.). Des prénoms fictifs ont été attribués aux participant·e·s et sont utilisés dans les prochaines sections.

Par ailleurs, plusieurs questionnements éthiques ont émergé lors de la réalisation de cette étude. Étant donné que la communauté musulmane au Québec est relativement petite, il a été important de vérifier qu’aucun·e participant·e n'était connu·e de la chercheuse, elle-même musulmane. Également, lors des premiers contacts avec les participant·e·s, des rencontres téléphoniques ont été planifiées afin de prendre le temps d’expliquer les intérêts de la chercheuse liés à ce projet, sachant la sensibilité associée à ce sujet. De plus, tout au long des démarches méthodologiques et de l’élaboration de ce projet, les enjeux éthiques ont été pris en compte par souci de respect de la vie privée des participant·e·s.

Résultats

Incidence des scripts sexuels sur le vécu sexuel et le vécu de l’orientation sexuelle

De manière générale, l'un des premiers moyens mis en place par les personnes musulmanes leur permettant d'articuler leurs pratiques sexuelles à leur pratique religieuse est la réduction de leur répertoire sexuel. En effet, la majorité des participant·e·s rapportent que certaines pratiques, telles que les pratiques anales, les pratiques lors du cycle menstruel et les pratiques BDSM ne sont pas pratiquées par plusieurs afin de respecter les injonctions religieuses :

Moi, je pars souvent du principe que s’il y a un précepte ou une ordonnance, c’est pour notre bien même si parfois c’est difficile à trouver pourquoi, mais je dirais par exemple pour ce qui est de la sodomie, pour moi c’est un grand non pis ça toujours été une limite autant religieuse que morale.

Hind, 26 ans

La volonté de respecter les injonctions religieuses en matière de sexualité amène donc les participant·e·s à s’imposer certaines limites sexuelles. Parallèlement, pour certain·e·s participant·e·s, l’abstinence sexuelle est adoptée afin de contrer un sentiment de culpabilité associé aux pratiques entre personnes de même genre. De plus, plusieurs participant·e·s ressentent des affects négatifs lors des pratiques sexuelles avec leurs partenaires, constat également fait par de nombreuses études empiriques menées auprès de personnes croyantes hétérosexuelles ou issues de la diversité sexuelle (Fisher et al., 1988; Lefkowitz et al., 2004; Monheim, 2014; Siraj, 2012) :

Je me pose des questions parfois, est-ce que ce que je fais, est-ce que c’est halal ou haram tu sais. Et parfois même après avoir fait l’acte, je sens une culpabilité. Ça arrive souvent. Et ça me fait même de l’anxiété parfois. J’ai peur, j’ai peur. Je me dis, je suis en train de faire quelque chose qui n’est pas accepté.

Hassan, 36 ans

Pour d’autres, l’abstinence sexuelle est un moyen de se protéger des représailles potentielles de leur famille :

Je ne pouvais pas pratiquer ma sexualité parce que j’étais dans le risque. Dans le sens où tu es toujours dans la crainte qu’on divulgue ton identité. C’était seulement ça ma seule crainte.

Fatima, 33 ans

L’abstinence, maintenue dans des périodes délimitées, est ainsi une pratique ponctuelle pour certains et un moyen de protection pour d’autres. L’influence des scripts religieux teinte par conséquent de diverses façons le vécu sexuel des personnes rencontrées. Bien que cette influence soit présente, la majorité d’entre elles cherchent dans leurs relations interpersonnelles à avoir des pratiques sexuelles en concordance avec leurs désirs sexuels et leurs limites sexuelles. Selon les circonstances particulières de leur vie, un processus d’apprentissage de soi et de leurs propres envies est une étape cruciale.

Au niveau des normes sociales, les scripts sexuels présents dans la société québécoise se répercutent également sur les manières dont les personnes musulmanes non hétérosexuelles conçoivent leur sexualité et leurs pratiques. La majorité des participant·e·s mentionnent effectivement que les scripts présents dans la société québécoise leur permettent de développer une sexualité plus individualiste centrée sur leurs besoins et leurs limites sexuelles. À ce propos, Simon et Gagnon (1986) distinguent les sociétés collectivistes dites paradigmatiques, caractérisées par une forte adhésion aux scripts culturels en matière de sexualité, des sociétés individualistes dites postparadigmatiques, où les normes sexuelles sont moins consensuelles et les individus moins contraints à les suivre. Depuis les années 1960 au Québec, on observe une adoption de comportements individualistes et une promotion de la libération sexuelle (Lévy et Dupras, 2008). En ce sens, les participant·e·s de cette étude, nés majoritairement ailleurs qu’au Québec et en provenance de sociétés arabo-musulmanes, adoptent une vision de la sexualité plus centrée sur leurs besoins sexuels :

Mmm… Ben je dirais qu’au niveau du Québec, ce qui m’influence, c’est que souvent je me dis ben si ça me fait, si j’ai envie de le faire pis si je peux en retirer du plaisir, ben je vais le faire.

Hind, 26 ans

C’est le cas de Nasser, Fatima et Zayn, qui expliquent avoir plus envie d’expérimenter au niveau sexuel et d’accorder plus d’importance à leur sexualité. Pour Nasser, l’expérimentation de sa sexualité se manifeste à travers la possibilité d’explorer son corps avec des jouets sexuels. Pour Zayn, l’expérimentation s’exprime dans le fait de s’engager dans des relations intimes « moins monogames ». Néanmoins, les participant·e·s rapportent avoir une moindre adhésion aux scripts culturels au Québec en leur attribuant moins d’importance dans leurs expériences sexuelles. Iels cherchent plutôt à attribuer et donner un sens aux scripts culturels qui les rejoignent le mieux et qui répondent à leurs besoins sexuels. Ainsi, un changement de perspective au niveau des représentations de la sexualité ressort avec évidence à la suite de la migration pour la majorité des participant·e·s. Leur vécu sexuel est par conséquent modulé par leurs expériences sociales et interpersonnelles, de même que par leur processus de migration.

Au niveau de leur orientation sexuelle, les influences des scripts présents dans la religion musulmane et dans la société québécoise sont temporaires. En effet, elles fluctuent en fonction de la relation que les participant·e·s entretiennent avec la religion musulmane ainsi qu’en fonction du niveau d’acceptation de leur orientation sexuelle, constat rapporté au sein de nombreuses études (Chbat, 2017; Ilief et Moro, 2019; Minwalla et al., 2005; Rahman, 2010). Par exemple, plusieurs participant·e·s soulèvent une difficulté à se distancer d’un sentiment de culpabilité, ainsi qu’une difficulté à accepter leur orientation sexuelle à cause des injonctions religieuses prohibant l’homosexualité :

Je trouvais beaucoup de difficultés à avancer dans ma vie, dans ma voie d’acceptation en tant que gai. Je trouvais beaucoup de contradictions, beaucoup de difficultés.

Oussama, 34 ans

Les participant·e·s doivent se défaire des représentations négatives associées à l’homosexualité qui découlent des scripts religieux afin d’accepter graduellement leur orientation sexuelle (Chbat, 2017; Ilief et Moro, 2019; Minwalla et al., 2005; Rahman, 2010; Voirol, 2018). De ce fait, ces personnes sont affectées par le croisement de divers scripts culturels. Comme leurs réalités se situent à l’extérieur des normes sexuelles, elles doivent par conséquent déployer des moyens adaptés à leurs expériences de vie pour faire face à l’adversité (Minwalla et al., 2005; Siraj, 2012), moyens qui seront déclinés dans les prochaines sections.

Expériences de marginalisation et opposition identitaire entre son orientation sexuelle et son identité religieuse

La majorité des participant·e·s vivent des expériences d’oppression à l’intersection de l’islamophobie, du racisme et de l’homophobie. En effet, en contexte québécois, iels disent être affectés par des scripts culturels qui présentent les personnes musulmanes comme ne pouvant pas être issues de la diversité sexuelle. La non-reconnaissance de l’existence simultanée de leur identité musulmane et de leur orientation sexuelle les place dans une situation difficile et complexe, car iels subissent des conséquences négatives en raison de cette représentation dichotomique et non inclusive des personnes musulmanes, ainsi que l'illustre Fatimac :

Ce sont de fausses perceptions, parce que quand je verbalise que je suis musulmane et que je suis lesbienne, on va mettre directement l’étiquette « mais comment tu fais? Comment tu vis ta sexualité? ». Pourquoi? Parce qu’on encadre comme si on enrobe avec l’argument religieux. « Ah toi tu es lesbienne et musulmane, mais c’est incroyable, ça ne matche pas ça ». Oui ça matche.

Fatima, 33 ans

Cette représentation, également mentionnée par Chehaitly et al. (2021), réduit les personnes musulmanes à un seul groupe homogène, soit des personnes hétérosexuelles et conservatrices, et invisibilise, par conséquent, leur existence réelle (Alvi et Zaidi, 2021; Chehaitly et al., 2021). Ces personnes se retrouvent ainsi à devoir défendre la légitimité de leur orientation sexuelle ainsi que leur adhésion à la religion musulmane. D’une part, elles sont confrontées à la désapprobation de leur orientation sexuelle en raison de leur identité religieuse dans la société québécoise et, d’autre part, à la désapprobation de leur identité religieuse en raison de leur orientation sexuelle dans des communautés musulmanes (Alvi et Zaidi, 2021; Chehaitly et al., 2021) :

Je suis un peu en marge des deux en fait. Moi je me trouve marginalisé chez les musulmans, très très marginalisé, très en minorité encore plus d’être converti. Ça, c’est vraiment là j’ai commis un suicide social comme on dit. Mais par rapport à la société québécoise, je suis marginalisé par ma religion.

Éric, 61 ans

Les personnes musulmanes issues de la diversité sexuelle se retrouvent ainsi dans des situations complexes et parfois nocives. Les participant·e·s risquent des représailles potentielles de la part des membres de leur famille ou de leur entourage dans leur pays d’origine comme au Québec, constat également relaté dans plusieurs études (Chbat, 2017; Chehaitly et al., 2021; Minwalla et al., 2005; Rahman, 2010). Comme nous l'avons vu précédemment, la majorité des participant·e·s est issue de l’immigration et plusieurs constatent qu’il existe une plus grande ouverture sociale quant à la diversité sexuelle au Québec en comparaison des pays arabo-musulmans. En revanche, en raison d’une hiérarchisation sociale rencontrée par les participant·e·s dans la société québécoise, « société majoritairement blanche, francophone, laïque et d’héritage catholique » (Fournier, Hamelin Brabant, Dupéré et Chamberland, 2020, p. 9), iels rencontrent des défis multiples intersectionnels et différents de ceux rencontrés dans leur pays d’origine. Pour certain·e·s comme Fatima, l’expérience d’être une personne racisée, musulmane et lesbienne est difficile, alors qu’elle confie vivre du racisme et du classisme en tant que personne migrante :

C’est un Québec raciste, c’est un Québec classiste, c’est un Québec où toute idée ou toute, en tout cas, pratique de pouvoir colonialiste existe jusqu’à aujourd’hui.

Fatima, 33 ans

Zayn dénonce, quant à lui, la présence d’une vision ethnocentrique au Québec où les « bons » scripts sexuels sont ceux qui prévalent en contexte québécois : « Moi j’ai vraiment l’impression qu’il y a une image véhiculée d’un Islam et d’un monde du Sud arriéré et d’un monde occidental en avance ». Cette critique met en évidence le concept d’impérialisme sexuel, où les scripts sexuels occidentaux sont imposés comme universels et supérieurs, marginalisant ainsi les autres formes de sexualité propres aux pays du Sud (Massad, 2007, cité dans Lautrec, 2023). Des « politiques impérialistes fondées sur (et utilisant) les questions de sexualité » (Rebucini, 2013, p. 89) dans une visée de domination culturelle encouragent conséquemment des discours orientalistes en renforçant une vision réductrice et stéréotypée des populations musulmanes. Ces discours influencent ainsi le vécu de l’orientation sexuelle des participant·e·s, révélant des enjeux spécifiques et inhérents aux réalités des personnes musulmanes issues de la diversité sexuelle.

Au niveau interpersonnel, les différentes formes de stigmatisation qu’iels rencontrent peuvent également prendre place en contexte relationnel ou intime. En effet, il subsiste par exemple un préjugé tenace dans les communautés majoritairement fréquentées par des hommes gais relativement aux hommes arabes qui sont dépeints comme étant ceux qui « pénètrent » et dominent lors des pratiques sexuelles. Trois participants soulignent la présence d’une des composantes du racisme sexuel dans ces communautés, soit des stéréotypes ethnosexuels sur les hommes arabes qui sont dépeints comme étant « agressifs ou sauvages » (Kchouk, 2020). Voici un exemple de ce type d’expérience de racisme sexuel :

C’est avec des partenaires blancs que j’avais vraiment ce sentiment qu’il fallait vraiment que je sois top […] Je sais qu’il y a des fantasmes sexuels qui m’énervent un peu. Parce qu’une fois avec mon ex, il m’a demandé de lui dire de gros mots en arabe. Il ne parle pas arabe ! Ça m’a mis très mal à l’aise.

Zayn, 24 ans

Ces résultats démontrent, par conséquent, que les scripts culturels dominants dans la société québécoise, de même que les expériences interpersonnelles et sociales des participant·e·s lors de rencontres intimes, ont un impact sur le vécu de leur orientation sexuelle et sur leur vécu sexuel :

Sincèrement, je n’arrive pas […] parce que je trouve qu’ils ont des standards très stricts là, comme physiquement parlant comme tu dois être comme ça, la taille, le poids, comme ça, comme ça, les parties […] Je trouve ça très frappant pour moi et très vexant parce que là d'où je viens, on n’entend pas beaucoup de choses sur les standards qui sont très physiques.

Oussama, 34 ans

Ces scripts racistes et stéréotypés placent ainsi ces personnes en situation d’oppression en contexte social et intime.

Stratégies d’adaptation pour faire face aux enjeux propres au vécu sexuel et de l’orientation sexuelle

En ce qui a trait à leurs scripts intrapsychiques, les participant·e·s cherchent à construire leur sexualité de manière authentique en « puisant » dans les scripts sexuels qui leur conviennent le mieux et auxquels iels peuvent s’identifier, comme l'illustre Nasser : « Je ressens devoir moi-même créer mes propres normes, créer ma sexualité ». Il s’agit là d’une première stratégie d’adaptation afin de contrer les influences des scripts sur le vécu sexuel. Iels adoptent également des pratiques sexuelles avec lesquelles iels se sentent à l'aise et refusent certaines pratiques sexuelles ou même toute pratique sexuelle en raison de certaines injonctions ou normes religieuses, comme nous l'avons vu plus haut :

Je pense que oui dans une certaine mesure la religion influence mes pratiques sexuelles. Mmm… dans la mesure où je ne vais pas forcément m’exposer à des risques sexuellement […] Pis je pense que ça vient un peu de la relation à la religion. De vraiment juste pas avoir ce côté moral, mais juste avoir un côté d’essayer d’être responsable par rapport à ma sexualité.

Nasser, 20 ans

Les participant·e·s de notre étude redéfinissent les scripts sexuels et créent les leurs tout en cherchant à respecter une interprétation du texte religieux et des injonctions religieuses qui laissent une marge de manoeuvre à leurs désirs et à leurs pratiques sexuelles.

Au niveau de leurs scripts interpersonnels, plusieurs des participant·e·s identifient des critères spécifiques recherchés chez leurs partenaires intimes afin de se sentir à l’aise avec ces derniers et dernières :

Pis qu’il ait quand même une curiosité par rapport à ma culture, une volonté d’aller au-delà de juste ce qu’on entend parler… mettons si quelqu’un est pro la loi 21, ben moi ça me blesse tu sais par exemple parce que toutes les femmes de ma famille ont le hijab pis c’est tout à fait normal pis ce n’est pas problématique. Alors oui. Je pense qu’il faut qu’il y ait au moins genre une volonté d’accepter d’entendre un avis plus informé sur l’Islam, sur la culture musulmane.

Ayoub, 22 ans

Comme l'ont déjà noté Alvi et Zaidi (2021), les participant·e·s recherchent avant tout un « safer space » avec leurs partenaires afin de se sentir en sécurité et de ne pas avoir à subir des expériences oppressives ou embarrassantes comme des situations de racisme sexuel.

En ce qui concerne la conciliation entre leur identité religieuse et leur orientation sexuelle, les participant·e·s mobilisent plusieurs stratégies afin de contrer les influences des scripts sexuels présents dans la religion musulmane sur le vécu de leur orientation sexuelle. Les travaux d’Eidhamar (2014) soutiennent que les personnes musulmanes LGBTQ font face à des tensions internes qui les conduisent à un choix binaire entre choisir sa foi et ignorer son orientation sexuelle, ou ignorer sa foi et choisir son orientation sexuelle. Dans le cas des participant·e·s de cette étude et comme l'ont mentionné les participant·e·s de l’étude d’Alvi et Zaidi (2021), iels existent plutôt dans un état « d’entre-deux » (p. 1009, trad. libre). En effet, iels doivent passer à travers l’acceptation à la fois de leur identité religieuse et de leur orientation sexuelle. Pour la majorité des participant·e·s, iels commencent par une appropriation personnelle de la religion en se distançant des textes religieux traditionnels ou en adhérant à des textes religieux inclusifs où l’homosexualité n’est pas prohibée et considérée comme un péché (Alvi et Zaidi, 2021; Kugle, 2003; Ilieff et Moro, 2019; Minwalla et al., 2005; Shah, 2016) :

Innover, on peut réfléchir en dehors de ça, ce qui est peut-être un peu paradoxal, une contradiction pour beaucoup, mais qui sait ce que Dieu veut nous montrer à travers son texte. Peut-être qu’il veut juste nous faire dire justement qu’il faut prendre des libertés par rapport à des textes qu’on considère comme éternel et des valeurs d’autorité. Peut-être que c’est justement une invitation à la libre pensée.

Ayoub, 22 ans

Iels développent également une relation positive avec la religion afin de créer un contact direct avec Dieu sans devoir passer à travers la lecture du Coran :

Maintenant, la relation entre moi et Dieu, j’essaie vraiment de la garder d’une façon verticale. C’est vraiment très personnel. Je n’essaie pas d’aller horizontalement, de chercher ce que le cheikh ou le mufti ou l’imam ou X ou Y a dit. Non! Si j’ai quelque chose, je demande à Dieu de manière très personnelle, très verticale et j’essaie de garder cette relation très directe avec Dieu à travers les textes coraniques beaucoup plus. Donc, j’essaie de lire le Coran.

Oussama, 34 ans

L’établissement de cette relation spirituelle authentique avec Dieu démontre, par conséquent, la capacité d’adaptation des participant·e·s à conjuguer leur spiritualité et leur orientation sexuelle. Comme cette conciliation n’est pas sans embûche, leur rapport à la religion et à leur orientation sexuelle est en constante mouvance. Ce rapport est principalement influencé par leurs expériences personnelles ainsi que par la société dans laquelle iels vivent, principalement s’iels sont en situation de danger ou sont susceptibles de subir des représailles de la part de membres de leur entourage. Par ailleurs, pour certain·e·s, bien qu’iels affirment être en paix avec leur orientation sexuelle, iels ressentent parfois des affects négatifs après avoir eu des pratiques sexuelles:

Mais au début, oui je me rappelle j’étais assez coupable pis j’en avais même parlé à mon partenaire à un moment. Je lui avais dit « ah je me sens bizarre ».

Ayoub, 22 ans

Ce déchirement moral, révélé par les travaux de Chamberland (1996), illustre ce processus non linéaire d’acceptation de soi et de son orientation sexuelle afin d’arriver à la conciliation souhaitée pour être le plus authentique possible avec soi-même.

Une autre stratégie d’adaptation mobilisée par les participant·e·s est le fait de s’engager dans un processus de redéfinition des représentations de la sexualité et de l’orientation sexuelle. En effet, plusieurs participant·e·s mentionnent que leur orientation sexuelle va relever du domaine privé :

Maintenant, pour ma sexualité, ça prend un grand espace dans ma vie, mais en même temps ça reste très personnel et privé. C’est comme c’est paradoxal je sais, mais je vis ma vie actuellement de cette façon.

Oussama, 34 ans

Par peur de représailles de leur famille, iels ne révèlent pas leur orientation sexuelle, étant donné qu'il s’agit d’une grande prise de risque. Étudié par Chbat (2012; 2017), le concept de coming out est perçu par les participant·e·s comme une acceptation de soi et non pas comme une forme de divulgation de son orientation sexuelle à son entourage. Parallèlement, deux participant·e·s, dont Nour, mentionnent percevoir l’orientation sexuelle comme étant immuable :

Ben en fait, c’est plus aussi mmm… qu’ils arrêtent de penser que c’est une phase. Ce n’est pas une phase […] Ce n’est pas un choix que j’ai décidé d’être lesbienne.

Nour, 26 ans

Cette perception leur permet notamment d’expliquer à leur entourage qu’iels ne peuvent pas la changer pour une orientation hétérosexuelle, un constat également effectué par Chbat (2012). Ces représentations distinctes établies par les participant·e·s illustrent finalement un besoin d’accepter leur orientation sexuelle et un besoin de se protéger des risques pouvant être encourus (Chbat, 2017; Minwalla et al., 2005). Toutes les stratégies d’adaptation mentionnées par les participant·e·s aux niveaux personnel et interpersonnel démontrent ainsi leur résilience afin de faire face aux situations oppressantes (Bachand, 2014).

Conclusion

Alors que, dans la société québécoise, les personnes musulmanes sont perçues comme des figures de l’altérité (Antonius, 2008), les récits des participant·e·s issus de la diversité sexuelle témoignent d’expériences uniques et de défis complexes et considérables. Ayant comme objectif d’explorer les influences des scripts sexuels présents dans la religion musulmane et dans la société québécoise sur leur vécu sexuel et le vécu de leur orientation sexuelle, cette étude a permis de documenter leurs réalités invisibilisées par plusieurs formes de discrimination en contexte québécois, ce qui infirme les représentations stéréotypées véhiculées à leur endroit. Les scripts sexuels présents dans la religion musulmane influencent le vécu sexuel en réduisant le répertoire sexuel et influencent le processus d’acceptation de l'orientation sexuelle. En effet, le rapport à la religion est en constante évolution vers une conciliation positive entre la foi religieuse et l'orientation sexuelle : iels s’approprient les textes sacrés inclusifs en Islam et adhèrent à des représentations positives de Dieu et aux fondements de l’Islam, illustrant ainsi un dialogue favorable entre l’Islam et les sexualités non hétérosexuelles. D’autre part, face aux influences des scripts sexuels présents dans la société québécoise sur leur vécu sexuel, iels développent un rapport à la sexualité plus positif et centré sur leurs besoins.

En revanche, leur vécu sexuel et le vécu de leur orientation sexuelle en contexte québécois sont influencés par leurs expériences se situant à l’intersection de multiples oppressions. À travers ces influences et l’absence de scripts culturels dans lesquels elles peuvent se reconnaître, ces personnes cherchent un point de repère au sein des sociétés et des communautés musulmanes et de la diversité sexuelle afin d’accepter leurs identités multiples et être elles-mêmes. Les résultats de notre étude mettent ainsi en lumière leur résilience, qui s’est construite en relation avec leur environnement et leurs expériences personnelles, permettant ainsi de déconstruire les représentations dichotomiques et stéréotypées des personnes musulmanes issues de la diversité sexuelle. Néanmoins, il est nécessaire de réaliser d'autres recherches empiriques afin de mieux mettre en lumière le processus de conciliation possible entre la religion musulmane et les orientations non hétérosexuelles. En reconnaissant effectivement les réalités plurielles de ces personnes, les défis particuliers auxquels elles sont confrontées et leurs stratégies d’adaptation mobilisées, nous entamons une réflexion qui doit absolument être faite pour aspirer à un changement social.

La réalisation de cette étude comporte plusieurs limites méthodologiques. En effet, comme l’échantillon est restreint, les résultats de cette recherche ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble des personnes musulmanes issues de la diversité sexuelle au Québec. Il importe de mentionner que la majorité des participant·e·s est originaire de pays arabo-musulmans et il aurait été pertinent de documenter les différences entre les enjeux rencontrés et les stratégies d’adaptation mobilisées par les personnes musulmanes originaires d’autres pays. De plus, la majorité des participants sont passé à travers un cheminement personnel d’acceptation de soi et de leur orientation sexuelle. Aucun·e participant·e n’a été rencontré au début du stade de l’acceptation de soi ou de la découverte de son orientation sexuelle. Cette homogénéité chez les participant·e·s limite ainsi la compréhension des diverses influences des scripts sexuels sur leur vécu sexuel et le vécu de leur orientation sexuelle.