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Introduction

Depuis la fin des années 1990, le Québec sélectionne des personnes immigrantes qualifiées que la province désire accueillir afin de répondre à des besoins de main-d’oeuvre, mais également pour maintenir son poids démographique au Canada et assurer la pérennité du fait français. Choisies principalement sur la base de leur capital humain, certaines se heurtent néanmoins à la difficulté de faire reconnaître leurs compétences en lien avec leur profession prémigratoire. Par ailleurs, les dynamiques d’immigration se sont transformées dans les deux dernières décennies, avec une diversification des statuts d’immigration, tandis que des personnes immigrantes très qualifiées avec des statuts temporaires ou permanents expérimentent des défis liés à leur reconnaissance professionnelle. Leur intégration en emploi est pourtant fondamentale pour l’activité économique de la province, qui a besoin d’une main-d’oeuvre spécialisée, dont des médecins.

Cet article met en exergue la complexité des parcours d’insertion professionnelle et la multiplicité des acteurs de la reconnaissance concernés. Ces différents acteurs se dotent de critères d’évaluation et de sélection, des épreuves, afin de réduire leurs incertitudes vis-à-vis des compétences professionnelles de personnes diplômées à l’international en médecine (DIM). Les compétences des DIM sont ainsi jugées et évaluées par les différents acteurs institutionnels selon leurs propres cadres de jugement, notamment les facultés de médecine.

Mise en contexte : migration et reconnaissance professionnelle de diplômés internationaux en médecine

Comme de nombreux pays de l’OCDE, le Canada fait face à des besoins de plus en plus importants en professionnels de la santé, l’immigration représentant alors une des solutions pour y répondre (OCDE, 2019). Ainsi, au Canada en 2020, la proportion de DIM médecins de famille atteignait 30,7 % et celle de DIM spécialistes 22,1 % (Institut canadien d’information sur la santé [ICIS], 2021). Cependant, au Québec, cette proportion est bien inférieure à la moyenne canadienne, les DIM représentant 7,8 % en médecine familiale et 9,4 % des médecins spécialistes en exercice, et cette proportion est en baisse depuis 2009 (ICIS, 2021).

Si la province accueille des DIM détenant une diversité de statuts migratoires permanents et temporaires leur permettant de s’établir et de travailler au Québec, ces personnes doivent, afin d’exercer leur profession, compléter une série de démarches pour la reconnaissance de leurs compétences et obtenir un permis d’exercice délivré par le Collège des médecins du Québec (CMQ). Notons que le message véhiculé sur l’importance de compléter ces démarches est particulièrement mis de l’avant par le ministère de l’immigration québécois pour le programme de sélection des travailleurs qualifiés, soit des personnes sélectionnées notamment sur la base de leur diplôme, de leur domaine de formation et de leur connaissance du français. En effet, pour ces personnes candidates à l’immigration, le ministère de l’immigration québécois, au moment de nos enquêtes, exigeait la signature d’un formulaire attestant de leur connaissance des difficultés qu’elles pourraient rencontrer pour exercer la profession médicale et du fait qu’elles devront possiblement faire un retour aux études pour obtenir leur permis d’exercice (Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration [MIFI], 2021). Cette déclaration est toujours en vigueur au moment d’écrire ces lignes. Il est important de mentionner qu’aucune autre profession régie par un ordre professionnel n’a l’exigence de remplir ce type de formulaire.

La littérature montre depuis plusieurs années que la reconnaissance des diplômes et des compétences des personnes immigrantes formées à l’étranger voulant exercer une profession réglementée est un processus difficile (Banerjee et Phan, 2014; Côté, 2018; Forcier et Handal, 2012; Zietsma, 2010), long et coûteux à tous points de vue (Bourgeault, 2007; Conseil interprofessionnel du Québec [CIQ], 2019; MacFarlane, 2021) et pouvant s’étaler sur 10 ans (Girard et Smith, 2013). Certaines personnes abandonnent en cours de route, non seulement en raison de la durée, mais également des coûts et des incertitudes (CIQ, 2020; Rashid, Nguyen, Foulds, Djordjevic et Forgie, 2023). Ces difficultés et barrières à la reconnaissance des compétences et à l’exercice de la profession sont d’autant plus prégnantes pour les DIM qui éprouvent des difficultés à faire reconnaître leurs diplômes étrangers, tandis que leurs compétences professionnelles sont parfois considérées comme non transférables ou remises en question, quand elles ne sont pas jugées inférieures aux standards canadiens (Blain et Fortin, 2020; Chowdhury, Lake et Turin, 2023; Dauphinée, 2007; Healey, Fakes et Nair, 2023), ou que la valeur de la reconnaissance de leurs diplômes délivrée par le Collège des médecins est remise en question (Archambault, Tanoviceanu et Ducharme, 2010). De plus, les DIM peuvent être victimes de discrimination lors des entrevues pour la résidence, durant la résidence ou à l’embauche (MacFarlane, 2021; Neiterman et Bourgeault, 2015; Rashid et al., 2023). Les DIM qui ne réussissent pas à se faire reconnaître et à exercer leur profession risquent d’occuper des emplois en deçà de leurs compétences, de vivre de la déqualification ou encore de quitter le pays (Blain, 2016; Chowdhury et al., 2023). Ces situations reflètent un « gaspillage de compétences » (brain waste, Barker, 2020).

Même si plusieurs mesures ont été mises en oeuvre pour améliorer cette situation, les études des quinze dernières années révèlent la persistance du manque de coordination et de collaboration entre les acteurs de la reconnaissance des compétences des DIM, mais également le manque de cohérence dans l’information transmise, voire l’existence de contradictions (Bédard, Cathia, Francis et Moussa, 2018; Béguerie-Goddaert, 2023; Blain, 2016). Cet article porte sur la complexité de la coordination des acteurs institutionnels de la reconnaissance des compétences des DIM, incluant les rôles des facultés de médecine au Québec. En effet, il n’existe pas de mécanisme formalisé où les rôles et responsabilités de chacun des acteurs sont décrits dans le processus de reconnaissance. Cependant, certaines recherches ont montré que, parmi les exigences d’exercice de la profession médicale pour les DIM, les examens préliminaires requis par le Collège des médecins et la difficulté à intégrer un programme de résidence dans une faculté de médecine sont des freins majeurs à l’exercice de leur profession (Béguerie-Goddaert, 2023; Blain, 2016; Blain et Fortin, 2020; Lofters, Slater, Fumakia et Thulien, 2014; MacFarlane, 2021). S’il est légitime de s’assurer de la compétence des DIM souhaitant exercer au Québec, il est pertinent de s’interroger sur les processus de reconnaissance, étant donné qu’il semble y avoir des freins disproportionnés pour plusieurs DIM. Nous mobilisons pour ce faire la théorie des conventions, et nos analyses s’appuient sur deux recherches complémentaires portant sur les trajectoires d’intégration professionnelle de DIM dont l’arrivée au Québec se situe entre 1996 et 2009 (Blain, 2016) et entre 2008 et 2018 (Béguerie-Goddaert, 2023).

Cadre théorique

Pour analyser la complexité de la coordination des acteurs institutionnels de la reconnaissance des compétences des DIM, et notamment le rôle des facultés de médecine au Québec, nous mobilisons la théorie des conventions (Dupuy, Eymard-Duvernay, Favereau, Orléan, Salais et Thévenot, 1989). Une convention est un ensemble de règles sur lesquelles s’accordent des acteurs afin de réduire leurs incertitudes quant à la qualité d’un produit : elle est définie comme « le dispositif constituant un accord de volontés tout comme son produit, doté d’une force normative obligatoire [qui] doit être appréhendée à la fois comme le résultat d’actions individuelles et comme un cadre contraignant les sujets » (Dupuy et al., 1989, p. 143). Dans le contexte de notre analyse, les acteurs institutionnels de la reconnaissance des compétences des DIM ont des incertitudes quant aux compétences professionnelles, ils se dotent alors de critères d’évaluation et de sélection, « des épreuves », afin de réduire ces incertitudes. Lors de ce processus, les compétences des DIM sont jugées et évaluées par les différents acteurs institutionnels locaux selon leurs propres « cadres de jugement ».

Au coeur des processus de reconnaissance, les épreuves servent à évaluer (pour mesurer les qualités), à sélectionner (pour faire un tri, établir une hiérarchie) et à justifier la décision (pour établir les critères qui justifient les choix). Il faut prendre en considération également que l’épreuve est « une situation dans laquelle opère le jugement et ses conséquences en termes de valorisations ou de dévalorisation des personnes (et donc d’inégalité entre les personnes) » (Eymard-Duvernay et Remillon, 2012, p. 109). La réussite des épreuves amène les individus à porter un jugement de valeur sur leur parcours, il s’agit alors de valorisation, et améliore leurs perspectives professionnelles. À l’inverse, une succession d’échecs risque de mener à l’exclusion et à la dévalorisation. Pour Eymard-Duvernay et Remillon (2012), il y a une « dimension de violence dans l’épreuve et quelque chose d’artificiel », ce qui « permet d’accentuer les inégalités » (p. 111).

Selon Eymard-Duvernay (2012), le jugement porté lors d’épreuves d’évaluation doit se faire avec « justesse » (on mesure de façon exacte) et « justice » (on mesure de façon légitime). Cet économiste note également que le jugement est complexe et a plusieurs dimensions : « cognitive » (basé sur des valeurs), « éthique » (conception du bien et du mal), « sociale » (acceptation de la conception du bien) et « politique » (principes de justice), qui répondent à des incertitudes possédant les mêmes dimensions. Ainsi, les conventions de compétences sont des « cadres de jugements » mobilisant des valeurs (dimension éthique), en construction dans des collectifs (dimension sociale) et dans lesquels sont mobilisés des critères de justice (dimension politique). Le jugement doit s’opérer dans ces trois dimensions sans en occulter une, sous peine de voir les évaluations être trop sélectives et mener à l’exclusion ou à la discrimination (Eymard-Duvernay, 2012). Nous analysons les processus de reconnaissance des compétences des DIM à travers ces « cadres de jugement ».

Cadre méthodologique

Cet article se base sur deux recherches ayant adopté une méthodologie qualitative et complémentaire sur les trajectoires d’intégration professionnelle de DIM (Béguerie-Goddaert, 2023; Blain, 2016). Les pays d’obtention des diplômes, et non celui de naissance ou de citoyenneté, ont été considérés, le processus de reconnaissance au Québec se basant sur les lieux d’études.

Les deux collectes de données se sont déroulées entre 2009 et 2012 et entre 2018 et 2020. Au total, 53 DIM ont été rencontrées lors d’entrevues semi-dirigées (n = 31 pour Blain, 2016; n = 22 pour Béguerie-Goddaert, 2023) ainsi que 39 acteurs-clé des milieux institutionnel, communautaire et associatif (11 entrevues non dirigées pour Blain, 2016; 28 entrevues semi-dirigées pour Béguerie-Goddaert, 2023). Dans les deux recherches, des observations ethnographiques ont été réalisées lors d’activités destinées aux DIM, comme les rencontres d’information organisées par le Collège des médecins ou le Bureau de coopération interuniversitaire sur les démarches pour la réalisation d’une résidence dans l’une des facultés de médecine du Québec.

Couplant des perspectives théoriques complémentaires, constructivistes et interactionnistes pour Blain (2016) et conventionnaliste pour Béguerie-Goddaert (2023), ces recherches ont en commun des analyses thématiques portant sur la typologie des trajectoires d’intégration et les expériences et vécus des médecins lors de leurs parcours. Les thématiques couvertes lors des entrevues auprès des DIM ou des acteurs institutionnels abordent de façon transversale les parcours de reconnaissance engagés avant et après l’arrivée au Québec, les critères d’évaluation des compétences professionnelles des DIM, la connaissance du parcours de reconnaissance par les DIM et les acteurs de cette reconnaissance, l’accès à l’information, les différentes étapes à franchir et la durée des parcours pour l’obtention du permis d’exercice de leur profession.

Ainsi, les analyses thématiques de l’ensemble des données ont pu permettre d’illustrer, d’une part, le cadre formalisé de la reconnaissance, c’est-à-dire des informations accessibles par l’analyse documentaire. D’autre part, des éléments plus subtils ont été relevés, tels que le rapport à l’information ou l’interaction entre les acteurs de la reconnaissance, ainsi que des éléments invisibilisés tels que la mise en application des mesures et leurs justifications par les acteurs ou la navigation des DIM dans le système lors des parcours de reconnaissance.

Résultats

Il existe plusieurs voies de reconnaissance des compétences au Québec pour les DIM. Les résultats des deux recherches montrent d’une part que les parcours sont complexifiés par la diversité des épreuves les jalonnant et, d’autre part, que la structure de coordination des acteurs institutionnels de la reconnaissance des compétences des DIM est très complexe. Comme nous le verrons, il existe des tensions entre les différentes conventions de compétences, notamment entre le Collège des médecins du Québec et les facultés de médecine.

La complexité des voies de reconnaissance des compétences

Afin de saisir leurs trajectoires et d’identifier les étapes et les acteurs de la reconnaissance des compétences des DIM, il nous semble important de les mettre en perspective avec le parcours des études en médecine réalisé au Québec (figure 1).

Figure 1

Parcours institutionnels pour l’obtention d’un permis d’exercice du Collège des médecins du Québec

Parcours institutionnels pour l’obtention d’un permis d’exercice du Collège des médecins du Québec
Source : Béguerie-Goddaert (2023, p. 150)

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Une personne débutant ses études sans formation médicale préalable doit suivre des études doctorales durant quatre ans (Préclinique + Externat) et réussir l’examen d’aptitude du Conseil médical du Canada (CMC) partie 1 (EACMC1). Une fois le diplôme MD obtenu, elle s’inscrit au Service canadien de jumelage des résidents (CaRMS) pour être admise dans l’un des programmes de résidence en médecine. Celle-ci dure de deux ans (médecin de famille) à sept ans (spécialiste). Elle passe durant la première année de résidence l’examen d’aptitude du CMC partie 2 (EACMC2). La fin de sa formation est sanctionnée par l’examen du Collège des médecins de famille du Canada (CMCF) pour être généraliste ou l’examen du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (CR) pour devenir spécialiste. Finalement, elle doit réussir la formation du CMQ sur les aspects légaux, déontologiques et organisationnels de la pratique médicale au Québec (ALDO) pour s’inscrire à l’ordre et obtenir un permis d’exercice régulier du CMQ. Ce parcours en deux temps dure de six à onze ans.

L’information concernant la reconnaissance des compétences des DIM est éparse. La recherche documentaire appuyée par les entrevues avec les DIM et les acteurs institutionnels permettent de brosser un portrait détaillé des différentes voies vers l’obtention d’un permis d’exercice du Collège des médecins du Québec. Nous détaillons ici quatre voies principales (figure 1) pour faire reconnaître les compétences menant à l’obtention du permis d’exercice délivré par le CMQ : deux voies vers un permis d’exercice régulier et deux vers des permis d’exercice restrictif. Pour ne pas surcharger le schéma compte tenu de la complexité des parcours, nous n’avons retenu que deux types de permis restrictifs, mais d’autres sont possibles, avec des critères variables. Il est aussi à noter que le tableau ne met pas en relief les parcours réels de reconnaissance, parfois non linéaires, ou bien la navigation des DIM au cours de ces processus, l’objectif du tableau étant de baliser les étapes des voies de la reconnaissance, sa durée et ses critères.

1) La voie de la reconnaissance de la formation initiale pour l’obtention d’un permis régulier est la plus complexe et celle qui a duré le plus longtemps pour les répondants des deux recherches. Sans délai, sa durée est d’au minimum six à huit ans, mais elle s’est souvent étalée sur plus de 10 ans parmi les DIM rencontrés, considérant les délais ou attentes inhérents aux processus. Les DIM doivent faire authentifier leurs diplômes et réussir trois examens, offerts deux fois par an et nécessaires à la reconnaissance de leurs compétences. Cette étape préalable dure minimalement 18 mois, s’il n’y a pas de délais, mais dans nos cas ce délai pouvait parfois dépasser 4 ans. Une fois cette étape réussie, les DIM reçoivent du CMQ l’équivalence du diplôme MD. Ensuite, comme les personnes diplômées du Québec, les DIM envoient leur demande d’admission au CaRMS pour la réalisation de la résidence obligatoire, en médecine familiale ou en spécialité. À cette étape, comme condition aux jumelages, les DIM devront avoir réussi le test de français international (TFI) tandis que certaines facultés de médecine ajoutent comme critère additionnel un maximum de quatre ans d’éloignement de la pratique clinique. Ce sont des critères d’exclusion. Les taux de jumelage pour les DIM sont en moyenne de 30 % au Canada, avec des taux plus favorables pour les personnes diplômées depuis moins de deux ans, pour celles de certaines régions (Europe, Amérique du Nord, Océanie) et pour certaines spécialités comme la médecine familiale (CaRMS, 2022). Les personnes ayant obtenu leur diplôme au Canada sont jumelées à 95 %. Si les DIM ne parviennent pas à être jumelés à cette étape, il leur est possible, selon certaines conditions et compte tenu du nombre de places très réduit, de postuler à un programme de mise à niveau durant un stage de 14 semaines. Ce stage, financé par le ministère de la Santé et des Services sociaux depuis 2010, est administré par le Centre d’évaluation des diplômés internationaux en santé (CÉDIS) et vise à favoriser la réussite subséquente à l’épreuve du CaRMS. Finalement, une fois la résidence terminée et les examens de spécialité réussis, les DIM reçoivent leur permis d’exercice du CMQ. Ajoutons que pour les DIM non francophones, un examen de français supplémentaire de l’Office québécois de la langue française (OQLF) est requis pour l’obtention du permis d’exercice. Il est difficile de donner une durée précise pour cette voie, car beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte. Entre la durée « sur papier » des processus et les durées réelles, une grande marge peut exister, tandis que les coûts, les dimensions de conciliation familiales et économiques, les délais entre chaque étape, les temps de préparation pour chaque examen occasionnent parfois des durées allant jusqu’à 10 à 14 ans avant d’obtenir la licence de pratique. Ces investissements considérables de temps et d’énergie, la prise de risque importante face aux incertitudes des dénouements pour chaque étape expliquent les abandons ou réorientations professionnelles de plusieurs.

2) La deuxième voie du tableau est celle d’un retour aux études au niveau de l’Externat, soit la troisième année d’études doctorales. Sans délai, cette voie dure minimalement 6 à 9 ans. En vertu du décret du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), les quatre facultés de médecine du Québec disposent seulement de 10 places annuellement pour les DIM. Pour appliquer, outre leur dossier d’études, l’excellence de leur note de l’examen théorique du CMC est un critère central pour les DIM, tandis que d’autres éléments peuvent s’ajouter, comme l’examen CASPer et une courte entrevue de sélection. Les étapes préalables, l’examen et l’application, peuvent être dans leur cas d’1 ou ans et, à la suite des deux ans d’Externat, les DIM obtiennent le diplôme MD puis suivent la même voie que les personnes diplômées du Québec. Ce parcours, dont la durée est relativement similaire à celui de l’entrée par la résidence en termes de « délais minimaux », a pour différence fondamentale, selon nos répondants, la plus grande facilité à réussir l’épreuve du CaRMS pour le jumelage, car les DIM sont considérés comme des finissants locaux ou des très récents diplômés. En font foi les taux de jumelage des DIM avec un taux de 90 % pour les diplômés de l’année contre 25 % pour les diplômés des années précédentes (CaRMS, 2022). Il demeure que ce parcours est extrêmement compétitif, puisqu’il n’y a que 10 places annuellement, et qu’il exige une forte préparation à l’examen théorique du CMQ. Un DIM pourrait en outre décider d’appliquer simultanément aux deux voies, externat et résidence.

3) La voie du permis restrictif est très différente et beaucoup plus rapide, la durée minimale allant de quelques mois à 2 ans. Parmi les critères centraux, sont exigées une pratique clinique active d’au moins 12 mois durant les 24 mois précédant la demande, une formation jugée comparable et une promesse d’embauche d’un établissement de santé. Par souci de simplicité, nous séparons cette voie entre les personnes diplômées en France, qui bénéficient d’un arrangement de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles (ARM) signé dans le cadre de l’Accord France-Québec, et les autres. Une personne diplômée de France qui répond aux critères de l’entente ARM devra faire un stage d’adaptation de trois mois dans un établissement de santé au Québec puis, à la condition d’avoir réussi l’évaluation de son stage et la formation ALDO, recevra un permis d’exercice restrictif du CMQ. La seconde voie de permis restrictif s’applique aux DIM de certaines spécialités en demande. Ces personnes doivent avoir été préalablement sélectionnées avec une promesse d’embauche et avoir réussi l’examen du CMC (EACMC1), l’examen de français de l’OQLF, un stage d’évaluation de trois mois et finalement l’ALDO. Dans les deux cas, il est possible de faire la demande d’un permis régulier après 2 ans d’exercice et la réussite de l’examen final de spécialité, ou bien après 5 ans d’exercice, sans examen. Comme pour les voies précédentes, les durées peuvent s’étaler sur une période plus importante que 2 ans, allant jusqu’à 6 ans pour l’un de nos répondants. Les délais pour les examens ou l’accès aux stages, les coûts et d’autres facteurs humains ou organisationnels peuvent alourdir les processus, malgré une promesse d’embauche, un engagement des équipes de ressources humaines et la volonté des DIM. Il demeure que pour les personnes admissibles, il s’agit de la voie la plus simple et la plus rapide.

La plupart des DIM ayant participé à nos recherches connaissaient assez mal les différentes voies. L’information est éparse et plusieurs ont mentionné que les procédures étaient complexes, voire opaques. De plus, certaines personnes ne pensaient pas être admissibles au permis restrictif et n’ont pas fait les démarches. La voie du permis régulier étant la plus diffusée et relayée par les organisations, un nombre important de DIM ayant participé aux deux recherches n’ont pas vérifié leur admissibilité. Dans cette voie, les délais sont centraux, et si les DIM ne vérifient pas rapidement, leur admissibilité relativement au critère d’éloignement de la pratique peut devenir un critère d’exclusion du parcours.

En somme, la théorie des conventions met en lumière la complexité des différents critères d’évaluation et cadres de jugement mis en oeuvre par chacun des acteurs pour juger de la qualité des compétences des DIM et aplanir leurs incertitudes sur les compétences médicales des DIM.

La complexité de l’ensemble des acteurs de la reconnaissance des compétences

Nos recherches révèlent une multitude d’acteurs impliqués dans ce processus de reconnaissance complexe. Nous les avons regroupés dans la figure 2, ainsi que les épreuves par lesquelles les DIM doivent passer pour faire reconnaître leurs compétences, recevoir leur permis d’exercice du CMQ et exercer leur profession. Les DIM doivent réussir successivement ces épreuves, sans quoi une exclusion du parcours est possible et peut empêcher l’exercice la profession de médecin. Par souci de simplicité, nous n’avons pas ajouté les acteurs externes à la reconnaissance des compétences, par exemple pour leur recrutement (Recrutement Santé Québec, Ressources humaines d’établissement hospitalier), l’orientation professionnelle (organismes communautaires, institutions d’enseignement), le soutien académique (soutien à la préparation aux examens par des organisations), voire le soutien économique. Ceux-ci agissent en parallèle du jugement des compétences et de la reconnaissance des compétences des DIM sur lesquelles nous posons notre regard.

Figure 2

La structure de coordination des acteurs institutionnels de la reconnaissance des compétences des DIM au Québec

La structure de coordination des acteurs institutionnels de la reconnaissance des compétences des DIM au Québec
Source : Béguerie-Goddaert (2023, p. 259)

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Le Conseil médical du Canada (CMC) agit comme premier acteur du processus de reconnaissance et du jugement des compétences des DIM en validant l’authenticité des diplômes et en gérant les trois premiers examens. Une fois ces épreuves d’évaluation des compétences franchies avec succès, le CMQ délivre aux DIM l’équivalence du diplôme MD, donnant accès à la résidence en médecine. Les DIM peuvent alors appliquer au Service canadien de jumelage des résidents (CaRMS) regroupant 17 facultés de médecine du Canada. Les quatre facultés de médecine du Québec, Université de Montréal, Université McGill, Université Laval et Université de Sherbrooke, inscrivent auprès du CaRMS les critères de sélection de leurs programmes de résidence, en fonction notamment du nombre de places déterminées par le Décret du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. De son côté, le Bureau de coopération interuniversitaire (BCI) fait la liaison entre les DIM, le CaRMS et les facultés en s’assurant que les DIM reçoivent l’information nécessaire pour leur inscription au CaRMS et l’application dans un programme de résidence. Chaque année, une séance d’information est ainsi organisée pour les DIM avec la participation des quatre facultés de médecine, du CaRMS et du CMQ.

En cas d’insuccès à l’application en résidence, les DIM peuvent soumettre leur candidature pour suivre le programme du Centre d’évaluation des diplômés internationaux en santé (CÉDIS). Leur admissibilité est déterminée après la réussite d’un examen, donc une autre épreuve d’évaluation et de jugement de leurs compétences. Le CÉDIS propose un stage de mise à niveau ou suggère une réorientation si les DIM ne se qualifient pas selon les critères de l’organisme. Le programme prévoit leur accompagnement dans la préparation aux entrevues de sélection pour la résidence par le Centre de ressources en employabilité Montréal Centre-Ville (CREMCV), organisme communautaire d’aide à l’emploi, et l’évaluation des DIM est réalisée lors d’un stage pratique. Lorsque les DIM tentent à nouveau l’application à la résidence à travers la sélection du CaRMS, leurs chances d’être sélectionnées sont augmentées, car les facultés de médecine du Québec jugent la réussite de ce programme comme un gage des compétences des DIM, sans que cela ne garantisse leur sélection. Ce stage de 14 semaines est apprécié par les DIM, notamment parce qu’il les affranchit du critère d’exclusion d’éloignement de la pratique lors de l’étude de leur dossier, avec le bémol que la réussite du programme du CÉDIS n’est pas une garantie de sélection pour la résidence.

Enfin, une fois acceptés dans un programme de résidence d’une faculté de médecine québécoise, les DIM vont, comme les personnes diplômées du Québec, passer les examens du Collège Royal (CR) et du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC) qui sont des examens canadiens.

Toutes les évaluations mentionnées ci-dessus se basent sur les normes prescrites dans le référentiel de compétences CanMEDS, fruit d’une collaboration entre le Collège royal et le CMQ pour déterminer et évaluer les compétences attendues d’un médecin au Canada.

Par ailleurs, pour les DIM ayant obtenu leur diplôme en France et qui bénéficient de l’ARM depuis 2010, le processus est plus simple. Les ARM ont été négociés dans le cadre de l’Entente France-Québec signée par les gouvernements français et québécois. Pour les médecins de France, c’est le Collège des médecins du Québec, le Conseil national de l’ordre des médecins de France et le ministère de la Santé et des Sports de France qui ont établi les conditions de reconnaissance des compétences pour exercer au Québec. En plus de ces conditions, déterminées en amont de la reconnaissance au Québec, une des épreuves pour l’obtention du permis d’exercice délivré par le CMQ est la réussite du « stage d’adaptation à caractère évaluatif de 3 mois » financé par le MSSS.

Nous constatons ainsi que plus d’une dizaine d’acteurs institutionnels doivent se coordonner dans le processus de reconnaissance des compétences des DIM. La sélection et l’évaluation des compétences des DIM, qui se font à travers des épreuves et le jugement de la qualité de leurs compétences par chacun des acteurs institutionnels et selon leurs propres conventions de compétences, peuvent mener à l’exclusion du parcours de reconnaissance des compétences.

Discussion : le rôle central des facultés de médecine dans l’exclusion du parcours de reconnaissance des DIM

Le Collège des médecins du Québec est souvent accusé d’être un frein à la reconnaissance des compétences des médecins formés à l’étranger. Sans minimiser ce rôle, nos analyses soulèvent que l’enjeu de reconnaissance des DIM est plus complexe. La multiplicité des instances officielles impliquées dans l’une ou l’autre étape du processus de reconnaissance, au sein d’un parcours « en silo » où chacune a son propre cadre de jugement des compétences des DIM, est un défi de taille. De plus, chaque étape éliminatoire ne garantit pas la réussite de la suivante et implique des coûts économiques, humains et de temps. Dans la foulée des travaux de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, nos recherches soulèvent aussi la centralité du rôle des facultés de médecine. Avec un taux d’admission en résidence de 33 % pour les DIM au Canada en 2022 contre plus de 90 % pour les personnes étudiantes locales (CaRMS, 2022), ce levier pour la reconnaissance par la formation apparaît plus que restreint. Passage obligé pour un nombre important de DIM, les épreuves d’évaluation appliquées pour leur admission en résidence les excluent dans une proportion importante du parcours de formation.

Plusieurs constats se dégagent de notre recherche. D’abord, pour exercer la médecine au Québec, les personnes immigrantes doivent réussir chaque épreuve, l’une après l’autre, sans sauter d’étape. Si elles échouent une épreuve, elles peuvent, sous certaines conditions, recommencer, mais sans dépasser le nombre de tentatives autorisées pour les examens du CMC ou du jumelage, sans quoi elles seront exclues du parcours. Certaines, à cette étape, opteront pour une réorientation, feront « le deuil » de la médecine clinique, d’autres quitteront le Québec. Une autre portion, face à des voies d’accès fermées, pourraient modifier leurs parcours et opter pour des parcours distincts. C’est le cas d’Andréa, arrivée comme résidente permanente au Québec, qui avait commencé les démarches pour la voie du permis restrictif. Les obligations de réussites de l’EACMC1 et les examens de français l’ont obligée à retourner deux fois pendant plusieurs mois, avec son bébé, au Mexique pour éviter l’éloignement de la pratique. Son employeur l’attendait encore trois ans après, mais des changements administratifs l’ont contrainte à changer de voie. Après avoir tenté le processus de reconnaissance de la formation initiale du permis régulier, elle a finalement réussi à prendre la voie de l’Externat. Son parcours de reconnaissance aura duré 14 ans.

À l’instar d’autres travaux, nos résultats montrent que les mises en échec et les réussites influencent le coût et la durée de la démarche de reconnaissance, sans compter que le risque d’exclusion du parcours est présent à chaque épreuve (Bédard et al., 2018; Healey et al., 2023). Cette situation peut occasionner un sentiment d’injustice chez les DIM et susciter un ressenti de dévalorisation pour des personnes qui étaient médecins dans leur pays d’origine et jugées compétentes. Or le jugement de valeur porté par les acteurs à travers les épreuves pèse sur les individus. Le statut social, la reconnaissance professionnelle et celle des pairs sont mis à l’épreuve lorsqu’il y a exclusion du parcours et ils agissent comme vecteur de déni de l’identité professionnelle des DIM.

Également, lorsque les dimensions éthique et politique du jugement sont absentes, cela provoque de l’injustice et mène à l’exclusion (Eymard-Duvernay, 2012). C’est ce que vivent les DIM qui, dans la voie du permis régulier de la reconnaissance de leurs compétences, ne réussissent pas à accéder à la résidence. Ainsi, l’observation d’une tension entre les deux conventions de qualités du CMQ et des facultés de médecine révèle que la valeur attribuée à la compétence des DIM par le CMQ diffère de celle attribuée par les facultés. Pour le CMQ, la réussite des examens du CMC permet de statuer que les DIM répondent aux critères de compétence pour une demande en résidence. Pour les facultés de médecine, la réussite des examens n’est pas suffisante. Elles exigent de plus que les DIM aient un éloignement de la pratique inférieur à quatre ans, la réussite d’un test de français avec un score plus élevé que ce qui est demandé par les autres ordres professionnels. Ajoutons la non-reconnaissance de l’expérience antérieure et des compétences à travers l’exigence de réaliser une résidence complète pour maîtriser les normes nord-américaines.

De plus, la sélection opérée lors du jumelage CaRMS est inégalitaire (Healey et al., 2023; MacFarlane, 2021; Rashid et al., 2023). Il y a beaucoup de candidats et peu de places, mais surtout, les DIM sont particulièrement touchés par les critères d’éloignement de la pratique selon la spécialité et l’obligation de réussir le Test de français international (TFI) avec un score très élevé. Pour Eymard-Duvernay (2012, p. 20), le paramètre d’ouverture de l’épreuve c’est la « chance d’interruption d’un processus déterministe d’exclusion. Mais elle n’est pas à sens unique : elle peut aussi placer les individus dans un contexte d’incertitude continuelle de leurs qualifications, déstabilisant leur “identité professionnelle”. » Nos résultats montrent que les DIM peuvent, sous certaines conditions, reprendre leurs examens du Conseil médical du Canada (CMC) et de la collaboration nationale en matière d’évaluation (CNE) ou encore bénéficier du programme CÉDIS et refaire une tentative de jumelage avec une faculté de médecine ensuite. Ces épreuves sont donc ouvertes. Cependant, les échecs à l’une ou l’autre étape du parcours sont une difficulté à surmonter, la notion d’épreuve prenant ici tout son sens. Non seulement ces échecs coûtent cher en argent, mais également en temps puisqu’ils allongent la durée du processus de reconnaissance. De plus, les DIM risquent de vivre une dévalorisation de leur identité professionnelle.

Ajoutons un dernier élément concernant la sélection par les facultés de médecine opérée lors du jumelage CaRMS. En plus des critères d’éloignement de la pratique, qui ont d’ailleurs été jugés discriminatoires par la Commission des droits de la personne (Archambault et al., 2010), le niveau de français exigé apparaît un critère éliminatoire disproportionné, dépassant les exigences des autres ordres professionnels, et sans possibilité d’une mise à niveau. Comme le soulignent Eymard-Duvernay et Remillon (2012, p. 109), « l’épreuve polarise les situations, elle accroît les inégalités, ce qui permet de discriminer plus facilement que lorsque le problème est tel que tout le monde peut le résoudre ». C’est la perception de nombreux DIM rencontrés, qui ont dû faire le deuil de leur profession ou ont dû parcourir un long processus de reconnaissance et qui ont partagé leur sentiment d’injustice. L’existence de processus de reconnaissance n’est pas remise en cause, mais plutôt son fonctionnement.

Enfin, le nombre d’acteurs impliqués et les différentes conventions parfois en conflit expliquent la complexité du processus et les défauts de coordination institutionnelle durant le processus de reconnaissance des compétences professionnelles des DIM, puisqu’il n’y a pas de base de coordination de tous les acteurs. Pour les acteurs, la complexité réside dans l’évaluation des connaissances académiques et professionnelles, soit l’évaluation des compétences acquises antérieurement à l’arrivée des DIM mais également dans l’évaluation des compétences selon les standards nord-américains pour s’assurer de l’intégration dans la profession. Pour les DIM, la complexité se trouve dans l’enchaînement d’épreuves qui se succèdent sans pouvoir sauter d’étape, tout en essayant d’anticiper les épreuves à venir.

Conclusion

Les diplômés internationaux en médecine (DIM) qui veulent exercer leur profession au Québec doivent faire reconnaître leurs compétences et obtenir un permis d’exercice du Collège des médecins. Selon les voies de la reconnaissance parcourues par ces personnes, des trajectoires différenciées ont été mises en lumière par les deux recherches, celle de Blain (2016) et celle de Béguerie-Goddaert (2023). La multiplicité des acteurs institutionnels concernés, les différentes conventions de qualité des compétences des DIM et la complexité de certaines trajectoires excluent parfois des DIM des démarches de reconnaissance de leurs compétences. Les acteurs se dotent de normes et de critères d’évaluation des DIM, de cadres de jugements, tentant ainsi de réduire les incertitudes quant aux compétences avant d’autoriser les DIM à exercer leur profession au Québec. Nos analyses ont permis de montrer que la complexité des voies de reconnaissance des compétences et l’accompagnement minimal pour s’orienter dans chacune des étapes rend difficile le choix de la meilleure voie pour les DIM. Ajoutons que la multiplicité des acteurs impliqués, qui travaillent souvent en silo, ne facilite pas la diffusion de l’information nécessaire tant pour accompagner les DIM dans leur parcours que pour la coordination des acteurs à chacune des étapes. Enfin, la discussion a mis de l’avant le rôle central des facultés de médecine dans l’exclusion des DIM du parcours de reconnaissance de leurs compétences.