Corps de l’article

Introduction

En Amérique du Nord tout comme en Europe et ailleurs, la mobilité internationale des étudiants est ancienne. En effet, depuis le Moyen Âge, les universités en Occident ont favorisé le déplacement des étudiants vers leurs centres (Verger, 1991). Toutefois, cette mobilité doit être évaluée à la lumière des changements sociaux profonds que la « super-diversité » (Vertovec, 2007) amène et des contextes propres à l’emplacement des institutions d’enseignement. Fruit de la mondialisation (Giddens, 1990) et favorisé par les effets du néolibéralisme (Harvey, 2005), les mouvements migratoires sont sans précédent (Withol de Wenden, 2017) et avec une grande variété de formes, d’influences, d’articulations et de représentations (Catarino et Morokvasic, 2005 ; Gagnon, 2017 ; Tandonnet, 2003 ; Vatz Laaroussi, 2009). En 2019, nous retrouvons 271,6 millions de migrants dans le monde (Nations unies, 2019) et les chiffres augmentent d’une année à l’autre. Cette tendance est observable au Canada et la province du Québec ne fait pas exception. Ainsi, nous observons une augmentation de la proportion des résidents non permanents[1], qui passe de 0,7 % (52 051) de la population totale du Québec en 2006 à 1,1 % (87 620) en 2016 (Institut de la statistique du Québec [ISQ], 2020, p. 239).

En 2017, il y a près de 4,4 millions d’étudiants internationaux (ÉI) (Nations unies, 2018) qui poursuivaient leur cursus dans un pays différent de celui qui les a vus naître, contre 2 millions en 2003 (Le Bras, 2017). Le désir d’attirer les ÉI dans les universités des pays de l’OCDE s’inscrit dans une tendance à la hausse où l’Australie, le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni accueillent plus de 40 % des étudiants en mobilité de l’OCDE et de ses partenaires (OCDE, 2019). Des considérations économiques, politiques et démographiques de part et d’autre sont à la source de ce type de migration. Dans ce contexte, les universités canadiennes voient leur population étudiante se diversifier et s’internationaliser. Le Bureau canadien de l’éducation internationale (BCEI) affirme qu’il y avait au Canada 642 480 ÉI en 2019, tous cycles confondus, ce qui constitue une augmentation de 13 % par rapport à 2018 (BCEI, 2020). Au Québec, le nombre d’ÉI est passé de 29 460 en 2010-2011 à 53 745 en 2018-2019 (Statistique Canada, 2019), soit une augmentation de 45,2 % en 9 ans.

Dans ce numéro thématique, nous explorons les enjeux associés à cette augmentation au sein des institutions académiques universitaires à travers l’analyse des interactions lors des relations interculturelles dans des contextes variés et variables et les défis qu’ils soulèvent. Les textes remettent en question la vision rependue selon laquelle les études au Canada ou ailleurs dans les pays du « Nord-Global » ne comprennent que des avantages pour les ÉI et que l’état des relations est nécessairement positif. En nous intéressant aux divers acteurs présents sur le terrain et aux particularités des contextes (du milieu universitaire, des individus et groupes en présence), ce numéro met en lumière la complexité des interactions et des contextes particuliers dans lesquels les ÉI s’inscrivent lors de la rencontre de l’Autre. Afin d’élargir le portrait, nous avons aussi inclus un texte portant sur un cas en Bulgarie, pour dégager d’autres questions qui caractérisent la situation des ÉI dans un contexte national différent.

Contexte spécifique aux étudiants internationaux

Nous commençons par la prémisse selon laquelle les ÉI constituent des acteurs placés dans une situation où la réduction des écarts culturels n’est pas toujours prise en considération. En effet, le contexte néocolonial et les structures organisationnelles font en sorte qu’il est difficile, pour plusieurs acteurs, de prendre en considération le parcours migratoire des ÉI ainsi que les différences culturelles lors des interactions. Les universités deviennent, du moins au Canada, de plus en plus agressives dans leurs stratégies d’attraction (recrutement) des ÉI. Le nombre des ÉI augmente d’année en année par ces efforts, mais aussi par la volonté des ÉI de se déplacer pour leurs études. Ces constatations, plus au moins évidentes, nous orientent vers quelques questions :

  • Quel est l’état des relations/interactions entre les ÉI et les acteurs de leurs milieux d’accueil ?

  • Quelle est la situation socioéconomique et académique des ÉI dans le pays d’accueil ?

  • Qu’en est-il des efforts pour répondre aux besoins des ÉI afin de combler leurs objectifs/attentes dans chaque université ?

L’étude des ÉI ne peut pas se limiter aux statistiques de leur admission, de leur diplomation et de leur acquisition de la résidence permanente. Étant donné l’importance qu’ils acquièrent dans un contexte de pénurie de main-d’oeuvre et de déclin démographique au Canada, et ce, en dépit d’un contexte où il semble y avoir une montée du populisme ambiant (Human Rights Watch et Roth, 2017) et un discours anti-immigration persistant (Besco et Tolley, 2018), il est important de se pencher sur le vécu expérientiel des ÉI et sur les éléments de réussite universitaire et d’inclusion sociale, voire citadine, de ces derniers. En d’autres termes, plusieurs niveaux d’analyse sont nécessaires afin de mieux comprendre la situation socioéconomique et académique des ÉI. Un regard élargi, qui prend en considération les contextes particuliers dans lesquels s’inscrivent les expériences vécues par les ÉI, permettra d’illustrer l’état de la situation et les enjeux auxquels nous devons répondre.

Ce numéro thématique comble un vide dans la littérature concernant les ÉI, en ciblant les contextes particuliers (universités et milieu urbain ou régional) du Québec et un cas en Bulgarie, ainsi que les effets de ces contextes dans les interactions et finalement le vécu des ÉI et des acteurs du milieu. Les recherches précédentes se sont concentrées principalement autour des lois d’immigration, des considérations générales sur la situation des ÉI ou sur des cas spécifiques (Belkhodja, 2011, 2012 ; Cooper, Howard-Hamilton et Cuyjet, 2011 ; Gagnon, 2017 Latrèche, 2001). Une approche plus élargie fait donc défaut si l’on veut comprendre la situation socioéconomique, culturelle et affective des ÉI au sein des institutions d’accueil et de leur milieu (contexte spécifique aux quartiers, aux villes, aux territoires, etc.). Ce numéro, par sa portée synchronique et territoriale réunissant des perspectives qui s’intéressent aux enjeux interactionnels (lors des relations interculturelles) au Québec, essaie de répondre à ce besoin. De plus, les analyses portent sur des contextes peu étudiés, à savoir des localités éloignées des métropoles comme Montréal.

En effet, l’ensemble des articles concernant le Québec est issu d’un projet commun réunissant cinq universités (Bérubé, Bourassa-Dansereau, Frozzini, Gélinas-Proulx et Rugira, 2020). Pour de ce projet, un même cadre méthodologique a été proposé afin d’assurer des bases communes et une certaine homogénéité, facilitant les comparaisons au sein de cette recherche exploratoire[2]. Il repose sur huit étapes : (1) l’élaboration d’un document commun avec la problématique, le cadre théorique et le cadre méthodologique ; (2) la demande de certification éthique et l’élaboration du formulaire de consentement pour les participants ; (3) l’élaboration d’un profil de chacun des campus ; (4) l’élaboration des grilles d’entretien pour les groupes de discussion et les entrevues ; (5) le recrutement des participants [ÉI, étudiants locaux (ÉL) et enseignants] ; (6) la collecte des données ; (7) l’analyse des données et (8) la diffusion des résultats de la recherche. Le choix des groupes de discussion suivis d’entrevues permet d’aller chercher des éléments communs en groupe et d’approfondir d’autres éléments lors des entrevues semi-dirigées. Cinq thèmes furent explorés lors des entretiens : (a) la réussite universitaire ; (b) la collaboration avec les acteurs locaux et institutionnels et (c) la communication interculturelle. Pour ce qui est des ÉI, deux thèmes ont été ajoutés : (d) la sécurité psychosociale et (e) le vécu pendant le processus migratoire (intentions initiales et leur évolution).

Deux objectifs animaient les travaux : comprendre l’expérience vécue lors des interactions entre les ÉI et les différents acteurs de leur environnement et identifier les différents enjeux entourant la réussite universitaire et la resocialisation des ÉI. Par resocialisation, nous faisons référence à « l’apprentissage et l’intériorisation des éléments socioculturels du nouveau milieu afin de s’y adapter tout en conservant certains traits culturels » (Frozzini, Gonin et Lorrain, 2019, notice 1). Deux questions principales ont guidé ce projet : que disent les ÉI et les différents acteurs de leur environnement (interne et externe au campus) à propos de l’expérience vécue dans leurs interactions ? Quels sont les enjeux identifiés par les participants qui influencent la réussite universitaire et la resocialisation des ÉI ? Ce sont ces objectifs et ces questions qui ont alimenté la plupart des articles de ce numéro.

Présentation des articles

Chacun des articles apporte un éclairage nouveau concernant la situation des ÉI ou des populations en contact avec eux dans chacune des universités et localités éloignées de la métropole (Montréal). Dans l’ensemble des textes, on retrouve des éléments communs, qui reviennent et appuient des recherches plus anciennes, dont le choc culturel et la solitude. D’autres traits plus positifs sont aussi relevés, comme l’appréciation de l’ouverture et l’accessibilité des enseignants, la plus grande liberté retrouvée en classe, les bonnes relations avec le personnel des universités, etc. Toutefois, chaque texte présente des particularités liées aux contextes.

Les premiers articles offrent des analyses conjuguant les structures organisationnelles des établissements et même de la ville aux interactions individuelles et groupales. Le texte de Gélinas-Proulx, Parrado Mora et Desautels présente les résultats de leur étude autour de l’expérience des ÉI et des enseignants au sein de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Selon ces auteurs, les relations semblent harmonieuses, malgré la présence de certaines tensions. Un des points majeurs soulevés dans l’article est l’importance de développer des compétences interculturelles et communicationnelles pour diminuer les problèmes rencontrés. Les auteurs proposent cinq recommandations pour améliorer les expériences tant des ÉI que du corps enseignant à l’UQO. Nous retrouvons ainsi des propositions concernant la formation, mais aussi des activités de rencontre et des programmes de jumelage. Selon les chercheurs de l’article, la préparation des personnes avant leur départ semble aussi une avenue à explorer. Le texte de Frozzini et Tremblay illustre le vécu et l’état des interactions entre les ÉI, les enseignants et le personnel de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Dans cette étude sont clairement mentionnés les effets du manque de ressources, de suivi et de services sur le territoire de la ville qui accueille cette université et à quel point cela teinte le processus de resocialisation des ÉI. Parmi les données intéressantes de cette recherche, nous retrouvons la variété des expériences selon le programme d’études et les groupes d’appartenance. On mentionne aussi l’importance du premier trimestre pour l’inclusion des élèves et la nécessité d’améliorer les infrastructures de la ville.

Les articles suivants sont davantage centrés sur les relations individuelles et groupales. Ainsi, Girard et Bérubé présentent surtout la perception des étudiants locaux à propos des interactions avec les ÉI sur le campus de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Cette recherche démontre le peu d’interactions entre ces deux populations et avance des arguments concernant l’importance de favoriser les interactions pour le développement de la sensibilité et des compétences interculturelles. De son côté, le texte de Rennie et Frozzini porte principalement sur l’état des interactions durant les cours et lors des travaux en équipe. Les données permettent de spécifier les besoins et d’implanter une structure d’appui pour les ÉI, les ÉL et les enseignants, dans une perspective qui prend en compte les particularités des relations interculturelles. Au-delà de ces éléments, le texte de Bourassa-Dansereau offre une description plus fine du caractère superficiel des expériences communicationnelles des ÉI et illustre un contexte favorable créé par un groupe (de recherche), qui permet des expériences qui contrastent avec les données observées ailleurs sur ce terrain d’étude. L’auteure montre comment une structure conviviale et le souci envers l’autre permettent des expériences valorisantes pour l’ensemble des participants.

En complément aux articles précédents, le texte de Bozhinova nous propose une étude intéressante autour du développement des compétences interculturelles des ÉI lors de cours d’apprentissage d’une langue et lors d’une activité extrascolaire à laquelle des ÉI participent avec des habitants de la ville. Le potentiel de ces activités pour le développement de la capacité de centration et d’adaptation aux milieux (universitaire et local) est indéniable. Toutefois, comme l’auteure l’explique, une meilleure coordination entre l’université et le programme offert avec la communauté locale est nécessaire pour une meilleure cohérence de l’ensemble. De plus, pour l’auteure, il est nécessaire d’encourager un plus grand nombre de pratiques réflexives de la part des participants aux activités pour favoriser l’ouverture à l’autre et la prise de conscience de ses propres particularités culturelles (entre autres, les valeurs et les attitudes).

Facteurs liés aux niveaux organisationnels

Cet ensemble d’articles nous offre un portrait à la fois général et spécifique des conditions et des contextes qui affectent les interactions entre les ÉI et les acteurs de leurs milieux d’accueil. Des pistes de solutions sont même proposées dans quelques-uns de ces articles afin d’améliorer les conditions de la rencontre entre personnes ayant différents horizons culturels au sein de ces institutions universitaires. Ce numéro thématique réussit donc à illustrer des éléments importants du vécu des ÉI et des acteurs sociaux qui les entourent ainsi que certains enjeux qui se dégagent dans ces contextes. Toutefois, dans cette introduction, nous voudrions souligner des éléments transversaux à considérer pour la compréhension des interactions propres à la situation des ÉI et devenus apparents dans les analyses présentées. Ces facteurs se situent au sein de trois niveaux organisationnels interreliés (individuel, groupal et institutionnel) qui comportent plusieurs types d’articulations selon le lieu de l’action et le contexte (voir figure 1). Nous parlons de niveaux organisationnels, car toute action est inscrite dans un lieu avec ses propres règles et procédures, c’est-à-dire des codes de conduite et une coordination ou une mise en forme de ces derniers pour l’action (Smith, 2018). La structuration d’une organisation au sein d’un milieu précis n’efface pas la liberté d’action des individus, mais positionne les cadres attendus de l’action. De plus, les codes et les façons de procéder sont situés culturellement, c’est-à-dire qu’ils possèdent des particularités propres aux situations dans un milieu particulier. Le niveau institutionnel a la particularité de fonctionner à travers des prescriptions administratives (codes, documents, ententes, programmes, lois, etc.) en mouvance que nous appelons des technologies de gestion. Certes, nous pouvons retrouver certains de ces éléments lors des relations interpersonnelles ou groupales. Toutefois, le niveau institutionnel est celui qui peut imposer à la population une organisation systématique qui traduit une volonté de contrôle et de surveillance. Pour avancer cette idée des technologies de gestion, nous partons de l’idée que notre engagement productif au monde nous oriente vers la conception de tout ce qui nous entoure comme un outil à manipuler (Barney, 2000 ; Heidegger, 1958 ; Tabachnick, 2013). Notre engagement technologique est marqué par une volonté́ de contrôle qui ne se limite pas aux choses et peut aussi s’appliquer à nos rapports à l’autre (Foucault, 1967, 2000). Ainsi, en prenant en compte cet engagement et en revenant à la racine grecque de la tekhnologia, le traitement systématique de la population (à l’aide de son appareillage ou de prescriptions administratives) peut être conçu comme relevant de technologies de gestion. L’articulation de l’ensemble des éléments avancés est d’ailleurs bien illustrée ici par le parcours et les interactions des ÉI. Nous présentons un portrait général de ces processus dans les paragraphes suivants.

Figure 1

L’interrelation des trois niveaux organisationnels à l’étude

L’interrelation des trois niveaux organisationnels à l’étude

forme: 2206320.jpg interaction à travers une technologie de gestion

forme: 2206321.jpg interactions influencées par une des technologies de gestion ou ses effets

-> Voir la liste des figures

Les processus d’interaction

Un ÉI n’arrive pas dans un vide et n’arrive pas sans avoir déjà interagi avec quelques institutions : l’université avec ses prérequis (documents et preuves requis pour avoir une acceptation) et les ministères concernés par l’immigration au Canada. Nous retrouvons le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) dans la province du Québec, à laquelle s’ajoute le ministère de l’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), étant donné que le Canada fonctionne avec un système fédéral. Ces institutions ont ainsi octroyé divers documents (textes) permettant l’arrivée sur le territoire et les études : document d’admission aux études délivrée par l’université après évaluation du dossier, Certificat d’acceptation du Québec (CAQ) pour des études de plus de six mois et un permis d’études délivré par le gouvernement fédéral. L’ensemble de ces démarches peut prendre plusieurs mois et il n’y a pas de garantie de succès. Une fois sur le territoire, les ÉI poursuivent leurs interactions avec les institutions à travers les divers échanges pour leur inscription aux cours et au cours du temps avec le renouvellement des divers documents (permis, etc.) qui leur ont été octroyés. N’oublions pas que ces derniers influencent la mise en forme des relations. Soulignons qu’ici, nous retrouvons une forme de contrôle et de surveillance qui s’observe d’ailleurs auprès de toute personne qui entre sur le territoire canadien, avec les divers types de permis requis et leur temporalité bien définie (une date d’expiration). Nous parlons de contrôle, car leur obtention est effectuée en fonction de préférences bien établies et qu’à ces documents sont associées des limitations (accès restreint aux services, période de validité du document, etc.) pendant le séjour sur le territoire. Nous parlons de surveillance parce que les documents permettent l’identification des personnes qui entrent sur le territoire et prescrivent les conditions du renouvellement (l’historique de ce qui a été fait pendant le séjour et les objectifs à atteindre pour la suite) et donc cela nécessite le suivi des personnes.

À ce niveau organisationnel des interactions s’ajoutent d’autres types de rencontres, dont celles que peuvent avoir les ÉI avec les ÉL, les enseignants, les membres du personnel professionnel de l’université, les personnes à l’extérieur des universités comme les propriétaires de logement, etc. Nous allons retrouver des échanges et des dynamiques organisationnelles tant individuelles que groupales en fonction du lieu où l’action se produit. Ainsi, en classe, l’ÉI va avoir des interactions individuelles avec les autres étudiants, mais aussi avec les enseignants et les autres types d’employés de l’université. Chacune de ces interactions sera guidée par les codes propres aux échanges attendus dans le cadre d’un cours ou celui de l’institution, mais aussi par rapport aux attentes imposées par les objectifs spécifiques aux lieux et aux contextes. Par exemple, au Québec, plusieurs enseignants attendent des étudiants qu’ils s’engagent avec eux dans des discussions et même des débats en classe concernant la matière. Toutefois, non seulement les codes culturels des étudiants peuvent être différents, mais ils sont influencés par le fait que l’enseignant doit utiliser des techniques d’évaluation (obligatoires dans le cadre institutionnel universitaire) qui introduisent une forme de contrôle et de surveillance. Dans les groupes (par exemple lors des travaux d’équipe), l’organisation dépend des objectifs de production et de performance liées aux prescriptions imposées par les travaux à faire et par les attentes individuelles de chaque membre concernant l’investissement. Toutefois, ces attentes et ces objectifs peuvent être teintés par des expériences passées, des préjugées et des stéréotypes qui feront en sorte que divers éléments qui influencent la situation des ÉI ne seront pas pris en considération. Mentionnons à titre indicatif la pression du montant à payer pour les études et celle de devoir envoyer de l’argent à ses proches, qui font en sorte que les ÉI doivent cumuler divers emplois. À cela s’ajoute pour l’ÉI le stress d’apprendre les codes culturels du milieu et celui de rester toujours attentif afin de renouveler les permis dont il a besoin pour étudier et demeurer sur le territoire, car les conséquences peuvent être désastreuses (absence de travail, ne plus être capable de s’inscrire aux prochains trimestres, etc.).

Conclusion

La capacité agentive des ÉI, des ÉL, des enseignants et de toute autre personne est influencée par les caractéristiques individuelles, mais aussi par les caractéristiques propres à l’organisation des interactions entre un individu et un autre (dyades), dans les groupes, entre groupes (intergroupes) et dans et avec les institutions en question. Lorsque nous analysons cette mise en forme des relations sociales, nous ne devons pas perdre de vue que les interactions demeurent culturellement situées par la rencontre entre personnes porteuses de différents horizons culturels dans un lieu ou un milieu précis, avec des codes de conduite généraux et spécifiques. C’est d’ailleurs l’une des avancées des articles proposés dans ce numéro que d’offrir une analyse plus situationnelle des interactions en contexte interculturel, en rendant compte des nuances et des défis qui entourent ce type de rencontre. Ce premier état de situation, effectué sous forme synchronique dans des contextes spécifiques à différentes régions du Québec, révèle plusieurs types de coopération que les acteurs ont mis en place ainsi que certains autres types susceptibles être développés.

Sachant que des pratiques ou des situations récurrentes peuvent influencer négativement ou positivement les relations, il nous paraît important d’offrir un regard qui porte attention aux articulations entre plusieurs niveaux organisationnels. Cela favorise la compréhension des avantages et des inconvénients que les ÉI et les divers acteurs autour de ces derniers peuvent expérimenter. Nous avons besoin d’analyses permettant d’aller de plus en plus finement dans notre compréhension, afin de pouvoir proposer ainsi des pistes de solution qui tiennent compte des acteurs sociaux importants pour la resocialisation des ÉI.