Résumés
Résumé
Même lorsqu’ils ont déjà obtenu une formation à l’étranger, dans leur pays d’origine ou ailleurs, nombreux sont les immigrants qui choisissent d’entreprendre une formation menant à un diplôme après l’obtention d’un statut permanent au Québec. Pourquoi faire ce choix ? Certains souhaitent compléter leur formation initiale, tandis que d’autres mettent en place différentes stratégies pour intégrer le marché du travail dont, entre autres, entreprendre une formation dans le but d’acquérir les qualifications exigées pour occuper un emploi à la hauteur de leurs aspirations. Pour de multiples raisons, cette stratégie semble être l’une des stratégies privilégiées par les nouveaux arrivants. Quels sont les immigrants qui étudient au Québec et quelles sont les caractéristiques de leurs parcours ? À partir d’analyses des données issues de l’Enquête sur les cheminements d’intégration au marché du travail des personnes immigrantes nouvellement arrivées (ECINA), cet article s’intéresse à ces questions afin de mieux comprendre les profils et les transitions études-emploi des personnes immigrantes au Québec. Les données permettent de nuancer la perception dominante selon laquelle le retour aux études serait synonyme d’un échec de l’intégration en emploi.
Mots-clés :
- immigrants,
- parcours de vie,
- insertion socioprofessionnelle
Corps de l’article
Introduction
Les débats publics sur l’immigration au Québec concentrent l’attention sur l’intégration, dont une dimension saillante, notamment dans les discours politiques, est l’insertion en emploi. Toutefois, de nombreux parcours migratoires comprennent une période consacrée aux études (comme activité principale ou secondaire) et ce, y compris après l’obtention de la résidence permanente. Les données les plus précises sur le sujet révèlent que 40,9 % des immigrants ont étudié afin d’obtenir un diplôme d’études québécois après l’obtention de leur résidence permanente (Advanis Jolicoeur, 2016). Ce phénomène des études dans le pays d’accueil mérite d’être analysé en soi, plutôt que seulement sous le prisme d’un présupposé qu’il s’agit là d’une réaction aux difficultés d’insertion en emploi. En effet, il existe une abondante littérature, que l’on abordera dans ce texte, qui attribue le fait que les immigrants entreprennent des études au Québec aux obstacles rencontrés dans leur processus d’insertion socioprofessionnelle et en particulier à la non-reconnaissance de leurs diplômes et de leurs expériences antérieures lorsque ceux-ci ont été acquis à l’étranger.
Dans cet article, nous verrons comment les données de l’Enquête sur les cheminements d’intégration au marché du travail des personnes immigrantes nouvellement arrivées (ECINA) permettent d’explorer d’autres hypothèses concernant la place occupée par les études dans les parcours immigrants au Québec. Cet article abordera en premier lieu le contexte de l’immigration récente au Québec, avant de s’intéresser au concept d’agentivité. La présentation des principaux résultats de l’enquête ECINA permettra ensuite de dresser en profondeur le portrait de ces immigrants qui étudient au Québec afin, ultimement, d’essayer de comprendre quelles peuvent être les stratégies mises en oeuvre par ces individus tout au long de leur parcours d’insertion socioprofessionnelle.
L’immigration récente au Québec : un contexte particulier et en mouvance
Bien que ce soit le gouvernement fédéral qui délivre l’autorisation finale d’installation permanente sur le territoire canadien, le Québec déploie en amont ses propres critères pour identifier les immigrants qui recevront un Certificat de sélection (CSQ). Depuis les années 1990, les politiques publiques en matière d’immigration du Québec se caractérisent par une « politique d’immigration choisie », favorisant tout particulièrement l’immigration économique et francophone. Bon an mal an, ce sont entre 60 et 65 % des immigrants admis au Québec qui sont sélectionnés par la province. Les critères de sélection des immigrants y reposent principalement sur le potentiel de leur capital humain (Godin et Renaud, 2005 ; Picot, Hou et Qiu, 2014). C’est pourquoi ce sont le niveau de scolarité, le domaine de formation, l’expérience professionnelle, le niveau de maîtrise du français et de l’anglais, ainsi que l’âge, qui comptent parmi les critères décisifs lors de la sélection des personnes immigrantes.
Un tour d’horizon sur les dix dernières années nous permet d’observer que de 2009 à 2018 la province a reçu entre 49 000 et 55 000 immigrants par année et que, parmi eux, entre 58 % et 70 % ont été admis dans la catégorie économique, essentiellement en tant que travailleurs qualifiés (MIDI, 2019). En outre, le Québec souhaite maintenir annuellement à un minimum de 65 % la part des personnes de moins de 35 ans dans l’ensemble de la population admise au Québec (MIDI, 2019). Ainsi, en 2017, 52 388 personnes immigrantes ont été admises au Québec, dont près des deux tiers appartenaient à la catégorie de l’immigration économique (57,8 %), deux tiers (65,6 %) avaient moins de 35 ans au moment de l’obtention de leur résidence permanente et un peu moins de la moitié (42,0 %) connaissaient le français (MIDI, 2018). Selon les données du MIDI, en 2015, parmi les immigrants âgés de plus de 15 ans, 58,8 % avaient effectué 14 années et plus de scolarité. Pour l’année 2019, le Québec entendait accroître la proportion de l’immigration économique à 63 % du total de la population immigrante admise, dont 85 % seraient des personnes adultes dans la sous-catégorie des travailleurs qualifiés qui déclarent connaître le français. En somme, en raison de ces objectifs et de ces critères, la majorité (autour de 60 %) des immigrants reçus et présents au Québec ont un profil très spécifique : ils sont jeunes, déclarent connaître le français et, surtout, ils sont très qualifiés et possèdent des diplômes d’études postsecondaires dans des proportions bien supérieures à celles de la population générale du Québec.
Cependant, et malgré les efforts déployés par le gouvernement provincial pour développer des critères favorisant la sélection d’une immigration susceptible de s’intégrer facilement et rapidement au marché du travail, il est bien connu que les personnes immigrantes affrontent différents obstacles tout au long de ce processus d’insertion socioprofessionnelle. En effet, plusieurs recherches ont mis en évidence ces difficultés, qui sont liées aux barrières linguistiques, à la non-reconnaissance des expériences et des diplômes acquis à l’étranger, à certaines pratiques discriminatoires, au manque d’expérience sur le marché du travail québécois, ainsi qu’à la faiblesse des réseaux sociaux et professionnels (Béji et Pellerin, 2010 ; Boudarbat et Boulet, 2010 ; Boulet, 2016 ; Cardu et Sanschagrin, 2002 ; Chicha et Deraedt, 2009 ; Godin, 2004 ; Gallant et collab., 2017 ; Gallant et Martin, 2018).
Plusieurs études suggèrent que les immigrants développent différentes stratégies pour surmonter ces difficultés d’insertion professionnelle. Pour certains immigrants, il s’agira d’accepter un emploi pour lequel ils sont très largement surqualifiés, mais, pour d’autres, cela pourra être d’effectuer un passage, plus ou moins long, sur les bancs de l’école afin d’y décrocher un diplôme québécois.
Alors qu’il n’existait pas jusqu’ici de statistiques récentes permettant de documenter l’ampleur du phénomène, tout portait à croire que la poursuite d’études au Québec serait de plus en plus privilégiée par les immigrants. Une étude réalisée par Godin en 2004 auprès de 1 875 personnes immigrantes nouvellement arrivées au Québec en tant que travailleurs qualifiés révélait qu’un peu plus de 20 % étaient susceptibles d’être aux études dès la première semaine suivant l’obtention de leur résidence permanente et que près de la moitié de ceux ayant déjà un diplôme universitaire (47 %) s’étaient inscrits à une formation technique ou professionnelle, de niveau secondaire ou collégial, après leur arrivée au Québec (Godin, 2004). Puis, en 2007, les données de Statistique Canada indiquaient que 19 % des immigrants récents ayant déjà un diplôme universitaire poursuivaient des études dans leur pays d’accueil (Gilmore et Le Petit, 2008). En 2015, nous l’avons vu, l’ECINA permettait de préciser que 40,9 % des immigrants avaient poursuivi des études au Québec dans les 5 ans après l’obtention de leur résidence permanente.
Plusieurs chercheurs, en particulier ceux qui étudient l’intégration socioprofessionnelle des immigrants à partir de l’analyse de leurs trajectoires, identifient le retour aux études ou l’engagement dans une nouvelle formation comme une stratégie d’adaptation mise en place par les immigrants, laquelle leur permettrait d’acquérir du « capital professionnel local » afin de répondre aux exigences des employeurs, et ce, avec l’objectif d’améliorer leurs perspectives d’emploi (Cardu et Sanschagrin, 2002 ; Chicha et Deraedt, 2009 ; Dioh et Racine, 2017). Selon ces analyses, les études seraient donc perçues par les immigrants comme une porte d’entrée vers le marché du travail. Dans ce cadre, le fait pour les immigrants d’étudier après leur installation au Québec (et notamment après l’obtention de leur résidence permanente) est généralement abordé dans la littérature comme un phénomène lié aux difficultés d’insertion en emploi.
Nos expériences respectives de terrain à la rencontre de nombreux immigrants nous ont incitées à réfléchir différemment à ce phénomène, pour proposer une lecture qui ne pose pas l’ensemble des immigrants comme des victimes d’un marché du travail peu accueillant. En effet, alors que de nombreux auteurs pointent le faible taux d’emploi des immigrants comme un facteur explicatif du retour aux études, Boudarbat et Boulet (2010) avancent une perspective un peu différente, en soutenant l’hypothèse inverse : que le faible taux d’emploi à court terme chez les immigrants au Québec pourrait s’expliquer, en partie, par le fait que le Québec affiche une grande proportion d’immigrants fréquentant un établissement scolaire. Et, dans ce cadre, nous suggérons que les études au Québec ne seraient pas uniquement une adaptation à un marché peu réceptif, mais potentiellement une stratégie en soi.
Quelles sont les raisons qui motivent les immigrants à s’engager dans une formation après l’obtention de leur résidence permanente ? Est-ce toujours – comme le suppose la littérature dominante – un pis-aller, faute d’avoir réussi ou d’espérer réussir à intégrer le marché du travail à la hauteur de leurs aspirations ? En d’autres termes, le fait d’entreprendre une formation au Québec après l’obtention de la résidence permanente est-il toujours une stratégie entreprise par les immigrants afin de pallier les difficultés rencontrées dans leur intégration socioprofessionnelle ? Entreprendre une formation menant à un diplôme ne pourrait-il pas également relever d’une motivation intrinsèque et faire partie du projet d’immigration de certains immigrants ?
Afin de tenter de répondre à ces questions, nous utiliserons ici les données de l’Enquête sur les cheminements d’intégration au marché du travail des personnes immigrantes nouvellement arrivées (ECINA). Nous verrons que les données collectées dans le cadre de cette enquête permettent de valider cette piste largement répandue dans la littérature, mais également de lancer d’autres hypothèses.
À partir des analyses descriptives de données issues de cette enquête, cet article a comme objectif, après un survol du cadre théorique et des principaux concepts qui seront mobilisés, de dresser un portrait général des caractéristiques des immigrants qui étudient et de leurs parcours pré- et post-admission au Québec. Ces analyses nous permettront d’avancer que le fait d’entreprendre une formation après l’obtention de leur résidence permanente n’est peut-être pas aussi souvent synonyme d’un échec dans le processus d’insertion des immigrants qu’on le prétend.
Parcours d’insertion et agentivité
Pour comprendre la place occupée par les études dans la trajectoire des immigrants, nous mobiliserons l’approche des parcours de vie. Celle-ci propose un large inventaire de concepts et principes qui permettent de décrire, d’expliquer et de comprendre les processus qui jalonnent la vie des individus, et ce, tout en tenant compte des liens entre développement individuel, temporalités et contextes sociaux (Elder, 1995 ; Gherghel et Saint-Jacques, 2013). Le parcours de vie est généralement défini à partir de la prise en compte des trajectoires familiales, éducationnelles, professionnelles, résidentielles d’un individu. Les trajectoires apparaissent alors dans l’ensemble du parcours de vie comme des événements ou des transitions de plus ou moins courte durée, lesquels indiquent un changement d’état, de statut ou de rôle : la transition d’adolescent à adulte (état), devenir mère (rôle), passer d’étudiant à travailleur (statut). C’est ainsi que « le parcours de vie est formé de l’agrégation d’un ensemble interconnecté de transitions et trajectoires » (Gherghel et Saint-Jacques, 2013, p. 14). Nous embrassons la perspective de Levy et collab. (2005), qui définissent les transitions comme des « moments », des « situations » de « courtes périodes de changements entre des stades consécutifs ou encore comme un moment d’une trajectoire particulière caractérisée par des changements accélérés ». Les transitions de vie sont alors, pour les individus qui les vivent, des périodes d’instabilité d’une durée plus ou moins longue, qui les forcent à agir afin de tenter de retrouver un fonctionnement relativement stable (Oris et collab., 2009). Dans ce contexte, l’individu met en place diverses stratégies dans la recherche de cette stabilité.
Plusieurs principes découlent de la théorie du parcours de vie, parmi lesquels cinq d’entre eux, identifiés par Elder, Johnson et Crosne (2003), semblent fondamentaux (Dumont, 2015 ; Elder, 1995 et 1998 ; Gherghel et Saint-Jacques, 2013 ; Longo, 2016 ; de Montigny et de Montigny, 2014 ; Sapin, Spini et Widmer, 2007). Il s’agit de 1) l’emplacement ou l’insertion des vies dans le temps et l’espace, c’est-à-dire dans des contextes qui peuvent offrir différents niveaux d’opportunités et de contraintes, 2) le développement tout au long de la vie, 3) la temporalité des événements de la vie, 4) l’interrelation des vies et l’imbrication des différentes sphères de la vie et 5) la capacité d’agir ou l’intentionnalité des individus (Gherghel et Saint-Jacques, 2013, p. 34). Sans négliger chacun de ces principes, c’est tout particulièrement au dernier que cet article est consacré.
En effet, le contexte est fondamental pour comprendre, car il structure les possibilités et les ressources dont disposent les individus. Dans la théorie du parcours de vie, le lien entre parcours individuel et contexte social est notamment expliqué à travers le concept de « cheminement social » ou de « trajectoire sociale ». Ce concept fait référence à l’ensemble des trajectoires suivies par des groupes d’individus dans une société (grandes tendances observées). Ainsi, le cheminement social serait notamment modelé par des structures qui régulent la vie sociale comme, entre autres, les politiques publiques, les politiques économiques, les systèmes d’éducation et même la religion ou la culture (Elder, 1998 ; Gherghel et Saint-Jacques, 2013). Le concept de « cheminement social » renvoie donc à la sphère normative, institutionnelle, à des facteurs qui permettent de comprendre les trajectoires individuelles.
Les parcours individuels et les cheminements sociaux sont étroitement articulés (Dubar, 1994). Leurs liens peuvent notamment être compris à travers le prisme de l’approche des capabilités (Nussbaum, 2012 ; Sen, 1983 et 2010). Celle-ci permet de faire ressortir le poids du contexte dans les choix des individus, en insistant sur l’écart parfois grand entre l’égalité de droit et les libertés dont les personnes jouissent effectivement et concrètement. L’approche des capabilités s’intéresse non seulement aux caractéristiques personnelles, mais aussi aux facteurs externes qui balisent la capacité d’action de l’individu (d’où l’expression anglaise « capabilities » plutôt que « capacities »).
Par conséquent, tout en tenant compte des contextes sociaux, économiques et institutionnels qui apportent leur lot de contraintes et d’opportunités, nous concevons les immigrants comme des acteurs ayant la capacité d’agir, de faire des choix et de transformer leur situation en mobilisant certaines ressources (Côté et Bynner, 2008). Ainsi, guidées par certaines bribes d’information obtenues au fil d’entrevues et groupes de discussion réalisés dans le cadre d’autres projets de recherche, nous avons cherché à creuser la question de l’intentionnalité, afin de voir s’il est possible d’identifier certaines stratégies mises en oeuvre par les immigrants dans leur processus migratoire et en particulier pour mieux comprendre la place occupée par les études dans les parcours de vie, que celles-ci soient vécues comme des stratégies d’insertion professionnelle ou autrement. Autrement dit, au lieu d’inférer les raisons d’étudier à partir du contexte, nous avons plutôt voulu chercher à comprendre dans quelle mesure certaines personnes immigrantes mobilisent leur « agentivité » dans ces processus.
Le principe de l’agentivité (ou « agencéité » selon certaines traductions) fait référence à la capacité d’agir de l’individu. Il place l’individu comme le principal acteur de la construction de son parcours de vie, acteur qui prend lui-même ses décisions (Pohl, Stauber et Walther, 2007). Certes, ses choix et ses actions se construisent ou sont au moins influencés par les occasions offertes et les contraintes imposées par le contexte historique, social et personnel. Mais l’individu ne subit pas passivement les influences sociales et les contraintes structurelles : il est un acteur conscient, capable de donner et de créer du sens et de nouvelles significations aux normes et aux institutions sociales (Elder, 1998). Il est capable de choisir des cheminements, ou des trajectoires, parmi les différentes occasions que le contexte lui offre. Gherghel et Saint-Jacques suggèrent que les normes et structures institutionnelles représentent le cadre où l’individu évolue, mais qu’elles peuvent, à leur tour, être influencées et modifiées par l’action individuelle :
Within the constraints of their world, people are often planful and make choices among options that become the building blocks of their evolving life course. These choices are influenced by the situation and by interpretations of it, as well as by the individual’s life history of experience and dispositions. Individual differences and life histories interact with changing environments to produce behavioural outcomes. Human agency and selection processes have become increasingly more important for understanding life course development and aging
Elder, 1995, p. 110, cité par Gherghel et Saint-Jacques 2013, p. 36
En ce qui concerne l’agentivité des personnes immigrantes dans leur insertion professionnelle, les stratégies sont des actions mises en oeuvre dans le but de réussir cette transition, à savoir, l’accès à un emploi et, surtout, à un emploi que l’on souhaite, idéalement, en adéquation avec ses compétences et son niveau de formation. Dans ce contexte, entreprendre une nouvelle formation dans le but d’obtenir un diplôme au Québec avant d’intégrer le marché du travail peut être une stratégie à part entière, au même titre que cela pourrait être une réaction à un marché du travail peu réceptif.
Malgré notre intérêt pour l’agentivité, nous ne nous pencherons pas ici sur les autres formes de subjectivité dans la trajectoire socioprofessionnelle. D’autres – en particulier en sociologie de la jeunesse – ont développé diverses notions permettant d’appréhender ces subjectivités vécues par les individus dans le parcours d’insertion en emploi, par exemple sous l’angle de la construction de l’identité professionnelle (Dubar, 2006 ; Sainsaulieu, 2019), de l’engagement (Loriol et Leroux, 2015 ; Osty, 2003), du rapport au travail (Longo, 2018 ; Longo et Bourdon, 2016) ou du rapport aux temporalités, notamment durant ces temps d’attente que sont le chômage ou le sous-emploi (Demazière et Zune, 2019 ; Zuzanek et Hilbrecht, 2016). Ces types d’enquête reposent sur des travaux plutôt qualitatifs, avec des nombres forcément limités de participants, ce qui ne permettrait pas de montrer les tendances que nous dégageons ici.
Méthodologie et données : l’ECINA
En 2015, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) et le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI)[1] ont réalisé conjointement l’Enquête sur les cheminements d’intégration au marché du travail des personnes immigrantes nouvellement arrivées (ECINA) auprès de 7 437 immigrants nouvellement admis au Québec. Cette enquête inédite avait comme objectif général de brosser un portrait détaillé des parcours d’insertion en emploi de personnes immigrantes admises au Québec entre avril 2012 et juillet 2013 inclusivement. La population ciblée par l’ECINA comprenait 52 537 personnes immigrantes admises au Québec en tant que requérant principal, conjoint(e) ou personne à charge, et ce, dans la sous-catégorie des travailleurs qualifiés, la catégorie des réfugiés et celle du regroupement familial, ces personnes étant âgées de 18 ans et plus lors de leur admission. À partir des données administratives du MIDI et de celles de la Régie de l’assurance maladie du Québec, un échantillon de 29 426 personnes a été retenu pour être sollicité. L’enquête s’est déroulée du 30 mars au 28 juin 2015 et au total 7 437 personnes immigrantes y ont participé[2].
Personnes immigrantes ayant entrepris une formation après l’obtention de leur résidence permanente
Un aperçu des caractéristiques sociodémographiques
Les premières analyses effectuées à partir des données de cette enquête ont révélé que, comme nous l’avons mentionné précédemment, 40,9 % des immigrants avaient entrepris une formation menant à un diplôme[3] après l’obtention de la résidence permanente au Québec. Les tableaux présentés ci-dessous montrent leurs principales caractéristiques démographiques, en comparaison avec les immigrants qui n’ont pas suivi de formation après l’obtention de la résidence permanente. On remarque que la propension à suivre un programme de formation après la résidence permanente est presque identique chez les deux sexes (tableau 1). Mais ceux qui entreprennent une formation après l’obtention de leur résidence permanente sont plutôt jeunes (tableau 2), appartiennent généralement à la catégorie des travailleurs qualifiés (tableau 3), sont plus souvent originaires d’Afrique et d’Amérique (tableau 4) et sont plus souvent des immigrants ayant une bonne connaissance du français (tableau 5).
Plus spécifiquement, les immigrants ayant eu moins de 44 ans au moment d’immigrer sont plus nombreux à suivre une formation : c’est le cas de 49,6 % de ceux ayant eu moins de 24 ans à la migration, 42,4 % de ceux qui avaient entre 25 et 34 ans et 44,5 % de ceux qui avaient entre 35 à 44 ans (tableau 2). Puis, plus on avance en âge, plus la propension à suivre une formation après la résidence permanente diminue : 27,4 % chez ceux arrivés entre 45 et 55 ans, puis seulement 9,8 % chez ceux arrivés entre 55 et 64 ans et enfin 4,2 % de ceux ayant eu plus de 65 ans à la migration.
Par ailleurs, si les données montrent que près de la moitié (45,8 %) des immigrants appartenant à la catégorie des travailleurs qualifiés ont entrepris ou poursuivi une formation après l’obtention de leur résidence permanente, on observe également que c’est le cas de 38,2 % des réfugiés et de 29,1 % des immigrants appartenant à la catégorie du regroupement familial (tableau 3). De plus, tandis que 52,1 % des immigrants originaires d’Afrique et 42,1 % de ceux originaires des Amériques ont suivi une formation au Québec, moins d’un tiers (27,9 %) de ceux en provenance d’Europe avaient pris la même décision (tableau 4).
En outre, on constate que les personnes considérant que leur niveau de français est faible ont moins tendance à faire le choix d’étudier : près de la moitié (46,2 % et 47,3 %) de ceux qui estiment avoir un très bon ou un bon niveau de français poursuivent des études après l’obtention de la résidence permanente, alors que ce n’est le cas que du tiers de ceux qui disent avoir un niveau de français moyen (33,0 %), et encore moins de ceux estimant que leur niveau de français est faible (23,7 %) ou très faible (12,1 %) (tableau 5). Autre observation notable, tandis que 79,4 % des immigrants ayant étudié après l’obtention de la résidence permanente ont déclaré avoir un bon ou très bon niveau de connaissance du français, moins de la moitié (43,3 %) ont déclaré avoir le même niveau de connaissance de l’anglais[4] (tableau 6).
Par ailleurs, compte tenu du fait que la plupart des immigrants ayant entrepris une formation après l’obtention de leur résidence permanente ont été admis au Québec en tant que travailleurs qualifiés, il n’a pas été surprenant de constater qu’une grande proportion de ces immigrants avaient effectué des études postsecondaires avant l’obtention de leur statut de résidence permanente : en fait, plus des deux tiers possédaient un diplôme universitaire (68,9 %), soit un peu plus que ceux n’ayant pas suivi de formation après l’obtention de leur résidence permanente (62,6 %). Parmi eux, près de 58,0 % détenaient un diplôme de premier cycle et 37,1 % détenaient un diplôme de deuxième cycle (tableau 7). Finalement, notons qu’une forte majorité des immigrants ayant suivi une formation au Québec envisageaient l’obtention d’un diplôme postsecondaire (86,3 %). Parmi eux, 39,5 % envisageaient l’obtention d’un diplôme universitaire, 26,9 % un diplôme d’études collégiales et 24,7 % un diplôme d’études professionnelles.
Dans les pages qui suivent, nous avançons l’hypothèse que suivre une formation menant à un diplôme après l’obtention de la résidence permanente n’est pas toujours synonyme, pour les immigrants, d’un échec dans le parcours d’insertion sur le marché du travail. En effet, seulement 35,9 % des immigrants ont déclaré avoir décidé d’entreprendre une formation à cause des difficultés rencontrées pour trouver un emploi. La figure 1 montre qu’une plus forte majorité des immigrants ayant poursuivi des études postsecondaires après l’obtention de leur résidence permanente ont mentionné le désir d’acquérir un diplôme québécois et de se perfectionner dans leur domaine comme principales raisons pour suivre une formation (46,8 % et 42,0 %) et près d’un tiers ont déclaré que cette formation était obligatoire pour pouvoir travailler au Québec dans leur domaine.
Toutes ces motivations ne sont pas mutuellement exclusives (elles représentaient des questions différentes dans l’enquête ECINA). Des analyses croisées permettent de créer quatre grandes catégories de motivation selon qu’elles soient liées à des difficultés ou à un projet (perfectionnement et/ou réorientation) ou les deux. Ainsi, la catégorie « Difficulté » rassemble les immigrants dont les motivations pour suivre une formation après l’obtention de leur résidence permanente incluent « Difficulté à se trouver un emploi », mais pas « Désir de se perfectionner dans son domaine » ni « Désir de se réorienter ». Inversement, ceux de la catégorie « Projet » ont mentionné « Désir de se perfectionner dans son domaine » et/ou « Désir de se réorienter », mais pas « Difficulté à se trouver un emploi ». Entre les deux, la catégorie « Difficulté et Projet » rassemble les immigrants qui ont mentionné « Difficulté à se trouver un emploi » avec soit « Désir de se perfectionner dans son domaine » ou « Désir de se réorienter » ou les deux. Enfin, la catégorie « Autres seulement » rassemble ceux dont les motivations n’incluent aucune des trois précédentes (ni « Difficulté à se trouver un emploi », ni « Désir de se perfectionner dans son domaine », ni « Désir de se réorienter »). La distribution présentée à la figure 2 montre que 19,5 % des immigrants qui ont suivi une formation le faisaient à la fois parce qu’ils éprouvaient des difficultés à s’insérer en emploi et parce qu’ils désiraient se perfectionner et/ou se réorienter. Mais la plus grande part (39,6 %) des immigrants qui poursuivent des études le font pour ce type de projet, sans que cela soit accompagné d’une motivation liée à des difficultés d’insertion.
Dans le cadre de cet article, nous avons souhaité approfondir de façon plus spécifique deux cheminements d’insertion socioprofessionnelle, que nous aborderons successivement dans les prochaines pages. D’une part, nous analysons le cheminement des immigrants qui étudient après l’obtention de leur résidence permanente dans le but d’intégrer le marché du travail. D’autre part, nous examinons le cheminement des individus qui semblent avoir fait le choix d’immigrer en ayant eu comme premier objectif d’effectuer un retour aux études avant d’intégrer le marché de l’emploi.
Étudier pour travailler ? – La formation par dépit ou la formation qualifiante
Nous avons vu que plusieurs recherches qualitatives lient la décision de retourner aux études ou de suivre une formation avec les difficultés rencontrées par les immigrants dans leur parcours d’insertion au marché du travail québécois. Or nos analyses réalisées à partir de l’ECINA permettent d’identifier certaines autres caractéristiques, tant des immigrants que de leurs parcours avant et après l’obtention de la résidence permanente, qui sont rarement mises en évidence par ces recherches. En effet, les données quantitatives de l’ECINA suggèrent qu’une proportion importante des immigrants qui décident d’entreprendre une formation au Québec après l’obtention de leur résidence permanente le font dans le but d’obtenir une qualification qui leur permettrait d’intégrer le marché du travail. Certes, cette décision peut être prise après avoir passé un certain temps à rechercher, vainement, un emploi dans leur domaine et/ou correspondant à leur niveau de scolarité, mais elle se présente davantage comme une stratégie constructive que comme une posture de victime d’un marché du travail peu réceptif. Dans ce cas, la formation choisie serait le plus souvent de courte durée, avec l’option de faire un stage à la fin des cours.
Comme nous l’avons déjà souligné, la plupart des immigrants ayant entrepris une formation au Québec détenaient une formation universitaire avant d’immigrer (69,0 %). Parmi eux, les choix de formation se présentent essentiellement selon deux voies bien distinctes : une formation non universitaire ou une formation universitaire. En analysant ces deux voies, on observe que ceux qui ont entrepris une formation non universitaire (53,8 %) ont eu davantage tendance à débuter leur formation beaucoup plus tard après l’obtention de la résidence permanente que les immigrants qui ont envisagé l’obtention d’un diplôme universitaire. À titre d’exemple, tandis que 53,5 % des immigrants ayant entrepris une formation universitaire ont débuté leur formation dans les 12 premiers mois après l’obtention de la résidence permanente, les deux tiers (59,3 %) des immigrants qui envisageaient l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles (DEP) et 56,5 % des immigrants qui visaient l’obtention d’un diplôme d’études collégiales (AEC, DEC) ont commencé leur formation au moins 18 mois après l’obtention de leur résidence permanente. Ces observations nous permettent d’avancer deux hypothèses. La première est que l’engagement dans un programme de formation non universitaire pourrait plus souvent résulter des difficultés rencontrées dans le processus d’insertion au marché du travail. De guerre lasse, les immigrants entreprennent des formations de courte durée, non universitaires, afin d’obtenir un diplôme québécois. La seconde hypothèse nous amène à envisager que, entreprises de manière beaucoup plus précoce après l’obtention de la résidence permanente, les formations universitaires seraient pour leur part plus souvent un choix personnel envisagé en amont du processus migratoire afin de compléter son parcours académique.
À partir des données de l’ECINA, il est délicat de s’avancer sur l’effet de ces formations sur l’insertion en emploi, puisque plus de la moitié des immigrants ayant entrepris une formation ne l’avaient pas encore terminée au moment de l’enquête (54,1 %). On constate toutefois que, parmi ceux ayant terminé la formation entreprise, 55,5 % avaient comme principale activité l’emploi au moment de l’enquête et 13,5 % avaient commencé une autre formation. Concernant l’adéquation entre le niveau de la formation suivie et celui de l’emploi occupé au moment de l’enquête, le terrain devient plus glissant dans la mesure où les formations universitaires, plus « qualifiantes », n’étaient majoritairement pas achevées. On observe néanmoins que la majorité des immigrants ayant obtenu un diplôme d’études collégiales ou d’études professionnelles au Québec après leur résidence permanente occupaient, au moment de l’enquête, un emploi équivalant à ce niveau de scolarité ou supérieur (58,0 % et 80,5 % respectivement), tandis que c’était le cas de 46,9 % de ceux ayant obtenu un diplôme de niveau universitaire. Dit autrement, c’est plus de la moitié de ceux qui avaient obtenu un diplôme universitaire qui occupaient un emploi pour lequel le niveau de scolarité requis était inférieur à celui de leur diplôme, ce qui ébranle la perspective de la formation qualifiante.
Notons finalement qu’une grande proportion des personnes immigrantes possédant une formation non universitaire avant leur résidence permanente ont envisagé l’obtention d’un diplôme du même niveau de scolarité ou supérieur à celui obtenu avant d’immigrer. En effet, la figure 3 montre que plus de la moitié (53,1 %) des immigrants qui possédaient un diplôme d’études professionnelles avant la résidence permanente ont entrepris une formation au Québec dans le but d’obtenir un diplôme du même niveau et un peu moins du quart (20,4 %) ont plutôt visé l’obtention d’un diplôme d’études collégiales. Pour leur part, 36,6 % des immigrants ayant un diplôme d’études collégiales avant l’obtention de leur résidence permanente ont entrepris une formation au Québec dans le but d’obtenir un diplôme de niveau équivalent tandis que 27,6 % ont entrepris une formation universitaire.
Immigrer pour étudier ? – Les études comme projet migratoire
Nous avons vu que la majorité (58,8 %) des immigrants qui poursuivent ou entreprennent des études après l’obtention de leur résidence permanente le font dans l’objectif de se perfectionner ou d’obtenir un diplôme québécois, ce qui comprend les 19,5 % qui déclarent le faire aussi parce qu’ils avaient rencontré des difficultés à se trouver un emploi qui leur convenait. D’autres données nous permettent d’aller plus loin, pour avancer l’idée que les études peuvent aussi avoir été au coeur du projet migratoire. En effet, pour le tiers des immigrants ayant suivi une formation au Québec, entreprendre des études après l’obtention de la résidence permanente faisait en fait partie d’une stratégie à long terme, bien pensée et planifiée, laquelle a été mise en place tôt dans leur parcours migratoire.
Deux questions de l’enquête ont retenu notre attention pour ces analyses. La première demandait d’indiquer les raisons qui avaient motivé le répondant à faire une demande d’immigration au Québec et la seconde, de préciser son principal projet après avoir obtenu la résidence permanente. Les deux questions posées étaient : a. « Quelle était votre principale motivation pour faire une demande d’immigration au Québec ? *étudier *accompagner mon conjoint ou de la famille déjà au Québec * autre » et b. « Depuis l’obtention de la résidence permanente, quel a été votre principal projet ? *travailler *apprendre le français *apprendre l’anglais *compléter mes études * débuter une nouvelle formation *prendre soin de mes enfants ou d’un autre membre de ma famille * me soigner / régler un problème de santé *aucun projet précis *autre ». Il s’agit bien ici de deux étapes différentes dans le processus migratoire : les motifs pour immigrer, puis le principal projet après l’obtention de la résidence permanente. La première des deux questions permet de voir que, pour au moins 12,0 % des immigrants ayant suivi une formation au Québec, étudier constituait déjà leur principale motivation pour immigrer. Certes, ce n’est que 7,5 % de la population étudiée par l’ECINA qui a déclaré avoir eu comme principal objectif d’étudier au moment de la demande d’immigration, mais cette question n’était posée qu’à ceux qui n’avaient pas l’intention de travailler au Québec au moment de la demande de résidence permanente.
Par ailleurs, la seconde question montre que 17 % ont déclaré avoir eu comme principal projet après l’obtention de leur résidence permanente de terminer leurs études ou de débuter une nouvelle formation. Ces deniers représentent près du tiers de l’ensemble des immigrants ayant suivi une formation au Québec après l’obtention de leur résidence permanente (29,2 %). En effet, on constate que la plupart de ces immigrants ayant déclaré avoir eu comme principal projet, après l’obtention de leur résidence permanente, de compléter leurs études ou de débuter une nouvelle formation ont effectivement entrepris une formation au Québec : c’est le cas de respectivement 73,9 % et 63,9 % d’entre eux.
D’autres indices suggèrent que les études peuvent être au coeur du projet migratoire de certains immigrants. Premièrement, et en particulier, on remarque que près de la moitié des immigrants entreprennent ces études dès la première année suivant l’obtention de leur résidence permanente. En effet, tous diplômes postsecondaires confondus, 46,8 % des immigrants ont entrepris leur formation dans les 12 premiers mois suivant l’obtention de leur résidence permanente. Ce nombre reste pratiquement identique (à 46,9 %) si on tient également compte des autres formations (incluant divers certificats ou le diplôme d’études secondaires). La figure 4 montre que ceci est particulièrement le cas, notamment, des immigrants qui envisageaient l’obtention d’un diplôme universitaire et les immigrants ayant séjourné au Québec en tant qu’étudiants internationaux. Deuxièmement, notons que 53,3 % des immigrants ayant eu un statut temporaire au Québec en tant qu’étudiants étrangers ont poursuivi leurs études après l’obtention de leur résidence permanente ; ils représentent 17,7 % de l’ensemble des immigrants ayant entrepris une formation au Québec après l’obtention de ce statut. Parmi eux, la plupart envisageaient l’obtention d’un diplôme universitaire (80,5 %) et un grand nombre (58,0 %) avaient débuté leur formation dans les 12 premiers mois après l’obtention de la résidence permanente.
Discussion
À la lumière de ces résultats, on ne saurait évidemment conclure que tous les immigrants ont pour principal projet d’étudier une fois leur résidence permanente obtenue. Non seulement les résultats de l’enquête ECINA ne permettent pas d’aller en ce sens, mais au-delà de cette enquête, d’autres explorations de nature qualitative seraient nécessaires afin de mieux comprendre cette transition vers la formation dans les processus d’insertion des immigrants et ses motivations fines. Il n’en demeure pas moins que les deux pistes retenues ici semblent être suffisamment solides pour que l’on puisse avancer qu’une certaine proportion des immigrants nouvellement admis au Québec font le choix de suivre une formation menant à un diplôme rapidement après l’obtention de leur résidence permanente, non pas par dépit comme le suggère généralement la littérature mais plutôt par volonté de poursuivre leur parcours d’études. Cette formation peut alors être considérée comme une stratégie déployée par l’immigrant, soit comme son principal projet, au coeur de la migration, soit comme un tremplin pour une insertion professionnelle qu’ils estimeraient réussie.
Ces façons de percevoir la formation menant à un diplôme s’inscrivent d’ailleurs en adéquation avec les caractéristiques des personnes immigrantes concernées et les nouvelles orientations de la politique d’immigration du Québec. En effet, cette dernière vise notamment à poursuivre l’accroissement de la part des immigrants économiques, notamment celle des immigrants de la catégorie des travailleurs qualifiés. Évidemment, du fait des critères de sélection de cette catégorie par la province, le profil sociodémographique de cette population s’en trouve largement prédéterminé : elle est majoritairement jeune (moins de 34 ans), très scolarisée (avec plus 17 années de formation) et maîtrise, en majorité, la langue française. Par conséquent, il n’est pas étonnant de la voir adopter des stratégies de formation prolongées, similaires à celles des jeunes qui sont natifs du Québec, lesquels sont 47 % à étudier à temps plein ou partiel entre 22 et 24 ans, 21 % à 25 et 26 ans et encore 13 % entre 27 et 29 ans (Enquête sur la population active 2017 de Statistique Canada, citée dans Vultur et Gallant 2019, p. 3).
Les données de l’ECINA montrent également que la forte majorité (72,1 %) des immigrants ayant entrepris une formation au Québec sont originaires d’Afrique ou d’Amérique. On remarque justement qu’une proportion importante des immigrants originaires d’Afrique (52,1 %) et d’Amérique (42,0 %) étudient après l’obtention de leur résidence permanente (voir tableau 4), notamment ceux originaires d’Amérique centrale, d’Amérique du Sud et des Antilles. Dans ce contexte, il serait possible que le faible accès à l’éducation supérieure dans certains pays d’Afrique et d’Amérique, conjugué aux occasions qu’offre l’obtention du statut de résident permanent[5] au Québec d’entreprendre une formation, soit l’un des éléments qui expliquent, du moins en partie, le taux d’immigrants qui étudient après l’obtention de la résidence permanente. En effet, selon les statistiques de l’UNESCO (2012), les pays d’Amérique latine, des Caraïbes ainsi que d’Afrique affichaient en 2010 les taux les plus bas de poursuite de l’éducation supérieure par rapport à la moyenne mondiale. Alors que, dans les pays d’Europe et en Amérique du Nord, 73 % de la population avait fréquenté des institutions d’enseignement supérieur, ce pourcentage n’était que de 7 % en Afrique subsaharienne et de 40 % en Amérique latine et dans les Caraïbes (UNESCO, 2012, p. 13). Ceci pourrait dénoter une stratégie migratoire construite sur un projet d’études supérieures, une hypothèse explicative qu’il faudra approfondir dans une prochaine étape de recherche.
Conclusion
Nombre d’études et de rapports ont illustré et démontré, au fil du temps, les obstacles rencontrés par les immigrants dans leur processus d’insertion socioprofessionnelle. Nous avons vu que, parmi les plus fréquemment soulevés, on retrouve les barrières linguistiques, la non-reconnaissance des diplômes et des expériences acquis à l’étranger, le manque d’expérience sur le marché du travail québécois, le manque de réseaux sociaux et professionnels ainsi que certaines pratiques discriminatoires. Les chercheurs mobilisent souvent cette liste d’obstacles pour expliquer le plus faible taux d’emploi des immigrants observé au Québec par rapport à celui de la plupart des autres provinces. Or, parallèlement, on constate une participation accrue, depuis environ une décennie, des personnes immigrantes aux programmes de formation postsecondaire au Québec. En fin de compte, s’il demeure indéniable que les obstacles à l’insertion socioprofessionnelle des immigrants sont majeurs, les analyses que nous avons menées à partir de l’enquête ECINA nous ont amenées à explorer d’autres pistes explicatives de la poursuite des études. Ces pistes mettent en relief les stratégies mises en oeuvre par les immigrants dans leur processus de transition que constituent les parcours d’insertion en emploi. Cette exploration contribue à documenter la complexité de la réalité des parcours migratoires et nous espérons ainsi, de surcroît, concourir à ce que soient davantage prises en considération la variété des formes d’agentivité développées par les personnes immigrantes.
Parties annexes
Notes
-
[1]
Le MIDI est depuis peu devenu le MIFI, ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration.
-
[2]
Les données présentées dans cet article ont été pondérés de façon à refléter la composition de la population ciblée selon le sexe, le groupe d'âge, la catégorie d'immigration et le continent de naissance. Pour plus de détails concernant la méthodologie de cette enquête, on se rapportera au rapport préliminaire décrivant l’enquête (Advanis-Jolicoeur, 2016).
-
[3]
Les formations menant à un diplôme sont les seules considérées dans cet article. Afin d’alléger le texte, on emploiera dans les pages qui suivent le terme « formation » pour les désigner.
-
[4]
Ces caractéristiques les distinguent de l’ensemble de la population étudiée par l’ECINA, chez laquelle la connaissance du français (bonne ou très bonne) se situe à dix points de pourcentage en-deçà (69,7 %), alors que la différence est peu marquée pour celle de l’anglais (46,2 %).
-
[5]
En termes purement économiques, il est moins coûteux de faire une demande de résidence permanente puis d’étudier au Québec après l’obtention du statut de résident permanent, que de demander un visa d’étudiant et d’étudier au Québec avec un permis temporaire comme étudiant international. En effet, selon les ententes et les institutions, les frais de scolarité par session pour un étudiant étranger s’élèvent généralement entre 5 000 $ et 7 000 $.
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