Note de lecture

Théories et pratiques de l’interprétation de service public, de Sophie Pointurier[Notice]

  • François René de Cotret

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Un seul après-midi m’aura été nécessaire pour dévorer le premier livre de Sophie Pointurier, un essai d’un peu plus de 100 pages. De l’Antiquité à la mondialisation en passant par le traité de Versailles – qui coiffe la transition du français vers l’anglais comme langue internationale, ai-je appris – l’auteure donne de précieuses clés au lecteur en quête de (nouvelles) connaissances à propos d’un métier millénaire des plus humbles, l’interprétariat. J’utilise ici le terme « interprétariat » pour référer à la fonction ou au métier de l’interprète, ce que Sophie Pointurier nomme « interprétation ». Dans cette note de lecture, je restreins l’emploi du terme « interprétation » à l’action de traduire oralement. La double formation d’interprète et de chercheure à la Sorbonne Nouvelle, où elle dirige le Master d’Interprétation de la langue des signes française de l’École supérieure d’interprètes et de traducteurs, fait du docteure Pointurier la personne tout indiquée pour instruire aussi bien le chercheur que l’interprète de métier. Le livre offre d’ailleurs deux sections : on aborde des notions théoriques tirées de sources scientifiques considérables, pour ensuite passer à des applications pratiques dans trois contextes publics : judiciaire, médical et pédagogique. Bien qu’on y retrouve un nombre de réflexions originales à propos de la langue des signes, je vais restreindre, par souci de concision, ma synthèse à l’interprétariat en général. La première section débute avec une définition ainsi qu’une typologie de l’interprétation, des clarifications permettant de départager un vocabulaire parfois escamoté dans la littérature scientifique. L’interprétation, explique l’auteure en citant Kade de l’école de Leipzig, appartient au domaine de la traduction et requiert deux conditions : (a) un texte source présenté une seule fois ainsi que (b) la contrainte du temps, avec une impossibilité de rectifier le tir. Tenir compte de la modalité d’interprétation, on le remarquera tout au long du livre, importe également : en simultané, en chuchoté, à vue, à distance, en visioconférence, etc. En s’appuyant sur Pöchhacker, Mme Pointurier pose que l’interprétariat d’aujourd’hui implique une migration de plus en plus marquée de « l’intersocial (entre plusieurs sociétés) vers l’intrasocial (au sein même d’une seule société) » (p. 30). L’interprétariat de conférence, la forme la plus connue et historiquement synonyme de grandes rencontres internationales, perdrait du terrain au profit d'une autre forme, qu’elle nomme l’interprétariat en service public. Cette appellation forme un carrefour où se rencontrent interprétariat ou médiation sociale, interprétariat communautaire, interprétariat de liaison, Public Service Interpreting, Multicultural Communication, Liaison Interpreting et Community Interpreting : Avant la Seconde Guerre mondiale, les théoriciens avaient tendance à considérer le texte à traduire comme seul paramètre de la traduction. Avec l’émergence de la traductologie, la manière de considérer cette pratique s’est nuancée, et d’autres paramètres ont été envisagés : traducteur, destinataires de la traduction, contexte dans laquelle elle s’inscrit, etc. Les années 1960 ont vu apparaître la Théorie interprétative de la traduction, qui a comme premier principe la recherche de sens, par opposition à la recherche pure et simple d’équivalences linguistiques entre les langues. Voici l’exemple donné dans le livre pour saisir l’idée : On comprend dans cet exemple que la signification du message ne se retrouve pas uniquement dans les mots, mais également dans les connaissances extralinguistiques de l’interprète et de sa compréhension du contexte dans lequel il intervient. Ainsi, il n’est pas étonnant de voir un interprète accomplir son travail plus aisément lorsqu’il a l’opportunité de se préparer avant un entretien ou de suivre des formations pour enrichir ses connaissances à propos de son milieu de pratique. La théorie du skopos, popularisée dans les années 1980 et 1990, minimise également la notion d’équivalence …