Alternative francophone
Pour une francophonie en mode mineur
Volume 3, numéro 3, 2023 Imaginer des constellations linguistiques et théoriques pour l’étude des littératures autochtones Imagining Linguistic and Theoretical Constellations for the Study of Indigenous Literatures Sous la direction de Sarah Henzi et Marie-Eve Bradette
© Christine Sioui Wawanoloath, Amerikas, Acrylique et collage sur carton, 8 x 12.
Sommaire (9 articles)
Articles thématiques
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Rêves de langues, de visions, de constellations multiples : les littératures autochtones et leur étude aujourd’hui : introduction
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Indigenous Literatures at the Crossroads of Languages: Approaches and Avenues
Malou Brouwer
p. 10–31
RésuméEN :
This article examines critical discourses and approaches for the study of Indigenous literatures across languages. On the one hand, it investigates how the French-English divide is challenged by Indigenous authors and how it has been and can be further dealt with in Indigenous literary studies (ILS). On the other hand, it pays attention to the centrality and revitalization of Indigenous languages as they challenge colonial languages, complicate the French-English divide in ILS, and center Indigenous experiences. Engaging with the question “what approaches can scholars, teachers, and students in Indigenous literary studies use for the study of Indigenous literatures at the crossroads of languages?”, I highlight multilingual work by Indigenous authors, collect resources that directly engage Indigenous literatures from a (multi)language perspective, and gather approaches that can be helpful in developing a framework for the study of the multilingual corpus of Indigenous literatures.
FR :
Cet article se penche sur les discours et les approches critiques pour l'étude des littératures autochtones à travers les langues. D’une part, il étudie la manière dont les auteurs autochtones remettent en question le fossé français-anglais et la manière dont il a été et peut être traité dans les études littéraires autochtones. D’autre part, il s'intéresse à la centralité et à la revitalisation des langues autochtones dans la mesure où elles remettent en question les langues coloniales, compliquent le fossé français-anglais dans les études littéraires autochtones et sont au cœur des expériences autochtones. En répondant à la question “quelles approches les chercheurs, les enseignants et les étudiants en études littéraires autochtones peuvent-ils utiliser pour étudier les littératures autochtones à la croisée des langues ?”, je mets en lumière les œuvres multilingues d'auteurs autochtones, je rassemble des ressources qui traitent des littératures autochtones d’une point de vue de la langue et/ou du multilinguisme et je rassemble des approches qui peuvent être utiles pour développer un cadre en vue de l'étude du corpus multilingue des littératures autochtones.
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Une langue pour les dire : enseigner les littératures autochtones dans un contexte d’enseignement exclusivement francophone
Emilie S. Caravecchia
p. 32–48
RésuméFR :
Cet article propose une réflexion sur les effets des frontières linguistiques imposées par les langues coloniales anglaises et françaises en ce qui a trait à l’enseignement des littératures autochtones dans le contexte des cégeps francophones. Si une disparité émerge de ces frontières, c’est que les littératures autochtones sont étudiées dans les milieux universitaires anglophones depuis plus d’une quarantaine d’années à travers l’Ile de la Tortue — l’actuelle Amérique du Nord. Or, ce n’est que depuis une quinzaine d’années qu’elles le sont dans le milieu francophone sur le territoire dit québécois. L’arrivée plutôt récente de ce nouveau champ d’étude littéraire dans le milieu collégial amène à se pencher sur les obstacles théoriques, méthodologiques et institutionnels que peuvent rencontrer les professeur·e·s désirant enseigner, en français, les littératures autochtones. Il sera ici proposé de réfléchir aux questions liées tout d’abord à la formation des professeur·e·s de cégep en ce qui a trait à leurs connaissances au sujet des littératures autochtones acquises pendant leur parcours scolaire. Ensuite, la réflexion se poursuivra sur la question de l’accès à des œuvres fondamentales des littératures autochtones écrites en anglais. Enfin, à partir d’un cas de figure concret, il sera proposé de voir comment intégrer ces littératures dans des institutions jusqu’à présent foncièrement eurocentrées.
EN :
This article reflects on the linguistic borders imposed by colonial languages on the teaching of indigenous literatures in the context of French-speaking CEGEPs. If a disparity emerges from these borders, this is because indigenous literatures have been studied for more than forty years in English-speaking universities across Turtle Island — now called North America. However, they have been studied in the French-speaking world, in so-called Quebec, for only around fifteen years. The rather recent arrival of this new field of literary study in the CEGEP environment leads us to examine the theoretical, methodological, and institutional obstacles that professors wishing to teach, in French, indigenous literatures may encounter. It will be proposed, here, to reflect on the issues linked to the knowledge of indigenous literatures that teachers acquired during their academic education. Then, the paper will address the question of access to fundamental works on indigenous literatures written in English. Finally, based on a real-world scenario, will be discussed possible ways of integrating these literatures in institutions that remain deeply Eurocentric.
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Soutenir la posture littéraire dans la traduction des littératures autochtones vers l’espagnol
Ana Kancepolsky Teichmann et María Paula Salerno
p. 49–66
RésuméFR :
Dans cet article, nous nous proposons de démontrer l’importance de problématiser les processus de traduction des littératures autochtones vers l’espagnol afin de maintenir la posture littéraire de leurs autrices dans les versions traduites. Nous travaillons principalement sur le cas de l’écriture poétique de Natasha Kanapé-Fontaine, en analysant les difficultés textuelles auxquels nous avons été confrontées lors de la traduction d’une sélection de poèmes extraits de N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures (2012) et de Bleuets et Abricots (2016) pour l’anthologie bilingue Mujer tierra, mujer poema, récemment publiée en Argentine. Ces textes actualisent des problématiques liées à l’identité des Premiers Peuples du Québec, ce qui nous amène à réfléchir sur la dimension créatrice de la poésie autochtone du sud du continent et à entamer le dialogue interculturel entre des productions de latitudes différentes. À cet égard, nous soulignons l’importance du rôle de la traduction pour rendre visible des littératures peu connues et favoriser la relation entre cultures.
EN :
In this article, we demonstrate the importance of problematizing the processes of translating Indigenous literatures into Spanish, in order to maintain the literary posture of their authors in the translated versions. We focus on Natasha Kanapé-Fontaine's poetic writing, and we analyze the textual difficulties we faced when translating a selection of poems from N'entre pas dans mon âme avec tes chaussures (2012) and Bleuets et Abricots (2016) for the bilingual anthology Mujer tierra, mujer poema, recently published in Argentina. These texts underscore some issues linked to the identity of First Peoples in Quebec, leading us to reflect on the creative dimension of Indigenous poetry from the south of the continent, and to initiate intercultural dialogue between productions from different latitudes. In this respect, we emphasize the important role of translation in making little-known literature visible, and in fostering relations between cultures.
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What Indigenous Literatures Have to Do with Decolonization: Selections from Marilyn Dumont’s A Really Good Brown Girl (1996) and The Pemmican Eaters (2015)
Chinelo Ezenwa
p. 67–86
RésuméEN :
This article explores selected poems from Dumont’s A Really Good Brown Girl and The Pemmican Eaters as critical works that address dual aspects of Indigenous decolonization struggles. While the poems from A Really Good Brown Girl adopt the language/poetics of resistance to critique cultural and linguistic discrimination, The Pemmican Eaters focuses on reclaiming and regenerating the author’s Indigenous identity. One of the strategies common to the poems is the repositioning of former derogatory terms to reclaim the Indigenous affirming meanings and histories of these words. By representing these words and memories through a Cree Métis perspective, Dumont subverts popular colonial myths and shows the truth about settler-colonization to the colonizer. Dumont’s poems offer a strong and direct critique of settler-colonization as well as the colonizer’s attempts to control Indigenous bodies and worldviews. And by so doing, they demonstrate the connections between literary activism and ongoing Indigenous journeys to sovereignty.
FR :
Cet article explore une sélection de poèmes de A Really Good Brown Girl et The Pemmican Eaters de Dumont en tant qu’œuvres critiques qui abordent deux aspects des luttes de décolonisation autochtones. Alors que les poèmes de A Really Good Brown Girl adoptent le langage/poétique de la résistance pour critiquer la discrimination culturelle et linguistique, The Pemmican se concentre sur la récupération et la régénération de l’identité autochtone de l’auteur. L’une des stratégies communes aux poèmes est le repositionnement d’anciens termes péjoratifs pour récupérer les significations et les histoires autochtones affirmatives de ces mots. En représentant ces mots et ces souvenirs à travers une perspective métisse crie, Dumont renverse les mythes coloniaux populaires et montre au colonisateur la vérité sur la colonisation par les colons. Les poèmes de Dumont offrent une critique forte et directe de la colonisation ainsi que des tentatives du colonisateur de contrôler les corps et les visions du monde autochtones. Et ce faisant, ils démontrent les liens entre l’activisme littéraire et les efforts continus des Autochtones vers la souveraineté.
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Enjeux de la vulnérabilité et du care dans Halfbreed de Maria Campbell
Adina Balint
p. 87–99
RésuméFR :
En 2021, paraît pour la première fois en traduction française Halfbreed (Sudbury, Prise de parole) de Maria Campbell, un texte autobiographique primordial dans les littératures autochtones du Canada, initialement publié en anglais en 1973. À partir de théories féministes non-autochtones de l’éthique du care, cet article analyse les enjeux de la vulnérabilité de manière subversive. Il fait l’hypothèse que prêter attention aux histoires personnelles des Métis permet de déconstruire les rapports hiérarchiques imposés par le colonialisme et de comprendre le rôle de l’art de raconter dans la restitution des savoirs autochtones.
EN :
In 2021, Halfbreed (Sudbury, Prise de parole) by Maria Campbell, an essential autobiographical text in Canadian Indigenous literatures, initially published in English in 1973, was released in French translation for the first time. Drawing on non-Indigenous feminist theories of the ethics of care, this article analyzes vulnerability in a subversive way. It makes the hypothesis that paying attention to Métis personal stories allows us to deconstruct hierarchical relationships imposed by colonialism and to understand the role of storytelling in the restitution of Indigenous knowledge.
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Réparer l’oubli en suscitant l’empathie : Kuei, je te salue de Deni Ellis Béchard et de Natasha Kanapé Fontaine
Christophe Premat
p. 100–118
RésuméFR :
Si les études autochtones sont marquées par la visibilité grandissante de certain.e.s poètes et écrivain.e.s des Premières Nations au Canada, il est possible de repérer des innovations esthétiques qui, au-delà de la poésie et du roman, intègrent de manière plus forte le point de vue des destinataires. C’est le cas du dialogue initié par Natasha Kanapé Fontaine et de Deni Ellis Béchard évoquant le racisme et l’ignorance de l’histoire des Premières Nations dont celle de la nation innue. En s’inscrivant dans une tradition épistolaire classique, Natasha Kanapé Fontaine et Deni Ellis Béchard s’adressent à un destinataire québécois en lui proposant de reconsidérer l’histoire du Québec et du Canada en prenant en compte l’héritage de la nation innue. Cet échange de lettres prend l’allure d’une conversation vivante et est utilisée comme une forme de didactisation des débats de la Commission de vérité et réconciliation du Canada sur les abus systématiquement commis dans les pensionnats. Cette Commission a rendu son rapport en 2015 peu avant la parution de Kuei, je te salue en pointant les racines d’un racisme institutionnalisé. Si la littérature autochtone s’affirme sans aucun doute comme un acte de ”survivance” culturelle, il semble que ce dialogue soit davantage habité par la création d’une empathie. En ayant recours aux méthodes de la communication non violente, nous aimerions analyser la manière dont cette œuvre travaille sur la relation intercommunautaire au Québec dans une perspective de pédagogie interculturelle Nous nous intéresserons au péritexte éditorial, à la musicalité du dialogue fait de reprises, de refrains et de commentaires avec la découverte des dernières lettres. Quel est le contrat proposé au lecteur par les deux protagonistes pour l’emmener dans ces vingt-six lettres ? Puis, nous nous intéresserons à l’apprentissage des mots-clés de la langue innue pour correspondre et enfin aux métaphores utilisées par les deux auteurs pour frayer ce chemin de la reconnaissance. L’hypothèse que nous émettons est celle d’une remembrance qui n’est pas une mémoire accusatrice, mais une mémoire réincorporant l’oubli de ces communautés. Cette réincorporation nous semble dessiner la voie d’une empathie nécessaire pour aborder la question de la réconciliation des mémoires.
EN :
While Indigenous studies are characterized by the growing visibility of some First Nations poetsand writers in Canada, it is possible to identify aesthetic innovations that, beyond poetry and the novel, integrate more strongly the point of view of the recipients. This is the case of the dialogue initiated by Natasha Kanapé Fontaine and Deni Ellis Béchard dealing with racism and ignorance of the history of the First Nations, including that of the Innu nation. By connecting to a classic epistolary tradition, Natasha Kanapé Fontaine and Deni Ellis Béchard invite Quebec people to reconsider the history of their country by taking into account the legacy of the First Nations. This exchange of letters takes the form of a lively conversation and is used as a form of didactization of the debates of the Truth and Reconciliation Commission of Canada on the systematic abuses committed in residential schools. This Commission issued its report in 2015 shortly before the publication of Kuei, My Friend by pointing out the roots of institutionalized racism. While indigenous literature undoubtedly asserts itself as an act of cultural survival, it seems that this dialogue is more inhabited by the creation of empathy. Using the methods ofnonviolent communication, the article analyzes the way in which this work strengthens zntercommunity relations in Québec from the perspective of intercultural pedagogy. The article focuses on the editorial peritext, the musicality of the dialogue made up of chorus, refrains and comments with the discovery of the last letters. What is the contract offered to the reader by both protagonists in the twenty-six letters? Then, the attention on learning the keywords of the Innu language to correspond and finally on the metaphors used by both authors to build the path of recognition. The hypothesis is the one of a remembrance which is not an accusatory memory, but a memory reincorporating the forgetting of these communities. This empathy embodies in fact the question of reconciliation of memories.
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Pour en finir avec la contre-culture settler : place à la contre-culture autochtone
Isabelle Kirouac Massicotte
p. 119–137
RésuméFR :
À ce jour, on a surtout étudié la contre-culture d’un point de vue occidentalocentriste et colonialiste, et ce sans reconnaître l’appropriation culturelle qui la caractérise pourtant, qu’il s’agisse des nombreux emprunts superficiels aux spiritualités orientales (Roszak 1995 [1969]) ou encore de l’adoption artificielle de modes de vie autochtones, que l’on a qualifiée, à tort, de « retour à la nature » (Deloria 2013). La contre-culture, dans sa signification véritable de remise en question des structures oppressives de la vie (le Blanc 2014), est intrinsèquement liée aux prises de parole autochtones des années 1970 et 1980. Pour Emma LaRocque (Crie/Métisse), puisque les littératures autochtones, en tant que forme d’expression collective, n’étaient pas possibles avant les années 1970 (2010 : 19), les écritures autochtones seraient l’histoire d’une contestation stratégique (2010 : 24). Plus encore, la littérature contestataire serait le canon des littératures autochtones (LaRocque 2010 : 25). C’est la dévalorisation colonialiste des cultures autochtones qui a généré une réponse contre-culturelle, un contre-discours autochtone qui, porté par la colère et la polémique, invite à une révision de plusieurs sources de savoir eurocentrées (LaRocque 2010 : 70 et 108). Avec cette contribution, j’espère parvenir à déconstruire la contre-culture settler et à esquisser les contours de ce que sont les contre-cultures littéraires autochtones.
EN :
To this day, counterculture has mostly been studied from an occidental and colonialist perspective, without recognizing its cultural appropriation, whether it be the numerous superficial borrowings from oriental spiritualities (Roszak 1995 [1969]) or the artificial adoption of Indigenous lifestyles, wrongly qualified as a "return to the nature" (Deloria 2013). Counterculture in its true meaning challenges the oppressive structures of life (le Blanc 2014) and is intrinsically linked to Indigenous voices from the 1970s and 1980s. According to Emma LaRocque (Cree/Métis), since Indigenous literatures were not possible as a collective form of expression before the 1970s (2010: 19), Indigenous writings constitute the history of a strategic contestation. Furthermore, dissenting literature is the literary canon in Indigenous literatures (LaRocque 2010: 25). The colonialist devaluation provoked a countercultural response, an Indigenous counter-discourse that calls for a review of eurocentric knowledges (LaRocque 2010: 70 and 108). Through this contribution, I aim to deconstruct settler counterculture, and to provide an outline of what Indigenous literary countercultures are.
Contributions libres
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Black-Label et une flèche pour un pays à l’encan : marronnages et écopoésies chez Léon Gontran Damas et Elie Stephenson
Anne-Sophie Dubosson
p. 138–149
RésuméFR :
Faire « marronner » des textes poétiques pour y relever les différents tissages et lignes de fuite qu’offrent ces mêmes œuvres : Voici ce que tente d’explorer cet article à travers deux auteurs guyanais, Leon-Gontran Damas et Ellie Stephenson. D’un côté, Black Label de Damas, où se déploie cet « imaginaire de l’enchevêtrement » proposé par Sandrine Bédouret-Larraburu et David Bérouret et de l’autre, Ellie Stephenson, dans son œuvre poétique Une flèche pour le pays à l’encan. Faire dialoguer ces œuvres entre elles participe du désir de forger des géographies intentionnelles de marronnage, d’inscrire celles-ci dans cette « dynamique de lyannaj » que nous propose Dénètem Touam Bona à travers cette question, formulée par Gramsci : « Que faire, comment riposter, comment créer des alliances face à la fragmentation de forces subalternes qu’opère toute hégémonie ? ». Il nous faudra ainsi concevoir cette réflexion autour du territoire mouvant et contestataire de ces œuvres marron, selon les frontières imaginaires toujours renouvelées de l’exil et de la quête de soi.
EN :
To "marronner" poetic texts to identify the different weavings and vanishing lines offered by these same works, this article attempts to explore through two Guyanese authors, Leon-Gontran Damas and Ellie Stephenson. On the one hand, Damas's Black Label, where the "imaginary of entanglement" proposed by Sandrine Bédouret-Larraburu and David Bérouret unfolds, and on the other, Ellie Stephenson, in her poetic work Une flèche pour le pays à l'encan. Bringing these works into dialogue with one another is part of the desire to forge intentional geographies of marronnage, to inscribe them in the "dynamics of lyannaj" proposed by Dénètem Touam Bona through the question formulated by Gramsci: "What to do, how to fight back, how to create alliances in the face of the fragmentation of subaltern forces brought about by all hegemony? In this way, we'll have to design this reflection around the shifting, contested territory of these brown works, according to the ever-renewed imaginary frontiers of exile and the quest for self.