Corps de l’article
En marge d’une table ronde sur les enjeux du handicap et de l’accessibilité lors des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, organisée par le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis[1], Julien Hugelé, athlète de haut niveau en para tir sportif a pris la parole afin de valoriser les actions du groupe d’experts d’usage JOP : « ce groupe est essentiel, nous sommes meilleurs lorsque l’on maîtrise et que l’on est usager ».
Ce groupe d’experts d’usage rassemble quinze personnes en situation de handicap permettant de représenter les différentes formes de handicap telles que le handicap visuel, auditif, moteur, troubles cognitifs ou encore la déficience intellectuelle, avec l’objectif d’oeuvrer à développer une plus grande accessibilité en amont des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP). Cette démarche révèle une volonté de co-construire une politique, avec les personnes concernées, une construction de projet basée sur le « savoir expérientiel » et sur l’expertise usagère. Une démarche illustrant la nécessité de reconnaître les capacités et les savoirs des personnes usagères.
Origines et ambitions du groupe d’experts d’usage
Installé depuis le 8 novembre 2022, le Groupe de travail Accessibilité Transport, présidé par le délégué interministériel aux Jeux Olympiques et Paralympiques, a suscité l’intérêt des personnes concernées et a permis d’identifier les défis que présente la mise en place d’un plan de transports pour les personnes en situation de handicap spécifique. Néanmoins, elles restaient sous-représentées et le format plénier à 45 personnes était peu propice à la co-construction.
Dans ce contexte, la Délégation interministérielle aux JOP (DIJOP) a initié la constitution d’un groupe d’experts d’usage composé de personnes concernées, avec la volonté de bénéficier de l’organisation de cet événement majeur afin d’en faire un vecteur d’accélération de la mise en accessibilité.
Constituée en avril 2023 dans la dernière phase des préparatifs des Jeux Olympiques et Paralympiques, il était alors nécessaire de mettre en avant la parole des experts d’usage afin qu’ils puissent partager leur ressenti et leur expérience avec les interlocuteurs adéquats (opérateurs de transports, collectivités hôtes, directeurs de sites olympiques et paralympiques, etc.) et participer à garantir une qualité de service pour les spectateurs, les bénévoles et les athlètes en situation de handicap dans un pays où l’accessibilité universelle peine à s’imposer.
Un appel à candidature a été lancé par la DIJOP auprès des membres du Conseil national consultatif des personnes en situation de handicap (CNCPH). Quinze personnes se sont portées candidates avec des profils divers : certaines interviennent en leur propre nom, d’autres pour un collectif, certaines sont malentendantes, d’autres avec une déficience visuelle, ou encore avec des troubles cognitifs, des troubles du neurodéveloppement ou trouble du spectre autistique.
Initialement, la question de l’accessibilité pendant les Jeux était présentée sous l’égide de l’héritage et du développement du parasport. En 2022, lors de la structuration d’un groupe de travail sur l’accessibilité des transports, les associations du secteur du handicap ont fait part de leur souhait d’être davantage intégré dans le suivi de ces projets et dans la valorisation de leur expertise puisque selon Alexandra Barrier, conseillère à la santé et au handicap à la DIJOP : « on constate souvent des écarts entre la norme et l’usage. Il arrive souvent qu’administrativement l’infrastructure soit accessible mais comme le cheminement n’est pas forcément pris en compte, il peut y avoir des ruptures d’accessibilité et dans ce cas, c’est un échec ».
Le « savoir expérientiel », une méthode saluée en marge des Jeux Olympiques et Paralympiques
Dès lors, depuis la constitution de ce groupe, les experts d’usage ont été associés à des réunions d’information pour comprendre l’écosystème des JOP 2024 et l’état des lieux des stratégies accessibilité. En mai, deux réunions ont permis au Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 de présenter l’intégralité de leur stratégie accessibilité et l’état d’avancement des actions lancées. Le groupe d’experts d’usage a également participé à l’atelier IPCS Pratique sportive des personnes en situation de handicap, lancé par le ministère des Sports et des JOP pour comprendre les mesures héritage JOP dans le développement de la pratique parasportive.
À partir de juin, une fois le cadre de l’évènement partagé à tous, les premières rencontres avec des opérateurs de transport ont été initiées. Trois étapes clés d’intervention ont été définies :
-
Réunion d’information et d’échanges. Ces temps permettaient de partager les retours d’expériences vécues dans la vie quotidienne et de proposer des axes d’amélioration ;
-
Programmation d’un test de cheminement (en gare, station, aéroport, matériel roulant…). Ainsi, des tests ont pu être réalisés à l’aéroport de Roissy, à la gare de Lyon (partie SNCF et RATP) ou encore des tests des navettes IDFM à gare de l’Est et de tramway. Une grille d’évaluation synthétique permettait de s’assurer du suivi des dispositifs à tester ;
-
Réalisation d’un compte rendu partagé avec les parties prenantes et dont les principaux points d’amélioration pouvaient faire l’objet d’un suivi au GT accessibilité transport.
Les membres du groupe d’experts peuvent également être associés à la réalisation de « Test event » ou de « test de cheminement » concernant les sites Olympiques et Paralympiques, parfois en configuration Jeux. Par exemple, à l’Arena Porte de la Chapelle, à l’occasion des Internationaux de Badminton, les membres du groupe ont eu l’opportunité le 9 mars dernier de visiter l’infrastructure dans les conditions d’accueil d’une compétition et ont pu relever des axes d’amélioration, à la fois sur le cheminement en transport en commun, sur la voierie et l’accessibilité au site et également au sein de l’Arena (infrastructure et service). Plus récemment, les « testeurs » ont pu analyser et commenter le niveau d’accessibilité du cheminement depuis la gare du Bourget jusqu’au site qui accueillera les épreuves olympiques d’escalade.
Ainsi, ces tests ont pour objectif de rassembler une multitude d’acteurs parmi lesquels la DIJOP, les collectivités et les opérateurs compétents afin d’apporter des améliorations et les testeurs faisant part de leurs observations pour une meilleure accessibilité pendant et après les Jeux.
L’animation de ce groupe par la DIJOP repose sur une méthodologie participative d’écoute et de valorisation de l’expertise usagère. Les testeurs sont amenés à se prononcer sur l’accessibilité au site par les différents moyens de transports, le cheminement extérieur vers le site, le passage de sécurité, la qualité d’accueil et le niveau d’accessibilité du site en lui-même.
Cette méthode a conquis les différents « testeurs » qui ont appris à travailler ensemble selon Nicolas Mérille, conseiller national accessibilité à l’APF France Handicap : « On est assez soudés les uns avec les autres, c’est une excellente nouvelle ! Quand on parle d’accessibilité universelle, c’est important que tout le monde comprenne bien qu’il ne faut pas faire prédominer une problématique par rapport à une autre ». Cette approche a également permis aux testeurs de s’acculturer aux paramètres et aux nécessités des autres testeurs : « En réalité, quand une seule entité est questionnée, on a pu constater qu’il y avait des conflits d’usage car certains besoins exprimés ne correspondaient pas aux attentes des autres. Dans ce groupe, on a tous été amenés à consolider des liens, à se parler sur le terrain, à s’entendre et à prendre en compte les besoins des uns et des autres, c’est très enrichissant et ça participe à nous former sur une conception universelle de l’accessibilité. »[2]
Cette démarche participative et usagère a déjà pu porter ses fruits afin d’améliorer l’accessibilité de certains sites ou cheminement, notamment auprès du groupe ADP (Aéroports de Paris) ayant créé son propre comité consultatif PSH, en rassemblant la communauté aéroportuaire pour que les personnes en fauteuil roulant puissent garder leur fauteuil jusqu’aux portes de l’avion ou encore en créant des salles de change à destination des personnes handicapées au sein de des aéroports Orly et Roissy, et ce afin de respecter leur intimité et d’améliorer la qualité de service.
Une fois les contacts pris et les premiers temps de travail initiés, les membres du Groupe d’experts d’usage ont régulièrement été sollicités, pour coconstruire des modules de sensibilisation des agents en gares pour SCNF Gares & Connexions, pour tester les véhicules des para- athlètes pour Paris 2024, pour déployer du mobilier d’hypostimulation dans les aéroports ou encore pour tester de la signalétique augmentée au sein de gares.
Les échanges avec les personnes concernées ont notamment pris forme à travers une charte d’engagement « 10 mois, 10 mesures pour améliorer l’accessibilité d’ici les JOP » signée entre la Première ministre et les opérateurs de transports, et dont la mise en place est suivie en GT accessibilité transport.
De fait, ce groupe d’experts impulse une dynamique, une nouvelle manière d’évaluer l’accessibilité en marge des Jeux de Paris 2024. Si cette démarche a su convaincre les membres du groupe ainsi que les opérateurs, la crainte de voir cette manière de construire une politique publique disparaître une fois les Jeux Olympiques et Paralympiques achevés demeure.
L’après JOP, un groupe d’experts d’usage héritage ?
La notion d’héritage est un emblème des Jeux de 2024, composée à la fois d’un héritage matériel mais également immatériel. Alors que l’accessibilité bénéficiera d’un héritage matériel illusoire, il est important que la démarche de constitution de ce groupe experts d’usage fasse « partie intégrante d’un héritage immatériel de cet événement mondial »[3].
En effet, certains testeurs revendiquent une valorisation plus large de leur expertise lors de projets futurs, la création d’une « maîtrise d’usage » qui interviendrait en amont de la rédaction du cahier des charges. Cette participation à la constitution de projets publics ou privés permettrait à ces experts d’alerter et de conseiller avec une marge de manoeuvre plus conséquente.
Cette dimension d’héritage immatériel du groupe d’experts d’usage JOP a d’ores et déjà inspiré de nouvelles initiatives auprès des opérateurs et acteurs consultés et évalués. C’est notamment le cas du groupe ADP qui a créé son propre comité consultatif des personnes en situation de handicap.
Cette initiative est révélatrice de l’impact qu’a pu susciter la constitution du groupe d’experts d’usage JOP.
En somme, si ce groupe a déjà impulsé un éveil des consciences, il est nécessaire qu’il insuffle une nouvelle manière de concevoir une politique publique afin de garantir, à terme, une conception universelle de l’accessibilité.
Parties annexes
Annexe
10 mesures pour améliorer l’accessibilité
-
Accélérer la généralisation de l’accessibilité sonore et visuelle du réseau du métro francilien pour faciliter la mobilité des voyageurs ayant des déficiences sensorielles – RATP
-
Rehausser le niveau d’information sur l’accessibilité du réseau francilien pour permettre aux usagers de mieux préparer leurs trajets en amont – RATP
-
Ouvrir début 2024 la plateforme unique d’information et de réservation des prestations d’assistance en gare à l’intention des voyageurs en situation de handicap et à mobilité réduite – SNCF
-
Améliorer la qualité des services d’assistance et la coordination des différents opérateurs réalisant ces prestations d’assistance en Ile-de-France et dans les Régions – SNCF
-
Accroître la disponibilité des équipements en gare, notamment des ascenseurs – SNCF
-
Rehausser et contrôler dans les aéroports les formations des agents opérationnels en relation avec les personnes en situation de handicap – ADP
-
Généraliser la possibilité de conserver l’usage de son fauteuil roulant jusqu'à la porte de l'avion – ADP
-
Intensifier la formation et la sensibilisation des chauffeurs de taxis et VTC au bon accueil des personnes en situation de handicap - DGITM
-
Renforcer les contrôles et les sanctions de l’accueil des personnes en situation de handicap et à mobilité réduite par les conducteurs de taxis et VTC – DGITM
-
Assurer la pleine participation des personnes en situation de handicap dans le cadre du groupe d'experts d'usage et des différents comités consultatifs des opérateurs de transport
Notes
-
[1]
Colloque Les Enjeux des Jeux « Sports, cultures et altérités », Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, 4 et 5 avril 2024.
-
[2]
Entretien avec Sandra Bossard, présidente de l’AFPAPH et membre du CNCPH. 33 min. 28 mars 2024.
-
[3]
Entretien avec Nicolas Merille, conseiller national accessibilité APF France Handicap. 30 min. 10 avril 2024.
Bibliographie
- Gouvernement français. (2023, 20 septembre). Dossier de presse. Comité interministériel du handicap. https://handicap.gouv.fr/sites/handicap/files/2023-09/DP%20Comit%C3%A9%20interminist%C3%A9riel%20du%20handicap_CIH_septembre%202023.pdf