Compte rendu

Réflexions à propos du livre de Jean Tirole, Économie du bien commun, au moment d’un départ à la retraite[Notice]

  • Gérard Bélanger

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La publication du livre de Jean Tirole est un évènement important : un récent détenteur du prix Nobel d’économie livre ses réflexions sur sa discipline et résume ses travaux dans un livre en langue française destiné à un large public. Toutefois, il est possible que le nombre élevé de pages du livre (629) éloigne une bonne partie du public potentiel ou rende un peu fastidieuse une lecture complète, comme ce fut mon cas. Cependant, comme l’indique l’auteur, les chapitres peuvent être lus indépendamment les uns des autres. L’ouvrage se divise très bien en deux grandes parties qui pourraient chacune former un livre. Je résume l’oeuvre en utilisant des passages de l’avant-propos. La première partie comprend trois sections. Les deux premières « ont trait au rôle de la discipline économique dans notre société, à la position de l’économiste, au travail quotidien du chercheur de cette discipline, à son rapport aux autres sciences sociales et au questionnement des fondements moraux du marché. » Les deux chapitres de la troisième section « étudient deux des acteurs principaux de notre vie économique : l’État et l’entreprise. » La deuxième partie « propose donc un voyage au travers des sujets qui affectent notre quotidien, mais que nous ne contrôlons pas pour autant : le réchauffement climatique, le chômage, l’Europe, la finance, la concurrence et la politique industrielle, notre relation au numérique, l’innovation et la régulation sectorielle… Mon message est optimiste. Il explique les raisons pour lesquelles il n’y a pas de fatalité aux maux dont souffrent nos sociétés… » Mon appréciation de ce livre est très personnelle : à quelques jours d’une prise de la retraite après près d’un demi-siècle passé à l’université, la critique de cet ouvrage s’insère dans un cheminement bien normal qui conduit à me distancer de l’économie. Plusieurs passages de ce livre m’ont quelque peu irrité parce qu’ils s’opposent à des messages fondamentaux que j’ai essayé de communiquer tout au long de ma carrière. Quel est le premier de ces messages? Au premier examen partiel des deux cours que je viens d’enseigner, je posais la question suivante : « L’économie comme discipline a deux branches. Définissez-les en les illustrant. Pourquoi l’une des deux branches n’est-elle pas de la science? » L’économiste se présente en effet comme un être qui a deux discours fort différents. Le premier se veut scientifique : il vise à expliquer les phénomènes sociaux en recourant généralement à un mode d’approche, l’individualisme méthodologique. C’est ce qu’on appelle l’économie positive. Le deuxième type de discours de l’économiste veut juger au lieu de se contenter d’expliquer. C’est l’économie normative. Cette branche devrait plutôt s’appeler « morale économique ». Lorsqu’un économiste se prononce sur le fait qu’un projet doit être entrepris ou qu’une politique quelconque doit être suivie, il ne fait pas de la science. Le mot « doit » montre bien que la question se situe dans le domaine des prescriptions basées sur des normes. Comme l’indique le titre de son livre Économie du bien commun, Tirole mélange les deux branches, science et morale : Un autre prix Nobel, Milton Friedman, établit pour sa part une nette distinction entre science et morale : En ne faisant pas une distinction très nette entre science et morale, Tirole donne une image tronquée de l’essence de la science économique : pour le lecteur, l’économiste apparaît davantage comme un prédicateur qu’un scientiste qui cherche à comprendre comment fonctionne le système social avec ses différentes institutions. Chez maints économistes, l’intervention gouvernementale est prescrite par l’identification de la présence d’une défaillance dans la décentralisation sans se préoccuper des lacunes de la centralisation. Ces personnes adoptent …

Parties annexes