ArticlesDeuxième partie – Préférences sociales et jeux

Rationalité limitée et interactions stratégiques dans les jeux expérimentaux[Notice]

  • Antoine Terracol et
  • Jonathan Vaksmann

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La théorie microéconomique standard suppose la rationalité des agents, c’est-à-dire que ces derniers vont faire des choix dans le but de maximiser leur utilité. Cependant, dans une situation d’interactions stratégiques, ce qui est optimal pour un agent va dépendre des choix faits par les autres agents. Il est dès lors impossible de considérer le choix d’un agent pris isolément et la résolution du problème passe par l’analyse jointe du problème de décision de tous les agents impliqués. L’analyse des interactions stratégiques a une longue histoire en économie, en probabilités ainsi qu’en sciences politiques. Dès 1713, James Waldegrave discute d’une stratégie mixte dans un jeu de cartes à deux joueurs (Bellhouse, 2007). Plus tard, Augustin Cournot (1838) propose une analyse pionnière de l’interaction de plusieurs firmes en situation d’oligopole. Il considère que chaque firme choisit son niveau de production en considérant le niveau de production des autres comme étant donné et construit une fonction de meilleure réponse aux choix des autres firmes. Il montre ensuite qu’un équilibre stable peut se mettre en place par un processus itératif d’équilibration. Les situations d’interactions stratégiques ont ensuite été modélisées de façon formelle par von Neumann (1928) et von Neumann et Morgenstern (1944) et se sont principalement concentrés sur les jeux à deux joueurs à somme nulle. La publication ultérieure de Nash (1950) de son concept d’équilibre dans les jeux non coopératifs à n joueurs a achevé l’ancrage de la théorie des jeux et de l’analyse des interactions stratégiques dans la science économique. L’équilibre de Nash requiert cependant un fort degré de rationalité de la part des agents. En particulier, ces derniers doivent non seulement être rationnels en donnant une meilleure réponse à leurs croyances, mais la connaissance commune de la rationalité doit également être établie entre les agents, c’est-à-dire que chaque joueur doit savoir que les autres sont également rationnels, que ces derniers savent que les autres sont rationnels, etc. À l’équilibre, puisque les agents choisissent des meilleures réponses qui sont mutuellement compatibles, les croyances doivent être correctes. Le statut positif ou normatif de la théorie des jeux et de l’équilibre de Nash a très tôt fait l’objet de débats et la question de la validité de la théorie des jeux, en tant que corpus à même de décrire le comportement « réel » des agents, a vite été posée. Les premières tentatives de validation empiriques des hypothèses et prédictions de la théorie des jeux par Flood (1952, 1958), bien que critiquables par leur méthodologie, ont permis de conclure que les hypothèses habituelles de la théorie des jeux étaient vraisemblablement trop fortes pour espérer décrire les comportements humains. Par la suite, la montée en puissance de la méthode expérimentale en économie a permis de tester avec plus de rigueur les prémisses et prédictions de la théorie des jeux. Si ces dernières semblent dans certains cas concorder avec les observations empiriques, il suffit parfois d’une petite modification des paramètres pour que cet accord disparaisse (Goeree et Holt, 2001). Dès lors, de nombreux travaux ont cherché à développer des modèles associant puissance explicative des comportements observés et hypothèses moins fortes sur les processus cognitifs des agents. Cet article passe en revue un certain nombre de ces approches, dont le point commun est de supposer une rationalité moins contraignante de la part des agents. Lorsque l’on cherche à expliquer les comportements observés dans des jeux expérimentaux, deux aspects sont à considérer. Le premier concerne les réactions initiales des agents, c’est-à-dire la façon dont ils choisissent leurs actions lorsqu’ils font face à une situation stratégique donnée pour la première fois. Ces modèles se concentrent sur le processus …

Parties annexes