Depuis Knight (1921), il est d’usage de considérer que lorsque les probabilités associées aux différents états de la nature sont inconnues, le décideur (l’agent économique) se trouve en situation d’incertitude, par opposition au risque où elles sont connues. Dans ce cadre, l’approche traditionnelle en analyse économique suppose que le décideur rationnel assigne des probabilités subjectives aux évènements et se comporte suivant une règle d’utilité espérée (Savage, 1954). L’intérêt de cette représentation du choix présence d’incertitude est double. En premier lieu, la théorie de l’utilité espérée assure la cohérence des méthodes et concepts de l’analyse économique entre les décisions en présence de risque et les décisions prises en présence d’incertitude. Le choix individuel face à un environnement relativement complexe et inconnu se réduit à l’emploi d’une règle de décision de type moyenne pondérée. Une règle de décision aussi simple peut facilement être employée dans la modélisation en économie appliquée pour intégrer l’incertitude inhérente à l’environnement décisionnel des agents économiques. Dans le prolongement de von Neumann et Morgenstern (1944), la fonction d’utilité permet de prendre en compte le goût ou l’aversion pour le risque de l’agent économique et les probabilités subjectives mesurent les croyances que cet agent assigne aux différents évènements. Il n’y a donc pas de différence entre le risque et l’incertain, puisque tous deux utilisent les mêmes objets – des probabilités et des utilités – et la même règle de prise de décision. Le second intérêt de cette représentation est la simplicité des objets qu’elle manipule. Toute source d’incertitude peut ainsi être appréhendée simplement par une distribution de probabilités subjectives, guidant les décisions de l’agent économique (Cyert et DeGroot, 1974). De plus, dans une perspective dynamique, toute nouvelle information pertinente sur la vraisemblance des évènements est intégrée de manière cohérente par l’agent économique qui révise alors les probabilités suivant la règle de Bayes. La théorie de l’utilité espérée fournit ainsi non seulement un cadre conceptuel élégant et unifié mais également un ensemble d’outils complémentaires adaptés à tout type d’analyse économique. Parallèlement au développement de son cadre formel, la théorie de l’utilité espérée a été constamment et largement critiquée. Elle a d’abord été critiquée pour les limites inhérentes à ses hypothèses, notamment l’axiome d’indépendance (Allais, 1953), puis pour l’irréalisme de ses prédictions dans un cadre statique (Ellsberg, 1961) ou dynamique (Lichtenstein et al., 1982) et finalement pour sa difficulté à rendre compte des comportements joints de prise de risque et d’assurance (Friedman et Savage, 1948). Dans ces remises en cause, les travaux d’Ellsberg (1961) occupent une place centrale. Cette place n’est pas tellement liée à la remise en cause de l’utilité espérée en soi. En effet, le fait que la théorie de l’utilité espérée ne permette pas de décrire de manière satisfaisante le comportement individuel est déjà contenu dans le paradoxe d’Allais, renforcé par les célèbres travaux de Kahneman et Tversky (1979). C’est donc sur un tout autre plan que la critique suscitée par Ellsberg se porte, celui de l’emploi d’une distribution de probabilités subjectives ou d’un comportement identique face à l’incertain et au risque. Ellsberg propose, entre autres, deux exemples très simples : l’un impliquant deux urnes remplies de boules de deux couleurs différentes (appelé exemple ou paradoxe à deux couleurs) et l’autre impliquant une seule urne, mais remplies de boules de trois couleurs différences (appelé exemple ou paradoxe à trois couleurs). Dans l’exemple à deux couleurs, le décideur fait face à deux urnes comprenant chacune 100 boules. Dans la première urne se trouvent 50 boules noires et 50 boules rouges. La composition de la seconde urne est inconnue. Le décideur fait face à un choix entre deux options. …
Parties annexes
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