Compte rendu

Piketty, T. (2014), Capital in the Twenty-First Century (translated by Arthur Goldhammer), The Belknap Press of Harvard University Press, Cambridge, Mass. 685 p.[Notice]

  • Jean-Marie Gagnon

…plus d’informations

Ce livre, tant dans sa version française qu’anglaise, a connu un immense succès de librairie. Il tire son importance du sujet qu’il traite et sera très utile. La question posée dans l’introduction « qui possédera le monde en 2050? » est préoccupante. Certaines considérations de l’auteur devraient retenir l’attention du personnel politique, à savoir que l’appauvrissement éventuel de la classe moyenne pourrait susciter de violentes réactions, ou encore que la croissance de l’inégalité de la richesse à l’intérieur d’une nation est plus inquiétante que celle entre les nations. Ces propositions sont tenues pour acquises et sous-tendent tout l’exposé. L’auteur n’en discute ni les conditions ni la probabilité de survenance. La part du produit national attribuée aux citoyens les plus rémunérés des pays anglo-saxons, soit ceux des centile et décile les plus élevés de la distribution de fréquence des revenus (le taux de concentration), a diminué de 1913, environ, jusqu’à 1980. Mais la courbe s’est alors infléchie, de façon plus marquée aux États-Unis et en Grande-Bretagne. En 2010, elle tendait vers le niveau des années 1920. Mais, ni l’Europe continentale ni le Japon n’ont connu une telle hausse. À tout le moins y est-elle beaucoup moins prononcée. Le livre de M. Piketty est consacré à l’analyse de cette hausse récente du taux de concentration, qui devrait préoccuper la génération montante. Son objectif est de suggérer des moyens de la contrôler. L’inégalité des revenus se décompose en deux parties : rémunération du travail et rémunération du capital. La seconde est, en tous pays, plus grande que la première et s’explique en partie par les héritages, et donc la naissance. La première, à notre avis la plus importante, est celle qui nous intéresse ici. Les explications possibles, et donc les solutions, dépendent de la source du phénomène. À partir des données et de l’analyse présentée dans le volume, on peut imaginer quatre hypothèses explicatives, soit quatre sources possibles : tendance « naturelle » d’un marché libre, changements apportés au régime fiscal, évolution de la technologie et lacunes de la gouvernance des entreprises. Peut-être la hausse des revenus du 1 % n’est-elle qu’un retour à la normale, temporairement bouleversée par les deux guerres mondiales. Mais cette hypothèse ne peut représenter, tout au plus, qu’une explication partielle. Elle devrait d’abord montrer pourquoi le phénomène est observé principalement dans les pays anglo-saxons. Si elle était retenue, les remèdes consisteraient à resserrer les lois sur la concurrence, de façon à contrôler la concentration et resserrer la gouvernance par les actionnaires. L’hypothèse d’une conséquence de la baisse des taux marginaux d’imposition des revenus élevés offre une deuxième explication. Non seulement dans la première moitié du XXe siècle la baisse du taux de concentration avait-elle suivi la hausse des taux marginaux les plus élevés, mais encore, dans une publication antérieure, l’auteur montre une corrélation élevée entre leur baisse et l’accroissement de la concentration du revenu. Toutefois, dans quelques pays, comme la France et surtout l’Allemagne, une baisse modérée de l’imposition n’est pas accompagnée d’une hausse marquée du taux de concentration. La relation n’est donc pas automatique. Mais elle prend place parmi les hypothèses plausibles. Elle a pu se manifester de deux façons. En premier lieu, le revenu « net d’impôt » – et les contributions potentielles aux partis politiques…– de ces contribuables s’est accru automatiquement. En second lieu, une fois la baisse acquise, il est devenu plus rentable pour les cadres supérieurs de négocier agressivement une hausse de leur rémunération : leur comportement s’est modifié. L’analyse de M. Piketty suggère que l’accroissement du taux de concentration s’explique au moins en partie par la baisse des taux d’impôt sur …

Parties annexes