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Ouverture, conflits et capacité étatique : une perspective d’économie politique[Notice]

  • Thierry Verdier

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  • Thierry Verdier
    Paris-Jourdan Sciences Économiques (PSE)

Cet article a été écrit pour la Conférence François-Albert-Angers, du 50e Congrès annuel de la Société canadienne de science économique du 12 au 14 mai 2010. Je remercie les participants pour leurs réactions et commentaires. Toute erreur restante demeure mienne.

Le rôle de l’État dans le développement a toujours été d’importance plus ou moins fluctuante dans la pensée et la politique économique. Les années soixante et soixante-dix ont été ainsi marquées par les stratégies globales de planification et de croissance tirées par le secteur public. Les expériences malheureuses de ces politiques centralisées dans un certain nombre de pays ont donné lieu dans les années quatre-vingt à un « retour de balancier » et au retrait du secteur public. On en a tiré les politiques du « Consensus de Washington » avec la mise en place de programmes d’ajustement structurel, la libéralisation économique et la promotion des activités de marché. Les résultats décevants de cette dernière approche ont remis à l’ordre du jour le rôle des institutions publiques dans le processus de développement. Ce renouveau pour l’État diffère cependant de la perspective planificatrice des années d’après-guerre. En effet, au lieu de discuter de l’allocation optimale des ressources le long d’un chemin de croissance économique, l’approche récente se concentre maintenant sur les déterminants de l’efficacité (ou l’inefficacité) de l’État, et comment ce dernier interagit avec les autre segments de la société. Au coeur de l’analyse se trouve l’idée que les institutions et le changement institutionnel sont des phénomènes majeurs du développement économique, avec en particulier le fait que la qualité des institutions publiques est étroitement associée aux performances de l’économie de marché. À cet égard, une dimension qui a particulièrement attiré l’attention de la littérature contemporaine est la notion de capacité étatique : à savoir, la capacité de l’État et les infrastructures publiques qui permettent de mettre en oeuvre une gamme de politiques publiques. Le concept de capacité étatique n’est pas nouveau ou spécifique à la science économique. En fait, partant de l’idée « d’état bureaucratique rationnel » de Max Weber, il existe en sociologie historique une tradition bien établie sur le rôle et l’évolution de la capacité étatique dans le processus de développement socio-économique. Les travaux de Charles Tilly (1985) et (1992) sont une référence classique en la matière. Ils s’intéressent à la dimension fiscale de la capacité étatique (la capacité à lever les impôts) et montrent en particulier comment capacité fiscale et guerres sont des phénomènes intimement liées au cours de l’évolution historique de l’Europe occidentale du XVIIe et XVIIIe siècles. Plus généralement, le concept de capacité étatique a été élargi pour prendre en compte tout l’éventail des compétences que l’État acquiert dans le processus de développement. Celles-ci incluent non seulement la capacité à lever les impôts et fournir les biens publics, mais aussi la protection des droits de propriété, la mise en oeuvre de l’application des contrats et la règlementation de l’activité du secteur privé. Le renforcement de la capacité étatique (state capacity building) a aussi fait l’objet d’une attention considérable récemment par les organismes internationaux et agences de développement comme la Banque mondiale, l’OCDE, DFID ou USAID. Ceci marque un intérêt croissant de la communauté internationale vis-à-vis des « pays fragiles » ou « faibles ». Ces pays sont caractérisés par des niveaux élevés de pauvreté, des structures économiques dysfonctionnelles et stagnantes et une incapacité des institutions publiques à générer un revenu suffisant pour assurer la provision de services publics essentiels à leurs citoyens. Ces États sont également très souvent le lieu de désordres civils, d’insécurité, de guerres ou de criminalité internationale. Une littérature économique sur la capacité étatique s’est aussi rapidement développée. Plusieurs modèles théoriques d’économie politique utilisent en effet ce concept pour expliquer le comportement d’extraction de rentes des élites dans un pays donné (voir Acemoglu, 2006). Empiriquement, un certain nombre de travaux tentent …

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