La plupart des pays ne peuvent emprunter à l’étranger dans leur propre monnaie, un phénomène que nous qualifions de « péché originel ». Ce problème affecte presque tous les pays, sauf les émetteurs des cinq principales monnaies – le dollar américain, l’euro, le yen, la livre sterling et le franc suisse – de même que quelques exceptions révélatrices, que nous analyserons plus loin. Ce phénomène a d’importantes conséquences sur la stabilité financière et les politiques macroéconomiques. Lorsqu’un pays souffre du péché originel, par définition sa dette extérieure sera principalement libellée en monnaie étrangère. Si le pays accumule une dette nette (comme on s’y attend dans le cas d’un pays en voie de développement), on retrouvera alors une disparité globale de monnaies dans ses comptes nationaux. Naturellement, un tel pays peut recourir à diverses mesures pour éliminer cette disparité ou carrément l’empêcher de se produire. Premièrement, il peut s’abstenir d’emprunter. Aucune disparité n’apparaîtra si le pays possède les ressources financières suffisantes pour ses propres besoins, car il n’aura alors aucune dette extérieure; mais, il souffre tout de même du péché originel, au sens où nous le définissons. Or, cette abstention est coûteuse : le pays en question renoncera aux avantages de l’emprunt à l’étranger. Ou alors, le gouvernement accumule des devises à hauteur de ses engagements étrangers. Le pays évite ainsi la disparité des monnaies, en éliminant sa dette nette (les devises qu’il détient sont égales à ses emprunts en monnaie étrangère). Mais cette option reste coûteuse elle aussi : le rendement obtenu sur les réserves accumulées est généralement nettement inférieur au coût d’opportunité des fonds. Cet article montrera que le péché originel est associé à une volatilité accrue de la production et des flux de capitaux, à une baisse de la cote de solvabilité et à des politiques monétaires plus rigides (d’où le calvaire). Nous avancerons des arguments selon lesquels un tel état de chose n’est guère attribuable aux lacunes des politiques et des institutions nationales; en effet, les estimations standards de ces variables indépendantes expliquent peu le phénomène (d’où le mystère). Nous en arriverons plutôt à la conclusion que des facteurs décourageant la diversification en devises par les investisseurs de calibre mondial – coûts de transaction dans des pays hétérogènes ou externalités de réseau – fournissent une meilleure explication pour les cas de figure observés. La solution de ce problème (la rédemption du péché originel) ne se situe donc pas simplement dans le renforcement des politiques et des institutions nationales, mais également dans le dépassement des difficultés rencontrées par les emprunteurs des pays en émergence, difficultés qui découlent directement de la structure et du fonctionnement des marchés financiers internationaux. Nous mesurerons le péché originel et nous décrirons son ampleur à la première section du présent article. Dans les sections 2 et 3, nous analyserons ses causes et ses conséquences. Par la suite, dans la section 4, nous proposerons une façon de s’attaquer au problème, avant de terminer avec quelques remarques en guise de conclusion. Pendant la période 1999-2001, sur presque 5,8 trillions de dollars de titres de créance en circulation sur les marchés internationaux, 5,6 trillions ont été libellés dans cinq monnaies seulement : le dollar américain, l’euro, le yen, la livre sterling et le franc suisse. Évidemment, les pays (et dans le cas de la zone euro, le groupe de pays) responsables de la création de ces monnaies comptent pour une part importante de l’économie mondiale et, par conséquent, sont à l’origine d’une grande partie de toutes les émissions de titres de créance dans le monde. Si les résidents de ces pays ont émis des titres de créance …
Parties annexes
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