Volume 72, numéro 2, juin 1996
Sommaire (6 articles)
Articles
-
Dynamique et hétérogénéité de l’emploi en déséquilibre
Pascal Jacquinot et F. Mihoubi
p. 113–148
RésuméFR :
Pour rendre compte à un niveau macroéconomique des hétérogénéités qui caractérisent le marché du travail, la démarche la plus indiquée est l’agrégation par intégration des micromarchés en déséquilibre. Afin d’enrichir la structure dynamique de ce modèle d’équilibre avec rationnements quantitatifs, nous incluons des variables latentes retardées dans les équations d’offre ou de demande de travail ainsi que les rationnements passés dans l’équation de salaire. À la lumière des derniers développements proposés par Laroque et Salanié (1993), l’estimation de ce type de modèle est désormais envisageable. Leur méthode repose sur une extension du pseudo-maximum de vraisemblance simulé au cas dynamique.
Notre objectif est, d’une part, d’étudier l’emploi en déséquilibre et la formation des salaires et d’autre part, de tester l’existence de micromarchés. L’application sur données macroéconomiques trimestrielles françaises met en évidence les résultats suivants. L’hypothèse d’existence de micromarchés ne semble pas rejetée. Néanmoins, depuis la fin des années 70, la contribution de l’imparfaite réallocation entre micromarchés à la montée du chômage se serait réduite. En outre, des effets de report dynamiques semblent affecter la demande de travail et les déséquilibres à la fois présents et passés pèseraient sur la croissance des salaires.
EN :
The heterogeneity that caracterizes the labour market is taken into account by the aggregation of micro-markets disequilibria. In order to get a more realistic dynamic structure, lagged latent variables are included in labour demand, labour supply and wage equations. Such a model is estimated by the recent method proposed by Laroque and Salanié (1993). They suggest an extension of the simulated pseudo-maximum likelihood method to dynamic cases.
Our aim is first, to study in a disequilibrium framework the unemployment and the wage setting process and second, to test the existence of micro-markets. The application of this model to French quarterly data gives the following results. The hypothesis of micro- markets could not be rejected. Nevertheless, since the end of the 70's, the contribution of the imperfect reallocation between micro-markets to the unemployment rise has decreased. Furthermore, intertemporal spillover effects seem to rather concern the labour demand whereas present and past disequilibria would affect the wage formation.
-
Le coût implicite de la pollution industrielle imputé aux entreprises : une étude de valorisation
Denis Cormier, Michel Magnan et Bernard Morard
p. 149–172
RésuméFR :
L’objet de la présente recherche est de quantifier l’incidence sur la valeur d’une entreprise de la prise en compte, par les investisseurs, de son bilan environnemental. Il est présumé qu’un coût implicite est imposé à chaque entreprise par les marchés boursiers selon la qualité de son bilan environnemental. Ce coût implicite n’apparaît pas aux états financiers de l’entreprise, mais son existence peut avoir des conséquences explicites sur sa performance financière future.
La relation statistique entre le bilan environnemental d’une firme, mesuré par son niveau de pollution, et sa valeur boursière est quantifiée au moyen de deux modèles de valorisation : un premier modèle est basé sur l’équation comptable fondamentale (bilan) et un second, sur le bénéfice comptable, alors considéré comme indice de valeur. L’échantillon comprend des entreprises canadiennes cotées à la Bourse en provenance de trois secteurs d’activité différents.
Pour les secteurs des pâtes et papiers, des produits chimiques et des raffineries, il apparaît que le marché attribue un coût implicite important à une mauvaise performance environnementale. Toutefois, pour le secteur de l’acier, des métaux et des mines, les résultats sont plus mitigés. En outre, il semble que le multiple de valorisation du bénéfice est plus élevé (plus faible) pour les entreprises (ne) se conformant (pas) aux normes environnementales.
EN :
The purpose of this study is to evaluate how investors take a firm's industrial pollution into account when determining its stock market value. In fact, it is assumed that an implicit cost is attributed to a firm's stock market valuation as a result of its industrial pollution performance. Such a cost is deemed to be implicit since it does not appear in a firm's financial statements. However, its existence could well have an explicit impact of a firm's future financial performance.
The relation between a firm's industrial pollution performance, as proxied by its water pollution level, and its stock market value is inferred from two valuation models: the first model relies on the accounting identity and focuses on the balance sheet while the second model relies on the income statement and focuses on reported net earnings. The sample is comprised of Canadian fîrms from three different industries that are listed on a major stock exchange.
Results show that pulp and paper firms, as well as chemical and oil refining firms, appear to bear a significant implicit cost as a result of their industrial pollution. However, the magnitude of the implicit cost assigned to steel, metal and mining firms appears to be relatively weak. Moreover, it appears that firms' earnings multiples are higher (lower) if they (do not) conform to environmental regulations.
-
Les nouveaux départs de l’économie politique
André Segura
p. 173–213
RésuméFR :
L’essai qui est tenté ici est celui d’un rapprochement entre les conceptions schumpétériennes de l’histoire des faits et de l’histoire de l’analyse. L’analyse progresse de « nouveau départ » en « situation classique »; le « nouveau départ », rupture théorique, aurait le même statut que l’innovation génératrice de la phase ascendante du cycle Kondratieff; la « situation classique », expression d’un consensus théorique, serait le pendant d’un état dans lequel l’innovation a produit tous ses effets. Mais ce rapprochement n’en reste pas au constat d’un simple parallélisme; il le dépasse pour déboucher sur un rapport de causalité.
À chaque fois que l’économie est entrée dans une phase descendante d’un cycle Kondratieff, la théorie économique a pris un « nouveau départ » vers une nouvelle « situation classique », qui marque la phase ascendante du cycle suivant. Il ne s’agit pas d’une coïncidence : les faits caractéristiques de la phase descendante sélectionnent parmi les théories disponibles celle qu’ils érigent en « nouveau départ ».
Pour étayer ce point de vue, les nouveaux départs ricardien, walrasien et keynésien sont replacés dans le contexte de la phase descendante des premier, deuxième et troisième cycles Kondratieff.
Cette thèse permettrait d’interpréter le bouillonnement théorique actuel, symptomatique de la crise de la théorie économique qui a commencé par la remise en cause du keynésianisme, comme le creuset d’un quatrième « nouveau départ » de l’analyse, à condition de considérer le renversement conjoncturel de la fin des années soixante comme l’inauguration de la phase descendante du quatrième cycle Kondratieff.
EN :
This essay tries to put together the Schumpeterian conceptions of history of facts and of history of analysis. Analysis progresses from "new departure" into "classical situation" ; the "new departure", a theoretical break, would have the same status as the generative innovation of the ascending stage of the Kondratieff cycle; the "classical situation", an expression of a theoretical consensus, would be the counterpart of a state on which innovation has produced all its effects. But putting them together does not lead to a mere statement of a single parallelism; it goes beyond to reveal a relation of causality.
Whenever the economy entered into an descending stage of a Kondratieff cycle, economic theory took a "new departure" towards a new "classical situation", which marks the ascending stage of the next cycle. This is no coincidence: the typical facts of the descending stage select among the available theories the one that they erect as a "new departure".
To support this standpoint, the new Ricardian, Walrasian and Keynesian departures are replaced in the context of the descending stage of the first, second and third Kondratieff cycles.
Such a thesis would enable us to interpret the present theoretical boiling up, typical of the crisis of economic theory which has started with the questioning of Keynesianism, as the melting-pot of a fourth "new departure" of analysis, provided the cyclical reversal of the end of the Sixties can be considered as the beginning of the descending stage of the fourth Kondratieff cycle.