ChroniquesPoésie

La collecte

  • Nelson Charest

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  • Nelson Charest
    Université d’Ottawa

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Couverture de Démarches de recherche-création, Volume 48, numéro 3 (144), printemps–été 2023, p. 9-104, Voix et Images

Depuis longtemps déjà, et selon une tendance au fond assez simple et assez prévisible, la poésie participe d’un courant de « collecte », de mélange disparate et astucieux, qui vise à marier le trivial au sublime, le rare au commun, l’ancien au nouveau, le populaire à l’électif. Les tons haut et bas se présentent au gré d’une démarche, d’une déambulation qui cherche dans les recoins les signaux d’un sens universel pourtant si confus. Parfois l’empan est très marqué, on passe d’un boulevard effréné à la ruelle abandonnée, des centres commerciaux aux lieux de culte, des chaussures percées aux Lamborghini rutilantes. Ce monde, qui offre à chacun ce qu’il veut, est souvent bien difficile à démêler et à comprendre ; ce monde rempli de contradictions qui se tournent le dos offre peu de prise à une quête de sens, et c’est là où la poésie s’affaire, sans pour autant déshonorer ce chaos, en s’y collant, mais avec le désir profond de trouver quelque chose comme une direction, un but où tendre qui, sans parler à tout le monde, serait entendu du plus large : du plus noble au plus vil, si tant est que ces catégories aient encore du sens. Depuis la disparition des grands récits, depuis que la connaissance oecuménique de ce monde est devenue chose impossible, l’humain n’a d’autre choix que de clarifier le capharnaüm qu’est devenue notre encyclopédie. Le mémorable a laissé place au notable, à une mémoire du présent qui se détache du passé, surtout s’il n’a pas laissé de traces ; être mémorialiste, aujourd’hui, consiste à tracer des généalogies purement spatiales, sans histoire, emportant ses propres filiations faites d’harmonie, de contrastes, de complémentarités, de conflits. Qu’on soit enfermé devant sa télé ou à ras les soubresauts de la rue, c’est toujours la même orgie des lieux disparates qui nous est proposée, et chaque humain qui chemine dans la vie se fait éclaireur traçant sa propre voie, boussole à la main, cherchant la sortie de ce labyrinthe et se guidant d’une vigilance d’observation attentive et soignée. Le courant qu’on a depuis longtemps qualifié de « trash » s’accompagne d’une infinie tendresse, où le blasphème côtoie sans retenue l’empathie la plus ouverte pour le déchu, le magané, le scandaleux, le rejeté. J’emprunte le terme de « collecte » au récent recueil de Jonathan Charette, intitulé Nisso, la cité sur le Soleil. Ce livre de « solarpunk » est certes marqué par l’autodérision, avec son personnage d’apprenti nommé Jonathan Charette, et pratique également, peut-être à l’aveugle, la dérision de toute une époque marquée par cette esthétique de la bigarrure, du mélange festif des registres. Cette vie impossible transposée dans une arche fantasmée, où chaque étape présente systématiquement les grandes catégories d’une civilisation, comme une épopée mais aussi comme un jeu vidéo, montre plus justement les référents de l’auteur lui-même, qui prend un malin plaisir à les brouiller et à forcer leur caducité. D’entrée de jeu, Saint-Denys Garneau côtoie Loud, Antonin Artaud et Hedi Slimane : « Deux statues discutent. Hermès aux Adidas céruléens et Paul Éluard le résistant » (14). La monnaie et le calendrier sont précisés avec une fausse rigueur que contredit toute mathématique, « le temps se décline en 1 000 jours regroupés sous l’unique mois de fructidor » (25), mais les marqueurs temporels qui suivront n’en tiendront pas compte, car « la géologie » incandescente du Soleil est « l’ennemi juré du chronomètre ». Puis dans ce chaos informe commencent à émerger, comme en sourdine d’abord mais avec de plus en plus d’insistance, des formes, au sommet d’une trajectoire à la fois concrète et abstraite …

Parties annexes