Résumés
Résumé
Mordecai Richler est considéré à la fois comme un polémiste offensant à l’endroit des Québécois francophones et comme l’un des romanciers anglo-montréalais les plus brillants, ce qui amène plusieurs critiques à diviser le jugement qu’ils portent à l’endroit de cet écrivain. Afin de dépasser les idées reçues auxquelles conduit cette représentation duelle, l’auteur se propose d’analyser le rapport ambigu que Richler entretient avec l’identité québécoise francophone, non pas dans ses essais polémiques, mais dans son oeuvre romanesque. Pour ce faire, il analyse, à partir des romans The Apprenticeship of Duddy Kravitz (1959) et Barney’s Version (1997), la fonction sociosémiotique que remplissent trois personnages féminins et francophones : Yvette, Solange et Chantal.
Abstract
Mordecai Richler is viewed both as the author of polemics that insult French-speaking Quebecers and as one of the most brilliant of Anglo-Montrealer novelists, leading a number of critics to pronounce a divided judgment on him as a writer. In order to go beyond the conventional ideas associated with this dual representation, the author undertakes to analyze Richler’s ambiguous relationship with the Francophone Quebec identity as expressed not in his polemic essays, but in his novels. To carry out this project, the author analyzes the socio-semiotic function of Yvette, Solange and Chantal, three French-speaking female characters from the novels The Apprenticeship of Duddy Kravitz (1959) and Barney’s Version (1997).
Corps de l’article
À la suite de la parution, en 1991, de « Inside/Outside » dans The New Yorker [1] et plus encore après la publication, l’année suivante, du recueil d’essais Oh Canada ! Oh Quebec ! Requiem for a Divided Country [2], Mordecai Richler est devenu, aux yeux de plusieurs francophones du Québec, l’incarnation de l’anglophone unilingue borné, irrespectueux et anti-québécois. Parce qu’il prenait position contre le nationalisme et les lois linguistiques [3] en les ridiculisant, Richler a vite occupé dans le discours social [4] la position du « diffamateur raciste et insultant qui traite nos mères de truies et nous accuse d’être une tribu antisémite [5] », comme le résume ironiquement Nadia Khouri dans l’ouvrage polémique où elle se porte à la défense de l’essayiste.
Cependant, si la représentation de Richler en odieux personnage a été largement diffusée avec fort peu de nuances dans les journaux [6] et les monologues des humoristes [7], il n’en va pas tout à fait ainsi dans le milieu des lettres. Là, l’oeuvre littéraire de Richler et son talent de romancier reconnu tempèrent les discours. Tout se passe comme si les représentations de l’« être haïssable » et du « grand romancier » se rapportaient à deux aspects distincts, fondamentalement antagoniques et inconciliables de Richler et que, sans jamais racheter ou faire complètement oublier l’« être haïssable », le « grand romancier » obligeait les critiques à scinder leur point de vue et, partant, à diviser l’homme dont ils parlent. Omniprésente, cette dualité apparaît de manière particulièrement nette et concise dans le paragraphe liminaire du texte qui a été publié après la mort de l’auteur dans la rubrique « Hommage » de la revue Lettres québécoises :
Au lendemain de sa mort, le 3 juillet dernier, les dithyrambes pleuvaient. Non pas que fussent oubliés les pamphlets, les polémiques, les attaques virulentes de celui qui s’affirma comme l’un des plus farouches adversaires du Québec. Aux yeux de Mordecai Richler, juif né à Montréal en 1931, les Québécois, en plus d’être francophones, avaient le tort d’être antisémites. Non, nul n’a oublié les sorties de l’homme, son absence totale de nuances, son incompréhension de la situation québécoise. Mais il fallait bien reconnaître aussi qu’avec lui disparaissait l’un de nos plus grands écrivains, un maître de la fiction doublé d’un polémiste exceptionnellement doué [8].
Les critiques opposent artificiellement ces deux facettes de l’homme, ce qui leur permet de rendre hommage au romancier sans pour autant cesser de vilipender l’essayiste. Ils font de la sorte l’économie d’une analyse approfondie des textes de fiction qui les amènerait à mieux saisir la complexité du rapport que l’écrivain entretient par l’écriture et l’imaginaire à l’endroit de l’identité québécoise francophone, mais qui risquerait de miner la position qu’ils adoptent d’emblée envers Richler.
La situation de l’identité québécoise francophone dans The Apprenticeship of Duddy Kravitz et Barney’s Version
S’il est vrai que l’auteur de Oh Canada ! Oh Quebec ! tient des propos insultants pour plusieurs Québécois, que dit-il d’eux dans ses autres textes, ceux qui font de lui « un maître de la fiction » et « l’un de nos plus grands écrivains » ? Les Québécois francophones qui sont représentés dans les romans de Richler reconduisent-ils simplement le dénigrement que l’on retrouve dans les essais ou s’inscrivent-ils dans la mise en scène d’une interrelation plus complexe entre les communautés de langues française et anglaise ?
La question a déjà été abordée à quelques reprises, mais toujours pour relever, avec plus ou moins de déception et de mécontentement selon les cas, que l’oeuvre romanesque de Richler ne parle à peu près pas des Québécois francophones. Dans un article consacré à Solomon Gursky Was Here [9], Gilles Marcotte note par exemple — avec raison — que, « parmi les ethnies représentées dans le roman […], la québécoise francophone obtient la palme, non pas du martyre mais de l’insignifiance [10] ». Loin de contester ce type de remarque, Richler lui-même reconnaissait qu’il n’accordait pas la même importance aux différents groupes identitaires dans ses oeuvres de fiction. Au journaliste de l’hebdomadaire Voir Jean-Hugues Roy qui lui objecte : « Vous dites apprécier le contact des deux cultures qu’on retrouve à Montréal. Pourtant, dans vos romans, vous ne parlez que d’une seule d’entre elles, l’anglaise. Où est l’autre ? », il répond :
Écoutez, je n’ai entendu aucune critique anglophone demander à Michel Tremblay : “Hey Michel, why haven’t you got more Jews or Anglophones in your books ?” Quand j’écris de la fiction, j’écris sur ce que je connais… Je ne connais pas assez de Québécois pour en faire les personnages principaux de ma fiction [11].
Malgré ce qu’en dit Richler, il n’en va pas toujours ainsi dans ses romans. Les Québécois francophones ne sont pas complètement maintenus à l’arrière-plan dans ses oeuvres de fiction. Au moment où Richler s’entretient avec Roy, il a derrière lui The Apprenticeship of Duddy Kravitz [12], dans lequel l’un des personnages principaux est une jeune Canadienne française prénommée Yvette [13] ; il est de plus en train de terminer son dernier roman, Barney’s Version [14], dans lequel Solange, une Québécoise souverainiste, et sa fille Chantal jouent un rôle important. Aux côtés des rares hommes francophones, représentés pour la plupart sous la figure de fermiers et de notables sans aucun caractère défini, il y a dans ces deux romans des Québécoises qui se situent à l’avant-plan, qui prennent la parole, portent des jugements et remplissent une fonction actantielle déterminante. Cette présence de l’identité québécoise francophone ne peut être tenue pour insignifiante au sein de la société mise en scène dans deux des romans les plus populaires de Richler [15].
Les études consacrées à la sémiotique du personnage considèrent la personne mise en scène dans le roman comme une « rencontre entre quelques qualifications et au moins une fonction [16] ». Dans les romans réalistes comme The Apprenticeship of Duddy Kravitz et Barney’s Version, la somme des énoncés dont un personnage se compose forme une unité qui justifie l’accomplissement d’un programme particulier, un procédé démontré par Vincent Jouve dans L’effet personnage dans le roman et, avant lui, par Philippe Hamon dans une étude consacrée au « personnel » des Rougon-Macquart :
[L]e personnage en général […] est conditionné à distance par un pacte de lecture particulier, par un cahier des charges constant, et par des consignes d’écriture précises[. L]e fait par exemple qu’il soit bavard ou muet […] n’est qu’une conséquence de ces consignes générales d’écriture. Le personnage, ici, est « fonction » voire « fonctionnaire », plutôt que fiction, est personnel plutôt que personne [17].
La « québécité » partagée par les personnages d’Yvette, de Solange et de Chantal serait donc liée à un ensemble de traits distinctifs — dans lequel se retrouve notamment la féminité — en un tout cohérent, qui est la « conséquence » de quelques « consignes générales d’écriture ». Dans l’univers romanesque de Richler, l’identité québécoise francophone peut être considérée comme la résultante d’un « cahier des charges » particulier que certains personnages doivent remplir. Les qualificatifs « femme » et « francophone » sont implicitement donnés pour deux des composantes majeures d’un programme, c’est-à-dire pour des dispositions qui justifient la prise en charge de fonctions spécifiques dans l’économie des textes. Publiés à près de quarante ans d’intervalle, les deux romans distinguent l’identité québécoise d’une manière nette en l’associant à un ensemble d’attributs et de potentialités, par l’intermédiaire des personnages auxquels elle se rapporte. Reste à se demander si chacun de ces textes en diffuse une même représentation ou si, au contraire, les différences entre la Canadienne française Yvette et les deux Québécoises de Barney’s Version marquent l’évolution du Québec francophone dans l’imaginaire de Richler.
Les deux textes accordent aux Québécoises une position similaire au sein de ce que Hamon nomme le « personnel du roman ». Présentes dans un nombre important de chapitres, elles ne sont toutefois jamais les héroïnes, mais plutôt les interlocutrices privilégiées des personnages principaux, auxquels elles sont subordonnées à la fois par la fonction actantielle et la position sociale. Amante de Duddy Kravitz, Yvette est également l’assistante qui l’aide à acheter des terres bordant le lac Saint-Pierre dans les Laurentides. Solange et Chantal sont des amies ambiguës de Barney Panofsky, peut-être des amantes, qui travaillent, respectivement comme actrice et comme « assistante » (M, 114) (« personnal assistant », BV, 81) dans la compagnie de production d’émissions télévisées dirigée par le héros. Duddy et Barney sont non seulement patrons, mais aussi les instances qui, dans la composition du texte, donnent un espace aux personnages féminins en leur conférant l’ensemble quasi exhaustif des attributs dont ils sont composés. Du début à la fin de The Apprenticeship of Duddy Kravitz, le narrateur extradiégétique ne prend jamais directement position. Il s’attache plutôt au point de vue de Duddy, dont les analyses et les jugements ne sont ni explicitement contestés ni entérinés par une prise de position non réfractée. Dans Barney’s Version, le rapport de dépendance entre les personnages et un focalisateur privilégié est encore plus étroit, la narration homodiégétique étant assurée par Barney lui-même, qui raconte sa propre histoire et livre son point de vue partial sur son entourage. Dans ces romans, les représentations des Québécoises sont explicitement réfractées par les regards et les jugements des Juifs anglophones. Dans l’un et l’autre cas, la femme francophone existe dans la mesure où elle est perçue et prise en considération par celui qui lui est opposé à la fois par le sexe, la langue, le pouvoir économique, la religion et l’origine ethnique.
Cette mise à distance de la québécité doublée d’une hiérarchisation des identités n’est certes pas étrangère au réflexe paternaliste — et misogyne — qui consiste à traiter, au Canada anglais, des relations entre le Québec et le reste du pays à l’aide d’une métaphore amoureuse où « La belle province » joue inévitablement le rôle de la femme. Cependant, ce chauvinisme à l’endroit des francophones — et des femmes — ne permet pas à lui seul de saisir la complexité du rapport que Richler entretient avec la « québécité » par l’entremise d’Yvette, de Solange et de Chantal. Si les deux romans de Richler privilégient un point de vue masculin, juif et anglophone, ils ne laissent pas pour autant entendre qu’il soit plus pertinent qu’un autre. Les jugements de Duddy sur Yvette et sur le reste de son entourage sont critiqués et contestés par les autres personnages du roman. Barney est un homme aigri atteint de la maladie d’Alzheimer, qui tient des propos remis en question par son fils Michael dans la postface : « [A] great deal of what he [Barney] went on to write […] was not quite true [18]. » (BV, 412) Comme tous les autres éléments du décor et du personnel romanesques, les motivations d’Yvette, de Solange et de Chantal ne sont jamais élucidées. Par l’entremise des héros, les romans diffusent une image subjective des Québécoises. Puisque le narrateur de The Apprenticeship of Duddy Kravitz ne révèle pratiquement pas la conscience d’Yvette et puisque la vraisemblance de la narration homodiégétique interdit à Barney de représenter ce qui se passe en Solange ou en Chantal, les Québécoises de Mordecai Richler gardent une part importante d’opacité : jamais leurs motivations, leurs actes, leurs pensées et leurs sentiments ne sont expliqués.
Des interlocutrices privilégiées et mises à distance
Dans les deux cas, les points de vue partiaux et fragmentaires se caractérisent, de plus, par leur ambivalence. Alors que les Québécoises occupent une place de choix dans leurs entourages respectifs, les deux héros minimisent leur importance vis-à-vis des autres personnages qu’ils côtoient. Avant qu’elle devienne son amante, Duddy n’affiche que du dégoût à l’endroit d’Yvette devant l’un des jeunes hommes issus de la haute bourgeoisie juive, dont il cherche à s’attirer la sympathie. Lorsqu’un compagnon prétend qu’Yvette est folle du « soixante-neuf », mais qu’elle a la gonorrhée, Duddy lui répond : « Don’t worry. I wouldn’t touch her with a ten-foot pole [19]. » (DK, 73) Plus loin, lorsque l’un de ses amis lui apprend qu’elle « a le vrai béguin pour [lui] » (« got a real lust for you », DK, 87), Duddy laisse entendre que, à ses yeux, la jeune femme n’a aucune valeur : « Aw. Yvette. Those are a dime a dozen [20]. » (DK, 87) Après qu’elle soit devenue son amante, il cherche à dissimuler leur relation dans les milieux huppés où il travaille à Sainte-Agathe. Le narrateur souligne notamment « la gêne qu’il éprouvait à l’idée d’être vu avec elle sur le lac » (« ashamed of being seen with her on the lake », DK, 106). Une fois revenu à Montréal, Duddy engage pourtant Yvette, qui devient sa secrétaire, mais prend soin de préciser devant son père et ses amis qu’elle est seulement sa « petite Vendredi » (« Girl Friday », DK, 249), c’est-à-dire à la fois une aide de bureau et un flirt sans importance, et qu’il n’est pas « agrafé » (« hitched », DK, 249). Lorsque sa compagnie produit avec succès son premier film, Duddy présente son réalisateur britannique, mais laisse Yvette à l’écart (DK, 188). Aux yeux de Duddy, qui cherche à pénétrer les milieux anglophones les plus riches de Montréal afin d’y faire fortune, Yvette est une hors caste embarrassante et négligeable, dont la présence doit se faire la plus discrète possible. La « québécité » représentée à travers le point de vue de Duddy est une identité incompatible avec l’arrivisme et la quête du prestige social qui structurent la haute bourgeoisie anglophone dans laquelle le jeune homme voudrait se faire une place.
Dans la sphère privée, Yvette est en revanche le personnage avec lequel Duddy entretient la relation la plus intime. La Québécoise est non seulement celle avec qui le héros a des relations sexuelles [21], mais aussi la seule avec laquelle il peut se permettre un laisser-aller inacceptable pour le milieu fortuné auquel il aspire. Après que Duddy eut essayé sans succès de séduire quelques jeunes filles juives riches, il constate que le milieu canadien-français pauvre d’où provient Yvette se rapproche du sien, ce qui rend les échanges et l’acceptation mutuelle plus aisés avec elle :
I’ve got plenty of time to find myself a rich wife, he thought. Meanwhile, with Yvette, he could be himself. She came from a poor family too and she knew that a guy’s underwear got dirty sometimes and didn’t look disgusted if you scratched your balls absently while you read Life on the living-room floor. It was true that she didn’t have class like Marlene or some of those other Outremont broads but he didn’t have to watch himself with her every minute, just in case he did something vulgar [22].
DK, 270
Ici, le roman pose à la fois une compatibilité et une distinction entre l’origine populaire de Duddy et l’identité québécoise francophone d’Yvette. Si les deux personnages se rejoignent par leur relâchement et leur grossièreté dans la vie privée, l’extrait laisse néanmoins entendre que Duddy pourra éventuellement passer d’un état à l’autre, tandis que cette possibilité n’est pas envisagée pour Yvette. L’identité canadienne-française est associée à une authenticité doublée d’un manque de raffinement positivement connotés et à une stagnation dans les milieux sociaux les plus médiocres, laquelle est explicitement méprisée par le héros.
Tout au long du roman, Duddy est déchiré entre le désir de s’introduire dans les milieux d’affaires et celui de développer une relation d’amour et de réciprocité avec Yvette, le seul personnage du roman en mesure d’actualiser cette potentialité. Ce faisant, le roman oppose deux ordres de valeurs : la fidélité aux origines, la sincérité, l’amour et le bien-être qui ne sont offerts que par la Canadienne française, et la fortune, la puissance et le prestige qui appartiennent exclusivement aux anglophones juifs ou protestants. L’apprentissage de Duddy oscille entre un idéalisme sentimental et un réalisme matérialiste qui sont respectivement incarnés par chacune des « deux solitudes » composant la société québécoise. Une série d’épisodes montrent que le héros en vient presque à choisir la seconde option au détriment de la première. Tout juste avant leur séparation, Duddy propose le mariage à celle qui, jusque-là, a tout au plus été sa « Girl Friday » (DK, 292). Une fois la séparation accomplie, Yvette devient le principal objet des préoccupations du héros. Duddy fait des cauchemars à son propos, notamment en imaginant que « Hugh Thomas Calder [l’homme d’affaires de Westmount le plus riche et le plus puissant qu’il connaît] embrassait Yvette sur les lèvres » (« pressed a french-kiss on Yvette », DK, 302). Toutes les actions qu’il commet sont orientées en fonction du retour espéré de la jeune femme :
He never left the apartment for even a package of cigarettes without leaving a “back in 5 min” note tacked on the door. Often he woke in the middle of the night, thinking he had heard her on the stairs, but he did not go down to her apartment, and he waited for more than two weeks before he phoned her [23].
DK, 293
Pourtant, à la fin du roman, Duddy choisit l’enrichissement plutôt que l’amour. Parvenant à acheter le dernier lopin de terre situé au bord du lac Saint-Pierre au prix d’un vol et d’une trahison qui lui font perdre Yvette, il acquiert en contrepartie une respectabilité sociale et la crédibilité financière auxquelles il aspirait. Il peut pour la première fois payer à crédit dans un restaurant pour lui et sa famille, ce qui clôt son apprentissage, non pas par le désenchantement ou la douleur d’avoir perdu son amour, mais par un sentiment de victoire et de plénitude dans lequel l’ironie féroce de Richler n’est pas absente : « And suddenly Duddy did smile. He laughed. He grabbed Max [son père], hugged him, and spun him around. “You see” he said, his voice filled with marvel. “You see.” [24] » (DK, 378)
On retrouve une ambivalence similaire dans les rapports que Barney entretient avec ses employées québécoises. En écrivant l’histoire de sa vie et en la destinant à la publication, le héros du dernier roman de Richler donne une version publique de son existence dans laquelle Solange est une simple amie, une « compagne de sortie attitrée » (« regular companion », BV, 168) pour laquelle il ressent de l’attachement et du respect (BV, 121 et 168). Plusieurs autres personnages remettent en question la nature de leur relation. Alors que, dès les années 1958-1960, « [s]a petite actrice qu[’il adore] tant […], [s]a Solange » (« young actress you’re [Barney] so fond of, that Solange woman », BV, 264) attise la jalousie de « Mrs Panofsky II » (« Second Mrs. Panofsky »), tous les personnages qui parlent de Solange à Barney au temps de l’écriture (1995) croient aussi, mais sans jalousie, que le lien entre les deux personnages est plus marital qu’amical, ce que Barney s’empresse de nier chaque fois. Lorsque son fils Saul lui demande « Pourquoi tu ne te maries pas avec Solange ? » (« Why don’t you marry Solange ? »), Barney répond : « I’m too fond of her to do that [25]. » (BV, 131) À Chantal qui lui pose la même question, il n’en rejette pas la possibilité, mais argue plutôt qu’il espère encore voir sa troisième femme lui revenir : « Because Miriam will come home one of these days [26]. » (BV, 387) Au moment où Miriam lui parle de son « amie » sans aucun sous-entendu, Barney nie sa liaison avec elle : « There’s nothing between us. We’re good friends, that’s all [27]. » (BV, 313) Il laisse entendre que la possibilité de cette liaison s’impose d’emblée entre les interlocuteurs dès qu’il est question de lui et de Solange. De la même manière, la jeune et attirante Chantal est, selon Barney, une employée à qui il est lié exclusivement sur le plan professionnel (BV, 81). Solange ne voit pourtant pas les choses du même oeil lorsqu’elle met Barney en garde à propos de la manière avec laquelle il agit vis-à-vis de son assistante : « I want you to stop fooling around with Chantal […]. She doesn’t understand what a hooligan you are. And she is easily hurt [28]. » (BV, 175) L’ambiguïté est accentuée dans la deuxième partie du roman (BV, 226-229), où Barney raconte comment Chantal est venue le rejoindre pour le week-end dans son chalet des Laurentides :
I want to make something absolutely clear. I did not invite Chantal out for the weekend. She took me by surprise, arriving in time for dinner on Saturday, […]. I was careful to greet her with no more than an avuncular peck on both cheeks after I had relieved her of her overnight bag [29].
BV, 227
Si les relations entre Barney et Chantal ou entre Barney et Solange ne sont jamais explicitement sexuelles et amoureuses comme elles le sont entre Duddy et Yvette, il n’en demeure pas moins que Barney’s Version montre des liens d’intimité entre un Juif anglophone et des Québécoises encore plus étroits que ceux mis en scène dans The Apprenticeship of Duddy Kravitz. Alors que Duddy se détache finalement d’Yvette, Barney poursuit le parcours inverse. Tandis que le jeune homme des années 1950 trahit la Canadienne française pour entrer dans le monde auquel il aspire, le vieillard des années 1990 ne cesse de railler la haute bourgeoisie tout en se rapprochant progressivement des Québécoises qu’il côtoie. Après les avoir présentées comme de simples amies ou des employées, il en vient à montrer que, à ses yeux, Solange et Chantal sont, avec sa troisième femme et ses trois enfants, les personnes qui lui sont les plus proches. Dans l’un des derniers épisodes du roman, il pense que son deuxième fils et Chantal devraient se marier, ce qu’il finit par suggérer à la jeune femme : « Pourquoi tu ne te maries pas avec Saul ? » (« Why don’t you marry Saul ? », BV, 387), laissant entendre qu’il aimerait la voir devenir sa belle-fille. Au moment où il désigne les véritables dédicataires de son manuscrit, Barney réunit dans une même liste les membres de sa famille et les deux Québécoises : « I’m rededicating these all-but-finished confessions anew. They are now for my loved ones : Miriam, Mike, Saul, and Kate, Solange and Chantal [30]. » (BV, 380) Cette inclusion est officialisée à la fin du roman lorsque Michael rapporte que, dans son testament, Barney lègue cinq cent mille dollars à Chantal et que Solange et Miriam reçoivent exactement la même somme (BV, 410). Il n’en reste toutefois pas moins que, avant cet ultime don, Barney s’est toujours gardé de conférer un statut socialement reconnu aux rapports qu’il entretenait avec les deux francophones : du point de vue juif anglophone privilégié par le roman, ces identités demeurent impossibles à conjuguer.
Le don de soi
De leur côté, les Québécoises ne partagent aucune des réticences des personnages principaux. Leur conduite à l’égard des Juifs anglophones auxquels elles sont liées se caractérisent au contraire par un accueil sans réserve et un don complet d’elles-mêmes. En plus de faire l’amour avec Duddy sans aucune protection, comme le révèle le court dialogue qui précède leur première relation sexuelle : « Écoutez, Yvette, je n’ai pas de…/Mais elle s’en moquait [31] » (DK, 101), la jeune Canadienne française rompt avec sa famille pour suivre son amant à Montréal (DK, 254). Elle renonce également à l’amour de Friar qui propose de l’épouser, même si elle sait que Duddy n’envisage pas de se marier avec une « goy » (DK, 190). Yvette introduit Duddy à son pays et lui fait connaître les quartiers de Sainte-Agathe qui rappellent au jeune homme son propre milieu d’origine (DK, 100). Point essentiel dans le roman, c’est encore elle qui lui permet de s’approprier les terres bordant le lac Saint-Pierre (DK, 135). Après lui avoir donné une carte et des photographies du lac (DK, 135-136), elle l’aide à acheter tous les lopins de terre qu’il veut en entrant en contact avec un notaire de Sainte-Agathe, en découvrant quels fermiers canadiens-français les possèdent, en prévenant son amant chaque fois que l’un d’entre eux est prêt à vendre, en devenant la propriétaire légale des terres rachetées tant que Duddy est encore mineur, en apprenant le métier de secrétaire et en déjouant les propriétaires antisémites qui refusent de céder leur bien à un Juif (DK, 136). Au début de cette entreprise, la jeune femme propose même ses économies à Duddy pour lui venir en aide (DK, 112). À partir de ce moment et tout au long du roman, elle refuse de tirer profit de celui qu’elle aide à s’enrichir. Lorsque Duddy conçoit ce projet d’acheter le lac et qu’il lui propose cinquante dollars pour l’inciter à garder le silence, Yvette se rebiffe : « I don’t like you any more. I dont’t want your stinking money [32]. » (DK, 109) Elle revient en revanche vers son amant lorsqu’il montre clairement que c’est en réalité lui qui a besoin de son aide (DK, 110). À ce moment, comme dans la suite du roman, la Québécoise est le seul des personnages dont les actions sont motivées par la générosité et un attachement désintéressé. Dans la société du roman, Yvette est à la fois la seule Québécoise et la seule qui s’oublie au profit exclusif de celui qu’elle aime. Implicitement, le texte amalgame l’attitude et l’appartenance de la jeune femme, comme si les deux étaient consubstantiellement liées.
On notera encore un élément qui a suscité d’importantes réserves de la part des critiques anglophones : Canadienne française des années 1950, issue d’un milieu modeste, Yvette ne prononce jamais un mot de français, mais maîtrise à tel point la langue anglaise que Duddy, le personnage anglophone, lui demande même, après avoir rédigé une lettre : « Check the spelling [33]. » (DK, 223) Si elle peut-être considérée peu vraisemblable par rapport au contexte sociolinguistique de l’époque, la compétence langagière attribuée à Yvette renforce toutefois la cohérence du personnage et participe de sa fonction première dans l’économie du texte, à savoir d’être et d’agir exclusivement pour l’autre. Dans l’univers romanesque de Richler, les Québécoises servent à établir, avec le héros, une relation d’ouverture, de réciprocité et de gratuité dans laquelle les frictions causées par les différences entre les langues maternelles n’ont aucun rôle à jouer. Il n’en va pas autrement avec Barney’s Version. Alors que Chantal y parle elle aussi l’anglais sans que jamais aucune allusion ne soit faite à sa connaissance du français, Solange est une actrice qui joue un rôle d’infirmière canadienne-française dans la télésérie McIver of the RCMP produite par Barney et qui? « incarna jadis Catherine dans Henry V à notre célèbre festival shakespearien de Stratford [34] » (« played Catherine in Henry V at our Stratford », BV, 121).
Dans le roman, les personnages de Solange et de sa fille ne servent pas à mettre en scène une identité culturelle ou linguistique, mais une attitude particulière vis-à-vis du héros, une extrême générosité qui ne se retrouve chez aucun autre personnage et qui n’est pas sans rappeler celle d’Yvette pour Duddy. En plus de partager une vie professionnelle avec son ami, Solange est le seul personnage qui accompagne Barney aux matchs de hockey pour lesquels il se passionne (BV, 121) [35]. C’est aussi elle qui s’occupe de lui alors que la maladie d’Alzheimer le mine :
So, to begin with, Solange moved into the apartment on Sherbrooke Street with Barney. If he addressed her as Miriam, and denounced her as an ungrateful whore who had ruined his life, she continued to feed him and to wipe his chin with a napkin [36].
BV, 411
Elle est enfin le seul personnage qui le visite régulièrement dans l’asile où il est envoyé (BV, 413).
Les relations amoureuses ambiguës qui unissent les Québécoises et les Juifs anglophones ne sont pas sans rappeler celle qui unit l’enfant à sa mère. Sans verser dans une analyse psychocritique — approche que le romancier parodie explicitement dans The Apprenticeship of Duddy Kravitz par l’entremise d’un personnage épisodique, la vieille tante alcoolique Ida, qui dit au héros : « Your mother was taken from you when you were young and all your life you will be searching for a woman to replace her. All boys want to have sexual relations with their mothers [37] » (DK, 282) —, il convient de remarquer que Duddy est orphelin, que la mère de Barney, fort peu présente dans le texte, est une idiote qui demeure indifférente à son fils (BV, 306) et que, dans un cas comme dans l’autre, les Québécoises se comportent de façon maternelle avec les héros. Elles s’inquiètent pour eux, les réconfortent, les soignent dans leurs moments de faiblesse et tentent de les corriger lorsqu’ils se comportent d’une manière qu’elles jugent inadéquate. Au commencement de leur relation, lorsque Yvette lui dit : « C’est agréable de vous voir immobile, pour une fois [38] », Duddy découvre pour la première fois quelqu’un qui se préoccupe de lui : « Duddy was surprised and flattered to discover that anyone cared enough to watch him so closely [39]. » (DK, 101) Après qu’il eut perdu une somme importante dans un jeu de roulette truqué, c’est Yvette qui partage son malheur et qui « le laiss[e] s’étendre » (« ma[k]e[s] him rest », DK, 101). Plus loin, elle le conduit au lac Saint-Pierre dans le même but (Yvette parle) : « You close your eyes and rest [40]. » (DK, 107) Lorsque Duddy se surmène pour payer les lots de terre, elle le gronde : « Duddy, you look terrible. Look at the circles under your eyes. You’ve got to stop driving that taxi and get some sleep at night [41]. » (DK, 170) À la fin de la projection du premier film réalisé par Friar, au moment où l’avenir de la maison de production fondée par Duddy est en jeu, Yvette cherche à réduire l’angoisse et la nervosité de son compagnon (DK, 185). Plus loin, sur le mode de la remontrance, elle révèle que, par empathie, elle en vient à partager cette angoisse et cette nervosité constantes : « I can’t stand seeing you like this any more […]. You’re making a nervous wreck of me too [42]. » (DK, 234) Dans un épisode où Duddy, déjà épuisé, entreprend de conduire toute la nuit pour parvenir à réunir in extremis la somme qui lui est nécessaire, Yvette, qui l’accompagne, lui demande en pleurant de ne pas prendre de benzédrine, puis en prend elle-même lorsqu’elle constate que ses demandes ne portent pas de fruits, qu’elle risque de s’endormir et de laisser Duddy au volant sans surveillance (DK, 240). C’est enfin elle qui essaie de corriger Duddy, de l’obliger à être honnête, notamment avec Virgil, un jeune épileptique naïf dont il cherche à profiter. De leur côté, Chantal et Solange maternent aussi Barney, et ce, d’autant plus que ce dernier est un personnage infantile dont la vieillesse et la maladie accentuent la vulnérabilité. Outre que Solange s’inquiète de sa consommation d’alcool (BV, 170), qu’elle tente à plusieurs reprises de l’amener à corriger son comportement de « hooligan » et son langage grossier, ce sont elle et sa fille qui manifestent les premières des inquiétudes à propos des pertes de mémoire fréquentes dont il est atteint (BV, 169). Sur le ton d’une maîtresse d’école devant un enfant qui n’a pas étudié ses leçons, Chantal l’appelle pour lui rappeler un rendez-vous qu’il a oublié : « Then Chantal phoned. “I’m calling to remind you that you have a date for lunch today. Do you remember where [43] ? » (BV, 206) Par l’entremise de Miriam, qu’elle a alertée, Solange parvient à le convaincre d’aller consulter un médecin (BV, 313). Elle fond ensuite en larmes en constatant la gravité de sa maladie (BV, 393-395). Dans les « Afterwords », Michael rapporte qu’elle s’est d’abord occupée de son père chez lui et que, après le transfert de Barney à l’hospice, elle l’a nourri à la cuiller comme un jeune enfant (BV, 406).
Victimes et juges
Devant le don de soi d’Yvette, de Solange et de Chantal, Duddy et Barney apparaissent comme des ingrats et des goujats. La présence des personnages de Québécoises offre une contrepartie aux personnages principaux. Sans Yvette, Duddy ne pourrait pas négliger, puis trahir quelqu’un de réellement fidèle et aimant puisque, à l’exception du naïf Virgil, les autres personnages qu’il côtoie ne sont pas plus scrupuleux que lui ; sans Solange et Chantal, pratiquement aucun autre personnage positivement connoté n’accepterait les écarts de langage et de conduite de Barney. Proches des deux héros dont elles partagent le quotidien, généreuses et moralement irréprochables, les Québécoises sont les seuls personnages de la diégèse qui disposent de la compétence nécessaire pour porter un jugement. Lorsque Duddy cherche à profiter de l’amitié qu’éprouve pour lui Virgil afin de l’arnaquer, Yvette blâme la manière avec laquelle son amant et patron essaie de parvenir à ses fins : « I’ve seen you do lots of dishonest things, Duddy, but never in my life did I expect you to cheat a boy like Virgil » (DK, 252) ; « I never tought you were such a bastard [44]. » (DK, 253) Dans le dernier chapitre du roman, après qu’il eut volé une somme importante à Virgil et qu’Yvette eut décidé de le quitter, c’est elle qui en vient à porter le jugement le plus dur à l’endroit de celui dont l’apprentissage prendra bientôt fin : « I think you’re rotten. I wish you were dead [45]. » (DK, 376) Sans aboutir à une semblable rupture, les choses ne sont pas tellement différentes entre les Québécoises et Barney. Par exemple, quand ce dernier veut s’établir chez sa fille Kate, Solange s’indigne, laissant entrevoir une faute dont le père se serait rendu coupable à l’endroit de son enfant, sujet que Barney n’aborde jamais directement : « Don’t you dare even think of that, you bastard. She’s had her troubles and now she’s happily married. The last thing in the world she needs is you [46]. » (BV, 170) Chantal porte aussi un jugement impitoyable sur Barney après que celui-ci eut trompé sa femme avec une jeune actrice à laquelle il a ensuite donné du travail : « I was mistaken about you. You’re no different than the others here. You don’t deserve a woman of Miriam’s quality. A dirty old man is what you are [47]. » (BV, 358)
Amoureuses jamais épousées, mères de remplacement pour enfants ingrats et incorrigibles, les Québécoises mises en scène par Mordecai Richler remplissent deux fonctions. Elles représentent d’abord la possibilité d’un attachement affectif fort, d’une intimité complice et d’une réciprocité sans restriction entre des hommes anglophones et des femmes francophones, qui ne parviennent toutefois jamais à se réaliser parfaitement par la faute des premiers qui refusent de reconnaître la place que les secondes occupent dans leur vie. C’est ce manque de reconnaissance qui permet aux Québécoises de remplir la seconde fonction qui leur est assignée : donnant et se donnant, elles n’en subissent que davantage les inconduites des héros, ce qui, dans l’ensemble du personnel romanesque, fait d’elles non seulement les victimes, mais aussi les juges les mieux placés pour porter un jugement à la fois sévère, nuancé et juste. Exclusivement vues à travers les yeux des Juifs anglophones, ces Québécoises sont érigées, dans les deux romans, en modèle d’amour et de droiture morale, ce qui en fait les bornes à partir desquelles la complexité et la faillibilité morales des héros de Richler peuvent être mesurées. Accusé d’être anti-québécois, Richler diffuse pourtant, par l’entremise de ses romans, une image de la Québécoise qui met en relief les culpabilités, les manquements et les ambivalences de ses héros. Dans ses romans, ce ne sont pas le nationalisme québécois ou les lois protectionnistes sur la langue qui sont critiquées par la représentation des Québécoises, mais plutôt les comportements et la mentalité des siens, qui profitent de l’amour et de l’attachement qui leur sont offerts sans jamais les rendre tout à fait. À la différence de ce que l’on retrouve dans ses essais, Richler s’en prend ici aux réticences et au manque d’ouverture de ceux qui appartiennent à sa propre communauté vis-à-vis des francophones.
Rappelons toutefois qu’à la fin de Barney’s Version, le héros dédie son manuscrit non seulement aux membres de sa famille, mais aussi à Solange et Chantal ; il accorde en outre une place importante aux deux femmes dans son testament, reconnaissant leur importance dans sa vie. À près de quarante ans d’intervalle, cette différence cruciale entre l’aboutissement des rapports entre des personnages de Québécoises francophones et des Juifs anglophones qui clot Barney’s Version par rapport à celui qui conclut The Apprenticeship of Duddy Kravitz laisse entrevoir une évolution certaine en faveur d’une acceptation, d’une reconnaissance et, surtout, d’une réciprocité dont les personnages de Richler font montre à l’endroit des femmes de leur entourage qui leur sont à la fois les plus proches et les plus éloignées.
Parties annexes
Biobibliographie
Yan Hamel
Il est actuellement doctorant au Département d’études françaises de l’Université de Montréal où il termine une thèse consacrée à l’analyse sociocritique des romans français qui représentent la Seconde Guerre mondiale. En plus de nombreux articles, il a déjà dirigé la publication de deux ouvrages collectifs de sociocritique : en collaboration avec Maxime Prévost, Victor Hugo 2003-1802. Images et transfigurations (Montréal, Fides, 2003) et, en collaboration avec Geneviève Lafrance et Benoît Melançon, Des mots et des muscles ! Représentations des pratiques sportives (Québec, Nota bene, 2005). Il s’est également intéressé à la question de la littérature québécoise anglophone et à l’oeuvre de Mordecai Richler dans « Y a-t-il des romans québécois en anglais ? L’exemple de Barney’s Version de Mordecai Richler », Quebec Studies, no 32, 2001-2002, p. 57-68.
Notes
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[1]
Mordecai Richler, « Inside/Outside », The New Yorker, 23 septembre 1991, p. 40-92.
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[2]
Id., Oh Canada ! Oh Quebec ! Requiem for a Divided Country, Toronto, Penguin Books, 1992. Le volume a été traduit en français par Daniel Poliquin : Mordecai Richler, Oh Canada ! Oh Québec ! Requiem pour un pays divisé, Candiac, Les Éditions Balzac, coll. « Le vif du sujet », 1992.
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[3]
Richler s’en prenait tout particulièrement au projet de loi 178, qui autorisait l’affichage bilingue à l’intérieur des commerces, mais qui l’interdisait à l’extérieur, projet de loi auquel le titre de l’article paru dans The New Yorker fait allusion.
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[4]
J’emprunte la notion de « discours social » à Marc Angenot, qui l’a théorisée dans 1889: un état du discours social, Longueuil, Éditions du Préambule, coll. « L’univers des discours », 1989.
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[5]
Nadia Khouri, Qui a peur de Mordecai Richler ?, Montréal, Les Éditions Balzac, coll. « Le vif du sujet », 1995, p. 31.
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[6]
Pour une synthèse de ce qui s’est dit sur Richler dans les journaux, voir Nadia Khouri, op. cit.
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[7]
Je pense notamment à Yvon Deschamps, qui s’exclamait avec humour dans le monologue intitulé « Comment-ça 2000 ? » (je cite de mémoire) : « Il a écrit que nos mères étaient des truies ! Je l’haïs, moi, Mordecai Richler ! »
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[8]
Francine Bordeleau, « Le monde selon Mordecai Richler », Lettres québécoises, no 104, hiver 2001, p. 18. De manière tout à fait révélatrice, le même a priori est diffusé par l’une des tenantes de la position adverse. L’incipit de Qui a peur de Mordecai Richler ? passe lui aussi des essais aux romans afin de valoriser l’auteur : « Le 27 septembre 1991, Mordecai Richler publie dans The New Yorker un article sur les lois linguistiques québécoises, intitulé « Inside/Outside », dans lequel il est également question du passé peu glorieux du nationalisme québécois. L’article déclenche une tempête de protestations. Les opinions émises par le romancier montréalais deviennent vite une affaire d’État. L’auteur de Rue Saint-Urbain, de L’apprentissage de Duddy Kravitz, de Gursky, curieusement méconnu du public francophone québécois, n’en est pas moins un fils du pays. Publié à Paris, admiré dans le reste du monde francophone, il est considéré comme l’un des grands écrivains anglais du Canada. Avec Gabrielle Roy, Jacques Godbout, Michel Tremblay, Richler a mis Montréal sur la carte littéraire du monde. Montréal imprègne en grande partie son oeuvre. » (Nadia Khouri, op. cit., p. 11)
-
[9]
Mordecai Richler, Solomon Gursky Was Here, Toronto, Penguin Books, 1990 [1989]. Le roman a été traduit en français : Id., Gursky, traduction de Philippe Loubat-Delranc, Paris, Calmann-Lévy, 1992.
-
[10]
Gilles Marcotte, Écrire à Montréal, Montréal, Boréal, coll. « Papiers collés », 1997, p. 161.
-
[11]
Jean-Hugues Roy, « Le grand remous », Voir, 26 septembre 1991, cité par Nadia Khouri, op. cit., p. 30.
-
[12]
Mordecai Richler, The Apprenticeship of Duddy Kravitz, Toronto, Penguin Books, 1995 [1959]. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle DK, suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte. Le roman a été traduit en français : Id., L’apprentissage de Duddy Kravitz, traduction d’Élisabeth Gille-Nemirovsky, Paris, Julliard, 1960. Désormais, les références à cette traduction seront indiquées par le sigle A, suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte. Toutes les traductions françaises de ce roman que je donne en note sont tirées de cette traduction. N’étant pas moi-même traducteur, je me suis résolu à donner les traductions parisiennes de The Apprenticeship of Duddy Kravitz et de Barney’s Version. Ce sera, pour le lecteur québécois francophone, l’occasion de constater à quel point certains traducteurs d’outre-Atlantique font peu de cas des particularités de la culture et du français d’ici. Pour une analyse des problèmes que pose la traduction parisienne de Barney’s Version, voir Sébastien Côté, « Centre, périphérie et ethnocentrisme : la traduction française de Barney’s Version de Mordecai Richler », Post-scriptum, 2003-3, www.post-scriptum.org et Id., « Le monde de Barney ou comment ne pas traduire pour la francophonie », Spirale, no 197, 2004, p. 15-16.
-
[13]
Dans la version cinématographique (1974, réalisation de Ted Kotcheff), le rôle est interprété par Micheline Lanctôt.
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[14]
Mordecai Richler, Barney’s Version, Toronto, Alfred A. Knopf Canada, 1998 [1997]. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle BV, suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte. Le roman a été traduit en français : Id., Le monde de Barney, traduction de Bernard Cohen, Paris, Albin Michel, 1999. Désormais, les références à cette traduction seront indiquées par le sigle M, suivi du folio, et placées entre parenthèses dans le texte.
-
[15]
Les huit autres romans de Richler ne mettent pas en scène de personnages francophones ayant une telle importance.
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[16]
Vincent Jouve, L’effet personnage dans le roman, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Écriture », 1992, p. 142.
-
[17]
Philippe Hamon, Le personnel du roman. Le système des personnages dans les Rougon-Macquart d’Émile Zola, Genève, Librairie Droz, coll. « Histoire des idées et critique littéraire », 1983, p. 22. C’est l’auteur qui souligne.
-
[18]
Plusieurs assertions de Barney ne sont « pas tout à fait conformes à la vérité » (M, 547). Rappelons que le roman de Richler est divisé en deux parties d’inégale importance. À la suite de la « version » de Barney viennent les « Afterwords » de Michael Panofsky, dans lesquels le fils corrige les nombreuses erreurs commises par le père, notamment en raison des pertes de mémoire provoquées par la maladie d’Alzheimer.
-
[19]
« T’en fais pas. Je ne la toucherais pas avec des pincettes. » (A, 83)
-
[20]
« Oh ! Yvette. Des poules comme elle, il y en a treize à la douzaine ! » (A, 97)
-
[21]
Remarquons que la première aventure sexuelle, inaboutie, de Duddy survient avec Adèle, une jeune ouvrière canadienne-française qui travaille pour son oncle (DK, 59 et suivantes).
-
[22]
«”J’ai tout le temps de me trouver une femme riche”, pensait-il. En attendant, avec Yvette, il pouvait rester lui-même. Elle sortait elle aussi d’une famille pauvre, elle savait qu’un caleçon, il fallait bien que ça se salisse, et elle ne prenait pas un air dégoûté quand on se grattait distraitement les couilles en lisant Life sur le tapis du living-room. Certes, elle n’avait pas la classe de Marlène ou de ces autres souris d’Outremont, mais, devant elle, il ne se sentait pas obligé de se surveiller constamment de peur de prononcer une phrase vulgaire. » (A, 281)
-
[23]
« Il ne sortait jamais, fût-ce pour acheter un paquet de cigarettes, sans épingler un billet sur la porte : “Je reviens dans cinq minutes.” Souvent, il se réveillait au milieu de la nuit en croyant entendre des pas dans l’escalier, mais il ne descendait pas la voir et il attendit deux semaines pour lui téléphoner. » (A, 304)
-
[24]
« Et, soudain, Duddy sourit. Il rit. Il saisit Max aux épaules, l’étreignit, le fit tourner sur lui-même. — Tu te rends compte, dit-il, d’une voix émerveillée. Tu te rends compte. (A, 390)
-
[25]
« — Je l’adore trop pour lui faire une chose pareille. » (M, 176)
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[26]
« — Parce que Miriam finira par revenir un de ces jours. » (M, 517)
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[27]
« Il n’y a rien entre nous. Nous sommes amis, c’est tout. » (M, 419)
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[28]
« J’aimerais que tu arrêtes tes bêtises avec Chantal […]. Elle ne mesure pas le voyou que tu es. Et elle est fragile. » (M, 234)
-
[29]
« Je veux que les choses soient absolument claires : je n’avais pas invité Chantal à venir passer le week-end avec moi. Elle m’a pris entièrement par surprise [sic], débarquant samedi […]. J’ai pris soin de me limiter à un baiser avunculaire sur sa joue pour l’accueillir après l’avoir débarrassée de son sac de voyage. » (M, 304)
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[30]
« Je choisis d’autres dédicataires à ces confessions qui tirent maintenant à leur fin. Je les offre à mes aimés : Miriam, Mike, Saul et Kate. Et Solange et Chantal. » (M, 507)
-
[31]
Traduction de : «”Listen, Yvette, I haven’t got a…”/But she didn’t care. »
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[32]
« Je ne t’aime plus. Je ne veux pas de ton sale argent. » (A, 120)
-
[33]
« Vérifie l’orthographe. » (A, 233)
-
[34]
Le « Stratford Festival » (the Stratford Shakespeare Festival Foundation of Canada) est en fait un festival d’art, de théâtre et de musique fondé en 1953 qui se tient annuellement à Stratford (Ontario) et qui s’est surtout illustré pour les nouvelles productions des pièces de Shakespeare qui y ont été présentées.
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[35]
Avec les personnages de Québécoises, le hockey et ses joueurs mythiques sont, dans l’univers romanesque de Richler, le seul autre lieu de rencontre entre les identités francophone et anglophone. Barney montre en effet le même enthousiasme pour Maurice « Rocket » Richard ou pour Guy Lafleur que pour les joueurs anglais comme Hector « Toe » Blake, Elmer Lach et Floyd « Bucher » Curry. Si le hockey ne joue pas un rôle comparable dans The Apprenticeship of Duddy Kravitz, on remarquera néanmoins que l’une des premières entreprises frauduleuses du jeune Duddy consistait à vendre des bâtons de hockey subtilisés aux vedettes des Canadiens, notamment au « great Maurice Richard » (DK, 57).
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[36]
« Et donc Solange alla habiter avec lui dans l’appartement de Sherbrooke Street. Même s’il la prenait souvent pour Miriam et la traitait de catin et d’ingrate qui avait détruit son existence, elle continuait à le nourrir à la cuillère puis à lui essuyer le menton. » (M, 546)
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[37]
« Ta mère t’a été enlevée quand tu étais très jeune. Toute ta vie, tu chercheras une femme pour la remplacer. Tous les garçons désirent avoir des relations sexuelles avec leur mère. » (A, 293)
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[38]
Traduction de : « It’s so nice to see you lie still for once ».
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[39]
« Duddy fut surpris et flatté de constater que quelqu’un se souciait assez de lui pour l’observer de près. » (A, 111)
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[40]
« Ferme les yeux et dors. » (A, 117)
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[41]
« Duddy, tu as une mine épouvantable. Regarde les cernes sous tes yeux. Arrête de conduire ce taxi et tâche de dormir un peu. » (A, 181)
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[42]
« Je ne peux plus supporter de te voir comme ça […]. Tu vas finir par m’esquinter les nerfs, à moi aussi. » (A, 244)
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[43]
« C’est alors que le téléphone a sonné. Chantal. — C’était pour vous rappeler que vous avez un déjeuner, aujourd’hui. Vous vous souvenez de l’endroit ? » (M, 275)
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[44]
« Je t’ai déjà vu agir de façon malhonnête, Duddy, mais je ne t’aurais jamais cru capable d’escroquer un garçon comme Virgil » (A, 263) ; « Jamais je n’aurais pensé que tu étais salaud à ce point. » (A, 263)
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[45]
« Tu es complètement pourri. Je voudrais te voir mort. » (A, 389)
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[46]
« [S]ans-coeur que tu es ! Elle a eu sa part d’ennuis, son mariage va bien, maintenant. Ce serait la pire chose qui puisse lui arriver. » (M, 228)
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[47]
« Je me suis trompée, c’est tout. Vous n’êtes pas différent des autres. Vous ne méritez pas quelqu’un de la valeur de Miriam. Vous n’êtes qu’un vieux dégoûtant. » (M, 478)