Résumés
Résumé
Le développement de l’économie bleue au Togo passe inéluctablement par la maîtrise de la connaissance du secteur maritime. Or, l’on note que la mobilisation des connaissances dans celui-ci est caractérisée par d’énormes défis en matière de recherche et d’infrastructures de recherche. La présente recherche, en combinant l’analyse documentaire et celle des entretiens individuels approfondis avec 65 personnes ressources impliquées dans l’action de l’État en mer, vise à relever l’apport de la recherche maritime et les infrastructures de recherche dans la promotion de l’économie bleue au Togo. Les résultats de l’étude indiquent que le pays a un déficit de connaissances scientifiques et d’infrastructures de recherche dans le secteur maritime, qui seraient capables d’orienter l’action publique dans la formulation des décisions.
Mots-clés :
- action publique,
- économie bleue,
- influence,
- infrastructures de recherche,
- Togo
Abstract
The development of the blue economy in Togo inevitably involves mastering knowledge of the maritime sector. However, we note that the mobilization of knowledge in this area is characterized by enormous challenges in terms of research and research infrastructures. This research, by combining documentary analysis and in-depth individual interviews with 65 resource people involved in State action at sea, aims to highlight the contribution of maritime research and research infrastructures in the promotion of the blue economy in Togo. The results of the study indicate that the country has a deficit in scientific knowledge and in terms of research infrastructures in the maritime, which would be sector capable of guiding public action in the formulation of decisions.
Keywords:
- public action,
- blue economy,
- influence,
- research infrastructures,
- Togo
Corps de l’article
Introduction
Les recherches de Desclèves (2013), les publications de la Banque mondiale (2016) et de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies (CEA, 2016) ainsi que l’ouvrage de Gunter (2019) paru sous le titre L’Économie bleue 3.0 portent un message commun malgré leurs natures différentes : l’économie bleue est essentielle au développement des pays d’Afrique. Dans la littérature, quand bien même Ruppel et Biam (2016) ou plus récemment Richard (2021) évitent de véhiculer l’image d’une « nouvelle frontière de la renaissance de l’Afrique » (CUA, 2016, p. xi), ce concept d’économie bleue est devenu une réalité incontournable pour les États africains (Hassan, 2021). Tel que défini dans la Charte sur la sécurité et la sûreté maritimes et le développement en Afrique (La Charte de Lomé, 2016), le terme d’ « économie bleue » englobe les activités économiques des espaces marins et aquatiques dans les océans, les côtes, les mers, les fleuves, les lacs, les nappes phréatiques, les zones humides, les plaines inondables et les ressources en eau associées (CMAE, 2019).
Selon la Commission de l’océan Indien, la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies et le Bureau sous-régional pour l’Afrique de l’Est (COI, CEA et BSR-AE, 2021), l’économie bleue porte sur l’utilisation durable et la conservation des océans et des mers, des côtes et des rives, des lacs, des rivières et des eaux souterraines, à la fois les environnements marins et d’eau douce. Il comprend des activités qui organisent de manière intégrée, équitable et circulaire la production, la distribution, le commerce et la consommation de biens et services résultant de l’exploitation des ressources aquatiques (pêche, biotechnologies et énergies alternatives, par exemple) ou utilisant comme supports les milieux aquatiques (transport maritime, tourisme balnéaire, et cetera). Ces activités contribuent à améliorer l’état de santé des écosystèmes aquatiques par la mise en place de mesures de protection et de restauration. En conséquence, l’économie bleue s’articule autour de la valorisation des secteurs socio-économiques et des composantes écologiques. L’Union africaine en a fait une composante majeure de son Agenda 2063, en la proclamant à l’unanimité « l’avenir de l’Afrique » (BAD, 2014).
Dans son rapport de 2019 portant sur la promotion de l’économie bleue / océanique en Afrique, la Conférence ministérielle africaine sur l’environnement (CMAE) déclare que « l’Afrique sous-utilise, voire gaspille, son potentiel d’économie bleue ou océanique. C’est un état de fait qui doit être corrigé » (CMAE, 2019, p. 4). Pour la Commission de l’Union africaine et l’Agence du nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (CUA et NEPAD, 2011), le déficit structurel en infrastructures constitue un sérieux handicap à la croissance économique et à la réduction de la pauvreté en Afrique.
C’est dans ce cadre idéologique global qui postule un lien mécanique entre l’économie bleue, la recherche et les infrastructures de recherche que le Togo, avec l’appui de la Banque mondiale, a lancé dans le courant de l’année 2016 un processus d’élaboration de son Cadre stratégique pour l’économie bleue (Banque mondiale, 2017). Le pays compte ainsi asseoir davantage sa souveraineté sur le littoral et l’espace maritime togolais, aussi bien du point de vue de la sécurité que de l’environnement, afin de gérer cet espace et d’en optimiser, de manière durable, les bénéfices socioéconomiques potentiels. Comment parvenir à ces objectifs stratégiques sans infrastructures de recherche adaptées pour impulser les innovations dans ce secteur ? Comment promouvoir l’économie bleue sans prendre en compte les infrastructures de recherche qui la rendent possible ? Comment exploiter les grands fonds marins de façon durable si l’on les connaît peu ?
Bien que plusieurs travaux aient abordé la relation entre infrastructures et croissance économique, très peu d’études ont examiné simultanément les interactions entre ces deux variables. Ainsi, cette recherche a pour ambition de contribuer à la littérature actuelle en s’évertuant à apporter des éléments de réponse sur l’effet des infrastructures de recherche sur la croissance bleue au Togo, au regard des opportunités du pays. Le choix du Togo comme champ d’investigation se justifie à plusieurs titres. En effet, le pays dispose de peu de ressources naturelles sur lesquelles son économie peut se reposer. En tant qu’État côtier, l’océan est perçu comme la nouvelle frontière économique. La mer recèle des ressources naturelles d’une immense richesse ainsi qu’un fort potentiel pour la croissance, l’emploi et l’innovation (Desclèves, 2015). Transport maritime, pêche et aquaculture, tourisme, services portuaires, construction navale, défense et sécurité maritime, exploitation extraterritoriale : tous ces domaines sont identifiés dans le champ de l’économie bleue et globalement orientés vers une croissance soutenue (Banque mondiale, 2017).
Cependant, ce potentiel de croissance peut être fragilisé par le manque d’un système de connaissances nécessaires pour avoir un océan accessible, ouvert et équitable aux données et aux informations. Ce potentiel de croissance peut être fragilisé par le manque d’un système de connaissances nécessaires pour avoir un océan accessible, ouvert et équitable aux données et aux informations. Il existe encore des lacunes en matière de gestion de connaissances du secteur maritime togolais. Les informations disponibles sur les secteurs essentiels d’une économie bleue ou océanique (pêche, tourisme côtier, énergie bleue renouvelable, infrastructures de transport, et autres) sont peu archivées et documentées. Le pays ne dispose pas d’institution de recherche pour mettre à dispositions les données exactes, promouvoir la collaboration ou fournir des orientations et des incitations aux études sur l’économie bleue ou océanique.
La présente recherche problématise le rapport entre la recherche, les infrastructures de recherche et le développement de l’économie bleue. Cette problématique s’inscrit dans les théories de la croissance endogène cumulative et autoentretenue par le progrès technique (Romer, 1986 ; Lucas, 1988 ; Barro, 1990). Ces théories considèrent que le savoir est désormais reconnu comme moteur de la productivité et de la croissance économique. De ce fait, les grandes orientations de la politique de la science, de la technologie et de l’industrie doivent s’orienter vers une optimisation de la performance et du bien-être dans des économies fondées sur le savoir et qui reposent directement sur la production, la diffusion et l’utilisation du savoir et de l’information.
La mise en avant récurrente des opportunités de l’économie bleue aboutit souvent à occulter le fait que ce sont les possibilités de tirer son meilleur parti en construisant les bâtiments et les infrastructures nécessaires qui constituent un véritable défi dans le pays. Relever les défis pressants et complexes de la croissance bleue va nécessiter, outre l’investissement en infrastructures de recherche, l’élaboration et la diffusion de nouveaux savoirs relatifs aux sciences océaniques aussi bien physiques, biologiques que sociales et humaines (ACET, 2021). Ces constats imposent des réponses aux questions suivantes : comment la recherche maritime et les infrastructures de recherche peuvent-elles contribuer au développement de l’économie bleue au Togo ? Qu’attendre de la recherche maritime pour éclairer l’action publique en matière d’économie bleue au Togo ?
L’objectif visé par la présente recherche est de relever l’apport que la recherche et les infrastructures de recherche adaptées peuvent contribuer à la maîtrise des connaissances applicables au milieu océanique pour garantir le développement de l’économie bleue au Togo. Après l’exposé de la méthodologie de la recherche, les résultats acquis sur le terrain sont présentés, puis analysés.
Méthodologie de la recherche
La recherche est qualitative et s’appuie sur l’exploitation de diverses sources documentaires en lien avec l’économie bleue, sur les résultats d’entretiens et sur les observations personnelles, notamment sur les activités socio-économiques des secteurs de pêche, de l’aquaculture, du tourisme et des loisirs, du transport maritime et d’activités portuaires, de la bio-prospection ou exploitation de ressources biologiques mais aussi sur l’exploitation des sources d’énergie renouvelable.
Une série d’ouvrages sur les océans et les mers a été consultée, ce qui a permis de disposer de données et d’informations pertinentes sur le rôle de l’océan dans la vie économique du Togo. Des données brutes (rapports d’activités et d’études, documents internes, procès-verbaux, documents techniques), la revue de presse du secteur maritime (Mers et Océans, La Pilotine), des statistiques sur la situation de l’économie bleue au Togo ont été également collectées auprès du Haut conseil pour la mer.
En appui à la recherche documentaire, les entretiens individuels approfondis réalisés du 16 mai au 30 août 2022 ont touché de façon aléatoire 65 personnes ressources relevant des administrations impliquées dans l’action de l’État en mer[1]. Le choix des enquêtés est fait sur la base de l’importance du rôle exercé par chaque acteur dans le secteur de l’économie bleue et la connaissance qu’ils ont du domaine maritime. Ainsi, les entretiens semi-directifs ont été réalisés avec les cadres des ministères chargés de la recherche scientifique (n=17), de l’économie maritime (n=12), de l’environnement (n=9), du personnel du Haut conseil pour la mer (n=5) et du Port autonome de Lomé (n=6). L’étude a fait recours à d’autres acteurs-clés comme des ONG (n=13) et le Cluster maritime d’Afrique francophone (CMAF)[2] (n=3), compte tenu de leur implication dans la promotion de l’économie bleue au Togo. La légitimité de l’ensemble des acteurs identifiés découle du fait qu’ils sont mobilisés dans les politiques de développement du secteur maritime au Togo et ont, chacun, une vision sur la promotion du secteur maritime au Togo. Eu égard à la complexité des démarches pour rencontrer certains acteurs, ces derniers ont été contactés lors d’un atelier participatif du Haut conseil pour la mer, organisé à l’occasion de la journée mondiale des océans, le 8 juin 2022 à Lomé. Les axes d’échanges ont concerné l’océan comme une réalité socio-économique du Togo ainsi que la contribution de la recherche et des infrastructures de recherche dans le développement de l’économie bleue au Togo.
De plus, l’observation de type non participante a été réalisée au cours des conférences et réunions qui se sont tenues à Lomé, la capitale du Togo, sur la thématique de l’économie bleue ainsi que des restitutions des rapports de missions, à partir d’une grille d’observation. Toutes les données collectées ont fait, par la suite, l’objet d’un traitement approprié.
Pour rendre le matériel recueilli par cette approche lisible, compréhensible et capable d’apporter des informations sur les enjeux des acteurs scientifiques dans l’action publique de développement de l’économie bleue au Togo, il a été fait appel à l’analyse de contenu thématique (Mucchielli, 1996). Cette approche méthodologique a permis d’aboutir aux résultats selon lesquels la recherche et les infrastructures de recherche sont essentielles pour orienter l’action publique de développement de l’économie bleue au Togo.
Les résultats de la recherche
L’océan comme réalité socio-économique du Togo
Emploi et modernisation, environnement et sécurité sont les domaines dans lesquels les atouts maritimes du Togo peuvent apporter une contribution décisive à une croissance durable, responsable et pacifique. Au Togo, l’océan est plus que jamais une source majeure de croissance économique. Le pays, disposant d’une façade maritime, sa côte constitue à la fois une frontière et une porte d’entrée du territoire. Comme le relève Le Drian (2006), plus celle-ci est facile d’accès, plus les interactions entre ce territoire et le monde extérieur sont aisées et l’activité économique dirigée vers l’océan. Sa position géographique de pays à façade maritime, comme tous les pays côtiers d’Afrique et du monde, est un atout favorisant l’essor d’une économie maritime fondée sur le transport, le tourisme, la pêche, le commerce, les activités portuaires et les innovations pour une meilleure valorisation des ressources marine et côtière (Gnongbo et Adjoussi, 2017).
Malgré sa petite superficie de 56.790 km2 et sa population de 8 095 498 habitants (Inseed, 2023), le Togo dépend étroitement de l’océan puisque plus de 70% des activités économiques sont liées à la façade maritime et le pays en tire plus de 75% de ses recettes fiscales[3]. Les échanges commerciaux par voie maritime sur la plateforme portuaire de Lomé constituent une part importante des revenus de l’État. Selon le Rapport sur la loi des finances 2024 de l’Assemblée nationale togolaise, les recettes douanières réalisées au port de Lomé en 2023 constituaient 80% du total des activités maritimes et 60% des revenus de l’État. Le pays disposait, jusqu’à une période très récente, du seul véritable port en eau profonde de l’Afrique de l’Ouest.
Selon l’édition 2022 de la revue Lloyd’s List [4] qui retrace les performances annuelles des ports pour le trafic conteneur dans le monde, le Port autonome de Lomé (PAL) s’est positionné comme l’un des plus modernes au monde et surtout comme le plus efficient de l’Afrique subsaharienne, intégrant même, en 2022, le top 100 (96e place) des plus importants ports mondiaux à conteneurs avec 1,96 millions de conteneurs équivalents 20 pieds (EVP) traités.
Avec son tirant d’eau de 16,60 mètres, le PAL accueille des navires à fort tirant d’eau dont ceux dits de 3e génération. Il bénéficie également d’une bonne connectivité avec les pays limitrophes (Nigeria et Ghana) et de l’hinterland (Mali, Burkina Faso et Niger) pour lesquels il constitue un hub de transbordement et une porte d’entrée (Kombaté, 2011).
Dans un contexte qui a profondément changé, et demeure en perpétuelle évolution sous l’effet de ruptures géostratégiques, économiques, technologiques et environnementales, le développement des activités humaines dans l’espace maritime impose des connaissances scientifiques pouvant se réduire à une information qui reste codifiée. Au titre de cette codification, le Togo s’est basé sur le cadre juridique spécifique qui fonde le droit maritime international et affirme le principe de la liberté de navigation en mer. Cependant, dans ce monde instable, les revendications des nations émergentes tendent à remettre en cause cet ordre international établi. Ce phénomène est en particulier remarquable en mer où la plupart de ces États s’efforcent de repousser les limites extérieures des domaines maritimes sous leur juridiction.
Ainsi, à l’heure d’une territorialisation des espaces maritimes, les États riverains se sont engagés dans une compétition sans précédent pour l’accès aux ressources maritimes. La maritimisation accélérée des échanges et l’importance prise ces dernières années des ressources marines suite à l’épuisement des ressources terrestres, la désertification et l’exode des populations vers le littoral risquent d’entraîner à moyen terme une fissuration ou une multiplication des foyers de crise : à chacune de ces ruptures correspond un accroissement ou une transformation des menaces. De même, les réserves terrestres de métaux stratégiques s’épuisant, les besoins en terres rares étant accrus, les océans attisent toutes les convoitises, et la fièvre semble monter autour des fonds marins que la convention des Nations unies pour le droit de la mer du 10 décembre 1982 consacre « patrimoine commun de l’humanité » (Khalatbari, 2012).
L’importance stratégique de l’économie bleue au Togo
À travers les définitions données par les enquêtés, les services couverts par l’économie bleue peuvent se présenter comme suit :
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provision de ressources aquatiques vivantes (produits de la pêche, de l’aquaculture et autres produits de la mer) : pêche (maritime et continentale), aquaculture, recherche (pharmaceutique, chimique, cosmétique et génétique) ;
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extraction de ressources non renouvelables et production de nouvelles ressources énergétiques : exploitation minière sous-marine, gisements sous-marins d’hydrocarbures, énergies renouvelables, énergie éolienne, récoltes de sel, extraction côtière de sable, gravier et autres matériaux de construction ;
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commerce et échanges sur les mers, les océans et les cours d’eau et leurs rivages : transport maritime et services dérivés, infrastructures portuaires, construction et réparation navales, transport fluvial ;
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industries : industries côtières devant avoir accès à la mer (phosphates) et aux cours d’eau ;
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infrastructures physiques : énergie (centrales électriques avec refroidissement des turbines et rejet de l’eau chaude à la mer), assainissement (station d’épuration en zone côtière et rejet des eaux traitées à la mer), dessalement (rejets du sel à la mer), câbles sous-marins pour les télécommunications ;
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tourisme : tourisme côtier et récréatif, sports nautiques ;
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protection de l’environnement : protection des côtes infrastructures « vertes » ou naturelles (mangroves) pour protection du littoral, protection de l’écosystème, protection des eaux ;
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valeurs culturelles et religieuses : pratiques culturelles et religieuses ;
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savoir et informations : recherche biophysique, socio-économique et politique.
Ainsi :
« L’intégration de l’ensemble des secteurs économiques dans une planification conjointe et des investissements innovants seront essentiels pour une mise en œuvre réussie des approches de l’économie bleue résiliente au Togo. Cependant, les principes émergents d'investissement dans l'économie bleue résiliente requièrent des recherches pluridisciplinaires impliquant de multiples spécialistes tels que des biologistes, océanographes, géographes, économistes, juristes, mécaniciens, physiciens, ingénieurs du génie civil, électriciens, climatologues, anthropologues, sociologues, et cetera, réunis au sein d’un centre de recherche. Aussi, le partenariat devra jouer un rôle essentiel dans le renforcement des capacités, l’établissement de normes et le soutien à l’harmonisation entre les processus nationaux et internationaux. » (Cadre du Haut conseil pour la mer, Lomé, entretien réalisé le 12 juillet 2022).
Cette idée est reprise par une autre enquêté, qui souligne que l’économie bleue peut aussi être utilisée comme un puissant levier stratégique de la croissance du pays :
« Pour booster l’économie bleue au Togo, il faut renforcer la production de données et les systèmes d’information, à l’échelle nationale, ainsi que le cadre législatif et réglementaire. Aussi, les partenaires peuvent user de leur leadership en matière de développement avec des facilités spécifiques pour accompagner les acteurs de l’économie bleue. Il y a plusieurs initiatives sur le terrain et sur lesquelles les partenaires se sont engagés pour accompagner le pays. » (Cadre de la direction de l’environnement du ministère de l’Environnement et des Ressources forestières, Lomé, entretien du 9 juillet 2022)
Les articles écrits par les chercheurs, tant dans des revues scientifiques que professionnelles, alimentent, à leur mesure, le débat sur les enjeux mis en exergue par l’économie bleue : la compétitivité du port de Lomé, la contribution de la pêche maritime, la distribution bathymétrique, le marché de la construction navale, les effets du tourisme côtier, la planification de l’espace marin, les nécessaires transitions écologique (compréhension et limitation des impacts sur l’environnement et la biodiversité) et numérique (numérisation des chaînes logistiques). Les recherches menées peuvent participer à l’identification des leviers nécessaires à l’évolution des services couverts par l’économie bleue.
Les secteurs traditionnels, un pilier de l’économie bleue au Togo
Le gouvernement togolais envisage d’adopter un plan de promotion de l’économie bleue durable et inclusive pour dynamiser ce pan de ses activités. Ce plan sera déployé autour des filières traditionnelles regroupant le transport et la logistique, la pêche, l’industrie, les câbles sous-marins et les ressources énergétiques. En cela, le Togo s’appuie sur le port de Lomé, principal canal d’échanges du pays avec l’extérieur.
« Grâce à sa position géographique stratégique et à sa connectivité, le port de Lomé est le bras de mer des pays du Sahel. Pour les pays sans littoral tels que le Burkina Faso, le Mali et le Niger, le port de Lomé est le port de transit par excellence, remplissant ainsi sa vocation d’outil d’intégration économique sous régionale. Seul port en eau profonde sur la façade ouest-africaine, atteignant 16,60 mètres et accueillant des navires de 3è génération, le port de Lomé est celui par lequel on peut atteindre plusieurs capitales, comme Cotonou, Accra, Abidjan, Ouagadougou, Niamey, Bamako, en un seul jour. Ainsi, le Togo jouit d’un capital maritime important avec son littoral, ses ressources halieutiques et dispose d’un potentiel réel en matière d’économie bleue. Il faut aussi dire que le pays envisage de se doter d’une stratégie portuaire ambitieuse à l’horizon 2030, qui vise non seulement le positionnement du port de Lomé comme plateforme incontournable dans les chaînes logistiques en Afrique de l’Ouest, mais surtout le renforcement du rôle de son unique port comme moteur et catalyseur d’un développement territorial et régional équilibré sur le plan social, économique et environnemental. » (Répondant de la Direction commerciale du Port autonome de Lomé, Lomé, entretien du 16 août 2022)
Le transport maritime représente une part importante des activités économiques du Togo. Selon le Rapport de l’étude au fond du projet de loi relatif à la chambre de commerce et d’industrie du Togo (Assemblée nationale, 2022), plus de 80% des échanges commerciaux y transitent. Le Port autonome de Lomé est le pivot du transport maritime au Togo bien que le pays dispose d’un port minéralier, le wharf de Kpémé situé à 30 km à l’est pour l’embarquement du phosphate. Il est un passage sûr pour les navires entre les continents. Depuis les années 1970, ce port est une importante station de commerce et d’échanges internationaux avec les pays du monde et l’un des meilleurs ports transfrontaliers de la sous-région ouest africaine depuis les récentes réformes de sa plateforme (Kombaté, 2011).
Aussi, la consolidation du dispositif de lutte contre la piraterie maritime dans les eaux territoriales togolaises fait de ce port un havre où viennent s’abriter des navires pour diverses destinations. La Pilotine, un trimestriel des informations portuaires, note une nette progression de 52% entre 2020 et 2021, soit 19 millions de tonnes de marchandises en 2020 contre 29 millions de tonnes en 2021 qui ont transité par le Port de Lomé. Selon Sam (2021), le transbordement a connu également une augmentation de 18 % entre 2020 (1.342.546 conteneurs) et 2021 (1.585.101 conteneurs). Corrélativement, les chiffres d’affaires sont en hausse. De 2017 à 2021, le chiffre d’affaires du Port autonome de Lomé, l’entité parapublique qui gère le Port, est passé de 26 milliards à 35 milliards de francs CFA, ce qui reflète une tendance haussière de 34% en 5 ans, selon les chiffres communiqués par les autorités portuaires. Véritable poumon de l’économie togolaise avec sa contribution de 30% au PIB national, le port autonome de Lomé prend toute son importance dans le développement de l’économie bleue du Togo.
La pêche est de loin, l’une des activités maritimes et côtières traditionnelles génératrices de revenus au Togo. Les populations riveraines de l’océan et des fleuves (Oti et Mono) tirent leur subsistance de la pêche en exploitant les ressources halieutiques (poissons, crustacés, coquillages, et cetera). La pêche maritime qui se pratique au Togo est une pêche artisanale exercée par des populations vivant sur la zone côtière togolaise et par des pêcheurs étrangers. Selon Fiagan (2014), le secteur de la pêche fournit près de 20 000 tonnes de produits halieutiques couvrant environ 35% des besoins de la population nationale et contribue pour 4,5% au Produit intérieur brut (PIB). Il mobilise plusieurs acteurs tout au long des rivières et surtout du littoral togolais et particulièrement au port de pêche jouxtant le port autonome de Lomé. Ce port enregistre un peu plus de 22 000 pêcheurs.
Les nouvelles économies en zone côtière
L’économie maritime joue un rôle crucial dans le développement socio-économique du Togo. Le Haut conseil pour la mer a élaboré la Stratégie nationale pour la mer et le littoral pour la période 2023-2030. Cette stratégie est déployée autour des secteurs économiques traditionnels (la pêche, le tourisme et les activités portuaires).
« De nouveaux secteurs porteurs de forts potentiels de croissance (aquaculture, écotourisme, biotechnologies, construction navale, et cetera) sont prévus pour être développés. La mise en œuvre de cette stratégie passera certainement par la mise en place d’une gouvernance appropriée, et un renforcement du rôle central des territoires dans le développement des secteurs de l’économie bleue dans le cadre de la régionalisation avancée. La recherche scientifique, la formation, l’innovation et la numérisation sont également des facteurs importants pour l’accompagnement et la réussite de cette stratégie. » (Participant de la direction des affaires maritimes, Lomé, entretien du 16 juillet 2022)
En ce sens, le Haut conseil pour la mer, dans le cadre de la mise en œuvre de sa vision stratégique de valorisation du domaine public maritime, a été précurseur dans l’établissement d’un recueil de cartes géographiques des potentiels marins et côtiers, qui a recensé et caractérisé toutes les activités existantes et potentielles liées à la mer, avec leurs distributions géo-spatiales. Ces dernières ont ensuite été érigées en Système d’information géographique (SIG). Ce recueil constitue une étape majeure dans le cadre d’une démarche de planification maritime spatiale (PSM), à poursuivre en étroite collaboration avec l’ensemble des parties prenantes concernées, en adoptant une vision plurisectorielle, et en appréhendant la mer comme un espace d’intégration par excellence.
« Le Togo est doté d’une stratégie portuaire ambitieuse à l’horizon 2030, qui vise non seulement le positionnement du port de Lomé comme plateforme incontournable dans les chaînes logistiques en Afrique de l’Ouest, mais surtout le renforcement du rôle de ce port comme moteur et catalyseur d’un développement territorial et national équilibré sur le plan social, économique et environnemental. » (Répondant du Haut conseil pour la mer, Lomé, entretien du 12 août 2022)
Les autorités portuaires et les acteurs du secteur sont conscients du rôle que peut jouer le port de Lomé comme accélérateur de la transition écologique et énergétique, et de la contribution qu’il peut apporter à l’atteinte des objectifs de développement durable, en l’occurrence l’adaptation aux changements climatiques, la réduction des gaz à effet de serre, la prévention et la lutte contre la pollution marine et la bonne gestion des déchets. Il faut noter que le Togo s’est inscrit positivement dans plusieurs initiatives et actions lancées récemment, en l’occurrence, en signant, à New York, le 20 septembre 2023, l’accord sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale[5] (Biodiversity of Areas Beyond National Jurisdiction), pour protéger les ressources marines et la biodiversité de l’océan mondial, sollicitant la contribution du secteur portuaire.
Dans la même perspective, les autorités maritimes et portuaires du Togo veillent sur la définition d’un plan environnemental du port de Lomé, portant un engagement clair et un plan d’action concret pour réussir leurs transitions écologique et énergétique. Plusieurs projets seront parachevés ou initiés, afin de promouvoir le port vert, à travers notamment la fourniture d’électricité propre au niveau des quais portuaires, la dématérialisation et la simplification des procédures portuaires, permettant ainsi de réduire le temps des escales des navires et leur impact environnemental, ou encore l’approvisionnement des navires en carburants alternatifs, notamment les carburants à faible teneur en carbone.
Les résultats des entretiens réalisés indiquent aussi que les nouvelles activités maritimes en zone côtière peuvent reposer sur l’exploitation des ressources marines biologiques à des fins médicale ou thérapeutique et des énergies renouvelables utilisant le vent, la houle et les courants pour produire de l’électricité. En effet, plusieurs ressources marines sont créatrices de richesses comme le soulignent les enquêtés, pour les territoires qui les accueillent et s’exercent dans une logique de développement durable. Elles constituent également une nouvelle opportunité pour faire de la proximité avec la mer un véritable atout pour son développement économique et le bien-être de la population. À cet égard, l’éolienne en mer constitue une des technologies qui offrent de nos jours les conditions de développement importantes lorsque les façades maritimes sont exposées aux forts courants, à la houle et aux régimes des vents dominants. Dans ce domaine, les pays des littoraux méditerranéens, à l’instar du Maghreb, sont suffisamment avancés contrairement aux pays subsahariens disposant de façades maritimes. Ces pays des côtes africaines occidentales et orientales sont de ce fait concernés par le développement des énergies marines renouvelables. De ce point de vue, une plateforme d’essais pour le développement, l’expérimentation et la mise au point de nouvelles technologies peut être envisageable sur ces littoraux pour l’implantation des sites de production.
Toutefois, pour le cas spécifique du Togo, la valorisation des ressources marines dans le secteur médical et pharmaceutique et le secteur des matériaux nécessite encore des efforts de recherche et d’étude dont les résultats pourront orienter les décideurs vers la mise en œuvre efficace et efficiente de la phase de production. Il s’agit donc d’identifier les sites d’implantation en concertation avec tous les acteurs du domaine côtier, et de définir les conditions préalables dans lesquelles des unités de production peuvent être développées afin de contribuer activement au développement durable du pays.
Des secteurs de l’économie bleue peu ancrés aux échelles de la recherche scientifique
Selon les enquêtés, le Togo connaît très peu son potentiel maritime. Ils relèvent que la connaissance de ce potentiel nécessite la recherche en science et en technologique pour informer le public des opportunités qu’offre l’océan. Les secteurs de la recherche et de l’innovation sont des atouts favorisant la transition des secteurs de la provision des ressources aquatiques (pêche et aquaculture, notamment), du tourisme, de la sécurité maritime, de la construction navale, de la protection de l’environnement, et cetera, aujourd’hui fragilisés. Ce sont eux qui aident au développement des activités en lien avec les secteurs d’avenir et à l’édification de filières compétitives.
« L’activité de recherche de l’océan est une opportunité économique à saisir, à valoriser et à transformer en valeur marchande, en emplois et en progrès social et sociétal. Pour ce faire, il apparaît indispensable de favoriser les échanges entre les acteurs de la recherche et les acteurs économiques, notamment les entreprises, banques, et cetera. » (Enseignant-chercheur en économie, Lomé, entretien du 17 août 2022)
La transition vers l’économie bleue risque d’être freinée par un manque d’informations à propos des eaux territoriales du Togo, des fonds marins et de la vie qu’ils abritent. Une meilleure connaissance de ces eaux territoriales devra favoriser la croissance de l’économie bleue, grâce à une meilleure appréhension des ressources marines et des moyens de les exploiter, sans perdre de vue les objectifs environnementaux. Les orientations stratégiques togolaises de recherche pour les milieux marins ont été définies dans le cadre de la Stratégie nationale pour la mer et le littoral (2021), rédigée par le Haut conseil pour la mer autour de quatre piliers thématiques : la connaissance du système océanique, l’exploitation durable des ressources marines, la gestion de l’espace côtier marin ainsi que la sécurité et la sûreté maritimes.
La côte togolaise accueille des chercheurs sur certaines thématiques en particulier la géographie, la biologie, l’économie, la sociologie, les sciences physiques, les sciences de l’ingénieur, et autres. En plus de la perspective de création d’un centre de recherche marine dont les locaux se trouvent à Aného, de l’Institut des métiers de la mer de l’Université de Lomé, la licence en océanographie de l’Université de Kara devra efficacement promouvoir la synergie des différents acteurs dans un cadre intersectoriel. Les sujets de recherche liés à l’océan sont nombreux et concernent, par exemple, la gouvernance de l’océan, les métiers, les usages, la régulation, les énergies marines renouvelables, les bioressources, la sécurité, la pêche et l’aquaculture, le tourisme, le sport, la culture, et cetera.
Pour autant, le Togo n’exploite pas pleinement son potentiel maritime. Peu d’établissements de recherche en science et technologie marine, de centres universitaires, d’écoles d’ingénieurs et de bureaux d’ingénierie de grandes entreprises existent au Togo. Il est difficile de citer des acteurs compétitifs, disposant d’une renommée nationale et reflétant aussi bien la richesse que la diversité de la recherche océanique sur la façade au Togo. Le pays continue d’être dépendant dans la collecte et l’intégration des données marines, éléments importants de l’économie bleue. Son littoral est actuellement confronté à une érosion côtière et à un recul du trait de côte qui lui est préjudiciable. Dans ce contexte, l’état des connaissances du littoral togolais est fourni par le Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM), un établissement public à caractère administratif installé à Brest en France.
Au Togo, la recherche scientifique est confiée à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), un organisme d’étude, de conception et d’exécution de programmes de recherche qui a, en outre, compétence pour exercer les pouvoirs d’inspection et d’information scientifique nécessaire. Dans le domaine océanographique, un centre de recherche maritime est en cours de création. Multidisciplinaire, il aura pour vocation de traiter toutes les disciplines scientifiques ayant trait au monde maritime. Les résultats obtenus par ce centre devraient couvrir la connaissance scientifique, les innovations technologiques ou les systèmes d’observation et d’exploration de l’océan. Les technologies sous-marines, la biodiversité, l’halieutique et l’aquaculture, l’environnement littoral, les ressources minérales, les biotechnologies, l’océanographie opérationnelle, les sciences sociales (sociologie, l’économie, le droit, les sciences politiques et les relations internationales) comptent parmi ses missions de recherche et ses domaines de compétence et d’excellence. Le centre de recherche marine devrait travailler en réseau avec la communauté scientifique togolaise, mais aussi en collaboration avec des organismes partenaires dans de nombreux pays. Les problématiques locales sont fortes au Togo : érosion côtière, pollutions, épuisement des ressources halieutiques, sécurité et sûreté maritime, transport maritime.
La côte togolaise accueille d’autres organismes de recherche comme le Laboratoire de recherche sur les dynamiques des milieux et des sociétés (LARDYMES), le Laboratoire de recherche biogéographique et d’études environnementales (LaRBE) ou encore le Laboratoire d’écologie et d’écotoxicologie (LaEE), tous issus de l’Université de Lomé. Plusieurs enseignements et formations œuvrent dans le domaine maritime dans les universités publiques et privées au Togo, en particulier l’Institut des métiers de la mer (I2M) de l’Université de Lomé, le département d’océanographie de l’Université de Kara et le master en droit maritime et portuaire de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO), unité universitaire au Togo.
Pour une transition de l’économie bleue au Togo, les répondants au guide d’entretien proposent un changement de paradigme, en matière d’approche conceptuelle et institutionnelle. Ils font le constat de la méconnaissance du potentiel des écosystèmes aquatiques et marins et des ressources associées des eaux sous juridiction togolaise. En effet, ces eaux ne sont pas encore cartographiées, ce qui rend toute action sur ce front très complexe. À ce propos :
« L’innovation dans l’économie bleue risque d’être freinée par un manque d’informations à propos des espaces maritimes togolais, des fonds marins et de la vie qu’ils abritent. Une meilleure connaissance de nos espaces maritimes devra favoriser la croissance de l’économie bleue, grâce à une compréhension plus approfondie des ressources marines et des moyens de les exploiter, sans perdre de vue nos objectifs environnementaux. » (Cadre du Haut conseil pour la mer, Lomé, entretien du 19 juillet 2022)
En effet, la production de connaissances par le biais d’évaluations approfondies, d’atlas et de bases de données au niveau national devra être complétée par la formation et le renforcement des capacités des différents acteurs. La formulation et la gouvernance judicieuses d’une politique de planification de l’économie bleue sont nécessaires pour transformer ces objectifs ambitieux en réalité. Il est nécessaire de renforcer l’alignement et les synergies entre ces cadres stratégiques à tous les niveaux pour assurer une mise en œuvre harmonieuse de cette politique. L’établissement de partenariats avec un large éventail de parties prenantes, notamment les organismes des Nations unies, les institutions continentales, sous-régionales et nationales, le secteur privé, le monde universitaire et la société civile, est également essentiel pour éviter les doubles emplois et le gaspillage de ressources.
Aussi, les ruptures scientifiques et technologiques ainsi que la réponse aux grands défis de notre temps nécessitent de plus en plus l’utilisation d’infrastructures de recherche au meilleur niveau pour la transition vers l’économie bleue.
Les infrastructures de recherche maritimes inexistantes
Les répondants au guide d’entretiens ont relevé que la recherche, pour être opérationnelle, ne peut s’appuyer que sur les infrastructures de recherche.
« La recherche scientifique, entendue comme l’entreprise visant le développement de connaissances nouvelles au moyen d’une étude structurée ou d’une investigation systématique, est un facteur incontournable de développement de l’économie bleue. » (Enseignant chercheur en zoologie, Lomé, entretien du 16 juillet 2022)
Outils essentiels pour la compétitivité de la recherche nationale, les infrastructures de recherche constituent de puissants stimulateurs de savoirs et d’innovation, des facteurs d’attraction de talents, des catalyseurs d’interdisciplinarité, des porteurs d’image et de prestige scientifique. Au demeurant, les infrastructures de recherches revêtent une importance capitale dans le dispositif de promotion de l’innovation par leur rôle dans la production ou le traitement des données, étape capitale en matière de recherche et d’action opérationnelle. Sur cet enjeu, un enquêté relève que :
« Dans des champs disciplinaires beaucoup plus nombreux que par le passé, les infrastructures sont devenues d’incroyables moteurs de savoirs et d’innovation, des attracteurs de talents, des catalyseurs d’interdisciplinarité, des porteurs d’image et de prestige scientifique. Elles sont un outil essentiel pour la compétitivité de la recherche et de l’innovation nationales. Par leur statut de promoteurs de nouvelles pratiques, elles constituent également un vecteur idéal pour le transfert de connaissances et de technologies vers le monde socio-économique. » (Chercheur à la direction de la recherche et de l’innovation au sein du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Lomé, entretien du 12 août 2022)
En effet, dans le secteur de l’économie bleue maritime, les infrastructures sont au service de la communauté scientifique. Ces infrastructures de recherche ne sont pas des outils de travail comme les autres. Elles représentent un actif précieux dans lequel le Togo devrait investir pour construire son avenir dans le domaine de la recherche et de l’innovation afin d’accompagner les grandes transitions dans lesquelles le Togo s’est engagé.
Le projet de création d’un centre de recherche marine et le renouvellement de la Stratégie nationale pour la mer et le littoral 2023-2030 s’inscrivent dans un mouvement beaucoup plus vaste visant à donner toute la place à la recherche togolaise dans le monde, en pleine cohérence avec la loi n° 2017-005 du 19 juin 2017 d’orientation de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Les infrastructures sont appelées à repousser toujours plus loin les frontières de la connaissance, et à participer pleinement aux dynamiques de relance et de transition impulsées par le Plan national de développement 2018-2022 (2018) ainsi que par la Feuille de route gouvernementale 2020-2025 (2020). La Stratégie nationale pour la mer et le littoral 2023-2030 devrait figurer au premier rang des priorités togolaises, fortes de la certitude que des équipements d’excellence soutiennent les projets togolais ambitieux et innovants, au meilleur niveau scientifique.
Discussion des résultats
L’analyse des données indique que l’océan n’est pas qu’un objet naturel au Togo. En tant que construction sociale (Steinberg, 2001) et objet hautement politique (Mazé et al., 2015), il se prête particulièrement bien aux approches sociologiques (Hannigan, 2017) et économiques (Ellero, 2017), notamment pour y mener l’étude des relations de pouvoir (Dahou, 2018). De plus en plus, l’océan retient l’attention, en étant perçu non seulement comme une nouvelle frontière en termes de ressources, mais aussi comme un médium pour les rivalités et les conflits géopolitiques (Hannigan, 2017).
Les résultats de la présente recherche montrent aussi que la promotion de l’économie bleue au Togo est associée à la maîtrise de la connaissance scientifique des filières comme la pêche, l’aquaculture, le transport maritime, l’industrie maritime, le tourisme, de l’océan et des fonds marins, et cetera, et à la mise en place d’un dispositif d’infrastructures de recherche. Ces résultats indiquent que le pays manque d’instituts, de centres ou de laboratoires où se rassemblent les savoirs et les compétences en matière de recherche, de technologie, d’innovation et d’expertise sur le milieu marin pour promouvoir l’économie bleue. Dans ce contexte, le pays ne peut pas tirer bénéfice des filières de l’économie bleue. Ces résultats sont cohérents avec ceux de Malek (2014) pour qui l’insuffisance et le faible développement des infrastructures d’innovation présentent un obstacle majeur au développement d’industries compétitives.
Par ailleurs, les résultats de cette étude mettent en évidence les relations multiples entre la recherche et l’action publique de l’économie bleue. En effet, si la recherche dans le domaine maritime est un enjeu pour la promotion des filières de l’économie bleue, elle est encore plus importante dans l’action publique où s’élaborent les réponses, les contenus et les processus pour traiter les problèmes collectifs (Thoenig, 2005). Les infrastructures de recherche permettent d’assurer la mobilisation des communautés scientifiques et des divers acteurs socio-économiques, en réponse aux défis des transitions mondiales en cours. L’émergence de politiques d’économie maritime, au début des années 2010, au Togo, présente un cas intéressant de construction d’un nouveau domaine de l’action publique nationale. Il s’agit en quelque sorte d’une phase de développement de l’économie bleue qui a été marquée par la création de l’Organisme national chargé de l’action de l’État en mer (ONAEM) en 2014, et du ministère de l’Économie maritime, de la Pêche et de la Protection côtière en 2020. Le nouvel intérêt de l’État togolais pour le développement de l’économie bleue pose la question d’un ancrage scientifique transversal d’initiatives et d’organisations fortement structurées.
Les résultats de la recherche ont mis en exergue l’intérêt de l’analyse stratégique pour décrire et analyser la dynamique des interactions susceptibles d’être établies entre recherche scientifique et développement de l’économie bleue. Ils ont permis d’identifier la recherche scientifique et les infrastructures de recherche comme des variables supplémentaires du système qui caractérise la promotion de l’économie bleue. L’approche par l’analyse stratégique offre l’opportunité d’étudier et de comprendre l’adéquation entre la recherche et le développement de l’économie bleue. Phase importante permettant de mieux cerner l’environnement dans lequel évolue l’organisation, l’analyse stratégique est un modèle organisationnel pouvant s’appliquer aux administrations étatiques et aux entreprises du domaine de l’économie bleue et qui permet d’éviter de prendre du retard par manque de connaissance. Son utilité, ici, est de comprendre l’environnement des filières de l’économie bleue pour identifier les origines de son évolution, les opportunités de son développement et ainsi prendre de judicieuses décisions. Les recherches menées périodiquement permettent d’empêcher les entreprises de stagner dans leurs pratiques et de les mettre à niveau avec le temps et les tendances changeantes de l’industrie maritime. L’analyse stratégique rend les entreprises conscientes d’elles-mêmes en soulignant leurs forces ainsi que leurs faiblesses.
Ces analyses montrent que la marginalisation de la recherche et son organisation en termes d’espaces de recherche ont pour toile de fond les enjeux économiques de la mer et l’évolution marchande des filières de l’économie bleue dans le pays. L’analyse stratégique et systémique de Crozier et Friedberg considère à cet effet qu’il « n’y a rien de plus pratique qu’une bonne théorie » (Crozier et Friedberg, 1977, p. 10). Elle permet de clarifier les caractéristiques positives de la recherche et des infrastructures de recherche qui sont indispensables à la promotion de l’économie bleue au Togo. Elle permet également d’identifier le nouvel intérêt de l’État togolais pour le développement de l’économie bleue. Dans cette perspective, le but de l’analyse stratégique consiste à renverser les logiques de raisonnement habituelles en interrogeant les phénomènes organisationnels du secteur maritime togolais à travers ses manifestations sociales, politiques et ses dysfonctionnements.
Sous cet angle, plusieurs chercheurs constatent un lien entre développement économique (pratique) et recherche scientifique (théorie). Balandier (1957), analysant les conditions sociologiques du développement, souligne que les problèmes de développement qui se posent dans de larges parties du monde ne sont pas seulement d’ordre économique, mais bien plus d’ordres culturel et psychologique à l’intérieur desquels s’inscrit toute action technique. Les problèmes sociaux qui s’imposent à l’attention des promoteurs de l’économie bleue sont évidemment multiples. Ce sont en premier lieu ceux de l’environnement marin et côtier qui subissent depuis deux décennies les pires dégradations telles que la surexploitation des ressources biologiques et abiotiques, la pollution marine et côtière, l’érosion côtière, et cetera. Les questions que posent la planification spatiale marine, l’organisation moderne du secteur portuaire et l’aménagement du littoral, sont longues à résoudre. La transformation de ces questions apparaît comme un préalable au succès de tout projet de développement de l’économie bleue au Togo.
Cette recherche offre la possibilité d’élaborer une logique fondée sur la description et l’explication du nouveau paradigme de l’économie bleue qui se développe et se diffuse actuellement au sein des systèmes internationaux, régionaux et nationaux. Ces analyses renvoient à des recherches en sociologie des organisations portant sur les acteurs, l’innovation, les pôles de compétitivité ou les cellules de recherches et développement (R&D). Elles s’inscrivent dans la volonté de comprendre l’environnement, la nature et l’organisation des filières de l’économie bleue au Togo afin d’optimiser les outils et les actions de la recherche scientifique maritime au développement économique du Togo. Elles posent également le problème de la nature des interactions entre recherche et action publique. Dans ce contexte, la recherche maritime apparaît comme une activité stratégique. Elle favorise la prise de décision dans la formulation et la mise en œuvre de politique générale (Brière, 2018 ; Royer et Séville, 2019 ; Penn, 2021).
Dès lors, la promotion de l’économie bleue au Togo doit, à l’évidence, adopter des modalités d’organisation d’un pôle de recherche en économie bleue et une infrastructure de recherche qui l’accompagne. Il est indispensable de formaliser et de structurer un réseau d’acteurs avec un programme et des équipements scientifiques, des ressources (collections, archives et données scientifiques) ainsi que des services essentiels pour la soutenir. La recherche scientifique, en tant qu’activité intellectuelle ayant pour objet la découverte, l’invention, la progression des connaissances nouvelles (Bernard, 2017), est largement reconnue comme un facteur primordial de croissance. Elle s’inscrit dans un modèle classique de développement économique, selon lequel la recherche fondamentale nourrirait la recherche appliquée, laquelle mènerait à des innovations techniques favorisant la productivité et le capital. C’est dans ce sens que Halloin écrit que : « Depuis une quinzaine d’années, la plupart des pays industrialisés ont décidé d’investir dans la recherche et l’innovation pour améliorer leur compétitivité et assurer la croissance économique et l’emploi » (2016, p. 23).
Ce travail a permis d’identifier la recherche et les infrastructures de recherche comme des variables essentielles qui caractérisent la croissance bleue. Ceci est confirmé par « les faits d’observation courante » (Guellec et Van Pottelsberghe de la Potterie, 2003) et la théorie économique (Romer, 1986 ; Solow, 1988) qui associent science technologique et croissance. On peut aussi penser, par exemple, à Schumpeter ou, plus précisément, à Adams à travers sa théorie relative au savoir. La pensée de Schumpeter (1999) montre toujours la nécessité d’une analyse économique dynamique en relation avec l’histoire et qu’il est illusoire (et dangereux) de rechercher des lois économiques immuables. L’essentiel de sa pensée porte sur le changement technologique et sur l’importance de l’innovation. Le concept d’innovation comme source de croissance est pour lui une évidence. Dans son ouvrage Théorie de l’évolution économique (1999), la notion d’innovation se résume à une idée simple : c’est l’introduction d’une nouveauté dans le système économique. Dans ce sens, l’innovation et la recherche sont des leviers forts pour promouvoir les filières de l’économie bleue au Togo. Adams, pour sa part, considère que « le savoir est un contributeur majeur à la croissance de la productivité » (1990, p. 673). Il constate que le stock fondamental de connaissances, représenté par la somme des études universitaires à caractère scientifique, a contribué de façon significative à la croissance de la productivité dans les entreprises manufacturières américaines. Ainsi, la relation entre croissance et recherche (universitaire en particulier mais non exclusivement technologique ou industrielle) paraît donc établie pour promouvoir l’économie bleue au Togo. Bassanini et Scarpetta rapportent qu’au sein de l’OCDE :
« On s’accorde à penser que la recherche peut avoir un effet persistant sur la croissance, autrement dit, qu’une augmentation des dépenses de recherche-développement devrait entraîner, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation permanente des taux de croissance. » (2001, p. 16)
Le diagnostic paraît unanime. Pour Wyckoff (2013), la croissance opère notamment par le savoir, et « le marché mondial a bien conscience du rôle prééminent des actifs intellectuels dans la croissance économique » (cité par Bernard, 2017, p. 176). Selon l’OCDE (1996), nous sommes dans une « économie du savoir », fondée sur un « capital humain », la connaissance, qui a toujours été « au centre du développement économique » et voit actuellement son importance grandir.
D’autres auteurs observent également l’importance des sciences pures pour la croissance économique. Barrett et al. (2021), cherchant les moteurs de la croissance à long terme, constatent que la recherche scientifique fondamentale impacte de nombreux secteurs, dans un plus grand nombre de pays dans la mesure où, si elle n’est pas attachée à un produit ou un pays particulier, elle peut être combinée de manière imprévisible et être utilisée dans différents domaines. Elle se diffuse donc plus largement et demeure durablement pertinente.
Conclusion
La présente étude s’est efforcée d’explorer les relations complexes entre la recherche scientifique liée au secteur maritime et la problématique de développement de l’économie bleue au Togo. Le but étant de montrer que les recherches et les infrastructures de recherches adaptées peuvent développer des connaissances appliquées au milieu marin pour garantir le développement de l’économie bleue.
Deux enseignements majeurs ressortent de l’étude : d’une part, les résultats indiquent que les actions relatives aux développements des infrastructures de recherche nécessaires pour la croissance bleue au Togo revêtent une grande importance dans le cadre de la compétitivité de l’économie du pays. Cette importance se caractérise par le potentiel de l’économie bleue pouvant impacter positivement sur la croissance économique de long terme et par l’existence, au sens de Granger (1988), d’une causalité bidirectionnelle entre l’investissement en infrastructure de recherche et la croissance économique, confirmant ainsi l’hypothèse de la croissance menée par l’économie bleue au Togo. D’autre part, ces résultats révèlent que la promotion de l’économie bleue au Togo est celle d’une fonction de production de connaissances visant à mettre en évidence les apports possibles de la recherche à l’action publique. En conséquence, la recherche peut contribuer à plusieurs niveaux à l’action publique par des voies multiples et une diversité d’acteurs. Néanmoins, ce processus ne va pas de soi. Il nécessite d’être soutenu, accompagné, en prenant en compte le fonctionnement et les enjeux de ces deux sphères.
Parties annexes
Notes
-
[1]
Par le décret n° 2014-113 du 30 avril 2014 relatif à l’action de l’État en mer, il est créé un Organisme national chargé de l’action de l’État en mer. L’article 5 de ce décret définit la composition des structures du Haut conseil pour la mer.
-
[2]
Le Cluster maritime d’Afrique francophone (CMAF) est une association régie par la loi de 1901 et rassemble en son sein les acteurs de l’écosystème maritime, de l’industrie aux services et activités maritimes de toute nature (entreprises de toutes tailles, pôles de compétitivité, fédérations et associations, laboratoires et centres de recherche, écoles et organismes de formation, collectivités et acteurs économiques locaux, et cetera) de 21 pays africains d’expression française. Le siège du CMAF est à Lomé.
-
[3]
Rapport sur la loi de finance, 2022, Assemblée nationale.
-
[4]
Pour plus d’informations, voir l’article de Lloyd’s List, [En ligne], URL : https://lloydslist.com/LL1141343/96-Lom-Togo
-
[5]
Pour plus d'informations sur ce sujet, l’accord disponible sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale est disponible au lien suivant, [En ligne], URL : https://treaties.un.org/doc/Publication/MTDSG/Volume%20II/Chapter%20XXI/XXI-10.fr.pdf
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