Résumés
Résumé
À partir d’un corpus constitué d’extraits de onze épisodes de la première saison de The Wire, une télésérie américaine mettant en scène des protagonistes des milieux populaires et criminels de la ville de Baltimore, nous avons examiné les stratégies de traduction des marqueurs de la relation interpersonnelle utilisées dans le sous-titrage et le doublage en français de la bande-son originale anglaise. Nous avons ainsi envisagé comment le niveau de la relation interpersonnelle est modifié ou non par le processus de traduction. Nous avons essentiellement ciblé la traduction des termes d’adresse afin d’identifier les stratégies (registre de langue, ponctuants, locutions, expressions idiomatiques) mises en oeuvre pour traduire des expressions anglaises telles que man et nigger qui, en plus de leur valeur linguistique, ont une valeur pragmatique importante ainsi qu’une valeur identitaire forte.
Mots-clés :
- traduction,
- termes d’adresse,
- analyse conversationnelle,
- impolitesse,
- relation interpersonnelle
Abstract
In a corpus made out of excerpts from eleven episodes of the first season of The Wire, an American television drama series staging a working-class and criminal Baltimore, we looked at the strategies used in French subtitles and dubbing to translate markers of interpersonal relationships present in the original version. Our aim was to investigate how audiovisual translating processes might alter these interpersonal relationships. We focused especially on the translation of terms of address, in order to find out which strategies (among other things, register, discourse markers, set phrases, idiomatic expressions) were developed to translate into French English expressions such as man and nigger that hold strong pragmatic and identity values besides their linguistic one.
Keywords:
- translation,
- terms of address,
- conversational analysis,
- impoliteness,
- relational work
Corps de l’article
1. Introduction[2]
Les manifestations de l’impolitesse font désormais l’objet d’études de la part de chercheurs qui s’intéressent à la problématique du travail relationnel (relational work), au même titre que les manifestations de la politesse. Des chercheurs tels Jonathan Culpeper (1996), Miriam Locher et Richard Watts (2005), et Chantal Tetreault (2010) ont en effet mis en évidence le rôle central de l’impolitesse dans les interactions quotidiennes et dans la construction des relations sociales. Dans un tel contexte, il apparaît pertinent de voir comment le travail relationnel s’accomplit dans des situations où la priorité des locuteurs n’est pas le maintien de l’harmonie dans les échanges[3], mais plutôt le désir d’être reconnus, intégrés ou respectés par leurs pairs.
Dans cet article, nous nous penchons sur les stratégies de traduction des marqueurs relationnels dans le doublage et le sous-titrage de la série télévisée américaine The Wire. Cette série, diffusée de juin 2002 à mars 2008[4] sur la chaîne de télévision américaine HBO et créée par David Simon[5], problématise les rapports de différentes institutions de la ville portuaire de Baltimore (Maryland), où se déroule la série, avec les forces de l’ordre. La première saison est consacrée au trafic de drogues. Les protagonistes des scènes analysées dans cet article sont des membres, à différents échelons, d’un réseau criminel, et sont presque exclusivement d’origine afro-américaine[6].
Nous entendons par marqueurs relationnels des « éléments propres à l’oral et qui se caractérisent par leurs fonctions pragmatiques et interactives » (Bagiani, 2010, p. 19). Nous nous intéresserons principalement à un type de marqueurs relationnels, à savoir les termes d’adresse, qui, comme l’explique Catherine Kerbrat-Orecchioni, correspondent à « l’ensemble des expressions dont dispose le locuteur pour désigner son (ou ses) allocutaire(s) » (1992, p. 15). Nous reviendrons plus en détail sur cette notion dans la suite du texte. Dans la série The Wire, ce sont les termes d’adresse interpersonnels perçus comme grossiers, voire tabous, qui nous intéresseront.
L’objectif de notre étude était de déterminer comment la négociation interactionnelle de la relation interpersonnelle est adaptée, transformée ou modifiée dans le doublage et le sous-titrage en langue française[7] de The Wire. Les échanges envisagés dans notre corpus montrent bien comment les manifestations de l’impolitesse témoignent de la construction de la relation interpersonnelle en interaction. Comme nous l’avons mentionné, notre analyse s’articule surtout autour des termes d’adresse, qui sont des indicateurs de la façon dont se construit la relation entre les personnages au fil des épisodes de la série. Avant de présenter les analyses proprement dites et les résultats que nous avons pu en dégager, nous nous proposons de revenir brièvement sur les théories de l’analyse conversationnelle qui s’intéressent à la construction de la relation interpersonnelle, sur les spécificités du doublage et du sous-titrage et sur notre corpus et notre méthodologie.
2. Analyse des conversations et relation interpersonnelle
Depuis la fin des années 1970, différents courants interactionnistes ont mis en évidence un aspect capital de la communication : l’aspect interactionnel des échanges. Il ne s’agit plus seulement d’envisager la conversation ou, plus largement, la communication, comme la transmission d’un message, ni simplement d’étudier le contenu des messages, mais bien de montrer comment les participants d’une conversation négocient la construction des échanges. Il s’agit, en particulier, de voir comment le message est en permanence « co-construit » (Traverso, 1999, p. 6) par les différents interactants. L’accent est ainsi mis sur l’importance du niveau relationnel dans toute communication, un élément auparavant occulté par l’étude presque exclusive du contenu des communications (le niveau du message transmis).
Si les idées de négociation et de co-construction sont centrales dans cette perspective théorique, les études de corpus ont pu montrer que les échanges ne sont pas tous sereins pour autant. L’interaction et sa construction sont en permanence des occasions de prendre l’ascendant, d’établir des rapports de pouvoir et de domination par le langage. Il est donc important de prendre en considération les dimensions symboliques et affectives des échanges, qui rendent compte de cette dynamique des interactions.
En effet, outre les relations qui s’établissent entre les éléments de la conversation lors de sa co-construction par les interactants, des relations « se construisent, par le biais de l’échange verbal, entre les interactants eux-mêmes » (Kerbrat-Orecchioni, 1996, p. 41). L’analyse des conversations a permis de mettre au jour la présence d’indices de cette relation interpersonnelle tout au long des interactions, indices qui construisent la relation en même temps qu’ils la signalent. Avec Kerbat-Orecchioni, on peut ainsi distinguer les relationèmes (marqueurs de l’axe de distance-intimité sur lequel évoluent les interactants), par exemple, les termes d’adresse, et les taxèmes (marqueurs de l’axe hiérarchique-égalitaire sur lequel évolue la relation), comme l’organisation des tours de parole et l’organisation structurale de l’interaction.
La théorie de la politesse, développée en particulier par Penelope Brown et Stephen Levinson (1987) articulant la théorie des « faces » [8] initiée par Erving Goffman (1955), met en évidence cet aspect relationnel en étudiant les enjeux des actes de langage et leur potentiel aussi bien « menaçant » –face threatening acts (FTA) – que « flatteur » –face flattering acts (FFA)[9]. Il s’agit, selon ce modèle, de considérer la politesse comme un travail permanent visant à préserver ses propres faces (positive et négative) et celles de l’autre. Les études en théorie de la politesse soulignent l’unité fonctionnelle des principes de politesse dont le but est de « permettre une gestion harmonieuse de la relation interpersonnelle », notamment parce que l’ensemble de ces procédés vise à « ménager ou valoriser son partenaire d’interaction » (Kerbrat-Orecchioni, 1996, p. 60).
Néanmoins, certains chercheurs, comme Richard Watts et Miriam Locher, sur lesquels nous nous fondons, ont proposé de nuancer et de remettre en question cette « organisation préférentielle des échanges » (Brown et Levinson, 1985, p. 38, traduction de Kerbrat-Orecchioni, 1995, p. 8). Ces deux chercheurs ont mis en évidence le rôle des manifestations de l’impolitesse dans l’élaboration de la relation interpersonnelle des interactants. Souhaitant élargir le sens du facework tel qu’envisagé dans la théorie de la politesse de Brown et Levinson et de leurs continuateurs, ils proposent de concevoir le travail relationnel comme un continuum qui englobe aussi bien les comportements impolis que polis :
Looked at in this way, relational work comprises the entire continuum of verbal behavior from direct, impolite, rude or aggressive interaction through to polite interaction, encompassing both appropriate and inappropriate forms of social behavior
Locher et Watts, 2005, p. 11
Une telle conception du travail relationnel amène à considérer les comportements impolis comme aussi signifiants dans la définition de la relation que les comportements polis. La politesse n’est plus considérée comme inhérente aux formes, mais bien comme une construction discursive, dépendant de l’évaluation des interactants en fonction de la situation :
Depending upon the kind of verbal social behavior in which individuals engage, they will adapt their relational work to what is considered appropriate. Given that this is the case, it is not valid to refer to conflictual and aggressive behavior as inherently “impolite”, “rude”, or “discourteous”. But neither is it valid to classify excessively formal or indirect behavior as automatically “polite”, “polished” or “distinguished”. Hence no utterance is inherently polite […] we do claim that individuals evaluate certain utterances as polite against the background of their own habitus, or, to put it in another way, against the structures of expectation evoked within the frame of the interaction.
Locher et Watts, 2005, p. 29
Ce que Locher et Watts nomment le travail relationnel se présente comme un continuum allant des comportements impolis, qui sont marqués négativement, et perçus comme non polis ou inappropriés, aux comportements over-polite, également marqués négativement et perçus comme non polis ou inappropriés. Entre ces deux pôles se situent des comportements non marqués et perçus comme appropriés, même si non polis, et des comportements positivement marqués, polis et perçus comme appropriés (les seuls habituellement envisagés comme du facework)[10].
En adoptant la perspective de ces deux auteurs, nous considérons que les échanges considérés comme impolis – dans la théorie traditionnelle de la politesse (celle de Brown et Levinson, et ses aménagements postérieurs) – sont également légitimes pour envisager la négociation en interaction de la relation interpersonnelle. C’est dans un corpus constitué de tels échanges, où l’utilisation de l’impolitesse est un fort symbole identitaire et communautaire, que nous avons examiné les marqueurs de la relation interpersonnelle afin de cerner comment la négociation interactionnelle est modifiée par la traduction française dans le contexte du doublage et du sous-titrage de la télésérie The Wire.
2. Contraintes liées au sous-titrage et au doublage
Nous avons envisagé les stratégies de traduction adoptées par les doubleurs et sous-titreurs de la série The Wire face aux marqueurs interpersonnels. Il convenait dès lors de prendre en considération les spécificités de la traduction audiovisuelle. Dans son étude sur les marqueurs discursifs dans le sous-titrage, Marta Biagini met en évidence le caractère spécifique des sous-titres au sein de l’ensemble plus général qu’est la traduction audiovisuelle :
Le sous-titrage est un transfert inter-linguistique, intersémiotique et inter-médiatique qui, dans le passage d’une langue à l’autre, de plusieurs codes de l’univers filmique au code verbal des sous-titres et de l’oral à l’écrit, se définit comme « a kind of written, additive, immediate, synchronous and polymedial translation »
Gottlieb, 1992, p. 162. Biagini, 2010, p. 18
Plusieurs études ont mis en évidence les contraintes inhérentes au processus particulier de traduction-adaptation que constitue le sous-titrage de films ou de séries télévisées. Basil Hatim et Ian Mason (2004, p. 430-431) résument ces contraintes en quatre points :
1) Le passage du discours oral à l’écrit, qui a pour conséquence que certains traits de langage (traits non standard, intonation, tours de parole, etc.) ne sont pas automatiquement représentés à l’écrit.
2) Les contraintes physiques liées au canal, tels l’espace disponible et la vitesse de défilement.
3) La réduction du discours source, conséquence du point précédent. Cet aspect nécessite, de la part des traducteurs, de revoir la cohérence globale du texte qu’ils proposent afin de rendre au mieux le sens initial du discours source dans une version plus concise.
4) La nécessité de faire correspondre le texte à l’image visuelle.
Ces contraintes entraînent une nécessaire modification de la conversation dans la version sous-titrée. Ainsi, les traducteurs et les sous-titreurs sont confrontés à une série de problèmes qu’ils doivent résoudre. La redondance du visuel et du verbal permet souvent la suppression ou la réduction de certains éléments de la conversation originale. Dans les pages qui suivent, nous nous pencherons précisément sur les choix opérés pour rendre compte, de la façon la plus économique possible, de tous les paramètres – pragmatiques et interactifs – des dialogues de la série télévisée The Wire.
Par ailleurs, le doublage comporte ses propres contraintes, comme le souligne Olivier Aïm dans une étude consacrée non seulement à la traduction des séries télévisées américaines, mais aussi aux enjeux de leur programmation et de leur diffusion en France :
Une première distinction mérite d’être faite entre le doublage proprement dit et la « version originale sous-titrée » (ou v.o.s.t.). Les traductions qu’elles proposent du contenu linguistique, essentiellement composé des dialogues entre les personnages, sont, en effet, sensiblement différentes, voire divergentes. La version doublée est destinée à se substituer à la version dialoguée originale, et « performée » par les comédiens américains, dans la voix desquels les comédiens français devront entrer. Autrement dit, tant que faire se peut, la version doublée doit reprendre le rythme, la prosodie et l’économie de la parole (et non plus de la langue) d’origine, afin que l’illusion soit la plus parfaite à l’intersection de l’audio et du visuel. La traduction n’est plus littérale mais adressée […]. Au-delà, l’essentiel reste que le doublage renvoie à la réalité des corps. Il rend comme tangible la corporalité de la parole traduite, en renvoyant à l’épaisseur pragmatique du personnage de fiction et de la double destination de ses dialogues (d’où l’importance aussi du choix des voix françaises qui s’apparente à un vrai casting).
Aïm, 2007, p. 84-85
Ainsi, alors que dans les versions doublées, la performance des voix françaises doit correspondre à celle des acteurs interagissant dans leur langue, le sous-titrage répond à d’autres impératifs. Les spécificités de ces deux formes de traduction audiovisuelle ont donc des conséquences sur le traitement des termes d’adresse, puisque la portée de ces derniers est autant d’ordre pragmatique et interactionnel que sémantique.
3. Corpus et méthodologie
Nos analyses portent sur la première saison de la série américaine The Wire. Nous avons sélectionné un ensemble de onze extraits provenant de neuf épisodes[11] ayant en commun non seulement le milieu mis en scène (l’organisation du trafic de drogue), mais également un ensemble de personnages récurrents. Les extraits sélectionnés permettent d’appréhender les relations complexes qui s’établissent entre les protagonistes tout au long de la série, en plus de rendre compte de la façon dont ces relations se construisent en interaction dans un cadre très hiérarchisé (celui de l’organisation trafiquante), mais néanmoins relativement informel. Les échanges sont pour la plupart spontanés et ils prennent place dans des configurations informelles (la rue, des terrains vagues, des bars, etc.). Les rapports entretenus entre les protagonistes, même s’ils sont influencés par le réseau hiérarchique dans lequel ceux-ci évoluent, ne sont pas rigides, puisque les personnages se connaissent pour la plupart depuis l’enfance – quand ils n’appartiennent pas à la même famille. Ils ont ainsi en commun non seulement leur milieu socioéconomique – les projects[12] –, mais aussi leur origine afro-américaine, et ils font presque tous partie de la même génération.
Afin de décrire les stratégies de traduction dont les termes d’adresse font l’objet dans cette télésérie, nous avons comparé les termes d’adresse relevés dans la version originale anglaise[13] aux formes qui les remplacent dans les versions sous-titrée et doublée en français. Nous avons utilisé, d’une part, les sous-titres fournis par le support DVD[14] pour la version sous-titrée en français et, d’autre part, une retranscription de la bande audio française pour la version doublée en français.
4. Stratégies de traduction mises en oeuvre
À partir de l’analyse des onze extraits mentionnés précédemment, nous avons pu dégager une série de stratégies utilisées pour rendre compte, dans les versions sous-titrée et doublée en français, des différents marqueurs interpersonnels employés dans la version originale. Les principales stratégies que nous avons relevées, au nombre de sept, sont décrites dans les sections qui suivent.
4.1 La suppression
Cette stratégie est de loin la plus fréquente dans notre corpus. Dans la plupart des cas, en effet, aussi bien les termes d’adresse que les formes impolies sont tout simplement éliminés des versions françaises. Dans le cas des manifestations de l’impolitesse, cela illustre bien le fait que les frontières entre les différentes catégories proposées par Locher et Watts (2005, p. 12-14) ne sont ni clairement ni définitivement définies, puisque cette stratégie correspond au basculement de formes considérées comme non polies, mais appropriées au contexte dans la version anglaise (autrement dit appropriées à la variété de langue pratiquée par les personnages et aux situations particulières de communication) à une évaluation des formes considérées impolies et donc inappropriées en français, ce qui paraît justifier leur suppression. Cette stratégie met également en évidence la valeur redondante de ces formes, qui peuvent être considérées comme de simples ponctuants, excusant dès lors leur disparition. Dans le cas des formes pouvant être perçues comme impolies, et plus encore dans le cas particulier du terme d’adresse nigger, fortement connoté dans un contexte racialisé, la stratégie de la suppression de ces marqueurs pose également la question de la censure éventuellement exercée dans ces deux exercices de traduction audiovisuelle.
4.2 La traduction
Contrairement à ce à quoi on aurait pu s’attendre, cette stratégie n’est pas la plus fréquente dans les extraits analysés. Il est en effet assez rare que les marqueurs interpersonnels soient traduits par une forme ayant, en français, plus ou moins les mêmes valeurs (fonctionnelle, pragmatique, identitaire et symbolique) que la forme source et appartenant à un registre de langue semblable.
4.3 La conservation de la forme anglaise (ou l’emprunt direct)
Dans certains cas, la forme anglaise est conservée dans la version doublée ou sous-titrée en français. C’est notamment le cas pour les termes d’adresse, avec l’exemple significatif de man, qui se retrouve plus d’une fois tel quel dans les versions françaises. Cette stratégie semble découler de la valeur identitaire que peut revêtir l’anglais dans certaines variétés de français, en particulier pour certains groupes influencés par les mouvements rap et hip-hop, où la langue joue le rôle de « we code » (Gumperz, 1982) et sert aussi bien de base à l’inclusion qu’à l’exclusion de ceux qui n’adoptent pas la même variété[15].
4.4 La mise en exergue d’une dimension de l’expression
Comme nous le faisions remarquer au sujet de la traduction (point 4.2), il est rare que la forme française corresponde du point de vue de ses différentes valeurs (identitaire, pragmatique, fonctionnelle, symbolique, affective, etc.) à la forme anglaise originale. Une stratégie utilisée pour pallier le fait que la traduction est rarement utilisée consiste donc à mettre l’accent sur une seule des valeurs de l’expression source et à trouver une forme française qui la partage. Assez souvent, c’est la valeur identitaire ou pragmatique qui est soulignée dans l’adaptation, par l’emploi du verlan, par exemple, ou d’interjections pour rendre une forme d’adresse. Les deux stratégies qui suivent découlent directement de celle-ci.
4.5 L’adoption d’un registre, d’un style ou d’un ton particulier
En ce qui concerne les manifestations de l’impolitesse, ces stratégies de substitution semblent particulièrement productives. Dans la majorité des cas, en effet, c’est le choix d’un registre ou d’un style particulier qui permet de mettre en évidence les valeurs associées en anglais à des formes évaluées très négativement en français. Comme nous le verrons plus loin lors de l’analyse du terme d’adresse nigger, le verlan[16], par exemple, est souvent mobilisé pour rendre compte des valeurs identitaire, symbolique et affective des formes. Dans le même ordre d’idées, l’argot[17] est souvent privilégié pour souligner le caractère marqué des expressions (ce qui témoigne encore une fois du passage d’une catégorie – de Locher et Watts – à l’autre). De même, l’ironie est utilisée à plusieurs reprises pour rendre des formes considérées comme impolies. Dans ce dernier cas, c’est souvent la valeur provocatrice des formes qui est mise de l’avant. Cependant, ces différentes stratégies ne sont pas sans impact sur la perception de la relation interpersonnelle. Choisir de ne garder que la valeur provocatrice d’une forme ou, au contraire, que la valeur identitaire, change petit à petit l’image des rapports entre les personnages, comme nous le verrons dans certains extraits précis.
4.6 La focalisation sur la valeur taxémique de l’expression
Cette stratégie est particulièrement intéressante, car elle semble, plus que toutes les autres, pouvoir altérer la perception de la relation entre les protagonistes. Elle est surtout utilisée en ce qui a trait aux manifestations de l’impolitesse. Comme nous l’avons signalé plus haut, la plupart des formes impolies sont supprimées, ce qui entraîne des modifications au niveau de la structure des phrases et, plus précisément, à celui des modalités verbales. Il n’est pas rare de voir certaines phrases passer d’assertions à l’indicatif à des formes à l’impératif. Le ton joue aussi dans cette stratégie (dans le cas de la version doublée) ; il est souvent durci dans la version française, afin de souligner le potentiel menaçant, provocateur ou agressif perçu dans la forme originale (à tort ou à raison).
4.7 Les modifications au niveau du paraverbal
Cette dernière stratégie, qui ne concerne que le doublage, met en évidences les différences essentielles entre cette modalité de traduction et le sous-titrage en rendant possibles les altérations de la strate communicationnelle du paraverbal. Aussi bien la prosodie et l’intensité vocale que le ton, l’intonation et le débit peuvent être modifiés. Dans le cas des relations de pouvoir (et donc de la valeur taxémique des prises de parole), l’intonation et le ton sont essentiels. En effet, ces éléments renforcent souvent la valeur taxémique de la version doublée française.
5. Quelques exemples
Pour illustrer ce qui vient d’être dit au sujet des stratégies de traduction et des changements subis par la relation interpersonnelle dans les versions doublée et sous-titrée, nous présenterons quelques exemples qui portent spécifiquement sur la catégorie des termes d’adresse. Comme l’explique Kerbrat-Orecchioni, les termes d’adresse
ont généralement, en plus de leur valeur déictique (exprimer la « deuxième personne », c’est-à-dire référer au destinataire du message), une valeur relationnelle : lorsque plusieurs formes sont déictiquement équivalentes - comme « tu » et « vous » employés pour désigner un allocutaire unique -, elles servent en outre à établir un type particulier de lien social
1992, p. 15
Les termes d’adresse forment une liste close qui se ventile traditionnellement dans les catégories suivantes : pronoms, noms propres, noms communs, verbes impersonnels (Braun, 1988 ; Martiny, 1996). Lagorgette (2003) enrichit cette catégorisation en y ajoutant les insultes, ou axiologiques négatifs. Nous nous attarderons dans ce qui suit aux stratégies mises en oeuvre dans le cas particulier de la traduction du terme fortement connoté nigger.
Le tableau 1 ci-dessous répertorie toutes les occurrences des termes d’adresse man, nigga, nigger, squires, boy, you motherfuckers, bro, y’all niggers et B relevées dans la version originale, classées selon les extraits. Celles-ci sont comparées aux formes correspondantes dans la version sous-titrée et dans la version doublée françaises. En plus d’illustrer les différentes stratégies décrites plus haut, les occurrences répertoriées dans ce tableau montrent la fréquence relative de chacune d’entre elles dans les sous-titres et le doublage. Nous pouvons noter, par exemple, que la fréquence de suppression (indiquée par le signe ø) des termes d’adresse est plus élevée dans le contexte du sous-titrage que dans celui du doublage[18].
Nous avons inclus dans le tableau ci-dessus différentes formules au statut particulier qui nous semblent intéressantes à envisager, car ces axiologiques négatifs se trouvent à la croisée de deux catégories, à la fois adresses et manifestations de l’impolitesse, pour ne pas dire insultes. C’est le cas de « You motherfuckers », dernière occurrence du quatrième extrait et première occurrence du neuvième extrait dans le tableau 1. Le tableau 2 ci-dessous présente ces exemples en contexte. Comme on le voit dans ces exemples, les stratégies employées pour rendre ces formes hybrides ont été assez diverses (suppression, insistance sur une valeur inclusive, identitaire ou communautaire – mec ; sur le caractère non poli – enculés/branleur). La traduction dans le doublage du quatrième extrait montre bien les changements que peut subir la relation interpersonnelle, puisque l’on passe d’une adresse collective à une adresse particulière.
Dans la majorité des traductions de man, c’est la valeur identitaire ou communautaire qui est retenue et soulignée par les formes choisies en français (mec, mon pote, mon frère). Ces formes dénotent en particulier l’appartenance (avec les déterminants possessifs) ou la parenté. Dans certains cas, comme dans la quatrième occurrence du troisième extrait (tableau 3 ci-dessous), on constate que ce n’est pas à proprement parler une forme qui a été choisie pour rendre compte des valeurs connotées par la forme source, mais bien certaines des stratégies plus globales qui portent sur la valeur taxémique des énoncés en interaction, l’emploi du mode impératif, par exemple. Dans cet exemple, le terme d’adresse était employé par un personnage pour donner un ordre à un autre. C’est cette valeur qui a été retenue : si l’adresse a disparu, l’impératif demeure.
Un ensemble de stratégies nous semble par ailleurs emblématique des difficultés posées par la traduction audiovisuelle et représentatif des modifications que cette dernière induit : les stratégies mobilisées pour rendre le terme d’adresse nigger.
5.1 Le terme nigger
L’analyse des différentes occurrences du terme d’adresse nigger et de son dérivé nigga nous semble particulièrement intéressante. Dans la plupart des cas, le traducteur et le sous-titreur ont évité d’employer les équivalents français du terme (nègre, noir, négro…), probablement en raison de leur lourde charge émotive et de leurs connotations (racistes et péjoratives) ; la valeur redondante des marques d’adresse facilite probablement cette forme de censure, qu’elle soit consciente ou non. Néanmoins, nous pouvons voir que différentes alternatives sont privilégiées en fonction des valeurs perçues en contexte. Dans certains cas, la stratégie de traduction est d’insister sur une autre forme ayant une valeur identitaire ; dans d’autres, il s’agit plutôt de souligner les rapports de pouvoir que l’emploi du terme véhicule (et construit) en renforçant sa valeur taxémique. C’est alors sur le rapport hiérarchique entre les personnages que l’accent est mis. Il est intéressant de noter que, dans notre corpus, le terme n’est employé que du haut vers le bas, c’est-à-dire d’un membre du réseau à un de ses subalternes, ordre hiérarchique qui suit également les différences d’âge, entre des protagonistes qui sont tous d’origine afro-américaine. Néanmoins, s’il est toujours utilisé dans ces configurations hiérarchiques, cela peut aussi être le cas lorsque le rapport de pouvoir est souligné ou lorsqu’il tend à être effacé (dans des cas où la relation est établie sur le mode de l’intimité et de la proximité).
Dans les tableaux ci-dessous, nous avons relevé, d’une part, les occurrences de nigger lorsqu’il n’est pas employé comme terme d’adresse, mais pour désigner un tiers absent (tableau 4) et, d’autre part, les occurrences de ce même mot lorsqu’il est employé comme terme d’adresse (tableau 5).
Les données montrent que la traduction de nigger par un terme français rendant compte de la couleur de la peau est encore plus rare à l’écrit qu’à l’oral, avec respectivement trois traductions sur vingt-sept occurrences en anglais à l’écrit pour neuf à l’oral. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les termes choisis sont différents dans les deux cas : dans les sous-titres, seul renoi[19], forme verlan de noir, apparaît, alors qu’aucun dérivé de noir n’est relevé dans la version doublée, qui utilise négro lorsqu’il s’agit d’une adresse et nègre lorsqu’il est question d’un tiers absent.
Le tableau 5 met aussi en lumière le caractère redondant des adresses, qui ne sont majoritairement pas adaptées en français, mais bel et bien supprimées. Alors que le choix même du terme d’adresse nigger est, en anglais, révélateur de la relation interpersonnelle (tantôt manifestant le sentiment d’identité et d’appartenance, tantôt illustrant des rapports hiérarchiques ; tantôt signe d’une relation marquée par l’intimité, tantôt signe d’une relation marquée par la distance), c’est surtout sa valeur pragmatique qui est retenue en français et évaluée comme redondante. Dans certains cas, c’est uniquement la connotation péjorative du terme qui est relevée, comme avec bâtard ou connards. Il arrive aussi que, lors de la traduction, le nombre soit altéré. C’est le cas dans le huitième extrait, lorsque l’adresse nigger (au singulier) est rendue par une adresse collective, les mecs, comme on peut le voir dans le tableau 6 ci-dessous.
Cette valeur collective est également retenue dans le neuvième extrait :
Cet exemple illustre une stratégie de traduction fréquemment choisie et qui s’oppose foncièrement à celle que représentaient les exemples de bâtard ou connards. Dans de nombreux cas, c’est sur le rôle de marqueur identitaire et d’appartenance que l’accent est mis lors de la traduction. Ces valeurs identitaires et communautaires sont ainsi soulignées dans le deuxième extrait, où le nigger est respectivement rendu par on dans les sous-titres et par les frères dans la version doublée :
Une stratégie nous paraît assez révélatrice du malaise à employer nègre ou des formes aussi négativement connotées en français. À plusieurs reprises, lorsque nègre est utilisé, on passe d’une adresse directement formulée en anglais à une tournure indirecte en français. C’est notamment le cas dans la seconde réplique de l’extrait suivant (saison 1, épisode 6 The Wire : 27’20’’ > 27’40’’) :
Un point important à souligner, même s’il ne s’observe pas dans notre corpus, est la récupération du terme d’adresse nigger en dehors de la communauté afro-américaine. Dans certaines scènes de la série, des protagonistes blancs l’utilisent entre eux, et il arrive même, dans quelques scènes, que ce soit le terme choisi par un noir comme adresse à un blanc[20]. Ces constatations nous mettent également en garde contre les liens vite établis entre langue et ethnicité, là même où les formes circulent en permanence[21].
5.2 Un exemple de modification de la relation interpersonnelle
L’extrait suivant (saison 1, épisode 7 One Arrest 37’35’’ > 38’) illustre bien les modifications de la relation interpersonnelle que peut amener la traduction audiovisuelle.
Dans cet extrait, en plus du ton dur et agressif de la version doublée, qui nous semble réellement altérer l’image de la relation entre les personnages, les deux dernières interventions de D illustrent parfaitement les glissements opérés dans les adaptations. Alors que dans la version originale et dans les sous-titres, le protagoniste (debout dans une pièce et entouré de tous ses supérieurs du réseau, eux assis) reste à sa place, même s’il exprime un désaccord, dans la version doublée, il utilise un ton dur et sec, et défie ouvertement S, d’une part en l’insultant (Mais toi/t’es p’t-être assez con pour griller un stop ou un feu rouge/va savoir), d’autre part en remettant sa parole en doute directement (D : Y a de quoi douter/non ?) là où il n’affichait pas aussi clairement son scepticisme dans la version originale.
Au fil des épisodes, si les modifications ne sont jamais radicales, elles sont néanmoins suffisamment nombreuses pour modifier la relation interpersonnelle. Selon la version visionnée, l’intensité des rapports de pouvoir, la façon dont les protagonistes interagissent, voire le caractère des personnages change.
6. Conclusion
Notre étude a montré comment les choix opérés lors de la traduction audiovisuelle peuvent modifier l’image globale de la relation interpersonnelle telle qu’elle se construit en interaction. Comme les stratégies de traduction que nous avons pu dégager l’ont mis en évidence, les marqueurs interpersonnels revêtent, en contexte, différentes valeurs (pragmatique, taxémique, identitaire, communautaire, etc.). C’est très majoritairement en choisissant l’une d’entre elles que les traducteurs audiovisuels rendent le terme source dans la langue cible. Le jeu sur les connotations du terme source réduit ainsi souvent la portée sémantique (dénotative et connotative) de l’expression originale en fonction de la valeur évaluée comme prédominante dans l’interaction.
Une telle étude montre bien que les manifestations de l’impolitesse sont perçues dans la traduction comme ayant plusieurs rôles. En particulier, les exemples étudiés prouvent que les rôles relationnel et communautaire[22] de formes lexicales considérées comme impolies sont primordiaux en contexte d’interaction dans l’établissement, la confirmation ou la contestation des rapports entre les interactants. Les données étudiées montrent que les formes impolies peuvent être « appropriées » en situation d’interaction, dépendamment des contextes, confirmant ainsi ce qu’avançaient Locher et Watts (2005). Dans notre corpus, les cas fréquents où les manifestations de l’impolitesse sont supprimées dans les versions françaises, mais rendues par des registres de langue associés à une forte valeur identitaire, l’illustrent bien. L’étude du corpus a également permis de mieux cerner les différences inhérentes aux deux types de traduction audiovisuelle envisagés. Une différence majeure qui a été dégagée est celle du rôle de la strate du paraverbal. Par exemple, la modification du ton, dans la version doublée, montre bien le rôle central de la composante paraverbale dans la construction de la relation interpersonnelle, puisque les changements s’avèrent plus visibles lorsque toutes les strates sont impliquées.
Parties annexes
Note biographique
Émilie Urbain a obtenu en 2014 un doctorat en sciences du langage de l’Université de Liège et de l’Université de Moncton (cotutelle) sous la direction de Sémir Badir et d’Annette Boudreau, avec une thèse portant sur l’histoire des idéologies linguistiques et la construction d’un « discours d’autorité » sur la langue en Louisiane francophone depuis la fin du XIXe siècle. Elle est professeure adjointe temporaire au Département d’études françaises de l’Université de Moncton, où elle enseigne la linguistique. Ses travaux de recherche s’intéressent aux liens entre les pratiques langagières et les processus d’inclusion et d’exclusion sociales.
Notes
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[1]
Réplique relevée dans la version française doublée, qui illustre une des stratégies de traduction des marqueurs relationnels : l’emploi du mot verlan renoi pour traduire l’adresse nigger.
-
[2]
Nous tenons à remercier la professeure Sylvia Kasparian, sous la direction de laquelle nous avons mené cette recherche, pour les nombreux échanges et conseils qu’elle a généreusement partagés avec nous. Son aide nous a été précieuse à toutes les étapes de la recherche.
-
[3]
Tetreault (2010, p. 73) prend l’exemple des insultes rituelles, qui peuvent être l’occasion, parmi la population d’immigrants d’origine maghrébine des cités françaises, « to engage in “relational work” that serves to establish and create social intimacy, in solidarity with their peers, and in opposition to their immigrant parents ».
-
[4]
Les trois premières saisons furent diffusées de 2002 à 2004. La quatrième saison fut diffusée de septembre à décembre 2006 et la dernière saison, de janvier à mars 2008.
-
[5]
Ancien reporter judiciaire et auteur, lui-même originaire de la ville de Baltimore.
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[6]
La plupart des acteurs qui font partie de la distribution sont d’origine afro-américaine, ce qui reflète la démographie réelle de la ville de Baltimore. La série a été encensée par la critique pour avoir fait le choix d’embaucher de nombreux acteurs locaux plutôt que des « grands noms » de la télévision (Barsanti, 2004).
-
[7]
Des études récentes se sont également intéressées aux modifications apportées par la traduction audiovisuelle à la valeur relationnelle des échanges. Deux aspects intéressants dans le contexte de notre recherche, soit l’étude des termes d’adresse et celle de la valeur identitaire des pratiques langagières, ont ainsi été étudiés dans d’autres corpus. Johanna Isosävi (2010) s’est intéressée dans sa thèse de doctorat à la traduction des termes d’adresse et à leur modification. Jean-Guy Mboudjeke (2010) envisage quant à lui la valeur identitaire du vernaculaire et la façon dont la dynamique sociolinguistique devrait être rendue en traduction audiovisuelle.
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[8]
La notion de face est héritée de Goffman. Dans le modèle de Brown et Levinson, elle est composée de deux aspects complémentaires : la face positive, qui consiste en l’image de soi que l’on veut projeter, et la face négative (ou « cachée »), qui correspond au territoire (corporel, spatial, temporel, matériel ou non, etc.) personnel que l’on veut préserver de toute atteinte ou intrusion.
-
[9]
Le caractère essentiellement « négatif » de la conception de la politesse par Brown et Levinson a amené Kerbrat-Orecchioni à proposer cette notion de FFA pour contrebalancer celle de FTA du modèle initial.
-
[10]
Voir respectivement les schémas de la page 12 et de la page 14 dans Locher et Watts (2005).
-
[11]
Voici la référence précise des extraits (de la première saison) de notre corpus : épisode 1 (The Target) : 27’50’’ > 30’15’’ ; épisode 2 (The Detail) 8’16’’ > 8’50’’ ; épisode 3 (The Buys) 0’ > 1’56’’ ; épisode 4 (Old Cases) 24’25’’ > 26’ ; épisode 5 (The Pager) 8’11’’ > 8’28’’ ; épisode 6 (The Wire) 27’20 > 27’40’’ ; épisode 7 (One Arrest) 37’35’’ > 38’ ; épisode 8 (Lessons) : 15’06’’ > 15’40’’ ; épisode 8 (Lessons) 40’ > 40’44’’ ; épisode 9 (The Game Day) : 4’20’’ > 5’42’’ ; épisode 11 (The Hunt) 40’ > 41’.
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[12]
Les projects constituent une forme d’hébergement public. Le bâtiment est la propriété d’un pouvoir public (au niveau local, étatique ou fédéral) et est loué à bas prix à des ménages à revenus (très) modestes. Dans de nombreuses villes américaines, les projects sont des milieux qui ont la réputation de favoriser la violence, la consommation de drogues ou la prostitution.
-
[13]
Il importe de noter que la version anglaise originale contient des sous-titres en anglais. Ceux-ci sont fournis pour faciliter la compréhension de passages qui, en contexte de diffusion médiatique à grande échelle, pourraient être difficiles à saisir en raison de l’accent régional très marqué des protagonistes. Les sous-titres anglais constituent une transcription mot à mot de la bande audio anglaise ; les marques de l’oralité, que ce soit dans la syntaxe, dans la prononciation ou dans les marques d’adresse et les marqueurs discursifs, y sont donc respectées et bien représentées.
-
[14]
Les choix typographiques originaux (passage à la ligne, majuscules, ponctuation) des sous-titres anglais et français ont été conservés.
-
[15]
Il est par ailleurs significatif que l’on se réfère le plus souvent à ces variétés en termes de langage des cités, puisque les cités HLM (habitations à loyer modéré) françaises correspondent plus ou moins aux projects des villes américaines.
-
[16]
Encore une fois, le choix du verlan marque le parallèle existant entre les projects américains et les cités françaises, auquel ce type particulier d’argot renvoie. Il est d’ailleurs intéressant de constater que cette solution a été retenue aussi bien pour les sous-titres français destinés à un public européen que pour ceux destinés à un public nord-américain – en particulier canadien – (comme en témoignent les DVDs que nous avons utilisés, légalement destinés au seul marché nord-américain), et ce, même si le verlan correspond à une réalité proprement française, et que ni ses règles de fonctionnement, ni les valeurs qui lui sont associées, ne sont majoritairement comprises dans la francophonie nord-américaine (ce qu’a pu nous confirmer l’exposé oral de ces résultats à une classe d’étudiants francophones acadiens).
-
[17]
Ce choix nous paraît d’autant plus significatif que les termes d’argot choisis en français sont pour la plupart « vieillis », ce qui induit un décalage avec la version originale, dont les expressions, utilisées et véhiculées notamment par la culture hip-hop, ne sont pas marquées (ni lorsqu’elles sont empruntées en français, ni en anglais) comme désuètes.
-
[18]
Nous avons adopté les conventions de transcription suivantes dans les tableaux :
Sous-titres anglais et français : nous avons conservé, pour les extraits présentés, les choix typographiques originaux (majuscules, passage à la ligne, ponctuation, abréviations, etc.).
Sous-titres anglais : les crochets indiquent les modifications par rapport à la bande audio originale.
Extraits audio français :
/
pause courte
//
pause moyenne
///
pause longue
ʼ
élision
?
intonation interrogative
Les initiales précédant chaque tour de parole correspondent à la première lettre des prénoms des personnages.
-
[19]
Le verlan n’est présent que dans la version sous-titrée. Nous pouvons peut-être en déduire que deux personnes différentes ont pris en charge le doublage et le sous-titrage. Les différences observées dans le vocabulaire et les registres de langue abondent dans le sens de cette hypothèse.
-
[20]
Nous n’avons pas relevé de cas inverse, ce qui s’explique aisément par toutes les connotations et l’histoire rattachées à un tel emploi du mot.
-
[21]
Sur ces questions, voir Fought (2006). En ce qui concerne ce terme d’adresse précis, son emploi fréquent dans toute la culture hip-hop explique aussi sa diffusion et ses récupérations diverses, notamment en dehors de la communauté afro-américaine.
-
[22]
Cela va dans le sens de ce que Tetreault (2010) a constaté au sujet des insultes ritualisées dans les cités françaises. L’auteur a souligné dans son travail le rôle communautaire de l’impolitesse dans des situations où elle est utilisée pour marquer la solidarité.
Bibliographie
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