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À l’instar du congrès de la Société canadienne de théologie qui en fut le point de départ (2011), ce numéro de Théologiques a pour arrière-fond la tenue de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) sur les pensionnats autochtones (2009-2015). Les travaux de cette commission étaient déjà en cours en 2011 et on commençait à y entendre les témoignages de survivants. Il était impossible de faire abstraction du fait que l’héritage des « pensionnats indiens » et celui des Églises se rencontraient. En 2015, la CVR écrit : « Pour que les entités religieuses évitent de répéter leurs erreurs passées, elles doivent tirer une leçon essentielle de l’expérience des pensionnats, c’est-à-dire comprendre comment et pourquoi elles ont perverti les dogmes du christianisme pour justifier leurs actions. » (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015a, 236). Ce n’est qu’une des interpellations de la CVR à la théologie chrétienne concernant les pensionnats. « Il faut étudier le contexte qui entoure cette relation entre l’essor des empires mondiaux d’origine européenne et les Églises chrétiennes. » (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015a, 47).
Rappelons les faits — l’article de Jean-François Roussel les présente de manière un peu plus détaillée. Le système canadien des pensionnats pour enfants autochtones a été mis en place dans les années 1880, nationalisant et élargissant un réseau préexistant de pensionnats fondés par des Églises. Il constituait un partenariat entre le gouvernement canadien et les Églises suivantes : des congrégations et certains diocèses catholiques, l’Église anglicane du Canada, l’Église méthodiste, l’Église presbytérienne, l’Église Unie du Canada et, dans une bien moindre mesure, l’Église baptiste ainsi que l’Église mennonite. Ce système a existé jusqu’en 1969, soit 90 ans, quoique certains pensionnats aient continué d’exister jusqu’à la fin des années 1990. Ce n’est pas à la légère que le rapport final qualifie de génocide culturel l’oeuvre des pensionnats. En effet, l’objectif maintes fois expliqué du gouvernement dans ce système était l’assimilation des peuples autochtones, tandis que celui des Églises était leur christianisation. Deux objectifs entrecroisés au coeur d’une stratégie agressive, dans tous les sens du terme, pour en finir avec « le problème indien ». La fréquentation des pensionnats, là où ils existaient, était obligatoire à partir de 1920 et les parents qui essayaient de s’y objecter faisaient face à la prison ou à des amendes.
La CVR avait pour mandat de faire la lumière sur cette histoire et sur son héritage. Les pensionnats ont hébergé 150 000 pensionnaires, dont plusieurs dizaines de milliers sont toujours vivants. Le bilan de ces établissements est globalement négatif et représente un chapelet de séquelles, dont la description contenue dans le rapport est profondément choquante (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015c) : abus physiques, sexuels et psychologiques ; 3201 décès répertoriés (mais très probablement davantage dans les faits puisque la grande majorité des dossiers d’élèves ont été détruits), dont la moitié sont inexpliqués ; déracinement familial, communautaire, territorial, culturel et linguistique ; diabolisation des rites et des croyances autochtones. Le bilan proprement éducatif va d’acceptable à quasi nul, selon les établissements. Cet héritage se transmet aux générations venues après la fin des pensionnats et il pose avec acuité la question de savoir comment s’en débarrasser. De l’avis même des commissaires, il faudra plusieurs générations pour y arriver.
L’héritage des pensionnats concerne la théologie, pour plusieurs raisons. D’une part, les pensionnats ne sont pas indépendants d’une vision du monde et d’une certaine théologie de la mission, qu’on aimerait croire disparue, mais l’est-elle vraiment ? La théologie s’est-elle départie d’une conception hégémonique de Dieu, du salut et de l’annonce ? Existe-t-il aujourd’hui une théologie non pas de l’inculturation mais plutôt interculturelle et radicalement anticoloniale ? L’histoire des pensionnats et les demandes finales de la CVR appellent un travail de la pensée chrétienne et une compréhension des aspects religieux de ce vaste dossier. Songeons à l’héritage de la doctrine de la découverte, aux responsabilités historiques et présentes des Églises en ce qui concerne la répression et la défense des traditions spirituelles autochtones. Songeons à la décolonisation de la discipline théologique et de son enseignement, particulièrement en intégrant l’enseignement des traditions spirituelles autochtones, dans des partenariats effectifs et équitables avec des Aînés, des Aînées et des groupes autochtones ; décolonisation aboutissant non seulement à une augmentation des « contenus » autochtones dans la formation et dans la recherche mais aussi à des déplacements épistémologiques et herméneutiques susceptibles de modifier la pratique de la théologie. Songeons bien sûr à la marginalité structurelle des Autochtones dans les Églises comme dans la société.
La réflexion des années 2010-2015 à travers le Canada, stimulée notamment par une pensée autochtone anticoloniale et par les théories de la justice transitionnelle, a montré que le projet de réconciliation dépasse le problème de la relation à pacifier. Il implique une décolonisation des savoirs, de l’administration de la justice, de l’économie, de la gouvernance, de l’éducation, etc. Ces perspectives sont souvent critiques de la CVR elle-même.
1. Critiques et limites de la réconciliation
Du côté autochtone, plusieurs voix se sont élevées au fil de la dernière décennie pour remettre en question le projet de réconciliation jugée trop doux, insuffisamment radical sur le plan des changements politiques et relevant d’une « politique de distraction ». On considère qu’il s’agit d’un terme occidental employé dans les intérêts des peuples coloniaux. Selon ces auteurs, la réconciliation demeure coloniale et camouffle une récupération politique : « When put into practice whether through a truth and reconciliation commission or another forum […], reconciliation in practice tends… “to relegate all committed injustices to the past while attempting to legitimate the status quo” » (Corntassel 2012, 93-94 qui cite Corntassel, Chaw-win-is et T’lakwadzi 2009, 145).
Taiaiake Alfred, originaire de Kahnawake, est l’auteur d’une philosophie politique très influente dans la pensée anticoloniale autochtone du Canada. Selon lui, au Canada, nous vivons dans un état de déni à l’égard du colonialisme. Celui-ci normalise nos vies, qui sont ainsi fondées sur des actions d’injustices insupportables. Nous nions ces actions, autant le groupe colonisé que celui colonisateur. Pourtant, le colonialisme affecte gravement chacun des deux groupes jusqu’à leur retirer leur liberté :
[T]he perpetrators know that it is wrong to steal a country and so deny it is a crime ; the victims know that it is shameful to accept defeat lying down. Yet, complacency rules over both because the thought of what might come out of transcending the lies is too… fearsome. Lying complacent in a narrow conception of the past and nearly paralyzed but fear in a constrained vision of the future, both the colonized and colonizers have been forced to accept and live with a state of unfreedom. This is the most profound meaning of colonialism’s modern turn.
Alfred 2011, 5
Selon Alfred, le vocabulaire dominant et habituel du processus de décolonisation se résume autour des trois idées de rétablissement ou de guérison (recovery), de réconciliation et de résolution (Alfred 2011, 7). Dans les trois cas, soutient-il, les groupes colonisés et colonisateurs continuent de répéter le processus de colonisation qui consiste à civiliser les Autochtones. En ce qui concerne le rétablissement ou la guérison, la « victime de l’histoire » cherche à guérir pour vivre en paix avec le colonisateur ; cela ne déstabilise pas pour autant la logique du groupe colonisateur. Dans le cas de la réconciliation, des personnes colonisées prient le Dieu des Euro-Canadiens fraternellement avec ceux-ci, ou encore elles présentent leur cause devant des juges du Canada, dans le but de parvenir à une réconciliation entre les groupes colonisés et colonisateurs, mais, à nouveau, on demeure dans la logique du groupe colonisateur. Et si la résolution fait espérer une solution, elle ne remet pas en cause le système, « making us [the Onkwehonwe[1]], into citizens of the conquering states, so that instead of fighting for ourselves and what is right, we see a resolution that is acceptable to and non-disruptive for the state and society we have come to embrace and identify with » (Alfred 2011, 7)[2].
En ce qui concerne plus spécifiquement l’objectif de réconciliation, Alfred montre comment il s’inscrit dans une perspective libérale qui assume des relations d’égal à égal entre les partis et comment, du même coup, il occulte la dynamique coloniale : « How do we break the hold of this emasculating concept ? The logic of reconciliation as justice is clear : without massive restitution, including land, financial transfers, and other forms of assistance to compensate for past harms and continuing injustices committed against our peoples, reconciliation would permanently enshrine colonial injustices and is itself a further injustice » (Alfred 2011, 8). Le projet de réconciliation s’inscrirait dans une politique de reconnaissance : reconnaissance des torts, des souffrances, de la valeur des peuples autochtones agressés dans le silence puis le déni. Et ensuite ? Bien loin de rétablir la justice, la réconciliation ainsi comprise reproduirait le processus de colonisation et l’injustice coloniale. En dernière analyse, dans de telles conditions, se réconcilier avec la société canadienne équivaudrait à se réconcilier avec le colonialisme.
Alfred indique qu’un quatrième terme circule, celui de la résistance. Il ne le retient pas plus que les trois autres, car les actions de résistance s’opposent à celles des colonisateurs de sorte qu’elles demeurent déterminées par ceux-ci.
2. La réconciliation, une notion chrétienne
Les critiques du projet de réconciliation remettent en question un certain imaginaire de la réconciliation, cette dernière étant comprise comme réunion de protagonistes qui étaient auparavant mus par des émotions de ressentiment, hostilité, méfiance ou culpabilité, piégés dans une rupture de relation (la réconciliation rencontre alors celle de pardon). « At its core, reconciliation has a religious connotation premised on restoring one’s relationship with God. In fact, most Indigenous nations don’t have words for reconciliation in their languages, which is the truest test of its lack of relevance to communities » (Corntassel 2012, 93).
Pour Alfred, il y a aussi lieu de se demander dans quelle mesure l’analyse du colonialisme canadien et du projet de réconciliation serait applicable à une analyse de l’Église et du christianisme lui-même en contexte autochtone. Il critique l’impérialisme du monothéisme chrétien, sans doute moins agressif que jadis mais devenu plus insidieux. Le monothéisme biblique et chrétien a conduit les peuples autochtones à s’assujettir à une norme exogène et se prétendant universelle, alors que la régénération impliquerait la décolonisation mentale et le courage de la rupture pure et simple avec cette religion (Alfred 2009, 144-145).
La position d’Alfred ne peut manquer de paraître unilatérale à d’autres auteurs autochtones qui en appellent plutôt, depuis longtemps, à une Église autochtone au sein des Églises. C’est aujourd’hui le cas de Mark MacDonald, théologien ojibway et évêque national des Autochtones dans l’Église anglicane, ou encore du North American Institute for Indigenous Theological Studies (NAIITS). Un nombre important d’Autochtones considèrent la foi chrétienne comme une part inaliénable d’eux-mêmes, malgré les abus dont leur Église a été responsable. La canonisation de Kateri Tekakwitha (2012) a conforté leur spiritualité. Marie-Pierre Bousquet n’a-t-elle pas pu écrire que chez les Algonquins, avec le temps, le catholicisme a fini par devenir une religion endogène malgré le fait qu’il ait été animé par les missionnaires (Bousquet 2012, 253) ? Pourtant, selon T. Alfred, cette Église chrétienne autochtone reproduit sur le plan religieux l’illusion des colonisés autochtones qui cherchent l’autodétermination et la réconciliation dans le cadre canadien. Il faut ajouter en outre que bien des communautés autochtones sont perturbées et divisées par des membres fondamentalistes qui combattent les pratiques spirituelles traditionnelles, qu’elles considèrent comme diaboliques. Dans certaines communautés, ce sont ces éléments qui représentent les éléments chrétiens les plus dynamiques.
Pour la théologienne Denise Nadeau comme pour Corntassel, « Le terme « réconciliation » a des racines bibliques et chrétiennes (2 Co 5,18-20). Pour plusieurs, cela donne à la Commission [Vérité et réconciliation du Canada] un accent chrétien, ce qui est problématique. » (Nadeau 2012, 445). La remarque de Corntassel citée plus haut sur l’absence d’un terme équivalent à « réconciliation » dans la plupart des langues autochtones nous invite à remarquer que le mot « réconciliation » des langues européennes fait appel à un imaginaire spécifique. Selon l’auteure anishinabé Leanne Simpson, aanji maatjitaawin est l’expression de la langue anishinabé la plus proche de la notion de réconciliation. Elle signifie le fait de rééquilibrer les relations :
To me, reconciliation must be grounded in cultural generation and political resurgence. It must support Indigenous nations in regenerating our languages, our oral cultures, our traditions of governance and everything else residential schools attacked and attempted to obliterate. Reconciliation must move beyond individual abuse to come to mean a collective re-balancing of the playing field. This idea is captured in the Nishnaabeg concept Aanji Maatjitaawin.
Simpson 2011, 22
Dans quelle mesure la CVR aura-t-elle produit un tel rééquilibrage des relations entre peuples autochtones et société canadienne, un processus qui doit dépasser largement l’héritage spécifique des pensionnats ? Puisque c’est de décolonisation dont il s’agit, ce rééquilibrage est nécessairement une question de pouvoir. Quant aux Églises, comment comptent-elles rééquilibrer leurs relations avec les Autochtones ? Cette remarque vaut particulièrement, quoique non exclusivement, du côté de l’Église catholique et de sa gouvernance, où les Autochtones ne disposent d’aucune instance autre que consultative (le Conseil catholique autochtone du Canada, à la Conférence des évêques catholiques du Canada). Ce n’est qu’un exemple du rééquilibrage souhaitable.
Il importe que le motif chrétien de la réconciliation ne devienne pas le prétexte d’une reproduction des relations coloniales et impériales. L’élaboration de théologies de la réconciliation exige de prendre en compte les défis que pose au Canada son histoire coloniale, de mettre en question l’impérialisme et d’adopter de nouvelles manières de faire (Nadeau 2004, 103). Ces nouvelles manières de faire sont déjà explorées en contexte autochtone.
3. De la réconciliation à la décolonisation et à la résurgence
Dans leur remise en question de la réconciliation, les auteurs autochtones susmentionnés proposent de la comprendre comme projet décolonial global : politique, culturel, territorial, linguistique et spirituel.
Alfred prône un « traditionalisme conscient », une actualisation des traditions autochtones de pensée et de pouvoir en fonction des conditions présentes (Alfred 2014, 31). Il fait une triple suggestion : une politique de revitalisation des cultures autochtones, à partir d’elles-mêmes, sous le mode de la régénération d’une propre force à l’encontre des peurs qui empêchent d’avancer (plutôt que de chercher le rétablissement) ; une politique de la restitution de ce qui a été volé comme condition de la construction de la paix (plutôt que de se satisfaire d’une réconciliation) ; enfin, une politique de la « résurgence » d’une manière autochtone de penser et d’agir pour lutter contre le colonialisme (plutôt que de viser une résolution des injustices à l’intérieur des balises mentales et pratiques offertes par le colonisateur). Dans la même lignée, Corntassel, cité supra, ainsi que Simpson, proposent de remplacer la réconciliation par la résurgence autochtone.
L’espace manque ici pour explorer toutes les connotations d’un projet de résurgence nourri aux visions du monde, aux spiritualités et aux langues autochtones. Selon le Cri des Plaines Neil McLeod, tout comme le colonialisme tel que subi par les peuples autochtones est un exil à l’égard des lieux et des territoires qui fondent les subjectivités et les identités collectives (ce dont les pensionnats sont un exemple), la décolonisation consiste à « revenir à la maison » : « The notion of “coming home” is both temporal and spatial. It involves the traditional homeland of the [Cree people] and also the way in which people try to move beyond the alienation experienced through colonialism. » (McLeod 2007, 55). Pour Simpson, l’anishinabé biskaabiiyang, « retourner vers soi » exprime cette décolonisation et cette résurgence. Il s’agit d’un processus individuel et collectif pour ressentir, affronter et dépasser la douleur de l’héritage colonial. Il se nourrit de ce qui nous a été donné avec bienveillance par le monde des esprits. Il se nourrit de Légendes et des cérémonies, d’une part, et des histoires personnelles, d’autre part. Il est un processus permanent, un lien fluide au passé plutôt qu’une vision statique. Biskaabiiyang, c’est aussi agir et penser dans la fluidité. Pour L. Simpson, cette décolonisation advient comme une série de moments de grâce, pour ainsi dire, qui appellent à rechercher la décolonisation au présent, comme un mode de vie, comme une manière d’être.
4. Une construction originale de la réconciliation par la Commission vérité et réconciliation du Canada
Les critiques du projet de réconciliation auxquelles nous avons fait référence sont souvent émises avant le dépôt du rapport final de la CVR. Elles demeurent fondées notamment dans la mesure où elles identifient un rapport de force qui continue de jouer en défaveur des Autochtones, malgré le contenu du rapport final. Mais arrêtons-nous à ce contenu. Le rapport propose une politique de la réconciliation dans le but de construire des relations justes entre les peuples autochtones et les allochtones. Il est composé de pas moins de neuf volumes. La CVR y construit une conception de la réconciliation qui cherche à répondre à l’histoire coloniale des relations entre les peuples autochtones et non autochtones au Canada. Les commissaires ont pris connaissance des critiques autochtones ou autres adressées à une approche de la réconciliation qui reproduirait le colonialisme. Ils choisissent de conserver le terme de réconciliation. Comment en viennent-ils à ce choix et quels en sont les effets ? Il est intéressant d’analyser le concept de réconciliation selon la CVR sous les deux aspects de sa fonction et de ses caractéristiques.
La CVR donne à la réconciliation une fonction politique. Elle la distingue d’une vision courante, héritée du christianisme, qui la comprend comme restauration de l’harmonie relationnelle antérieure à un événement attentatoire ou conflictuel. Selon la CVR, cette conception ne s’applique pas aux relations entre les Autochtones et les non-Autochtones au Canada, car un état heureux ou acceptable des relations entre ces groupes n’a jamais existé (voir Schreiter 1992). Stephen Augustine, un aîné mi’qmag, a illustré cette position à partir de l’histoire du canot chaviré. Lorsque tout est tombé à l’eau, il n’est plus possible de retrouver les choses telles qu’elles étaient auparavant. La réconciliation demande de réparer les torts et, pour cela, il faut « créer quelque chose de nouveau à mesure où nous avançons » (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015b, 59). La réconciliation engage dans un processus politique de décolonisation, de sorte qu’il faut inventer de nouvelles relations, ce qui aurait pour effet de modifier « radicalement les fondements mêmes des relations du Canada avec les peuples autochtones » (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015a, 8). « Aucun processus de réconciliation ou de décolonisation ne peut être entamé sans reconnaître l’héritage du colonialisme » (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015b, 28).
Au sein des corpus ou des pratiques universitaires et militantes, les vocables « postcolonialisme », « décolonisation » ou « décolonialité » sont utilisés afin de désigner la lutte contre le colonialisme, chacun de ces termes étant polysémique et situé dans un contexte géopolitique précis. La CVR choisit de ne pas employer ces vocables. Elle évite de s’engager dans les débats, toujours situés, qu’alimentent ces concepts. On peut faire l’hypothèse que, dans le rapport de la CVR, le concept de réconciliation occupe la fonction des concepts du postcolonialisme, de la décolonisation ou de la décolonialité, sans entrer dans une discussion à leur sujet mais en reliant la réconciliation à un processus de déconstruction de la colonisation.
On peut suggérer trois raisons de ce choix : (1) Comme le terme « réconciliation » figure dans le titre et dans le mandat de la Commission, celle-ci s’en est tenue à l’utiliser. (2) Sur le plan international, plusieurs autres commissions de vérité et réconciliation ont été mises en place. Il s’agissait de s’inscrire dans ce contexte et de contribuer, à partir du contexte canadien, à un discours mondial et différencié sur la réconciliation (voir Teitel 2000 pour le contexte international et Henderson, Wakeman 2013 pour le contexte canadien). (3) La CVR a choisi de ne pas prendre position au sein des théories et des politiques, elles-mêmes en transformation, sur le postcolonialisme, la décolonisation ou la décolonialité. Cependant, Paulette Regan explique qu’elle préfère le concept de réconciliation à ceux de compensation ou de restitution, qui risquent selon elle de réduire l’enjeu à une dimension juridique, voire matérielle (Regan 2010, 57,130,168). Or, elle était directrice de la recherche à la CVR et on reconnaît des vues similaires entre son propos et celui du rapport final.
Le premier volume du rapport de la CVR, intitulé Honorer la vérité, réconcilier pour l’avenir. Sommaire du rapport final de la CVR (584 p.), fournit une excellente indication de la conception de la réconciliation construite par la CVR. Elle est résumée par les quatorze caractéristiques qui suivent. Selon la CVR, la réconciliation est :
un processus difficile et de longue haleine qui prendra plusieurs générations ;
qui consiste à établir et à maintenir des relations de respect réciproque et de reconnaissance mutuelle entre les peuples autochtones et les peuples non autochtones du Canada (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015a, viii, 7, 19, 27, 158, 193, 195, 196, 197, 198, 212, 216, 225) ;
dont une condition est une « résurgence » de la culture et de l’identité autochtones ainsi qu’un long processus de guérison des graves séquelles qu’a entrainées le colonialisme sur les peuples autochtones ;
dont une condition est la considération de la validité des points de vue autochtones sur les relations entre les Autochtones, ainsi que sur les relations entre les peuples autochtones et non autochtones, exprimés par les voix, par les sagesses, par les savoirs et par les méthodes de résolution de conflits autochtones, de sorte que les Autochtones participent activement à la conception, à la gestion et à l’évaluation du processus de changement de relations ;
dont une condition est la reconnaissance de l’autodétermination politique, judiciaire, culturelle et spirituelle des peuples autochtones dans le cadre de la Déclaration des droits des peuples autochtones des Nations Unies ;
dont une condition est la reconnaissance des erreurs du passé et des effets dévastateurs sur les peuples autochtones du colonialisme et du génocide culturel ; la reconnaissance que les idées dominantes de supériorité européenne et d’infériorité autochtones produisent « des relations très irrespectueuses et préjudiciables envers les Autochtones » (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015a, 196) ;
qui exige de présenter des excuses, de s’attaquer aux séquelles et de réparer les torts, ce qui signifie un engagement à de véritables changements sociaux, politiques et économiques ; la réconciliation exige une réparation des erreurs passées qui débouche sur des relations à construire de respect et de réciprocité ;
qui suppose « d’honorer le rapport de nation à nation fondée sur les traités » (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015a, 194, 207ss.) ;
dans un contexte où le gouvernement canadien et les peuples autochtones ont des « visions très différentes et divergentes » de leurs relations ; où les actions du « Gouvernement canadien restent unilatérales et facteurs de division » (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015a, 197) ; et où le droit canadien apparaît pour les Autochtones comme « un outil d’oppression », la politique d’assimilation des Autochtones ayant été reconnue comme un génocide culturel, mais pas comme un délit civil (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015a, 215) ;
dans un contexte où les obstacles sont nombreux et immenses comme le montre le fait que les déclarations de principe, entre autres du gouvernement canadien, ne se traduisent pas en actions ;
qui suppose une transformation de la version actuelle de l’histoire du Canada, et son enseignement à tous et à toutes ;
qui concerne tous/tes les Canadiens/nes, que l’on soit « un descendant des colons européens, un membre d’un groupe minoritaire qui a subi de la discrimination historique au Canada ou un néo-Canadiens », car tous/tes bénéficient des avantages de la colonisation (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015a, 13) ; qui concerne tous les domaines de la vie et toutes les institutions, en particulier le gouvernement, les Églises et les groupes confessionnels ;
qui suppose le rejet de la Doctrine de la découverte et une nouvelle relation à la Terre et au territoire.
« La réconciliation doit devenir un mode de vie » (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015a, 195).
La CVR indique qu’une approche comparable de la réconciliation avait déjà été élaborée par la Commission Royale d’enquête sur les peuples autochtones en 1996, mais elle n’a cependant pas été mise en oeuvre. Elle conçoit le moment historique actuel comme une deuxième chance de s’y engager. La CVR comprend la réconciliation comme une action, comme une intervention concrète et diverse, exercée de multiples manières par diverses communautés, d’où la mise en valeur de ce qu’elle appelle « des gestes de réconciliation » (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015a, 37) ou encore des « manifestations » ou des « expressions de réconciliation », qui furent déposées symboliquement dans un coffre de bois tout au long des audiences (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015a, 180).
On aura remarqué que plusieurs éléments de la définition de réconciliation selon la CVR énoncent les obstacles à son processus. En 2008, avant la tenue de la Commission, le Gouvernement canadien avait présenté des excuses aux survivants et aux survivantes des pensionnats. Cette « promesse de réconciliation […] s’est cependant évanouie », écrivent les commissaires (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015a, 9). Du point de vue de maints Autochtones, une des caractéristiques de la réconciliation dont parlent les colonisateurs est son caractère contradictoire : les actions ne suivent pas les déclarations. Le rapport des Canadiens/nes au colonialisme demeure ainsi des plus ambigus. Lorsque reconnu, il l’est de manière paradoxale et on l’oublie bien vite. On peut considérer la déclaration du premier ministre Stephen Harper au G20 en 2009 comme le symbole de cette contradiction :
On 27 September 2009, Prime Minister Stephen Harper announced to members of the G20 Summit — and the international community — that Canada is unique in being a country unmarked by histories of colonialism. « We have no history of colonialism », he told world leaders, “so we have all of the things that many people admire about the great powers but none of the things that threaten or bother them ». Indigenous peoples and Canadians alike listened in shock and disbelief. In saying these words, the Prime Minister seemed to contradict his own apology made to residential school survivors in Parliament about colonialism in June 2008. Moreover, his suggestion was that Indigenous efforts to challenge and rupture colonialism and dispossession are merely a « bother » and « threat » to the great powers of the world.
Cannon et Sunseri 2011, 262
Pour la CVR, il n’y a « pas de raccourcis faciles » pour réaliser un processus de réconciliation de longue haleine qui demandera l’engagement de nombreuses générations. Pour bien des Autochtones d’aujourd’hui il « risque de ne jamais se produire » de leur vivant (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015a, 18), écrivent les commissaires.
Le choix de la CVR de conserver de terme de réconciliation recèle autant d’obstacles que de possibilités positives. En termes d’obstacles, il restera un vocable équivoque ou rejeté par une partie des Autochtones, pour des raisons compréhensibles et déjà mentionnées. En termes de possibilités positives, il traduit l’état actuel des défis de décolonisation au Canada. Pour Dian Million, décoloniser veut dire comprendre le plus complètement possible les formes que prennent le colonialisme dans notre temps (Million 2009 : 55) et c’est bien ce que vise la CVR.
Aman Sium, Chandni Desai et Erik Ritskes, fondateurs en 2012 de la revue canadienne Decolonization : Indigeneity, Education & Society, soutiennent que l’action de décoloniser consiste en un corps à corps laborieux, toujours en négociation, avec la « bête du colonialisme » assoiffée du sang des Indiens. Elle doit partir des vies, des communautés et des savoirs autochtones et se positionner dans une histoire particulière. Elle exige en plus de décoloniser la pensée. Cela concerne avant tout le territoire et sa matérialité (Sium, Desai, Ritskes 2012, i et suivantes).
Les coutumes autochtones recèlent « plusieurs mots, histoires, chansons et objets sacrés » pour « établir des relations, réparer des conflits et rétablir l’harmonie et la paix » (Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015a, 20). Les cultures autochtones comportent des protocoles pour établir la justice ou la rétablir quand elle a été compromise. Pour la CVR, il est essentiel de les entendre. Non seulement sont-ils instructifs mais cette tâche suppose un décentrement de la société dominante à l’égard de ses manières de faire. Ces protocoles découlent de visions du monde, de logiques discursives et communautaires, qui doivent faire partie de l’équation dans tout processus orienté vers un rééquilibrage des relations.
5. Présentation du volume
Le thème de la réconciliation ne concerne pas que le contexte canadien et ce numéro accueille des contributions qui portent sur l’Afrique, le Liban, l’ecclésiologie, l’exégèse biblique, la missiologie et les abus sexuels : autant de contextes où se posent les enjeux de la réconciliation et parfois ses équivoques.
Le premier groupe d’articles pose la question de la réconciliation dans le contexte des relations coloniales entre les peuples autochtones et non autochtones au Canada. Ils montrent comment ces relations séculaires exigent des déconstructions radicales de la problématique chrétienne de la réconciliation. Comment la penser ? Comment la reconstruire aux lendemains de la Commission vérité et réconciliation du Canada ?
Jean-François Roussel propose un bilan de la Commission de vérité et réconciliation. Dans un premier temps, ce bilan est factuel et il expose les informations relatives à son déroulement, à son mandat et à sa programmation. Le texte raconte aussi les origines de la Commission, décidée aux termes d’un accord juridique de 2006 et qui engageait le gouvernement, des Églises et les représentants des survivants. Il rend compte (d’une manière à la fois proche du présent texte et différente par certains aspects) de certaines critiques principalement autochtones de la Commission, à l’aune desquelles il propose une évaluation des résultats de la Commission. Par la suite, il s’intéresse spécifiquement aux demandes de la Commission qui s’adressent aux Églises et aux coalitions oecuméniques, pour en comprendre le sens et la portée. C’est à partir de là, entre autres angles, que la théologie pourrait contribuer au défi de la réconciliation.
La réconciliation n’est pas uniquement un projet éthique. Elle peut aussi comporter un volet épistémologique. Michel Andraos s’intéresse aux demandes de la Commission de vérité et réconciliation qui concernent la théologie et les Églises :
Est-ce que les théologiennes et les théologiens peuvent commencer à imaginer ce que serait une théologie décoloniale ? Est-il possible pour les Églises, les théologiens et les théologiennes d’imaginer une théologie et une pastorale favorisant la réconciliation, la décolonisation et la réciprocité avec les peuples autochtones ? Une théologie décoloniale est-elle possible dans les structures ecclésiales actuelles ?
L’auteur développe sa pensée à partir des concepts de colonialité et de décolonialité, à distinguer des concepts plus familiers et plus anciens de colonialisme, de décolonisation et de postcolonialisme. Ces deux concepts nous paraissent prometteurs pour penser toute la portée d’une rencontre de la théologie avec l’univers autochtone. Par colonialité, concept d’origine latino-américaine, on entend un état de fait, une condition, une structure de pensée, une épistémè issue du colonialisme et toujours agissante aujourd’hui. La colonialité est une structure de domination globale des sociétés et des savoirs non issus de la matrice occidentale ; elle fonde les structures de domination politique, économique, académique, missionnaire et autres, dans laquelle les groupes humains sont hiérarchisés : peuples, minorités diverses, femmes, chrétiens et non chrétiens, etc. La matrice coloniale établit aussi l’Europe au centre du monde et le reste du monde à sa périphérie plus ou moins décentrée. Une approche décoloniale analyse la colonialité en ses diverses manifestations et s’efforce de développer des alternatives à cette structure de domination globale, particulièrement en subvertissant les rapports entre centre et périphérie, qui marquent encore le christianisme et la théologie. L’auteur développe ces idées, d’abord en revisitant l’histoire coloniale de la Nouvelle-France, généralement racontée selon la perspective des Français — puis des Canadiens et des Québécois — au détriment d’une perspective autochtone. Ensuite, il se demande si la théologie et les Églises sont capables d’épouser un mouvement décolonial, qui passerait par une solidarité avec les divers mouvements alternatifs où se vit la décolonialité, au sens défini plus haut. La question est redoutable, comme le montre la suite du propos d’Andraos. En effet, l’auteur estime que les théologies comme les Églises sont encore très loin d’une telle mutualité, d’un tel partenariat. Elles n’arrivent pas encore à se dégager de la posture qui a supporté ses autres partenariats de nature impérialiste. Les pensionnats en ont été une des formes. Pour le moment, les peuples autochtones demeurent des objets d’étude théologique et de gouvernance pastorale, soutient l’auteur qui cite à l’appui des théologiens autochtones (Silman, McKay, MacDonald) et allochtones (Peelman, Comblin). « Il y a urgence de proposer une nouvelle théologie qui rejette clairement une théologie de l’accomplissement fondée sur une supériorité par rapport aux Autochtones, à leurs spiritualités et à leurs pratiques religieuses, pour adopter plutôt une théologie interculturelle du dialogue et du respect mutuel, dont la justice rendue aux peuples autochtones deviendrait un élément central. »
Jean Richard analyse une possibilité pour une « théologie chrétienne de la réconciliation ». Il souligne la contribution spécifique de l’acte théologique. Celui-ci porte sur le tout de l’expérience humaine, considérant l’aspect d’auto-transcendance du monde et demeurant attaché au questionnement existentiel. De cette posture, se pose la question de l’attitude de personnes chrétiennes. En ce qui concerne la réconciliation entre les Premières Nations et les personnes canadiennes et québécoises, qui implique une offense à réparer, il importe de situer une propre position : « Nous sommes du côté des accusés, des offensants. Par conséquent, au point de départ de notre réflexion, la position existentielle, le sentiment qui est le nôtre est celui de la culpabilité nationale ». Comment, dès lors, penser théologiquement la culpabilité, la réconciliation et la position particulière occupée par les personnes chrétiennes au Canada dans leurs relations aux Autochtones ? Telles sont les questions que pose J. Richard. Il aborde avec Karl Jaspers « une culpabilité métaphysique » qui intéresse particulièrement la théologie en tant que prise de conscience d’un mal qui conduit à une action transformatrice « jusqu’au seuil de la transcendance ». Il poursuit l’analyse avec Paul Tillich qui « a bien élaboré la doctrine paulinienne de la réconciliation ». C’est Dieu en Christ qui réconcilie l’humanité. Sur le versant de « l’Être Nouveau dans le Christ », l’on doit éviter de comprendre « le passage de l’être ancien à l’être nouveau, de l’être aliéné à l’être réconcilié, comme si toute trace du premier était disparue dans le second ». La réconciliation est un processus continu. « On ne passe pas, d’un coup et sans reste, d’un pôle à l’autre, de l’aliénation à la réconciliation. La réconciliation est toujours en marche ; c’est un processus constant ». Le traitement intolérable des Autochtones du Canada suscite un sentiment d’offense. Il a été rendu possible par un humanisme colonial reposant sur une universalisation d’une propre culture qu’il est nécessaire aujourd’hui de remettre en question en critiquant la pensée d’arrachement colonial pour retrouver un enracinement contextuel. À l’instar de Paul Tillich, J. Richard distingue deux pôles, reliés l’un à l’autre, de l’expérience humaine : « l’enracinement dans l’origine et le détachement critique par rapport à cette même origine ». Les religions autochtones mettent l’accent sur le premier ; les postures colonisatrices et la manière dont on vit le christianisme actuellement, sur le deuxième. Du point de vue des personnes chrétiennes, un premier pas de réconciliation dans la rencontre avec les Autochtones consisterait à mettre de l’avant l’un des pôles du christianisme, moins accentué, celui du transpersonnel ou du lien avec l’énergie cosmique, alors que le pôle personnel, celui d’une Alliance historique avec un Dieu personnel, se trouve déjà bien valorisé.
Un autre article est de nature exégétique. On a souligné que le concept de réconciliation est chrétien et, comme on le sait, c’est l’auteur biblique Paul qui a élaboré originalement ce thème. Dans son article, Alain Gignac, exégète spécialiste de Paul, explique que celui-ci emprunte au domaine politique un mot grec pour signifier métaphoriquement une action de Dieu qui « réconcilie » les humains avec lui à travers la médiation du Christ. Gignac souligne l’interprétation qu’en propose Robert Schreiter, un théologien qui, dans de nombreux ouvrages et sur une longue période, a construit une théologie postcoloniale de la réconciliation, selon laquelle : Dieu est l’agent de la réconciliation, sa première préoccupation étant la « guérison des victimes » qui advient par une transformation des deux parties, victime et offenseur et dans le devenir « une nouvelle créature » plutôt que dans un retour à l’état antérieur désormais impraticable. Gignac propose une exégèse détaillée des péricopes 2 Co 5,11—6,2 et Rm 5,1-11, à partir desquelles il fait ressortir une dizaine de caractéristiques différenciées de la réconciliation. Retenons qu’elle est amour de Dieu manifesté à travers la mort/résurrection du Christ qui réconcilie les humains avec Dieu à travers le phénomène d’une restauration et une nouvelle création. Paul emploie un langage politique et diplomatique de l’empire romain :
Christ s’identifie à nous dans le péché pour que nous puissions nous identifier à lui dans la justice. Christ est mort pour nous pour que nous puissions […] mourir avec lui […] puis vivre avec lui, en lui et pour lui. Bref, la métaphore de réconciliation à elle seule raconte déjà une histoire marquée par une double absurdité : la réconciliation arrive par la mort infâmante du Christ et est portée par des ambassadeurs indignes, qui ont dû être réconciliés eux-mêmes avec Dieu. Étrange chemin choisi par Dieu pour reforger l’alliance avec une humanité qui lui avait déclaré la guerre. […] [Gignac conclut : ] Selon Paul, la réconciliation est le sacrement d’un monde nouveau, à la fois sa condition de possibilité et sa manifestation.
Les trois articles suivants analysent la réconciliation sous l’aspect ecclésial et dans l’orbe du catholicisme romain.
Gregory Baum propose de penser la mission de l’Église comme une « réconciliation de l’humanité désunie » dans un temps où l’on n’accepte plus la complicité entre la religion et le colonialisme, pas plus que la justification des guerres par la religion. Il soutient « la thèse, jusqu’ici controversée dans l’Église, selon laquelle la situation historique produite par la mondialisation actuelle oblige l’Église à repenser sa mission dans le monde et à y déceler un ministère de réconciliation au service du bien commun universel ». En ce qui concerne la lecture biblique, l’auteur soulève deux points : l’envoi par Jésus des disciples en mission (Mt 28,19-20) n’appelle pas à la conquête chrétienne mais au témoignage de la foi en Jésus Christ « dans toutes les régions du monde » ; on peut lire le Nouveau Testament à partir des béatitudes de Jésus, qu’il est possible de vivre dans toutes les religions plutôt qu’à partir des affirmations de l’apôtre Paul sur l’unique salut qui doit passer par Jésus Christ. En ce qui concerne la théologie contemporaine, Baum réfère à la théologie du pluralisme et de la réconciliation de David Tracy, qui recèle « un appel à la solidarité universelle et à la lutte pour la justice sociale ». Dans une section particulièrement intéressante de son texte, Baum rappelle qu’il a agi à titre de peritus au concile Vatican II. Il raconte comment il a participé à une modification cruciale de la position de l’Église catholique sur les rapports avec les juifs. Alors que l’Église avait prié séculairement pour leur conversion, désormais elle reconnaît que Dieu n’a pas révoqué son alliance avec eux après la venue de Jésus Christ. Avec Vatican II, l’Église catholique a cessé de vouloir convertir les juifs et les autres chrétiens. Baum présente le pluralisme religieux comme un dessein de Dieu. Cependant, la position actuelle du magistère romain catholique sur le pluralisme religieux demeure « incertaine » et reste encore à clarifier.
Un modèle de communautés locales catholiques a été élaboré dans le diocèse de Poitiers en France. Rémi Lepage en offre une analyse à partir des thèmes centraux de la confiance et de la réconciliation. Les communautés favorisent la reconnaissance des charismes de chaque membre de la communauté. Son fonctionnement repose sur la confiance mutuelle construite autour de l’égalité et de la coresponsabilité, ce qui modifie structurellement les relations entre les laïques et les prêtres. Les communautés de Poitiers sont des lieux de « réconciliations ecclésiales, religieuses et personnelles ». Sur le plan ecclésial, « l’Église est appelée à former un corps de réconciliation, ceci impliquant particulièrement de faire la vérité sur les blessures et les oppressions causées par des attitudes cléricales afin de pouvoir mieux entrer dans une histoire renouvelée de la communauté chrétienne ». Sur le plan religieux, les personnes participantes à ce modèle d’Église sont invitées à se défaire du dualisme inculqué entre le profane et le sacré :
Pour un baptisé, se réconcilier sur le plan religieux signifie reconnaître avoir été opprimé de quelque manière par des attitudes cléricales et accepter de faire autrement le lien avec le mystérieux, l’insaisissable, l’incontrôlable dans l’expérience de foi, au lieu de chercher à l’encadrer dans des lieux, des temps, des objets ou même des individus particuliers qui deviendraient intouchables — c’est-à-dire sacrés.
Sur le plan personnel, la réconciliation recherchée en est d’abord une avec soi-même : « Se réconcilier avec soi implique alors de faire la vérité par rapport à une oppression faite à soi-même afin que, dans la confiance, on retrouve ses ressources intérieures qui permettent de (re)plonger dans le mystère de la foi ».
La réconciliation est-elle une forme de la mission ? Peut-elle en être une clé d’interprétation ? André Brouillette explore ces questions dans une analyse du troisième décret de la 35e Congrégation générale de la Compagnie de Jésus (2008), lequel porte sur la mission. L’auteur présente les grands traits de la théologie de la réconciliation qui en découle. Celle-ci se déploie en trois attitudes distinctes mais interreliées : la foi, la justice et le dialogue, qui convergent dans le concept de réconciliation. Ainsi, la réconciliation n’est pas une variante du concept de justice, tel qu’on peut le retrouver dans la littérature sur les commissions de vérité et réconciliation. En effet, il s’agit d’abord d’un concept relationnel, dont l’acception théologique première porte sur le rétablissement de la relation entre Dieu et l’humanité. Pour développer cette idée, l’auteur explore le thème de la frontière. D’une part, si la réconciliation consiste à la franchir, l’oeuvre missionnaire qui marque l’histoire de la Compagnie de Jésus en est une de réconciliation. Mais en outre, la réconciliation consiste aussi à traverser les frontières qui divisent les membres d’une même société. Par ailleurs, le thème de la frontière éclaire le contexte de la réconciliation aujourd’hui. Ce contexte, fait de tensions qui travaillent l’humanité à l’échelle planétaire, appelle une « géographie » et une « réarticulation » de la mission. La frontière est alors un lieu où peuvent s’articuler des espaces aux distinctions légitimes, par exemple disciplinaires ; où on peut rencontrer celui ou celle dont on se trouve séparé par une barrière sociale ; mais c’est aussi une barrière qui empêche de connaître l’autre ainsi que ses aspirations, et que la mission consistera alors à surmonter pour permettre de bâtir des ponts.
Selon André Brouillette, comprendre la mission comme réconciliation comporte quatre bénéfices. D’abord, elle permet de corréler des éléments de la mission souvent compris de manières parallèles : la foi à transmettre, la justice à construire, le dialogue à pratiquer et le respect de la création. Ensuite, au coeur de la lutte pour la justice, elle affirme l’enjeu de la relation à restaurer quand il est trop fréquent qu’elle soit occultée au profit du seul désir de victoire sur le camp adverse. Troisièmement, l’emploi de cette notion conjointement avec celle d’alliance (telle qu’elle apparaît dans la Bible) adoucit, en quelque sorte, la situation de rupture qui sous-tend le projet de réconciliation, lui donnant une dimension positive que l’alliance exprime indépendamment de tout conflit. Enfin, la métaphore polysémique de la frontière permet d’explorer la diversité des rapports à l’altérité dans une dynamique de réconciliation.
Trois autres textes examinent la réconciliation en Afrique de l’Ouest, en République Démocratique du Congo et au Liban.
Zaoro Hyacinthe Loua s’intéresse à la réconciliation dans le cadre de la construction de la paix en Afrique de l’Ouest. Il insiste sur le pouvoir du symbole et de la ritualité dans la réconciliation et la construction de la paix. En effet, en traitant d’alliances interethniques, il invite à analyser la notion biblique d’alliance, cadre d’établissement d’une paix profonde et solide. Il amène aussi à réfléchir aux conditions d’un recours à la tradition dans la recherche de solutions aux problèmes du temps présent. Il y examine le potentiel de l’alliance interethnique, qu’il présente d’abord dans son essence et dans ses formes générales. La parenté à plaisanterie, examinée plus attentivement par l’auteur, permet de mettre en présence deux groupes en conflits (groupes familiaux, professionnels ou autres), en leur permettant de se parler directement, plus franchement et directement que ce que permettent généralement les conventions sociales, quoique dans un cadre sécurisant. Cela permet de sceller une alliance de réconciliation aux conséquences pratiques et durables telles que le devoir d’hospitalité. De nos jours, ces alliances sont mises à mal, voire instrumentalisées par des pouvoirs politiques. Leur efficacité, démontrée en contexte intercommunautaire, se perd lors de rixes liées à des tensions économiques ou politiques, au point où elles semblent appartenir à un passé révolu. L’auteur croit possible de redynamiser le potentiel pacificateur de ces alliances, dont l’arrière-fond symbolique et religieux parle à l’âme africaine encore très attachée à ses croyances et à ses rites. Il ne s’agit pas alors de les reprendre dans leurs formes traditionnelles mais de les « réinterpréter », de les actualiser dans le contexte des violences contemporaines. On reprendrait alors leur stratégie basée sur le dialogue et le consensus, en mettant aussi à contribution les chefs religieux et coutumiers. L’auteur évoque quelques pays où de telles applications ont lieu.
L’article suivant aborde la question du genre en Afrique, plus particulièrement en République Démocratique du Congo. Albertine Tshibilondi Ngoyi analyse la contribution des femmes à la vie africaine à l’époque précoloniale puis dans l’Afrique devenue mondialisée. « La mondialisation est marquée par l’introduction du mode de production capitaliste et la modernisation technologique. L’Afrique, dépecée lors de la Conférence de Berlin en 1885, a été soumise au pacte colonial qui réduisait les pays africains à ne produire que des denrées brutes, que des matières premières indispensables à l’industrie des pays du Nord ». À travers les étapes de l’histoire africaine, « la traite, l’esclavage, la colonisation et le néocolonialisme », les femmes ont assumé une tâche immense en portant à bout de bras l’organisation de la vie familiale, agricole et dans le domaine de l’économie informelle. Pourtant, elles n’occupent que peu de postes de pouvoir tandis que l’éducation des filles demeure à la marge des préoccupations. L’auteure analyse ensuite des éléments du second synode africain qui avait pour thème la réconciliation, la justice et la paix.
La femme africaine joue un rôle incontestable au sein de la famille africaine. Ce qui devrait être remis en question, ce sont les mécanismes de subordination, dans un système patriarcal, qui freinent sa pleine participation dans l’Église comme dans la société. Par ailleurs, en observant le mode de fonctionnement actuel de l’Église, on peut se demander dans quelle mesure cela permet aux femmes ayant une formation adéquate d’accéder aux postes de décision. Ne faudrait-il pas un changement de mentalités ou mieux une conversion pour reconnaitre cette injustice afin de redéfinir la relation homme-femme de manière nouvelle ?
Le Liban est marqué par les séquelles persistantes de la guerre (1975-1990). Pamela Chrabieh s’intéresse à un problème qui concerne la mémoire : il n’y a pas encore de place dans l’espace libanais pour élaborer une mémoire commune de la guerre. En effet, les accords de paix de 1991 prévoyaient l’amnistie pour tous les actes violents posés contre la population avant 1991, et cela sans condition de repentir. Seuls les actes posés contre les élites politiques et religieuses échappaient à cette amnistie. Cela a eu pour effet d’encourager une « omerta ». En l’absence d’une opération nationale de vérité à propos de cette guerre et de ses atrocités, comment espérer une réconciliation ? En marge de ces attentes encore vaines à l’endroit d’un gouvernement emmuré dans le silence, se vivent des pratiques de réconciliation dans la société civile : mussalaha (pratique traditionnelle de réconciliation), discussions populaires pour préparer le retour des chrétiens exilés au Mont-Liban, libres expressions d’excuses publiques par d’anciens combattants, productions artistiques, réseaux sociaux, presse écrite indépendante, pratiques psychothérapeutiques à portée sociale, etc. Ces pratiques sont souvent le fait des jeunes générations qui cherchent à y exorciser la souffrance du traumatisme. Les différentes formes d’expression émanant de la société civile contribuent de manière cruciale à la guérison de la mémoire et à l’éventuelle émergence d’une mémoire nationale de la guerre. Mais ce n’est pas encore suffisant et les jeunes générations encaissent à leur tour les contrecoups de la violence occultée.
Pourrait-on imaginer une commission de vérité et réconciliation au Liban ? Cela constituerait probablement une étape majeure dans la guérison collective, mais l’auteure ne semble pas croire à cette éventualité. Qui aurait intérêt à lancer un tel processus ? Notons que la Commission de vérité et réconciliation du Canada n’était pas une initiative gouvernementale mais bien l’aboutissement d’une lutte juridique, que le gouvernement canadien et les Églises ont préféré régler à l’amiable pour contrôler les dommages. Au Liban, par contre, les groupes confessionnels sont encore en mesure de colmater la brèche où se dirait une parole qui les appellerait à subordonner leurs intérêts particuliers à ceux d’une population et d’une nation. Si les enjeux de la mémoire nationale et de la parole partagée font partie du processus de réconciliation, ils montrent que la résistance est parfois une condition de réconciliation.
Karlijn Demasure et Jean-Guy Nadeau notent que la réconciliation est généralement pensée et vécue dans un mouvement de pardon. Or, s’il est une expérience, beaucoup plus intime cette fois, qui montre les limites de la réconciliation, vécue comme un pardon, c’est bien celle de l’abus sexuel. La tradition chrétienne a largement valorisé le pardon. Tout péché ne peut-il pas être pardonné, pour autant que l’offenseur reconnaisse sa faute ? Quel péché est plus fort que l’amour divin ? Dès lors, existe-t-il un devoir chrétien de pardonner ? Après la Shoah, l’époque contemporaine a déplacé le point focal de l’offenseur vers la victime : les personnes ayant survécu à Auschwitz ont-elles le devoir de pardonner ? Cette question se pose aussi à propos de la victime d’abus sexuel.
Le texte examine les deux réponses possibles : ou bien les victimes ont le devoir de pardonner, ou bien elles ne l’ont pas. Et si les victimes avaient le devoir de pardonner ? Le récit de l’Exode, qui affirme la dignité de la victime et la légitimité de sa recherche de justice, est de nature à conforter la victime. Le récit de la Passion de Jésus Christ a aussi un effet confortant, entre autres sur les victimes d’abus sexuels, dans la mesure où il permet une association entre le corps abusé de la victime et celui torturé de Jésus, bientôt ressuscité. Mais le récit apporte un nouvel élément : si le Christ appelle toute l’humanité à la réconciliation, c’est de manière universelle et donc en franchissant les limites entre victimes et agresseurs. Si on accepte ce point de vue, la victime se sait appelée à se réconcilier avec l’agresseur, si du moins celui-ci arrive à accueillir le pardon un jour. Mais la prescription fondamentale reste la même pour la victime : se préparer à pardonner.
Et si, au contraire, les victimes n’avaient pas le devoir de pardonner ? Les auteurs notent que dans les Évangiles, celui qui pardonne est toujours montré en position de force : il remet une dette. On peut donc concevoir qu’une victime d’abus sexuel reprenne son pouvoir précisément en refusant son pardon. La victime d’abus sexuel peut souhaiter se protéger contre l’emprise de son agresseur, en évitant de déresponsabiliser l’agresseur face à ses gestes.
Par la suite, les auteurs exposent trois « conditions pour un pardon » : éviter un pardon trop rapide, trop commode pour l’agresseur ; dire la vérité de part et d’autre à propos de ce qui est survenu ; rétablir le pouvoir de la victime face à celui qui l’assujettit. C’est la réunion de ces conditions qui rend le pardon possible — quoique pas moralement obligatoire.
On peut même aller jusqu’à considérer que pardonner n’est pas un devoir moral. Comme l’amour, le pardon est un don qui ne peut être forcé. […] Dans le christianisme, c’est la grâce de Dieu qui permet de pardonner là où la volonté et le pouvoir humains touchent à leurs limites. Et peut-être y a-t-il même une grâce qui permet de retenir le pardon jusqu’à ce que quelque chose change, voire une grâce qui permet de faire justice pour que la vie se poursuive en abondance.
Comme le montre tout ce qui précède, nous avons voulu penser des théologies de la réconciliation dans le contexte, inéludable, de la Commission de vérité et réconciliation du Canada et des appels qu’elle formule aux diverses composantes de la société canadienne. Par ailleurs, la réflexion sur la réconciliation s’ouvre sur d’autres dimensions de ce thème auquel les aléas des réalités humaines nous ramèneront toujours, de même que les conflits et tensions qui enveniment différentes sociétés à travers le monde. On en voit dès lors l’importance, l’actualité et le caractère multidimensionnel.
Parties annexes
Notes biographiques
Denise Couture est professeure titulaire à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal. Elle est coresponsable du Groupe de théologies africaines et afrodescendantes (GTAS) à l’Université de Montréal. Elle a récemment publié : (2016) Couture, D. et É. Couture-Grondin. « An Antiracist, Ecofeminist and Theological Perspective on Abortion for a Sustainable Life and a Sustainable Choice », dans G. M. Boodoo, dir., Religion, Human Dignity and Liberation, São Leopoldo, Editora Oikos, p. 73-83 ; (2014) « Créer des relations justes. Analyse de pratiques innovatrices, féministes et interculturelles dans le contexte canadien », Théologiques, 22/1, p. 87-99.
Jean-François Roussel est professeur agrégé à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal, où il enseigne en théologie contextuelle, particulièrement en rapport avec les questions autochtones. Il a récemment publié : (2016) « Lacombe’s Chart. Imperialism and Spiritual Exile in the Indian Residential Schools of Canada », dans G. Boodoo, dir., Religion, Human Dignity and Liberation, Sao Leopoldo, Oikos Editora ; (2017) « Die schwierigen Wege zur Wahrheit und zur Versohnung. Kirchen und Theologie in Kanada nach Ende des Werziehungsanstalten für Kinder indigener Völker », Concilum, 52/3, p. 346-353.
Notes
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[1]
Dans la langue mohawk, « Onkwehonwe », littéralement peuple originaire, désigne l’ensemble des peuples autochtones des Amériques, distingués des peuples immigrants.
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[2]
« Pour plusieurs de ces traditionalistes, il semble qu’à ce jour l’attention et l’énergie aient été consacrées au processus de décolonisation — c’est-à-dire aux mécanismes permettant de se soustraire au contrôle direct de l’État et à la lutte juridique et politique pour recevoir la reconnaissance d’une autorité dirigeante autochtone. À peu près personne n’a réfléchi aux buts ultimes de cette lutte. […] les valeurs sur lesquelles seront fondés les nouveaux systèmes de gouvernement demeurent un mystère. » (Alfred 2014, 45).
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