Ce dossier entend explorer comment les scènes de théâtre contemporaines composent avec les plantes, à une époque qu’on pourrait considérer comme rattachée à la seconde redécouverte du vivant végétal. Au début du xxe siècle, les populations occidentales redécouvraient une première fois les plantes comme êtres vivants : les biologistes observaient les phénomènes de respiration et de photosynthèse, des photos prises tout au long des journées capturaient le mouvement de croissance des fleurs, des images micro-cellulaires étaient diffusées au grand public. Sir Jagadis Bose entreprenait même « de lire les plantes » grâce à des capteurs articulés aux vibrations de leur tige ou aux impulsions électriques. Il est troublant de constater que ce vaste mouvement de redécouverte de vie dans le végétal, qui a inspiré de nombreuses oeuvres notamment en peinture et en danse, a accompagné le déploiement des connaissances biologiques au cours du xxe siècle, sans freiner ce qu’Emanuele Coccia, avec Iain Hamilton Grant, dénomme le physiocide : « meurtre de la nature » par les philosophes, et plus largement par la culture – l’étude et la contemplation de la nature n’étant plus, à compter du xixe siècle, considérées comme dignes d’intérêt par les sciences humaines et se trouvant reléguées aux diverses sciences biologiques. Ce physiocide, fort d’une méconnaissance radicale des espèces et de leurs qualités de vie, serait une sorte de manifestation ultime de la pensée dualiste opposant nature/culture, notamment redevable, selon Philippe Descola, à la malheureuse proposition cartésienne appelant les hommes à se rendre « maîtres et possesseurs de la nature ». La pensée occidentale moderne, alors fondée sur la différence ontologique entre nature et culture, s’est ensuite étendue avec le colonialisme, en promouvant sur toute la planète la libre exploitation des ressources dites naturelles. Alors que l’Anthropocène est communément daté de l’ère de la révolution industrielle, Anna Löwenhaupt Tsing préfère, quant à elle, dater la scission d’avec l’Holocène au moment de la colonisation. Elle préconise le terme de Plantationocène, en référence à l’essor des grandes plantations. Force a été de constater depuis l’efficacité de cette objectivation du végétal, qui a abouti in fine à diviser par deux « la biomasse végétale totale […] par rapport à sa valeur avant le début de la civilisation humaine ». La présence des plantes sur scène se joue à l’aune des menaces qui planent sur l’humanité et la biosphère réunies (réchauffement climatique, extinction du vivant), ainsi rappelées à leurs liens vitaux. Ce contexte de crise n’est pas près de se clarifier en regard des bouleversements à venir, comme le font apparaître Léna Balaud et Antoine Chopot : L’artiste-chercheuse Annette Arlander, qui poursuit un projet de recherche-création Performing with Plants, élabore de son côté une première catégorisation aussi simple qu’éclairante des principaux modes théâtraux et performantiels qui engagent actuellement humains et végétaux. Cette taxinomie s’articule autour des relations interspécifiques : La dernière catégorie est indiscutablement la plus nourrie en exemples et en déclinaisons contemporaines. Pourtant, malgré l’urgence bioclimatique, et malgré la longue tradition de représentation du non-humain au théâtre, en danse et à l’opéra, le nombre de spectacles ou de dispositifs performatifs mettant des plantes en scène reste étonnamment faible. Une telle rareté est sans doute en premier lieu à mettre au compte des héritages théâtraux. Est-il besoin de rappeler que théâtre ou opéra sont des arts anthropocentrés par excellence, souvent logocentrés par ailleurs ? Non seulement la scène semble encore très majoritairement tourner autour des acteurs comme le soleil tournait autour de la Terre dans le géocentrisme aristotélicien, mais elle place tout ce qui l’habite dans le sillage de l’humain. Si les plantes ont bien des fois …
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