Résumés
Résumé
Cet article propose une étude des termes latins employés par trois jésuites — Pierre Biard, François Ragueneau et Isaac Jogues — pour décrire les « Sauvages ». Reprenant la réflexion proposée par Francis Jennings sur le mot anglais savage, dont le sens a évolué de la « simple sauvagerie » à la « férocité bestiale », l’auteur montre comment l’histoire de ce mot est étroitement liée à la rencontre entre les Amérindiens et les Européens.
Abstract
This article proposes a study of the Latin terms employed by three Jesuits—Pierre Biard, François Ragueneau and Isaac Jogues—to describe the “Savages.” Revisiting Francis Jennings’ ideas on the English word savage, whose meaning has evolved from “simple savagery” to “bestial ferocity”, the author shows how the history of this word is closely tied to the encounter between Amerindians and Europeans.
Corps de l’article
Si la plupart des missionnaires jésuites de Nouvelle-France écrivaient en français, on leur doit également de longs récits en latin. Je me propose d’analyser ici les périphrases et termes employés dans ces récits pour décrire les Autochtones. Il me semble en effet que l’étude de ces termes latins pourrait améliorer la compréhension des premières rencontres entre les Amérindiens et les Européens. Cet article examinera une partie de ces récits en posant des questions simples : comment les missionnaires jésuites envoyés en Nouvelle-France au xviie siècle utilisaient-ils le latin pour décrire les Amérindiens ? Quels termes latins jugeaient-ils adéquats pour nommer les peuples qu’ils rencontraient ? Comment devrions-nous interpréter ces termes aujourd’hui ?
La langue latine a une influence directe sur l’histoire de cette rencontre : les mots sauvage en français et savage en anglais sont dérivés du latin classique silvaticus (de la forêt [2]). De nos jours, bien que les dictionnaires fassent toujours état de cette racine, ces mots modernes ont également pris les sens de « primitif », « inhumain » et « brutal », et ils sont considérés comme synonymes de « barbare, bestial, cruel, féroce [3] ». C’est sur la base de ces définitions que je propose de développer la courte — mais non moins stimulante — analyse que propose Francis Jennings de l’histoire du mot savage dans les premiers récits de voyage américains [4]. Jennings démontre de façon convaincante comment l’histoire linguistique et sociale du mot latin silva (la forêt) — auquel le terme savage est étymologiquement lié — dépend, en français comme en anglais, non seulement de connotations intrinsèques, mais également du développement des relations entre Amérindiens et Européens en Amérique du Nord. Bien que cette étymologie latine soit désormais couramment acceptée dans les analyses et les traductions des Relations des Jésuites [5], il me semble cependant que l’une des idées de Jennings mérite d’être approfondie. Il considère en effet que les traductions de termes latins tels que ferina ou feritas (se rapportant initialement aux animaux non domestiqués [6]) par le mot savage ou sauvagerie au xxe siècle sont en fait anachroniques [7], car ces derniers mots ont connu « un développement particulier » qui a fini « par accentuer la férocité bestiale [beastly ferocity] pour remplacer la simple sauvagerie [simple wildness] comme sens principal du mot » (IA, p. 75) [8]. En tant que témoignage de la manière dont les Européens ont appréhendé les autochtones, les textes latins rédigés par les missionnaires jésuites semblent idéaux pour explorer plus en profondeur la question du transfert de sens dans la langue vernaculaire. Il s’agira donc à la fois de voir comment les deux concepts sémantiques de « simple sauvagerie » et de « férocité bestiale » s’inscrivent dans les textes latins classiques, puis de vérifier si leurs significations se recoupent en latin comme elles peuvent le faire dans les termes vernaculaires sauvage et savage.
Commençons par une classification sommaire des termes latins utilisés dans les récits et les lettres des jésuites Pierre Biard, François Ragueneau et Isaac Jogues. On attribue à Biard les premiers récits jésuites en 1612, 1614 et 1618, à Ragueneau l’histoire de plusieurs décennies d’activité missionnaire de 1607 à 1637, et à Jogues, en 1643, un récit sur sa période de captivité chez les Iroquois [9]. Notre classification se présente comme suit :
-
Noms propres des différentes tribus, par exemple les Algonquins ou les Iroquois, Algonquini et Irocosii (Bd, vol. 1, p. 209) : ils mettent souvent en évidence des conflits entre nations indiennes et, par extension, le conflit politique contemporain entre la France et l’Angleterre. L’adjectif Canadensis et ses dérivés sont liés à ces noms. Ils peuvent se référer aux gens comme aux lieux, mais semblent toutefois se limiter aux Amérindiens et aux activités spécifiques de la Nouvelle-France, par exemple : « Cette opinion est profondément implantée dans les âmes des Canadiens […] [10]. » Cet adjectif est fréquent dans les noms officiels, on le retrouve d’ailleurs dans le titre du récit attribué à Biard et écrit en 1618, ou encore dans celui d’une « Lettre […] Au […] Gouverneur du Canada » écrite par Jogues [11].
-
Termes généraux faisant référence à tous les Amérindiens, sans distinction. Par exemple : indigenae (indigènes), gens (peuple ou race), incolae (habitants) ou encore natio (nation), le terme le plus courant étant barbarus (barbare).
-
Termes théologiques spécifiques définissant les Amérindiens et les Européens en fonction de groupes religieux. Par exemple : « ces coutumes païennes », « ces Anglais hérétiques [12] ».
-
Termes et périphrases destinés à véhiculer quelque chose de plus spécifique que les catégories ci-dessus, et dont la gamme s’étend du poétique au péjoratif. La description que Biard fait de la capacité de l’Amérindien à supporter le froid et la faim est un bel exemple de ce que l’on pourrait appeler une paraphrase poétique : « Ces gens sont, pour ainsi dire, la progéniture du Vent du Nord et de la Glace [13]. » Biard tente sans aucun doute de clarifier, à l’attention de son public européen, les caractéristiques qui lui paraissent les plus spécifiques des peuples rencontrés. La phrase peut être comparée à certaines des périphrases virgiliennes, par exemple lorsque le roi Évandre raconte à Énée les débuts de l’histoire du Latium : « Les Faunes et les Nymphes indigènes, possédaient ces clairières, une race d’homme née de troncs d’arbres et de chêne dur, qui n’ont ni précepte, ni culture [14]. »
C’est dans ce dernier groupe que l’on trouve les termes auxquels s’intéresse tout particulièrement cet article : silvaticus et ses dérivés. Le premier compte rendu de Biard en est particulièrement riche. On y trouve des exemples du terme précis dont sauvage et savage sont dérivés, à savoir silvaticus (habitant de la forêt). Par exemple : « Le fruit [de nos efforts de conversion] en a été que le peuple de la forêt [sylvatici] lui-même a commencé à comprendre quelque chose à notre religion [15] » ; « race de la forêt » (gens sylvatica) ou « habitants de la forêt » (sylvicolae) (Bd, vol. 1, p. 206, 219) et des périphrases comme « la race est errante, habitant la forêt [sylvestris], dispersée [16] ». On peut ajouter à cela l’utilisation d’autres termes dérivés comme agrestis, par exemple dans « agrestes casas » (cabanes rustiques) (Bd, vol. 2, p. 37).
Pour quelqu’un qui aborde ces textes depuis la langue vernaculaire anglaise ou française, dans laquelle savage ou sauvage est devenu synonyme de cruauté exacerbée, la relative neutralité des termes latins est frappante. Ils font davantage référence à ce qui est perçu comme une absence de civilisation qu’à une cruauté inhérente. Biard écrit d’ailleurs : « Nous errons et vivons avec ces [gens], sans arme, sans crainte et, à ce qu’il semble pour le moment, sans danger [17]. » Il établit même une comparaison entre les Amérindiens et les Français, avantageant les premiers : « [Ils sont] en général imberbes, et d’une construction tout à fait ordinaire, un peu plus petits et plus sveltes, mais ni dégénérés ni indécents [18]. » Il remarque aussi leur « générosité à l’égard de Français pris dans quelque malheur [19] ». Cependant, les commentaires de Biard sont parfois négatifs et expriment même une forte désapprobation : « en somme, cette nation se compose d’hommes [qui sont] presque des brutes [20] ». En décrivant une tribu en particulier, il évoque également la possibilité du cannibalisme — « un peuple féroce, que l’on dit cannibale [21] » — et il n’est pas anodin qu’il fasse usage de la formule « ut dicitur » (que l’on dit) et, dans la citation précédente, de l’adverbe « paene » (presque).
L’expression de la férocité (en particulier par les adjectifs ferus et saevus) est d’un intérêt certain [22]. Pour souligner un fait particulièrement cruel qu’il a vécu durant sa captivité chez les Iroquois, Jogues écrit : « nous avons supporté [des actes] de haine féroce de la part des barbares [23] » ou encore, « avec la cruauté coutumière de ces barbares [24] ». Les termes barbarus (barbare) et barbaries (vie sauvage), qui peuvent être relativement neutres dans certains contextes, sont généralement négatifs dans le récit de Jogues. Bien qu’il leur ajoute lui aussi des qualificatifs [25], ils suggèrent une nature féroce. Décrivant les « Excomminqui », Biard qualifie ce peuple de « fera [26] » (féroce) que Reuben Gold Thwaites traduit par « très sauvage [27] » (very savage) dans son édition des Relations des Jésuites. Paul Ragueneau, relatant en 1649 une mission relativement réussie auprès des Hurons-Wendat —, mentionne une attaque de leurs ennemis dont il évoque la « furor » : « avec une cruauté coutumière, les mères ont été faites prisonnières avec leurs enfants [28] ». Dans la même lettre, il décrit un acte de cruauté en ces termes : « Saevitum barbare in ejus exsangue corpus », ce que l’édition Thwaites traduit par « sauvagement enragé contre » (savagely enraged against) au lieu de « barbarement enragé contre » (barbarically enraged against) (JRAD, vol. 33, p. 263). Ces exemples illustrent bien ce que Jennings considérait comme anachronique dans les traductions contemporaines, la notion de « férocité bestiale » éclipsant ici celle de « simple sauvagerie » dans les mots sauvage et sauvagement. Ils permettent de voir comment la langue latine établit une distinction morale entre des idées que les termes vernaculaires sauvage et savage rassemblent : silvaticus exprime la notion de « simple sauvagerie », alors que les actes de cruauté nécessitent des termes différents.
Pour étayer ce propos, faisons un détour par les textes latins classiques, dans lesquels les exemples de sauvagerie ou de cruauté exacerbée sont particulièrement instructifs. Prenons ici deux exemples, ceux d’Ovide et de Tite-Live : le premier décrit les peuples autochtones qu’il rencontre en exil de la façon suivante : « les hommes sont à peine dignes du nom d’homme, et ont plus de férocité que les loups [29] ». Chez le second, en revanche, les Romains essayant de reconquérir la Campanie décrivent la menace que représentent les troupes d’Hannibal : « ces soldats sont, par nature et coutume, cruels et féroces [30] ». Ainsi, tous deux emploient des termes de la famille de feritas pour qualifier ces peuples. Ovide et Tite-Live ne retiennent donc pas le terme de silvatici dans leur description, et s’ils l’avaient fait, il leur aurait fallu ajouter des termes comme saevus, feritas, ou encore ferus pour souligner la cruauté ou la férocité. Pour mieux évaluer le glissement sémantique qui s’opère dans les langues vernaculaires, les dictionnaires modernes anglais-latin sont également instructifs : publié en 1871, A Copious and Critical English-Latin Dictionary indique, pour le terme savage, différents sens qui sont tous suivis par leur équivalent latin [31]. On apprend ainsi que « sauvage, farouche, féroce » (wild, untamed, fierce) doivent être traduits par ferus et « totalement barbare » (totally uncivilized) par immanis. Pour l’entrée « sauvage, farouche, féroce » on trouve également silvestris (« habitant les forêts » (inhabiting the woods), sens orig. de sauvage). A priori, ce dictionnaire prend par conséquent bien en compte la valeur classique du mot savage. Cependant, une rubrique supplémentaire indique que savage peut aussi signifier « naturellement cruel » (naturally cruel), et qu’il doit alors être traduit par des mots tels que atrox ou saevus. Dans ce cas, comment l’expression « habitant la forêt » est-elle devenue un synonyme de « naturellement cruel » ? Autrement dit, comment la distance entre silvaticus et ferus/saevus a-t-elle été comblée en anglais, de sorte que savage rende tous ces termes ? L’argument de Jennings, selon lequel l’histoire de la rencontre entre Européens et Amérindiens a été décisive dans l’évolution sémantique du mot savage, prend ici tout son sens.
À cet égard, on doit noter les sens potentiels du mot silva en latin classique : s’il peut avoir des connotations de beauté sylvestre, il peut également suggérer une menace cachée puisqu’il est souvent en cooccurrence avec « bêtes sauvages ». Rappelons ici la description que fait Virgile d’Amata sombrant dans la folie : « au milieu des forêts, au milieu des déserts des bêtes sauvages [32] ». Le bois est le domaine du non-humain, « un repaire pour les animaux sauvages ». De la même manière, en décrivant dans ses Géorgiques le tout premier agencement du — littéralement — Nouveau Monde, Virgile précise que « la race terrestre des hommes a relevé la tête des champs durs, les bêtes ont été introduites dans les forêts, et les étoiles dans le ciel [33] ». Le mot latin silva a donc des connotations propres de sauvagerie et de menace cachée qui ont certainement joué un rôle dans la tournure sémantique prise par le terme savage dans les langues vernaculaires (IA, p. 73.).
L’emploi du terme latin silvaticus manifeste, en ce sens, une distance sémantique importante avec le mot qui lui correspond en langue moderne, qu’il s’agisse de l’anglais ou du français. Mais son utilisation dans les textes néo-latins de notre corpus fait surgir de nouvelles questions quant à la définition de ce qu’est la civilisation. Nous voyons bien dans le passage des Géorgiques qui vient d’être cité à quel point culture (cultivation en anglais) et civilisation sont connectées : l’homme est une créature « terrestre » propre aux champs, comme les animaux le sont à la forêt et les étoiles au ciel. Biard fait d’ailleurs référence à la culture et au potentiel du « Nouveau Monde » en ces termes : « Par ailleurs, rien n’empêcherait un tel mode de travail de la terre si l’agriculture était appliquée aux acres de terre nivelée, et si la dense opacité de ces forêts presque infinies était supprimée [34] » (Bd, vol. 2, p. 9). Cette volonté d’en finir avec « l’obscurité de la forêt » et d’apporter « la culture » du « sol » et de la « terre » va clairement de pair avec le désir de convertir les silvatici. Le terme silvaticus se rapporte alors à un être humain auquel la culture manque cependant — manque qui sera comblé par le cultus assuré par les Jésuites. Biard écrit par exemple : « Car, comme les barbares manquent de laiton, de fer, de chanvre, de laine et plus généralement de toute chose fabriquée, ils les acceptent des Français [35] » (Bd, vol. 1, p. 211). Ce défaut accompagne ce que Biard envisage aussi comme une pauvreté linguistique : « ce peuple a un très grand manque de noms et, également, une profonde ignorance des choses [36] » (Bd, vol. 2, p. 17). De toute évidence, le commerce avec les Galli (Français) fournira les technologies nécessaires, tandis que l’association avec les Jésuites comblera l’ignorance sur les plans spirituel et linguistique.
En effet, selon les missionnaires jésuites, ce « manque » se retrouve également dans la religion des autochtones d’Amérique. C’est ainsi que Biard déclare : ils ne sont « quasiment instruits d’aucune connaissance divine ou souci de [leur] salut [37] » (Bd, vol. 2, p. 9). Il est donc intéressant à cet égard d’examiner ce que François Ragueneau écrit à propos d’un jeune Amérindien baptisé à Rouen en 1627. Au moment de son baptême, Amantacha, dont le nom signifie « petit castor » dans sa langue maternelle [38] (Rg, vol. 3, p. 422), recevra celui de Ludovicus (Rg, vol. 2, p.182). La conclusion que tire Ragueneau sur la nature des Amérindiens vaut la peine que l’on s’y arrête :
Cet adolescent, à Rouen et encore plus à Paris, a donné tellement de preuves de son génie, de son jugement, de sa prudence et de ses bonnes dispositions qu’il en a facilement persuadé beaucoup que ces hommes ne sont pas tant des barbares par nature que par la vie qu’ils mènent ; qu’ils pèchent plutôt par manque de culture et par ignorance de la vertu que par sens inné ; et qu’ils ont bien les germes, qui [sont] innés et implantés par nature, comme les Européens, pour toutes les vertus et disciplines ; mais qu’ils les enterrent et les éteignent par leur liberté de moeurs, leur habitude de pécher et l’effet corrupteur de tous les vices [39]
Rg, vol. 3, p. 422
Pour Ragueneau, le jeune Amantacha n’est donc barbarus que par manque de cultus (culture) et non pas en raison d’un défaut fondamental de sa nature. Comme il l’écrira encore à propos du converti : « Mais il avait appris par la lumière de la nature [40] » (Rg, vol. 3, p. 415).
On peut encore établir ici des parallèles avec les textes classiques qui étaient bien souvent des textes fondamentaux dans la tradition didactique de la poésie jésuite française du xviie siècle. Les Géorgiques ont eu, par exemple, un impact considérable sur l’image que les Européens se faisaient du Nouveau Monde [41], apportant l’idée essentielle que, grâce à une « culture fréquente », la natura peut être modifiée en « quelque forme artificielle » que l’on puisse souhaiter, de manière à « perdre » son silvestrem animum :
Ces choses qui poussent de leur propre mouvement pour s’élever vers les frontières de la lumière/sont effectivement stériles, mais elles poussent abondantes et fortes ;/car le sol recèle une sorte de force naturelle. Pourtant, si quelqu’un/les greffe ou les transplante dans de profonds sillons,/elles perdront leur esprit rural, et, grâce à une culture fréquente,/elles ne tarderont pas à prendre la forme que l’on voudra [42]
je souligne
Comme l’éditeur le signale en note, « le langage s’adapte aussi bien à l’anthropologie qu’à l’arboriculture : les arbres, comme l’homme à la fin de l’âge de Saturne, perdent leurs attributs spontanés et naturels pour prendre part au monde du cultus et des artes [43] ». Ces métaphores agricoles se trouvent également dans les textes jésuites, les missionnaires les utilisant pour définir leur fonction dans le Nouveau Monde : ce sont des fermiers, des cultivateurs à la recherche d’une abondante « récolte » ou messis. La « moisson » est le produit artisanal de la culture et elle s’oppose à la silva, qui reste caractéristique de la friche. On évolue alors de la nature vers la grâce : « ils ont soigneusement cultivé cette partie de la vigne du Christ et, aujourd’hui, ils continuent à la cultiver avec la grande bonté des peuples autochtones [44] » (Rg, vol. 3, p. 463).
D’une manière générale, les périphrases et termes latins utilisés par les Jésuites suggèrent une identification des Amérindiens aux peuples primitifs décrits par les Anciens. L’image de « peuple errant » (gens vaga) appliquée aux Amérindiens fait ainsi écho aux premières sociétés humaines décrites par Lucrèce : « les peuples errants vivaient à la manière des animaux […] enfin, les vagabonds en sont venus à connaître et ont possédé les temples sylvestres des nymphes […] ils habitaient des bosquets, des montagnes creuses et des forêts [45] ». Souvent cité par les Jésuites et les auteurs européens dans leurs écrits portant sur le Nouveau Monde [46], Tacite offre également une description intéressante d’une des tribus les plus reculées : « Les Finnois sont d’une férocité étonnante, d’un dénuement extrême ; ils manquent d’armes, de chevaux, de foyers ; pour toute nourriture, ils n’ont que de l’herbe ; pour habits, des peaux d’animaux ; le sol est leur lit ; leur seul espoir réside dans leurs flèches, qu’ils aiguisent avec des os par manque de fer [47]. » De même, lorsque Salluste raconte la première fondation de Rome, il décrit les Troyens qui « erraient sans demeure fixe » et avec eux, « les premiers habitants, une race sauvage d’hommes, sans lois, sans pouvoir, libres et sans attaches [48] ». En qualifiant les Amérindiens de gens silvestris, sylvicolae ou sylvatici, les missionnaires tentent donc de décrire ce qui, selon eux, caractérise les peuples rencontrés. Ainsi, comme les extraits d’oeuvres latines classiques le montrent, certains termes latins véhiculent plusieurs niveaux de signification et en disent peut-être plus long sur l’auteur lui-même que sur son sujet. De ce point de vue, il serait intéressant de comparer les périphrases et termes latins utilisés par les missionnaires à ceux, plus modernes, dont les auteurs du xixe siècle font usage. Par exemple, l’Américain Washington Irving écrit que l’Amérindien est « formé pour la nature sauvage [49] », tandis que l’Amérindien William Apess publie une autobiographie intitulée A Son of the Forest : The Experience of William Apess, A Native of the Forest [50]. En utilisant encore des termes comme « vie sauvage » ou « forêt » bien après le siècle des Lumières, ces auteurs semblent donc plutôt faire appel à une conception de la nature héritée des récits jésuites du xviie siècle [51].
Les textes latins des missionnaires jésuites peuvent par conséquent jouer un rôle important dans l’archéologie culturelle des premières définitions européennes des Amérindiens, « le mythe du sauvage » dont parle Olive P. Dickason dans son ouvrage cité plus haut. Il existe de très bonnes études universitaires des textes français des Relations [52] et ce qui en a été dit peut bien entendu s’appliquer aux textes latins. Ces derniers complètent cependant les récits français, car ils nous permettent d’aller plus loin dans l’histoire des mots savage et sauvage en fournissant un contrepoint sémantique aux connotations vernaculaires qui nous sont à présent familières. Ils rendent donc plus visible l’histoire culturelle et linguistique des termes traditionnellement employés pour définir les Amérindiens. Porter attention à l’histoire des mots savage et sauvage nous aide ainsi à mesurer l’impact de la rencontre entre Amérindiens et Européens au regard de l’évolution du caractère moral rattaché à ces termes vernaculaires, tout en nous permettant de mieux comprendre les définitions auxquelles il est susceptible de renvoyer et les stéréotypes qui en ont découlé [53].
Bien entendu, il resterait encore beaucoup à faire. L’analyse linguistique et littéraire de Jennings se concentre sur la Renaissance et les années qui l’ont suivie. Il serait utile de retracer l’histoire du mot latin silvaticus (et de ses synonymes) à l’époque médiévale, et de se pencher sur l’usage du terme salvage en ancien français. Par exemple, dans son lai Bisclavret, Marie de France utilise ce mot de manière particulièrement intéressante pour décrire un loup-garou qui parvient à susciter la pitié de son auditoire en le convainquant de son essence humaine : « Dans les temps anciens, on pouvait entendre,/Et cela arrivait souvent,/Plusieurs hommes devinrent des loups-garous/et dans les forêts, tinrent domicile./Le loup-garou, c’est à dire une bête sauvage […] [54]. » Ajoutons que l’impact des récits des Jésuites sur l’évolution du terme sauvage en français moderne et dans d’autres littératures mériterait également une étude plus approfondie [55].
Comme indiqué précédemment, la classification que j’ai proposée ici est sommaire. Je me suis d’ailleurs arrêté sur un thème spécifique en me limitant à un corpus donné de textes latins écrits par les Jésuites. Il y aurait encore de nombreux textes latins et bien d’autres thèmes qui mériteraient notre attention, comme par exemple les descriptions des pratiques religieuses des Amérindiens, l’utilisation de textes bibliques pour structurer leurs récits, etc. [56] Il faudrait également s’intéresser aux méthodes individuelles d’observation et de narration des Jésuites, et développer plus en détail les nuances de ces textes importants.
Les écrits latins des Jésuites de Nouvelle-France, inclus par Jozef IJsewijn dans sa vaste étude des textes néo-latins [57], sont d’un grand intérêt et valent la peine d’être étudiés pour eux-mêmes. Ils ont, avec d’autres écrits néo-latins, un rôle important à jouer dans l’histoire de l’idée de civilisation et même dans la compréhension de l’influence du Nouveau Monde sur l’Europe. Je crois d’ailleurs qu’il ne serait pas hors de propos d’inclure le latin du Nouveau Monde dans le cursus traditionnel des études classiques. Les auteurs de ces textes observent sans intermédiaire ce monde et exploitent les ressources du latin pour créer ce qu’ils estiment être un compte rendu fidèle de ce qu’ils vivent. Il est remarquable de voir Jogues — dans l’ancien comptoir commercial hollandais du xviie siècle qu’est maintenant Albany, dans l’État de New York — décrire en latin sa propre hésitation à employer le français ou le latin : « Désirant écrire à votre Révérence, j’ai hésité quant à la langue dans laquelle je le ferais. Pour avoir presque oublié les deux langues après une si longue interruption, j’ai éprouvé de la difficulté dans l’une et dans l’autre [58] » (Jg, vol. 5, p. 593). Dans l’ensemble, comme l’écrit Margaret J. Leahey à propos des Relations des Jésuites, ces textes fournissent « des comptes rendus de la psychologie de la rencontre parmi les plus exceptionnels et incontournables jamais écrits [59] ».
Pour conclure, rappelons qu’en 1537, Paul iii décrétait, dans sa bulle pontificale intitulée Sublimis Deus sic dilexit, que les autochtones n’étaient pas « des brutes stupides créées pour notre service […] [mais] des hommes véritables […] capables de comprendre la foi catholique […] [60] ». Cette référence ne fait cependant que révéler que nous nous débattons encore aujourd’hui, dans un monde en apparence moderne, avec la question que Socrate s’est un jour posée sur lui-même et sur sa propre nature humaine : ne sommes-nous qu’une sorte d’animal sauvage (ti thêrion), ou avons-nous une part de divin [61] ?
Parties annexes
Note biographique
John Gallucci est professeur de littérature française à l’Université Colgate (États-Unis). Après avoir publié plusieurs articles sur les écrivains du xviie siècle (Pascal, La Fontaine et Boileau), il s’est intéressé à la présence française dans la littérature américaine, publiant en 2010 Castorland Journal : An Account of the Exploration and Settlement of Northern New York State by French Emigrés in the Years 1793 to 1797.
Notes
-
[1]
L’auteur tient à remercier Irena Trujic, qui a traduit le texte anglais original ; Marie Lise Laquerre, qui a complété les références lexicales en ajoutant les références françaises correspondantes ; et Jean-François Cottier, qui a revu la version définitive : toute erreur qui subsiste doit être attribuée à l’auteur. Le texte original, qui a ici été revu, avait paru dans Yasmin Haskell et Juanita Feros Ruys (dir.), Latinity and Alterity in the Early Modern Period, Tempe, Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies, 2010, p. 259-272.
-
[2]
En latin classique, silvaticus signifie « de ou qui dépend d’un bois ou d’arbres » ou, s’il se réfère à des plantes ou à des animaux, « qui évolue à l’état sauvage » (Charlton T. Lewis et Charles Short, A Latin Dictionary, Oxford, Clarendon, 1962). Il n’y a pas d’entrée pour ce mot dans le Dictionnaire étymologique de la langue latine d’Alfred Ernout et Alfred Meillet, Paris, Klincksieck, 2001). Dans le Dictionnaire latin-français de Félix Gaffiot (Paris, Hachette, 1934), on retrouve cette définition de silvaticus : « qui est fait pour le bois » et « sauvage (en parlant des végétaux) ».
-
[3]
Voir « Savage », The American Heritage Dictionary of the English Language, Boston, Houghton Mifflin, 1996 et « Sauvage », Le nouveau Petit Robert. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, éd. Josette Rey-Debove et Alain Rey, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1993.
-
[4]
Francis Jennings, The Invasion of America : Indians, Colonialism, and the Cant of Conquest, New York, Norton, 1976, p. 73-78 et suiv. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle IA, suivi de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte ou en note.
-
[5]
Voir Olive P. Dickason, The Myth of the Savage and the Beginnings of French Colonialism in the Americas, Edmonton, University of Alberta Press, 1984, p. 63. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle MS, suivi de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte ou en note. Voir, également, « Translator’s Preface », dans Pierre Biard, s.j., The Jesuit Mission in Acadie and Norembègue, trad. par William Lonc, s.j. et George Topp, s.j., Halifax, William Lonc, 2003, vol. 13 (Early Jesuit Missions in Canada), p. i-ii ; et Gordon M. Sayre, Les Sauvages américains : Representations of Native Americans in French and English Colonial Literature, Chapel Hill/Londres, University of North Carolina Press, 1997, p. xiv-xv.
-
[6]
Voir, à ce propos, les définitions que propose le dictionnaire de Gaffiot (ouvr. cité) par exemple.
-
[7]
Francis Jennings, The Invasion of America : Indians, Colonialism, and the Cant of Conquest, ouvr. cit., p. 44, n. 5 et p. 81, n. 73. En latin classique, l’adjectif ferinus signifie « d’animaux sauvages » ; feritas, « sauvagerie » ou « férocité ». Voir aussi « ferus » s. v., dans Alfred Ernout et Antoine Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine, Paris, Klincksieck, 2001, p. 230-231.
-
[8]
La traduction en français est d’Irena Trujic (désormais désignée par les lettres initiales IT).
-
[9]
Je cite ces textes selon l’édition établie par Lucien Campeau, s.j., Monumenta Novae Franciae, Rome/Québec, Monumenta Hist. Soc. Jesu/Presses de l’Université Laval, 1967-1990, vol. 1 à 5. Tous les titres, dates et attributions d’auteurs que je donne pour ces documents sont ceux auxquels renvoie Campeau. Je me réfère principalement à trois auteurs : Pierre Biard, Le P. Pierre Biard au P. Claude Aquaviva, 31 janvier 1612 ; Le P. Pierre Biard au P. Claude Aquaviva, 26 mai 1614 ; In Novam Franciam, seu Canadiam, missio (dans Lucien Campeau, Monumenta Novae Franciae, ouvr. cité, respectivement, vol. 1, p. 206-225, vol. 1, p. 415-421 et vol. 2, p. 9-38) ; François Ragueneau, Monumenta historica missionis Novae Franciae ab anno 1607 ad 1637 (dans Lucien Campeau, Monumenta Novae Franciae, ouvr. cité, vol. 3, p. 409-463) ; Isaac Jogues, Le P. Isaac Jogues au P. Jean Filleau, 5 août 1643 (dans Lucien Campeau, Monumenta Novae Franciae, ouvr. cité, vol. 5, p. 589-625). Désormais, les références à ces auteurs seront indiquées respectivement
null. par les sigles Bd (Biard), Rg (Ragueneau) et Jg (Jogues), suivis du volume et de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte ou en note. Les traductions en français de ces textes latins sont d’IT.
-
[10]
« Alte iam insedit Canadiorum animis illa sententia » (Bd, vol. 2, p. 35.)
-
[11]
« Epistola […] ad […] Proregem Canadensem » (Isaac Jogues, Epistola Patris Iogues ad excellentissimum dominum Proregem canadensem, Jg, vol. 5, p. 589). Dans la relation datant de 1616, Biard critique l’identification commune du Canada avec la Nouvelle-France, indiquant que « la Nouvelle France » est « communément » appelée « Canada », mais qu’en fait, ce dernier terme « n’est point à proprement parler toute ceste tenue de païs qu’ores on nomme Nouvelle-France, ains est celle tant seulement laquelle s’estend au long des rivages du grand fleuve Canadas [sic] et le golfe de Sainct-Laurens » (Relation de la Nouvelle France, dans Lucien Campeau, Monumenta Novae Franciae, ouvr. cité, vol. 1, p. 464 ; voir également vol. 1, p. 208, n. 21).
-
[12]
« […] paganicos hos mores » ; « haeretici Angli » (Bd, vol. 1, p. 221 et p. 213.)
-
[13]
« […] hi ipsi Borea, ut sic dicam, et Chrystallo nati » (Bd, vol. 1, p. 213.)
-
[14]
« […] haec nemora indigenae Fauni Nymphaeque tenebant/gensque virum truncis et duro robore nata,/quis neque mos neque cultus erat », dans Virgile, Énéide, Opera, éd. R. A. B. Mynors, Oxford, Oxford University Press, 1969, livre viii, v. 314-316. IT traduit ici et ensuite.
-
[15]
« Fructus is extitit, ut ipsi sylvatici […] inceperint aliquid nostra de religione apprehendere » (Bd, vol. 1, p. 222-223.)
-
[16]
« […] gens enim est vaga, sylvestris et sparsa » (Bd, vol. 1, p. 212.)
-
[17]
« […] nos cum ipsis [incolis] vagamur, vivimus, sine armis, sine metu et, quod adhuc apparuerit, sine periculo » (Bd, vol. 1, p. 211.)
-
[18]
« Imberbes fere, et quidem statura communi, breviore paulo ac gracilore quam nostri, at non degenerari tamen aut indecora » (Bd, vol. 1, p. 212.)
-
[19]
« […] liberalitas in Gallos aliquo casu oppressos » (Bd, vol. 1, p. 214).
-
[20]
« […] in summa, belluinis paene hominibus constat ea natio » (Bd, vol. 2, p. 9.)
-
[21]
« […] fera gens et, ut dicitur, anthropophaga » (Bd, vol. 1, p. 209.)
-
[22]
En latin classique, ferus signifie « sauvage », « indompté » ; saevus signifie « poussé à la férocité (tandis que ferus signifie naturellement « féroce ») (« ferus », « saevus », Charlton T. Lewis et Charles Short, A Latin Dictionary, ouvr. cité).
-
[23]
« […] passi sumus […] saeva barbarorum odia » (Jg, vol. 5, p. 598)
-
[24]
« […] solita barbarorum istorum crudelitate » (Jg, vol. 5, p. 621.)
-
[25]
« […] habebat enim et nobiles suos barbaries » (« car la barbarie avait sa propre noblesse », Jg, vol. 5, p. 618).
-
[26]
La description que Biard fait des différents degrés de « férocité » n’est pas sans rappeler le tout début de La guerre des Gaules de César, ouvrage dans lequel ce dernier décrit les différents groupes qui composent la Gaule et en identifie certains comme particulièrement belliqueux.
-
[27]
The Jesuit Relations and Allied Documents. Travels and Explorations of the Jesuit Missionaries in New France, 1610-1791. The original French, Latin and Italian texts, with English translations and notes, éd. Reuben Gold Thwaites et Arthur Edward Jones, Cleveland, Burrows, 1896-1901, 73 vol., vol. 2, p. 67. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle JRAD, suivi du volume et de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte ou en note.
-
[28]
« […] solita ubique crudelitate abductae in captivitatem matres cum pueris », dans Epistola P. Pauli Ragueneau ad R. P. Vincentium Caraffam, Praepositum Generalem Societatis Jesu, Romae (JRAD, vol. 33, p. 258.)
-
[29]
« […] vix sunt homines hoc nomine digni,/quamque lupi, saevae plus feritatis habent », Ovide, Les Tristes, dans Tristium Libri Quinque. Ibis. Ex Ponto Libri Quattuor. Halieutica. Fragmenta., éd. J. G. Owen, Oxford, Oxford University Press, 1991, livre v, 7, v. 45-46. IT traduit.
-
[30]
Tite Live, Ab urbe condita, t. iii, éd. Carolus F. Walters et Robertus S. Conway, Oxford, Oxford University Press, 1958, livre xxii, 5.12 (« Hunc [militem] natura et moribus immitem ferumque […] », IT traduit). Notons que le latin emploie ici un singulier (« militem ») pour un pluriel.
-
[31]
Voir l’entrée « savage », dans William Smith et Theophilus D. Hall, A Copious and Critical English-Latin Dictionary, London, Longmans, Green et co., 1871, réédité sous le nom de Smith’s English-Latin Dictionary, Wauconda (Illinois), Bolchazy-Carducci Publishers, 2000. Notons que la définition proposée correspond à celle de « ferus » dans le Lewis et Short.
-
[32]
Virgile, Énéide, ouvr. cité, livre vii, v. 404 (« inter silvas, inter deserta ferarum »).
-
[33]
Virgile imagine l’origine du monde comme un printemps, lorsque « virum […]/terrea progenies duris caput extulit arvis,/immissaeque ferae silvis et sidera caelo » (Virgil, Georgics : Books 1-2, éd. Richard F. Thomas, vol. 1, Cambridge, Cambridge University Press, 1988, livre ii, v. 341-342).
-
[34]
Biard compare la Nouvelle-France à la France : « Soli autem quin par quoque sit ratio nihil prohiberet, si iugis adesset campestris terrae cultura et perpetuarum fere silvarum abesset densa opacitas ».
-
[35]
« Nam cum aere, ferro, cannabe, lana, frugibus atque omni fere artificio barbari careant, haec a Gallis accipiunt ».
-
[36]
« […] est summa apud appellationum gentem eam penuria et alta ignoratio rerum quoque ».
-
[37]
« […] vix ulla Numinis cogitatione aut salutis cura [informati] ».
-
[38]
« […] ex Huronibus unum nomine Amantacha, quod parvum castorem sonat eorum lingua » (« un des Hurons, nommé Amantacha, ce qui signifie “petit castor” dans leur langue »). IT traduit.
-
[39]
« Hic adolescens Rothomagi ac Parisiis praesertim tam multa dedit ingenii, iudicii, prudentiae ac bonae indolis argumenta, facile ut multis persuaserit eos homines non tam natura barbaros esse quam vita ac defectu culturae et ignoratione virtutis peccare potius quam ingeniti sensus ; et seminum quae ad omnem virtutem omnemque disciplinam a natura ut et Europaei innata atque insita habent quidem, sed ea certe morum licentia, peccandi consuetudine ac vitiorum omnium corruptela altissime obruunt atque extinguunt ».
-
[40]
Ragueneau reprendra le même argument dans ses commentaires à propos d’une autre conversion : « […] Eodem naturae lumine inductus » (« Dirigé par la même lumière de la nature ») ; « […] ex lege ductuque naturae » (« selon la loi et l’orientation de la nature »). (Rg, vol. 3, p. 415).
-
[41]
Yasmin A. Haskell, Loyola’s Bees : Ideology and Industry in Jesuit Latin Didactic Poetry, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 48-49.
-
[42]
« Sponte sua quae se tollunt in luminis oras,/infecunda quidem, sed laeta et fortia surgunt ;/quippe solo natura subest, tamen haec quoque, si quis/inserat aut scrobibus mandet mutata subactis,/exuerint siluestrem animum, cultuque frequenti/in quascumque uoces artis haud tarda sequentur » (Virgile, Géorgiques, ouvr. cité, livre ii, v. 47-52).
-
[43]
Virgile, Géorgiques, ouvr. cité, p. 166, note 51.
-
[44]
« […] illam vineae Christi partem diligenter excoluerunt hodieque magno incolarum fructu excolere pergunt ».
-
[45]
« [Homines] vulgivago vitam tractabant more ferarum […] denique nota vagi silvestria templa tenebant/nympharum […] nemora atque cavos montis silvasque colebant » (Lucrèce, De rerum natura, éd. Cyrillus Bailey, Oxford, Oxford University Press, 1978, livre v, v. 931, 948-949 et 955).
-
[46]
En 1610, Lescarbot se réfère à Tacite dans son ouvrage La conversion des sauvages qui ont esté baptizés en la Nouvelle France cette année 1610 (dans Lucien Campeau, Monumenta Novae Franciae, ouvr. cité, vol. 1, p. 80). Voir également Anthony Grafton, New Worlds, Ancient Texts : The Power of Tradition and the Shock of Discovery, Cambridge (Massachusetts), Belknap Press of Harvard University Press, 1992, p. 42-43.
-
[47]
« Fennis mira feritas, foeda paupertas : non arma, non equi, non penates ; victui herba, vestitui pelles, cubile humus : solae in sagittis spes, quas inopia ferri ossibus aspirant » (Tacite, De origine et situ Germanorum, in Opera minora, éd. Henricus Furneaux et J. G. C. Anderson, Oxford, Oxford University Press, 1962, 46, 3) IT traduit. Voir également Christophe Colomb, The Four Voyages, éd. et trad. par J. M. Cohen, Londres, Cresset Library, 1969, p. 55 : « Ils n’ont pas de fer. Leurs lances sont faites de roseau. Certaines ont une dent de poisson au lieu d’une pointe de fer. » IT traduit.
-
[48]
« […] sedibus incertis vagabantur » et « Aborigines, genus hominum agreste, sine legibus, sine imperio, liberum atque solutum » (Salluste, De coniuratione Catilinae, 6 dans Catalina. Iugurtha. Historiarum Fragmenta Selecta. Appendix Sallustiana, éd. L. D. Reynolds, Oxford, Oxford Classical Texts, 1991.
-
[49]
« [Formed] for the wilderness » (Washington Irving, « Traits of Indian Character », dans History, Tales, and Sketches, New York, Viking Press, 1983, p. 1002.) Je traduis.
-
[50]
William Apess, On Our Own Ground : The Complete Writings of William Apess, A Pequot, éd. Barry O’Connell, Amherst, University of Massachusetts Press, 1992, p. 1. Ce titre appelle quelques commentaires. O’Connell suggère la possibilité qu’Apess n’ait pas été l’« auteur principal ou unique des livres publiés sous son nom » (Introduction, p. xliii) mais conclut qu’il en a choisi le titre — voir l’excellente étude d’O’Connell (Introduction, p. l-liii) dans laquelle il réfléchit sur l’origine du titre, soulignant qu’Irving et d’autres écrivains américains avaient « fait du concept des Indiens comme enfants de la forêt un lieu commun » (Introduction, p. li). Apess lui-même discute de cette question de dénomination dans A Son of the Forest : « Mais le terme adéquat qui devrait être appliqué à notre nation, pour la distinguer du reste de la famille humaine est celui d’autochtones » (p. 10). En conclusion de son autobiographie, Apess emploie la périphrase « autochtones des forêts » (« natives of the forest ») : « Regardez, mes frères, les autochtones de la forêt — ils viennent, bien que vous les appeliez sauvages […] » (p. 51). L’étude approfondie des origines latines de ces termes anglais pourra certainement contribuer au souhait formulé par O’Connell « d’avoir un compte rendu exact de l’origine et de la diffusion de l’expression et du concept des Indiens comme enfants de la forêt » (Introduction, p. li). IT traduit.
-
[51]
Ces textes du xviie siècle ont été importants dans l’avènement des Lumières. Voir Gilbert Chinard, L’Amérique et le rêve exotique dans la littérature française au xviie et xviiie siècle, Paris, Hachette, 1934, p. 122-150 ; J. H. Kennedy, Jesuit and Savage in New France, New Haven, Yale University Press, 1950 ; et George R. Healy, « The French Jesuits and the Idea of the Noble Savage », William and Mary Quarterly, 3e ser., no 15, 1958, p. 143-167.
-
[52]
Outre les ouvrages cités dans cet article, voir par exemple les propos de John Demos : les « premiers missionnaires jésuites […] avaient vu — réellement vu — des Indiens, mieux que les autres colons “blancs” » (The Unredeemed Captive : A Family Story From Early America, New York, Alfred Knopf/ Random House, 1995, p. xi-xii ; IT traduit). Voir également les articles dans Frank Lestringant (dir.), La France-Amérique (xvie-xviiie siècles) : Actes du xxxve colloque international d’études humanistes, Paris, Champion, 1998 ; Norman Doiron, « Songes sauvages : de l’interprétation jésuite des songes amérindiens au xviie siècle », L’esprit créateur, vol. xxx, no 3 (Discours du voyage au Nouveau Monde), 1990, p. 59-66 ; Norman Doiron, « Rhétorique jésuite de l’éloquence sauvage au xviie siècle. Les Relations de Paul Lejeune (1632-1642) », Revue xviie siècle, no 173, 1991, p. 375-402. En 1934, Chinard écrit dans L’Amérique et le rêve exotique, ouvr. cité, p. 122 : « Quand on parcourt aujourd’hui les Relations des Jésuites, on ne peut s’empêcher de se demander comment la critique a pu si longtemps ignorer des documents de cette importance » [cité en français dans le texte].
-
[53]
Voir Daniel K. Richter, Facing East from Indian Country : A Native History of Early America, Cambridge (Massachusetts), Harvard University Press, 2001, p. 10.
-
[54]
Marie de France, Les lais de Marie de France, éd. Jean Rychner, Paris, Champion, 1983, p. 61 : « Jadis le poeit hum oïr/E sovent suleit avenir,/Hume plusur garval devindrent/E es bocages meisun tindrent./Garvalf, ceo est beste salvage […]. » IT traduit.
-
[55]
Ainsi, par exemple, dans Le paysan du Danube (11.7, lignes 86-87) de Jean de La Fontaine, « le grand coeur, le bon sens, l’éloquence du sauvage » provoquent l’admiration des Romains corrompus et, pour un court moment, un changement dans leurs habitudes (La Fontaine, Oeuvres complètes, éd. Jean-Pierre Collinet, Paris, Gallimard, 1991, vol. 1 (Fables ; contes et nouvelles), p. 440).
-
[56]
Dans cet article, nous avons vu des exemples d’oeuvres latines classiques qui peuvent être reliées aux descriptions jésuites des Amérindiens, mais il faut également tenir compte de la modernité de la formation des missionnaires en histoire et en géographie. Voir François de Dainville, L’éducation des Jésuites (xvie-xviiie siècles), Paris, Minuit, 1978, p. 427-470.
-
[57]
Jozef IJsewijn, Companion to Neo-Latin Studies, I. History and Diffusion of Neo-Latin Literature, Leuven, Leuven University Press, 1990, p. 287-288. On pourra également consulter Jean-François Cottier (dir.), Tangence, no 92 (À la recherche d’un signe oublié : le patrimoine latin du Québec et sa culture classique), 2010.
-
[58]
« Volenti mihi ad Reverentiam Vestram scribere quanam lingua id facerem primo dubium fuit. Utriusque enim sermonis post tam longam intermissionem paene oblitus, tam in uno quam in altero difficultatem patiebar ». IT traduit.
-
[59]
Margaret J. Leahey, « “Comment peut un muet prescher l’évangile ?” : Jesuit Missionaries and the Native Languages of New France », French Historical Studies, no 19, 1995, p. 105. Pour un autre exemple de lecture critique de ces récits, voir Daniel B. Thorp, « Equals of the King : The Balance of Power in Early Acadia », Acadiensis, no 22, 1996, p. 3-17.
-
[60]
L. C. Green et Olive P. Dickason, The Law of Nations and the New World, Edmonton, University of Alberta Press, 1989, p. 18. Voir également Lewis Hanke, « Pope Paul iii and the American Indians », Harvard Theological Review, no 30, 1937, p. 65-102 ; Lewis Hanke, « The Theological Significance of the Discovery of America », dans Fredi Chiappelli (dir.), First Images of America : The Impact of the New World on the Old, Berkeley, University of California Press, 1976, 2 vol., vol. 1, p. 363-374 ; et W. R. Jones, « The Imagae of the Barbarian in Medieval Europe », Comparative Studies in Society and History, no 13, 1971, p. 376-407.
-
[61]
Platon, Phèdre, 230a, dans Opera, éd. Ioannes Burnet, Oxford, Clarendon Press, 1953. L’auteur a traduit le terme grec thêrion par « wild animal » d’après la définition donnée dans Henry G. Liddell et Robert Scott, A Greek-English Lexicon, rev. by Henry Stuart Jones, Oxford, Clarendon Press, 1996. La traduction en français est de IT.