Corps de l’article
On peut considérer l’Histoire des aventuriers flibustiers comme un des textes fondateurs de l’imaginaire mythique moderne sur la flibuste. Publié d’abord en néerlandais, en 1678, puis dans une édition augmentée et remaniée, en français, en 1686, sous le nom de l’obscur chirurgien Alexandre-Olivier Exquemelin, ce récit sur l’Amérique flibustière tient à la fois de la relation de voyage, du portrait, de la description géographique et ethnographique et de l’histoire. L’édition qui nous est proposée s’accompagne d’une introduction substantielle sur l’histoire de la flibuste et du texte même d’Exquemelin, soigneusement établi par Réal Ouellet. Un appareil critique imposant sans être trop lourd, un glossaire, un index, une bibliographie fouillée, quelques documents connexes reproduits en appendice et une notice biographique des principaux marins mentionnés dans le récit de 1686 complètent l’ouvrage.
Le récit d’Exquemelin
Après l’épître et la préface d’usage, une première partie passe brièvement sur les circonstances ayant mené le narrateur jusqu’à l’île de la Tortue pour faire l’histoire de cette île et de Saint-Domingue. Elle consacre ensuite plusieurs chapitres à la description de la faune, de la flore et des usages que l’on peut en faire (les gourmands se délecteront à la lecture du chapitre VIII intitulé « Manière de faire le chocolat et de cultiver l’arbre qui produit la graine dont on le fait ») avant de se terminer sur une description des boucaniers et des habitants des Antilles. Les trois autres parties se consacrent globalement à retracer les exploits plus ou moins recommandables (et plutôt moins que plus !) de quelques aventuriers célèbres, dont ceux de Jean-David Nau dit l’Olonnais, renommé pour sa haine des Espagnols, ou du fameux corsaire Henry Morgan, dont les redoutables méthodes de pillage en firent le « premier de tous les aventuriers de la Jamaïque ». On trouvera notamment, au chapitre VIII de la troisième partie, le détail d’une « chasse-partie » un peu particulière : par cet accord entre tous les membres d’une expédition sur le partage des prises, on indemnisait notamment les corsaires estropiés au prorata de leurs blessures (pour la perte d’une jambe : 500 piastres ; pour deux jambes : 1 500 écus ou 15 esclaves !).
Peu impliqué dans les descriptions qu’il propose, le narrateur apparaît davantage comme un témoin involontaire ou compatissant que comme un protagoniste actif des événements qu’il décrit. Cette absence relative de « héros » ne rend que plus saisissantes les péripéties associées à la vie de ces flibustiers trop souvent confondus avec les pirates, enrôlés de force comme Exquemelin ou venus chercher aux Antilles un espoir de richesse ou de mieux-être. Faut-il reconnaître ce narrateur dans la description du grand corsaire Alexandre qui clôt la seconde partie (p. 249-252), personnage (semble-t-il imaginaire) dont le témoignage sert à attester de la véracité de ces histoires rapportées, « extraordinaires » pour le moins ? Cet Alexandre qui, affirme le texte, « passait fort légèrement sur ce qui le regardait et appuyait beaucoup sur ce qui concernait les autres » ressemble fort, en effet, au « je » écrivant du texte !
L’appareil critique
En l’absence de tout manuscrit, le choix d’un texte de base pour ce récit dont on ignore à peu près tout de l’auteur, et qui a été transformé parfois substantiellement d’une édition ou d’une traduction à une autre, n’a pas dû être une mince tâche. L’édition française de 1686 qui a retenu les suffrages a néanmoins donné lieu à un texte soigné qui ne dépare en rien l’extraordinaire travail d’édition auquel nous sommes habitués de la part de Réal Ouellet. Même si l’orthographe, l’accentuation et la ponctuation ont été modernisées pour une meilleure lisibilité, le souci historique qui caractérise aussi bien le récit d’Exquemelin que l’édition qu’en ont faite Réal Ouellet et Patrick Villiers mérite d’être souligné. Saluons également la présence d’un glossaire, qui évite au lecteur la fastidieuse tâche de consulter les dictionnaires anciens ou spécialisés, et celle d’un index thématique et onomastique, indispensable au chercheur.
En somme
Comme le soulignent les éditeurs, l’imaginaire occidental n’a guère retenu des expéditions flibustières que « les grandes scènes d’intrépidité conquérante, de solidarité égalitariste et de dissipation rapide du butin accumulé ». L’Histoire des aventuriers flibustiers permet de remonter aux sources de cette représentation et de mieux connaître le contexte de la flibuste à la fin du xviie siècle. Mais il offre aussi, et surtout, quelques heures d’un véritable bonheur de lecture.