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Introduction

Le placement est un évènement d’exception dont les répercussions familiales et individuelles sont marquantes, tant pour les enfants que pour les parents. Pour le parent d’origine, les conséquences sont évidentes : il se voit retirer ses responsabilités parentales (MSSS, 2010), constate le rôle significatif du parent d’accueil auprès de son enfant (Höjer, 2011 ; Martínez et al., 2016), se trouve forcé de redéfinir son identité comme parent (Höjer, 2011 ; Noël, 2014), voire doit se résoudre à en faire le deuil (Noël, 2014). Ces défis ne sont pas sans conséquence pour le parent d’origine (Drapeau et al., 2015 ; Malet et al., 2010), d’autant plus qu’ils se juxtaposent aux vulnérabilités déjà présentes chez ces parents (Schofield et Ward, 2011).

Lorsque le placement de l’enfant est requis, la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) rappelle la primauté de la réunification au milieu d’origine comme projet de vie, soit assurer la stabilité de l’enfant dans un milieu ainsi que la continuité des soins (MSSS, 2010), et encourage le maintien de la participation du parent d’origine lorsque le placement doit se prolonger. Ainsi, la préservation de l’engagement du parent d’origine parait indispensable à l’application de ces principes. Il devient évident que la parentalité du parent d’origine est mise à l’épreuve à répétition au cours de la mesure de placement et qu’il est pertinent de se pencher sur ce contexte unique de parentalité. Or, les enjeux liés à la parentalité des parents d’origine à la suite du placement de leur enfant en famille d’accueil demeurent peu étudiés.

L’implication parentale

La recherche s’est surtout penchée sur l’implication des parents d’origine auprès de leur enfant suivi par les services de protection de la jeunesse (SPJ) en examinant leur participation aux services offerts, aux décisions à prendre pour l’enfant et aux contacts parent-enfant à la suite du placement (Ainsworth, 1998 ; Blumenthal, 1984 ; Green et Goodman, 2010 ; Poirier et Simard, 2006). Or, la thématique de l’implication parentale ne rend pas justice à la composante affective qui est centrale à la relation parent-enfant. Ainsi, notre étude souhaite s’arrêter sur l’engagement parental comme composante de la parentalité des parents d’origine à la suite d’une mesure de placement.

L’engagement parental

L’engagement parental réfère à la capacité du parent à s’investir dans une relation significative et durable auprès de son enfant et à reconnaitre son influence significative sur lui (Bates et Dozier, 2002 ; Dozier et Lindhiem, 2006). Cette composante de la parentalité implique également l’expérience affective de la parentalité à l’égard d’un enfant en particulier et se traduit, selon certains chercheurs, par le plaisir qui est communiqué au moment où le parent évoque son enfant ou interagit avec lui (Bernard et Dozier, 2011 ; Britner, Marvin et Pianta, 2005). Les recherches sur l’engagement en contexte de placement ont principalement porté sur les parents d’accueil (Dozier et Lindhiem, 2006 ; Dubois-Comtois et al., 2015 ; Poitras et Tarabulsy, 2017) et semblent indiquer que cette composante de la parentalité peut être éprouvée par les circonstances extraordinaires du placement (Bates et Dozier, 2002). C’est cette même raison qui motive à se pencher sur l’engagement des parents d’origine exposés au placement de leur enfant.

Les chercheurs soulignent d’autres éléments centraux dans l’expérience de la parentalité en contexte de placement telle que rapportée par des parents d’origine, dont l’expérience des contacts (Kiraly et Humphreys, 2015), les changements sur le plan de l’identité parentale (Noël, 2018) et la coparentalité (Höjer, 2009 ; Kiraly et Humphreys, 2015 ; Montalto et Linares, 2011). Il est également question de l’influence du type de famille d’accueil sur l’expérience de la parentalité (Chateauneuf, Turcotte et Drapeau, 2018 ; Dorval, 2020 ; Drapeau et al., 2015 ; Noël, 2018). Pourtant, à ce jour, la littérature s’intéressant au contexte des SPJ s’est très peu penchée sur la perspective des parents d’origine en ce qui a trait à leur engagement parental.

L’expérience des parents d’origine est influencée par de multiples facteurs dans ce contexte et plusieurs chercheurs invitent à en faire l’examen avec une approche systémique, notamment en raison des impacts des SPJ sur les familles en contexte de placement (Lacharité, 2015 ; Lacharité, Éthier et Nolin, 2006 ; Minuchin, Colapinto et Minuchin, 2007). En effet, l’écologie sociale au sein des SPJ induit une hiérarchie : l’enfant s’installe au centre de la configuration systémique (Lacharité, 2015 ; Lafantaisie, Milot et Lacharité, 2018), tandis que les familles d’accueil ont tendance à être clivées positivement par rapport aux familles d’origine et que l’intervenant se positionne au sommet de la hiérarchie (Minuchin et al., 2007). Or, cette configuration pourrait favoriser un climat accusateur à l’encontre de l’environnement familial d’origine jugé inadéquat et perçu comme étant dépourvu de ressources (Minuchin et al., 2007), contribuant ainsi à exclure les parents d’origine du dialogue (Lacharité et Lafantaisie, 2016 ; Lafantaisie et al., 2018).

Pourtant, plusieurs chercheurs rappellent la pertinence de se pencher sur l’expérience des parents d’origine en contexte de placement, ceux-ci représentant une population vulnérable jusqu’à maintenant négligée dans la recherche (Drapeau et al., 2015 ; Kiraly et Humphreys, 2015). En effet, le point de vue de ces parents est d’une grande pertinence pour réfléchir aux meilleures pratiques en matière de protection de la jeunesse. Les défis auxquels ils font face sont majeurs (Drapeau et al., 2015 ; Drapeau, Poitras, Turcotte, et Turcotte, 2012) et leur point de vue sur les embûches et les facilitateurs à leur engagement parental est crucial. Une connaissance plus approfondie de ce sujet pourrait contribuer à soutenir les réflexions quant à des services cohérents avec les principes de la LPJ, notamment par rapport à la protection des enfants et à la préservation des liens familiaux. Cette étude offre précisément une tribune aux parents d’origine dans le but d’intégrer leur point de vue à une perspective systémique de la parentalité.

Questions de recherche

Cette étude exploratoire qualitative se penche sur le vécu expérientiel de mères d’origine dont au moins un enfant est placé en famille d’accueil et vise à : (1) mettre en lumière l’expérience de la parentalité des mères d’origine dans les circonstances uniques du placement de l’enfant en décrivant les manifestations de leur engagement parental ; (2) documenter les éléments pouvant contribuer à entretenir ou à faire s’essouffler l’engagement parental, en portant une attention particulière à l’influence de la configuration systémique propre au contexte du placement.

Méthode

Description de l’échantillon

Cette étude s’inscrit dans un projet de recherche de plus grande envergure (Poitras et Tarabulsy, 2016 ; Poitras et Tarabulsy, 2017 ; Poitras et al., 2017), portant sur les parents d’origine dont l’enfant est placé. Environ six ans après leur participation à la recherche, tous les parents ayant consenti à être sollicités de nouveau sont contactés. Lors du premier contact téléphonique avec le parent, les informations relatives à l’étude lui sont présentées et un entretien de recherche est planifié à son domicile. Sur l’échantillon d’origine composé de 76 participants (Poitras, 2014), 16 parents ont pu être joints, parmi lesquels 11 ont accepté de participer à ce volet de l’étude. Parmi ces derniers, les données ont été retirées pour deux participants, considérant le manque d’informations qui était trop important. L’échantillon est donc composé de neuf mères d’origine, dont trois ont deux enfants. L’engagement parental étant spécifique à un enfant particulier, un entretien de recherche a été effectué pour chacun des enfants ayant vécu ou vivant une mesure de placement. Ainsi, 12 entrevues individuelles ont été effectuées (tableau 1).

Neuf enfants sont placés en famille d’accueil, et ce, jusqu’à leur majorité : cinq dans une famille d’accueil régulière, un dans une famille à vocation adoptive et trois vivent avec des membres de leur famille élargie. Quant aux trois autres enfants, deux ont été adoptés par la famille d’accueil à vocation adoptive où ils avaient été préalablement placés et un enfant est réunifié auprès de son père. Bien que ces trois dernières situations puissent soulever des enjeux très différents sur le plan de l’engagement parental, nous avons fait le choix de n’exclure aucune famille. En effet, il est entendu que l’engagement parental en contexte de placement se déploie dans des circonstances extraordinaires (Dozier, Stovall, Albus, et Bates ; 2001), et nous proposons précisément d’examiner un ensemble de situations de placement dans lesquelles la parentalité des mères d’origine participantes est mise à l’épreuve. Ainsi, il est possible qu’un parent puisse continuer de se sentir parent même lorsqu’aucun contact parent-enfant n’est maintenu, voire alors que l’enfant a été adopté.

Au moment de la rencontre, ces mères ont entre 26 et 35 ans (M = 29,0 ÉT = 2,39) et leurs enfants ont en moyenne sept ans (ÉT = 2,0). La fréquence des contacts mère-enfant varie entre une à deux fois par mois (41,67 %) et plus de quatre fois par mois (33,34 %), alors que les autres dyades mère-enfant (25,0 %) n’ont plus de contacts depuis au moins deux ans.

Procédure de collecte de données

Les entrevues, dont la durée varie entre 45 et 100 minutes, ont été effectuées à domicile en privilégiant une pièce tranquille et sans distraction. Le consentement écrit, autorisant l’enregistrement audio de l’entrevue, a été obtenu pour huit participantes. Pour la neuvième mère, l’entrevue s’est effectuée en prenant des notes sous forme de verbatim. L’ensemble des entretiens de recherche ont été retranscrits à l’ordinateur.

Un questionnaire a permis de colliger des données sociodémographiques et le canevas d’entrevue semi-structurée incluait différents thèmes, dont l’expérience de la mesure de placement (p. ex. : « Comment avez-vous vécu la mesure de placement ? »), le vécu des contacts (p. ex. : « Quelle est votre expérience des contacts avec votre enfant ? ») et la relation à l’enfant en rapport avec le contexte de placement (p. ex. : « Quelles sont les conséquences (positives ou négatives) de la mesure de placement sur les interactions avec votre enfant ? »). Les questions du This Is My Baby Interview (TIMB ; Bates et Dozier, 1998), qui visent à susciter des manifestations d’engagement parental ont été exploitées (p. ex. : « De quelle façon pensez-vous que votre relation avec votre enfant l’influence en ce moment ? »). Des questions supplémentaires ont également permis d’interroger les mères sur leurs perceptions concernant leur propre engagement parental (« Comment vous décririez-vous comme un parent engagé ? »), ce qui pourrait contribuer à nourrir ou freiner cette composante de leur parentalité (« Quels seraient les obstacles/facilitateurs à votre engagement envers votre enfant ? ») ainsi que la qualité du lien affectif (« Comment vous sentez-vous liée à votre enfant malgré les circonstances du placement ? »). Les moyens de collecte de données comprenaient également un journal permettant de consigner les réflexions de la chercheuse principale. Les rencontres ont été menées par deux candidates au doctorat en psychologie sensibles à la réalité des mères en contexte de placement. Enfin, une compensation financière de 20 $ était offerte aux participantes afin de les remercier du temps investi dans ce projet.

Stratégie d’analyse des données

Le matériel a été traité en adoptant l’approche phénoménologique (Meyor, 2005), qui vise à rendre compte des phénomènes tels qu’ils se présentent à la conscience des participantes ; il s’agissait en effet de mettre en valeur la perception des parents d’origine relativement aux questions sur lesquelles portait la recherche. Le contenu qualitatif a été traité selon des analyses thématiques (Paillé et Mucchielli, 2012) qui impliquent de diviser les verbalisations sous forme de thématiques significatives (Mayer et Deslauriers, 2000) afin de bien en comprendre le contenu des entrevues. Le processus d’analyse suggère de recourir aux étapes suivantes (Mayer et Deslauriers, 2000). D’abord, les données ont été anonymisées en donnant des prénoms fictifs aux participantes. Les enregistrements des entrevues ont été transcrits en détail, y compris les éléments non verbaux, l’état affectif du parent au fil de l’entrevue de même que des discontinuités dans le discours. Ce souci du détail se veut un effort supplémentaire afin de capturer au mieux la manière avec laquelle le parent d’origine partage son vécu expérientiel. Ensuite, l’analyse et l’organisation des données ont été effectuées via le logiciel N’Vivo 10. Une lecture flottante permettait de se familiariser avec les données et d’amorcer un système de codage. Les catégories d’analyse ont découlé des objectifs de recherche, avec l’engagement parental comme thème central. Enfin, après avoir terminé l’analyse de quelques entrevues, le système de codage a été ajusté en ajoutant, combinant et éliminant des codes. Diverses stratégies – journal de recherche, échanges sous forme d’allers-retours avec des tiers et la coauteure – ont été utilisées afin d’optimiser la validité des résultats (Mukamurera, Lacourse et Couturier, 2006).

Tableau 1

Caractéristiques de l’échantillon

Caractéristiques de l’échantillon

FAR = Famille d’accueil régulière FÉP = Famille élargie paternelle FÉM = Famille élargie maternelle FABM = Famille d’accueil banque mixte

a Enfant(s) biologique(s) ou non et qui demeurent dans le milieu avec la mère ; DM = Donnée manquante ; c Sans objet = ne s’applique pas à la participante

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Résultats

Les analyses permettent d’abord de documenter l’engagement parental et ses manifestations. Les entrevues révèlent que les mères évoquent leur engagement parental selon deux modalités, soit les actions concrètes et l’engagement affectif.

L’engagement parental des mères d’origine

Les mères d’origine se réfèrent à leur engagement parental selon deux modalités. D’une part, leur expérience de l’engagement est évoquée par l’intermédiaire d’actions concrètes dans le quotidien de l’enfant : « L’école, les rencontres à l’école, le médecin, la pédiatre, tout tout tout ce que tu veux comme rendez-vous je suis présente !  » (Marie, enfant 1). En effet, il peut s’agir de participer aux rendez-vous – professionnels de la santé, milieu scolaire – de l’enfant, de maintenir des contacts réguliers sous diverses formes ou encore de participer aux activités parascolaires. Les mères mettent en évidence l’importance qu’elles accordent au fait d’être dans la vie de leur enfant, donc à leur rôle parental, ce qui semble constituer en soi une manifestation de la vivacité de leur engagement parental. Cela dit, les mères n’ayant plus de contacts n’évoquent pas leur engagement au travers de ce genre de manifestation.

D’autre part, certaines manifestations d’engagement transcendent le discours des mères et attestent de leur engagement affectif. En effet, plusieurs mères expriment de vives émotions au moment d’évoquer leur enfant qui transparaissent également par des indices non verbaux (p. ex. : rires, sourires, soupirs, pleurs), rappelant l’engagement psychoaffectif lié à la relation parent-enfant tel que décrit par Bernard et Dozier (2011). Certaines mères évoquent ce qui rend leur enfant unique, en quoi il leur ressemble ou encore ce qui caractérise leur relation. La tendresse exprimée rend compte de l’engagement parental, comme c’est le cas pour Jessica qui se représente avec un sourire le fait de retrouver son garçon lors de leur contact mensuel : « Ah c’est l’fun, ouais, j’aime bien ça mettons. […] il a tout le temps de la jasette, il a tout le temps une histoire, une nouvelle à me raconter […]. » Les mères expriment parfois leur engagement psychologique et affectif en évoquant l’absence de l’enfant, le vide qu’il laisse derrière lui entre chaque contact. « Toutes les fois que je rentre ici, je m’ennuie, je trouve qu’il y a un vide. Ce n’est pas le fait que je n’ai pas personne, c’est que j’ai la sensation qu’il me manque quelque chose […]  » (Josée, enfant 2). De plus, il semble que même en l’absence de contacts avec leur enfant, le vécu affectif demeure parfois bien vivant et Sylvie (enfant 2) s’illumine au moment d’évoquer avec tendresse certains souvenirs : « […] écoute c’était souriant comme tout, ça ne pétait pas de crise, une douceur incarnée, la nuit je la bordais, je la berçais un peu, je la prenais, je la mettais dans sa couchette […]. » Cela dit, l’absence de contacts perturbe le sentiment d’être le parent de son enfant, comme le nomme Luce avec impuissance : « […] le lien [n’]est plus le même, il n’y a comme plus de lien je te dirais, oui il va tout le temps rester mon gars, oui je le veux avec moi, mais ce lien là il faut que je le recrée […]. » Il devient évident que l’engagement parental des mères peut prendre diverses formes et que ses manifestations peuvent fluctuer selon des composantes de l’environnement et de la trajectoire de placement.

Regard systémique sur l’engagement parental

Les entrevues dévoilent également quatre sphères pouvant contribuer à nourrir ou à décourager l’engagement parental. Premièrement, la relation à l’enfant est susceptible d’avoir un impact sur l’engagement parental des mères rencontrées. Deuxièmement, la relation avec les parents d’accueil est centrale dans l’expérience des mères d’origine au sein du placement. De plus, ces relations, avec l’enfant et les parents d’accueil, sont susceptibles d’être teintées par le type de milieu d’accueil. Troisièmement, les propos des mères d’origine rencontrées mettent également en évidence que la relation aux SPJ exerce une influence sur leur vécu de la parentalité. Quatrièmement, la représentation sociale du rôle parental a aussi un impact sur la capacité des mères à s’engager auprès de leur enfant en contexte de placement. Ces quatre contextes – enfant, parent d’accueil, dispositif des SPJ, représentation sociale de la parentalité – révèlent les influences systémiques sur l’engagement parental des mères d’origine rencontrées.

Relation mère-enfant

La relation avec l’enfant est un espace privilégié de l’expérience des mères. Elles soulignent les effets bénéfiques d’être reconnues à titre de figure parentale par leur enfant. Jessica évoque avec émotion son engagement parental en exprimant ce qui vient lui permettre d’actualiser son rôle de mère :

[…] on a créé un lien quand même fort. Même des fois il se colle après moi, pis il y a une fois je ne sais pas d’où qu’il a sorti ça mais il a dit « je t’aime » […] fait que ouain, j’ai comme les larmes aux yeux. Fait que non, je pense qu’il sait ça que je suis sa mère.

Toutefois, la relation est parfois fragilisée de par le contexte du placement, comme l’évoque avec impuissance Josée (enfant 1) dont l’enfant a été placée très tôt  : « […] Oui elle m’a connue parce qu’elle n’a pas le choix, je suis sa mère, mais t’sais ce n’est pas un lien d’attachement aussi intense. » De toute évidence, cela vient mettre à l’épreuve la légitimité du rôle parental : « [Mon enfant] m’a même appelée gardienne. Ça, ça fait mal » (Julie). D’ailleurs, face à la précarité de la relation avec leur enfant, ou même à l’absence de relation, certaines se soumettent à un processus de deuil du rôle parental, venant éteindre leur engagement parental : « Je ne suis pas indifférente, mais je me dis […] si je veux survivre un minimum je n’ai comme pas le choix […] C’est un deuil en soi » (Sylvie, enfant 1). Malgré tout, il semble que l’engagement puisse se manifester de par le lien filial qui transcende l’absence de contacts, comme c’est le cas pour Luce qui conserve une posture inébranlable : « […] oui il va tout le temps rester mon [enfant], oui je le veux avec moi […]. »

Relation avec les parents d’accueil

La relation avec les parents d’accueil permet aux mères d’origine d’actualiser leur engagement parental. Nos analyses révèlent trois dimensions de cette relation qui semblent évoluer selon un continuum, soit : communiquer, collaborer et coexister. D’abord, la communication réfère à des échanges en lien à l’enfant (p. ex., développement, fonctionnement en milieu scolaire et familial) ou aux informations liées à la vie quotidienne et à l’organisation (p. ex., transports, rendez-vous). La communication peut prendre diverses formes – échanges en personne ou au téléphone, outils de communication variés. Véronique évoque d’ailleurs une stratégie qui contribue à la maintenir active dans la relation à son enfant :

Donc nous autres on se communique beaucoup au contact, on a un cahier de communication, [la famille d’accueil] m’explique comment ç’a été pis moi j’explique ce qu’on a fait dans la journée pis si ç’a bien été […], s’il a fallu que j’intervienne beaucoup ou quoi. 

Ensuite, une relation de collaboration semble être un appui important à l’engagement parental. Les propos de nos participantes exposent qu’il est possible pour la mère d’origine et le milieu d’accueil de travailler de pair afin d’optimiser les soins offerts à l’enfant comme c’est le cas pour Marie (enfant 1) :

Même que quand il allait en orthopédagogie ici à l’école – il avait des cours pour la lecture pis tout, il avait de la difficulté –, écoute, parfois je n’avais pas de transport… on s’appelait toujours la veille pis [la famille d’accueil] me disait : « As-tu un transport ? » Là j’ai dit non, [la famille d’accueil] passait, me ramassait et on y allait ensemble, parce qu’elle sait que [enfant] tient beaucoup à ce que maman soit là. 

Le fait d’être prise en considération pour des décisions concernant l’enfant semble être un soutien essentiel à l’engagement parental pour plusieurs mères : « […] il va commencer les cours de hip hop, pis [la famille d’accueil] m’a même demandé l’autorisation pour qu’il en fasse pis aussi l’autorisation pour qu’il soit filmé » (Jessica). La flexibilité des milieux d’accueil est aussi très appréciée et offre aux mères une forme d’autonomie dans l’exercice de leur rôle parental, encourageant le désir de se mobiliser auprès de leur enfant. Jessica semble reconnaissante du fait qu’elle puisse déplacer sans difficulté, si nécessaire, le moment prévu du contact avec son enfant, un moment qu’elle chérit tout particulièrement :

[…] il fallait que je l’aille à l’Action de grâce, pis j’avais comme un début de rhume pis je parlais du nez, fait que je l’ai annulé la journée avant pour ne pas lui donner, pis […] j’ai eu la chance d’avoir une journée pédagogique vendredi passé. […] Ouais, [la famille d’accueil est] quand même bien conciliant[e].

Enfin, nos analyses suggèrent que la réciprocité des deux systèmes familiaux peut les autoriser à coexister, ce qui pourrait soutenir l’engagement parental. Dans ces circonstances exceptionnelles, les milieux d’origine et d’accueil peuvent participer à une activité triadique sans que cela induise un conflit de loyauté pour l’enfant : « Même que cet été, [la famille d’accueil] nous a invités à aller se baigner avec les enfants, la petite à mon chum, et on est tous allés se baigner, c’était super l’fun, on a un très bon lien » (Marie, enfant 1). Une saine relation entre les figures parentales peut même contribuer à ce que les mères évoquent le dévouement des parents d’accueil et laissent transparaitre dans leur propos de l’admiration ou de la reconnaissance. « […] je lui lève mon chapeau, c’est elle qui élève quand même [mon enfant]  » (Marie, enfant 1). Comme le propose cette mère, il devient également envisageable de former un système familial à part entière, et ce, même au-delà du placement :

[Quand] tu vas sortir de là à 18 ans, tu peux aller chez [ta famille d’accueil] même quand tu seras grand, [ta famille d’accueil] s’est occupée de toi et c’est comme [t]a mère un peu, [t]a deuxième maman, on considère ça comme ça […].

Marie, enfant 1

Les familles d’accueil régulières semblent plus propices à une relation de qualité entre parent d’accueil et parent d’origine. Cette ouverture mutuelle semble contribuer à soutenir l’engagement des mères : « C’était une crise à la famille d’accueil, alors [elle] m’a ouvert sa porte, alors je suis descendue un avant-midi de temps pour aller jouer avec [mon enfant]. On s’arrange toujours moi pis la famille d’accueil […]  » (Marie, enfant 1).

À l’inverse, certaines mères sont grandement éprouvées et peuvent se sentir dépouillées de leur rôle parental par une communication conflictuelle, voire inexistante : « Avec [mon enfant] c’est plus difficile à cause de ceux qui ont la garde qui ne communiquent pas » (Marie, enfant 2). Dans le même sens, une pauvre collaboration entourant les décisions ou les soins de l’enfant induit une mise à l’écart : « C’est [la famille d’accueil] qui a l’autorité, maman on s’en fout. C’est ça, ç’a fait ça pour les [enfants]. Essaie-toi après de récupérer ta dignité en tant que parent […] » (Josée). La relation entre les mères et les parents d’accueil peut être vécue comme invalidante, quand les interactions avec la famille d’accueil sont une entrave si couteuse émotionnellement que celle-ci peut mettre en péril la potentialité d’être en lien avec l’enfant. Il devient alors fort difficile pour les mères d’origine et la famille d’accueil de coexister.

Les analyses révèlent que les familles d’accueil de proximité semblent susciter un défi supplémentaire pour les mères, alors qu’une lutte de territoire parental pourrait interférer avec la capacité à s’engager :

[…] toute l’éducation que j’ai voulu donner à mes enfants, c’était juste et valable et c’était pour les bonnes raisons. Pis là ben mon père après ça il scrappe tous les efforts que j’ai faits pour essayer d’élever mes enfants du mieux possible […]. Mon père a tout mis ça à la poubelle […].

Josée

Des enjeux similaires sont relevés dans la relation auprès des familles d’accueil de type banque mixte. Dans certains cas la lutte est si grande qu’elle peut aller jusqu’à faire apparaître une fracture profonde entre le milieu d’origine et d’accueil :

[La famille d’accueil] était en accord avec moi à partir du moment où j’ai annoncé que je coupais les contacts. Là c’était très positif, elle avait une belle vision de moi, j’étais responsable […] Mais au moment où je me battais pour mes enfants, j’étais une sale trainée.

Sylvie

En présence d’intérêts irréconciliables, toute forme de relation peut devenir impossible, venant compromettre l’engagement parental. Cela dit, il est possible que la relation puisse évoluer dans le temps, comme le rapporte Véronique :

Au début ils ne devaient pas en avoir une bonne [impression de moi]. Parce qu’au début, quand les enfants sont partis, j’ai consommé un bout encore après […] les premières fois qu’on s’est vus que j’étais pas là là. Là asteure je suis plus là et je suis capable de répondre […] ça va mieux là. 

Les résultats mettent en lumière le fait qu’il est également possible que l’engagement fluctue au sein d’une même famille, c’est-à-dire qu’une mère peut se montrer davantage engagée envers un de ses enfants placés par rapport à un autre qui est dans un milieu d’accueil différent : « […] c’est elle qui élève quand même mes enfants. […] on a un très bon lien. C’est tout le contraire de [mon autre enfant] ; […] je n[e l’]appelle même pas parce que je ne veux pas parler [à la famille d’accueil] » (Marie). De toute évidence, l’engagement parental de ces mères qui se sont vu retirer leur enfant peut prendre vie ou s’essouffler en présence du parent d’accueil. Aussi la relation avec le milieu d’accueil est-elle d’un grand intérêt afin de mieux comprendre cette composante dynamique de la parentalité.

Relation aux SPJ

Les SPJ suggèrent la présence d’un tiers dans l’exercice du rôle parental. En effet, les mères en contexte de placement sont régulièrement en lien avec les SPJ, ce qui semble générer chez certaines un perpétuel sentiment d’être scrutées. En effet, les mères d’origine rapportent leur perception selon laquelle la présence des SPJ cherche à ébranler la légitimité du lien parent-enfant, voire à tester leur ténacité.

La famille d’accueil a confirmé que j’avais un contact, pis la madame de l’urgence sociale m’a rappelée et elle m’a dit : madame je n’ai pas de supervision de libre, donc je vais vous demander d’aller porter l’enfant en famille d’accueil. Pardon ? J’ai dit non, ce n’est pas mon erreur, c’est votre erreur, j’ai dit, mon fils ne sera pas pénalisé.

Marie, enfant 1

Pire encore, des participantes se sentent dessaisies de leur rôle parental, ce qui semble affecter la capacité à se mobiliser : « Ils ne veulent pas qu’il se fasse de lien avec moi et ils me l’ont déjà dit. […] Je n’ai pas le droit de faire mon rôle de parent même si je suis parent » (Manon).

Quelques participantes soulignent par ailleurs que le seul fait d’être reconnues à titre de figure parentale de leur enfant par les SPJ peut constituer un levier important d’engagement parental. En effet, il arrive que la présence des SPJ puisse renforcer les mères dans leur rôle parental : « Ça va très bien, j’ai eu une rencontre de révision il y a deux semaines pis y’avaient rien à redire genre de négatif, ça allait bien, ils m’ont même dit : continue dans ce chemin-là » (Jessica).

Relation à la représentation sociale de la parentalité

Les mères se sentent également exposées au regard d’autres personnes dans leur rôle parental et évoquent la pression sociale que cela leur fait vivre lorsqu’elles sont confrontées à la représentation sociale typique de la parentalité. Une mère mentionne que le jugement de la part d’autres parents peut contribuer à décourager son engagement parental : « C’est sûr que quand je vais à l’école, tout le monde connait la famille d’accueil et sait que [mon enfant] est en famille d’accueil, [donc j’ai] peur de me faire juger » (Marie, enfant 1). Cela peut directement affecter la liberté d’exercer son rôle comme parent :

[…] aussi on n’ose pas faire beaucoup de sorties de famille dans le fond parce que ça nous rend mal à l’aise. […] On s’empêche de faire des belles sorties de famille à cause de ça. Genre […] aller dans des endroits publics. […] Parce que le monde me connait […] ils le savent que mes enfants sont en famille d’accueil.

Véronique

Discussion

Cette étude qualitative vise à documenter de façon exploratoire les manifestations de l’engagement parental chez les parents d’origine s’étant fait retirer leur enfant pour un placement en famille d’accueil, de même que les éléments pouvant contribuer à nourrir ou à freiner cette composante de la parentalité.

L’engagement parental réfère à la capacité du parent à s’investir affectivement et psychologiquement dans une relation significative et durable avec son enfant et à reconnaitre son influence significative sur lui (Bates et Dozier, 2002 ; Dozier et Lindhiem, 2006). Les résultats de l’étude font valoir l’expérience de la parentalité chez ces mères d’origine qui ont peu de voix pour s’exprimer (Drapeau et al., 2015 ; Kiraly et Humphreys, 2015 ; Noël, 2018), expérience qui gagnerait à être mise à contribution dans les travaux de recherche (Lacharité, 2015 ; Lacharité et Gagnier, 2015 ; Lafantaisie et al., 2018).

Il semble naturel pour les mères d’origine participantes d’évoquer leur engagement parental sous la forme d’actions concrètes qui rappellent le concept d’implication parentale (Ainsworth, 1998 ; Blumenthal, 1984 ; Green et Goodman, 2010 ; Poirier, 2000 ; Poirier et Simard, 2006). Il est donc possible de penser que dans ce contexte unique, les mères expriment spontanément leur engagement parental en évoquant leur implication parentale. Ainsi, bien que ces facteurs soient distincts, nos résultats mènent à penser que l’implication parentale et l’engagement parental peuvent interagir de façon étroite, et ce, particulièrement chez les parents ayant vécu le placement de leur enfant. En ce sens, lorsque la participation du parent est favorisée, son implication dans le quotidien de l’enfant pourrait être un levier précieux pour nourrir l’engagement parental et il convient d’en considérer le potentiel clinique dans le cadre des interventions en contexte de placement. Qui plus est, cette étude rappelle que les manifestations d’engagement parental varient considérablement dans les circonstances particulières du placement (Dozier et Lindhiem, 2006), confirmant l’intérêt d’étudier cette composante de la parentalité.

Par ailleurs, plusieurs mères montrent un vif engagement affectif envers leur enfant et évoquent spontanément la force du lien de filiation, soit le lien d’origine qui lie le parent à son enfant (Guyotat, 1995 ; Guyotat et Bordarier, 1980 ; Lévy-Soussan, 2002). Cela dit, il est plausible que les participantes peinent à exprimer leur engagement affectif, notamment parce que le contexte de placement vient continuellement mettre en doute la légitimité de leur rôle parental (Noël, 2018 ; Schofield et al., 2011).

Un constat supplémentaire est que l’expérience de l’engagement parental, dans les circonstances uniques du placement, est perméable à des composantes systémiques. L’engagement parental des mères d’origine s’actualise donc dans des conditions particulières, pouvant fluctuer chez un même parent de façon spécifique avec chacun de ses enfants en plus d’évoluer au fil du temps. Cela confirme l’idée qu’il est primordial de tenir compte de cette composante dynamique de la parentalité selon une perspective systémique (Lacharité et al., 2015).

La relation entre les mères et les parents d’accueil est centrale dans l’expérience en contexte de placement (Chateauneuf et al., 2018 ; Höjer, 2009, 2011 ; Montalto et Linares, 2011 ; Wissö et al., 2019). Cette dynamique réfère à la relation de coparentalité (Montalto, 2005) et est identifiée comme un facteur de protection de la parentalité du parent d’origine dans le contexte du placement (Hedin, 2015). La relation coparentale pourrait se décliner en un continuum – communiquer, collaborer et coexister – dont chaque composante est préalable à la suivante. Cela signifie qu’une saine coparentalité exige d’être en mesure de communiquer avant d’envisager de collaborer, voire de coexister. Ce continuum expose le potentiel de la relation coparentale au profit de l’enfant placé. De nombreuses études abordent l’importance de la communication et de la collaboration dans la triade de placement (Höjer, 2009 ; Linares, Rhodes et Montalto, 2010 ; Montalto et Linares, 2011 ; Noël, 2018 ; Sulimani-Aidan, 2017), tandis que la notion de coexistence demeure peu investiguée. Ainsi, notre étude vient mettre en évidence le rôle des parents d’accueil comme frein ou comme soutien à l’engagement du parent d’origine et des travaux de recherche supplémentaires sont à faire pour bien comprendre la complexité de la double appartenance de l’enfant placé et ses enjeux sur le plan de la parentalité (Potin, 2014).

D’ailleurs, un portrait se dessine lorsque les mères évoquent des situations qui rappellent la suppléance substitutive décrite par Chapon (2011), où la famille d’accueil vient remplacer la famille d’origine et considère l’enfant comme étant le sien. Auprès des mères rencontrées, cela s’actualise plus particulièrement au sein de deux types de famille d’accueil, où le rôle du parent d’origine est occulté dans une lutte à la David contre Goliath – banque mixte (Ouellette et Goubau, 2009 ; Pagé, 2012) et un conflit de rôles peut inviter à d’importants enjeux relationnels – familles d’accueil de proximité (Chateauneuf et al., 2018 ; Dorval, 2020 ; Kiraly et Humphreys, 2015 ; Linares et al., 2010). Dans ces deux cas, il devient difficile pour les mères participantes de se montrer engagées puisque tout le système gravitant autour d’elles semble s’opposer à l’actualisation de leur parentalité. Dans ces circonstances, il leur est particulièrement laborieux, voire impossible, de contribuer à une communication et une collaboration efficaces avec le milieu d’accueil.

À l’inverse, certaines participantes, pour qui l’expérience de la coparentalité semble optimale, évoquent spontanément l’engagement parental des parents d’accueil comme étant une plus-value pour l’enfant. Ce portrait évoque ce que Chapon (2011) identifie comme la suppléance partagée, où les deux familles coexistent et se perçoivent comme complémentaires, et ce, dans l’intérêt de l’enfant qui se voit alors libre d’investir cette double appartenance (Wendland et Gaugue-Finot, 2008). Il semble que ces circonstances favorisent l’engagement parental chez les mères rencontrées ; les contacts nourrissent la relation parent-enfant et les familles communiquent et collaborent agréablement, contribuant à valider le rôle des mères d’origine qui se sentent parties prenantes du système familial. De toute évidence, ces portraits contribuent à mieux décrire l’engagement parental et l’expérience de la parentalité chez ces mères d’origine.

Cette étude sur l’engagement parental des mères d’origine ayant vécu le placement de leur enfant a le potentiel de soutenir les réflexions sur les meilleures interventions à offrir lorsque cela s’avère judicieux. En effet, des études révèlent que l’engagement parental des parents d’origine peut être soutenu par des interventions (Barr et al., 2011), qui profitent également à l’enfant (Richeda et al., 2015). Lorsque la réunification familiale est le projet de vie visé, il convient de penser que de promouvoir l’engagement parental s’impose.

Par ailleurs, lorsque la réunification est exclue, il est vraisemblable que le parent sera éventuellement confronté à un processus de redéfinition de son rôle parental (McWey et al., 2009 ; Schofield et al., 2011). Ainsi, certaines mères confirment que leur engagement s’est épuisé au bout d’un duel qui a confirmé la parentalité du parent d’accueil. Or, d’autres mères invitent à réfléchir la parentalité au-delà d’un modèle nucléaire de la famille (Chapon, 2011 ; Kiraly et Humphreys, 2015 ; Pagé, 2015 ; Wendland et Gaugue-Finot, 2008). En effet, quelques mères soulignent bien le processus de deuil accompli, processus qui leur permet aujourd’hui de rester engagées en évoluant parallèlement à la famille d’accueil. Évidemment, l’expérience de la parentalité dite atypique exige de se redéfinir, comme dans le cas d’une séparation parentale (Monnier, 2010), voire de faire certains deuils dans le contexte du placement (Schofield et al., 2011).

D’un autre côté, lorsque le projet de vie de l’enfant penche vers l’adoption, il est possible que la diminution, voire l’épuisement de l’engagement parental, puisse avoir une fonction adaptative, en permettant au parent d’origine d’envisager de se réaliser différemment. Une des mères participantes (Sylvie) soulignait d’ailleurs qu’une forme de désengagement de son rôle parental s’était finalement avérée indispensable à sa propre survie, afin qu’elle puisse continuer d’avancer. Cette épreuve, impliquant également un processus de deuil, gagnerait à être soutenue cliniquement chez les parents ayant vécu le placement de leur enfant (Schofield et al., 2011). En ce sens, on peut se demander si le maintien d’un engagement soutenu de la part des parents d’origine est indiqué dans toutes les configurations familiales.

Nonobstant l’issue du placement, ces mères d’origine sont appelées à agir comme parent dans d’autres contextes et gagneraient à voir leur rôle parental valorisé. Ces éléments mettent en évidence qu’il devient primordial de mieux réfléchir les interventions adressées aux mères d’origine à la suite du placement de leur enfant, et ce, pour les bénéfices du parent et ceux de l’enfant placé, que la réunification familiale soit visée ou non.

De toute évidence, des études supplémentaires sont nécessaires afin de mieux comprendre la dynamique inhérente à l’expérience de l’engagement parental en contexte de placement. Une exploration approfondie, notamment auprès d’un éventail de familles, permettrait de considérer l’évolution de cette composante de la parentalité en tenant compte de différentes configurations familiales – placement en banque mixte ou auprès de la famille élargie – et des caractéristiques propres au contexte – réunification ou absence de contacts. En ce sens, l’utilisation d’approches supplémentaires, notamment la théorisation enracinée, pourrait permettre d’enrichir la compréhension de l’expérience de l’engagement parental chez les parents d’origine, et ce, en y intégrant la perspective de l’enfant, des familles d’accueil et de l’intervenant des SPJ afin de contribuer à la compréhension de cette réalité complexe.

D’ailleurs, cette étude présente des limites qu’il est nécessaire de considérer. D’abord, il n’est pas possible d’atteindre la saturation étant donné la petitesse de l’échantillon. De plus, bien qu’il ait été possible d’aborder dans l’étude différentes situations de parentalité vécues à la suite d’une mesure de placement, aucune dyade dans notre échantillon n’a vécu de réunification familiale. Il va sans dire que le cas de figure du parent ayant vécu la perte de la responsabilité de son enfant puis l’ayant récupérée serait d’une grande pertinence dans le cadre d’une étude se penchant sur l’expérience de l’engagement parental, et gagnerait à être étudié. Par ailleurs, il serait pertinent de s’intéresser à la réalité des pères ayant vécu le placement de leur enfant et de cellules familiales diversifiées (p. ex. : familles homoparentales, minorités visibles et ethniques) afin de contribuer à une compréhension inclusive de l’engagement parental dans le contexte du placement.

Conclusion

Le regard sur l’expérience de la parentalité des mères d’origine dont l’enfant est placé est riche et rappelle qu’il est nécessaire, dans le contexte du placement, d’étudier la parentalité au-delà d’un modèle nucléaire de la famille. Ainsi, l’engagement parental gagnerait à être réfléchi à titre de composante dynamique et systémique de la parentalité dans ces circonstances uniques. En outre, il est nécessaire d’ouvrir le dialogue auprès de cette population vulnérable et d’inclure les parents d’origine dans la recherche sur les SPJ afin de mieux tenir compte de leurs besoins et ainsi d’optimiser les interventions psychosociales.