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« Je sais que je ne suis pas ce qu’on dit de moi. »
Marc Chabot Chroniques masculines
« L’identité, l’amour et la parentalité mâles sont en crise. »
Michel Dorais L’homme désemparé
Au Québec, les écrits sur les hommes ont véritablement pris un essor à compter du début des années quatre-vingt. On se préoccupait alors de thèmes aussi généraux que l’intimité chez les hommes, la sexualité, le pouvoir, l’affectif, l’identité masculine éclatée… Ces préoccupations logeaient à l’enseigne de la condition masculine mise en parallèle avec la condition féminine qui, alors, proposait une métamorphose sociale sans précédent.
Des initiatives visant l’intervention spécifique auprès des hommes ont émergé à la faveur de colloques et d’ouvrages collectifs sur le sujet. Pensons en particulier au colloque organisé par la Fédération des CLSC sur l’intervention auprès des hommes au milieu de la décennie quatre-vingt (voir les textes de Thomas Anctil, entre autres). À cette époque, en paraphrasant Simone de Beauvoir, on portait un regard sur les hommes dans une perspective presque exclusivement sociale : on ne naît pas homme, on le devient. La souffrance des hommes était sociale, leur crise également.
Plus récemment, différents auteurs se sont intéressés à l’intervention auprès des hommes dans le contexte de la recherche d’une identité proprement masculine. Soulignons notamment l’essai de Germain Dulac : Aider les hommes… aussi. Mais cette identité n’est pas encore définie; les contours demeurent flous. De plus, peu d’ouvrages se sont appliqués à dresser une synthèse des données empiriques sur les hommes. Peu, également, ont posé la question sous l’angle de la part d’inné et d’acquis chez l’homme. Comme si les lunettes du social devaient occuper tout l’espace, épuiser tous les modes réflexifs sur le masculin. C’est à l’aune de ces considérations que le récent essai de Richard Cloutier, professeur-chercheur à l’École de psychologie de l’Université Laval, portant sur les vulnérabilités masculines, apporte une contribution certaine en posant des prémisses pour une réflexion globale sur la réalité masculine.
Le livre propose une lecture des vulnérabilités masculines, de ces garçons et de ces hommes en panne dans leur trajectoire de vie. Cette lecture s’appuie sur des données empiriques provenant de sources variées et traçant un profil de la réalité masculine dans diverses sphères de la vie sociale et de la biologie humaine. Cette exploration conduit à la mise en évidence de certains paradoxes sociaux articulés autour de deux pôles : celui du surengagement des hommes dans certains domaines et de leur sous-engagement dans d’autres. Celui également de la dominance masculine et, par ailleurs, des vulnérabilités qui caractérisent plus spécifiquement les hommes. S’ensuivent deux modes d’explication des vulnérabilités masculines – l’un biologique, l’autre biopsychosocial – où l’auteur suggère à la fin du parcours d’intégrer l’inné et l’acquis dans la réflexion sur les hommes. Quelques pistes sont également évoquées en conclusion pour effectuer une relecture de la question masculine dans une vision d’ensemble visant à tracer les contours d’une représentation globale des hommes pour mieux comprendre ce qu’ils sont en marge de l’antagonisme classique hommes-femmes.
La principale contribution de cet essai vient de ce qu’il interroge les fondements de l’identité masculine en empruntant la voie empirique plutôt qu’essentiellement discursive. Il peut ainsi offrir à ceux et celles qui s’intéressent à la question masculine et à l’intervention auprès des garçons et des hommes une base d’informations explorant l’inné et l’acquis pour prolonger leur propre réflexion. Le recours aux deux paradoxes – surengagement/sous-engagement (pour ne pas dire « désengagement »), et dominance/vulnérabilités masculines – sert efficacement de guide pour mieux retraduire la diversité des informations empiriques dans un contexte favorisant une lecture plus intégrée de certains enjeux, de certaines pistes d’intervention.
L’approche biopsychosociale que propose l’auteur est tout à fait d’intérêt pour le champ des pratiques sociales auprès des hommes. En particulier, la mise en contexte des vulnérabilités masculines, telles que le taux de suicide plus élevé chez les hommes, les échecs scolaires plus fréquents chez les garçons ainsi que l’autisme, les problèmes de comportement et les troubles du langage plus présents chez eux et, enfin la résistance des hommes à la culture préventive en matière de santé, voilà autant de prises d’angle réflexives sur l’univers masculin pouvant servir de points d’appui à l’intervention.
Dans son parcours, l’auteur nous met en garde contre certains raccourcis, certaines réductions. Par exemple, au profit d’une lecture par trop manichéenne et simpliste, il ne faudrait pas combattre la masculinité en soi « […] en demandant aux garçons de ne pas être ce qu’ils sont, de ne pas bouger, de ne pas faire ceci, de ne pas faire cela. Il faudra leur dire clairement ce qu’ils peuvent faire, ce qu’ils doivent faire. Cette demande sociale n’est pas encore formulée (p. 13) ». D’où l’intérêt de tels ouvrages!
L’auteur souligne que les hommes carburent au pouvoir en matière d’engagement : là où ils n’ont plus de pouvoir ou lorsqu’ils doivent le partager, ils désertent généralement. Ils prennent alors congé! Congé d’une femme, d’un enfant, congé d’une situation où ils ont perdu le contrôle. Et les principales zones du sous-engagement social des hommes sont connues : la famille, l’école, le soutien aux proches. L’auteur documente le sous-engagement pour chacune de ces zones. Une remarque : il mentionne qu’en matière de soins la place des hommes serait sous-estimée, sans toutefois préciser en quoi et comment. Or, la littérature sur le sujet nous donne plutôt l’impression de l’inverse. Par exemple, on comptabilise le nombre d’hommes et de femmes qui apportent du soutien à un parent en perte d’autonomie, sans parfois tenir compte de la nature de l’intervention (donner un bain ou encaisser un chèque à la banque) ou de son intensité (en matière d’heures ou de stress occasionné par la nature des tâches). Une façon de faire qui sous-estime généralement le soutien au féminin.
La « masculinité acceptable » n’est pas encore définie socialement, dira l’auteur en conclusion. D’où, parfois, l’errance des hommes, l’ambiguïté des discours sur eux, dont le phénomène de double contradiction (par exemple, reprocher aux hommes leur silence en même temps que réprouver ce qu’ils disent quand ils parlent). Cet essai, de facture simple et au style clair, propose une relecture de la question masculine, une manière de l’interroger qui pourrait contribuer à cette nouvelle quête identitaire. Il marque également l’intérêt de développer une perspective d’ensemble empirique afin d’éviter que le regard sur les hommes ne soit que le reflet d’une pensée discursive en marge de certaines réalités.