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Le Premier Avril, on joue à mentir, on joue à tricher,

on joue à tromper.

C’est un jour de catharsis : je mens, nous mentons, ils mentent !

Et tout est un mentir-vrai !

C’est le jour d’être l’artiste du monde ordinaire.

Actrices et acteurs de la vie banale, nous créons la faille ludique face au visage surpris de notre victime.

Par le micro-rituel cathartique, un petit carnaval en plein carême, nous chatouillons le sérieux de la vérité quotidienne qui nous assure la démocratie et notre pain de ce jour !

Mentir est permis une fois par an !

Mais, pour rigoler du mensonge, il nous faut la vérité.

Le plaisir de la farce qu’on fête le Premier Avril, c’est le plaisir de démasquer la farce !

Celui qui s’exclame « poisson d’avril » montre que faire voir le mensonge est ce qui fait marcher le jeu.

Malheureusement, au pays de la parfaite blague, le poisson d’avril a cessé d’être drôle le Premier Avril 1964 !

Fini le petit carnaval au pays du grand carnaval !

Les autocrottes réunis au pouvoir ont volé au peuple le droit de rire !

Ils ont interdit la catharsis et investi l’hypocrisie.

Jusqu’à élire le grand diable !

Ils ont mis l’intelligence nationale en péril fatal !

La post-vérité sévissait déjà, dans la bouche des tarés phallogocentriques, hommes blancs, capitalistes, en uniforme, éhontés.

Ils ont séquestré la blague !

Ils empalaient leurs dénonciateurs et hurlaient avec le colonel Ustra.

Maintenant, le mensonge tue !

Quels hommes vils et sans art !

Ces hommes asiniens, équidés, anaux, cloacaux, virils, phallocrates qui rêvent de bites-Brésil !

Hommes vils parce que sans art !

Autocrottes miliciens meurtriers, fiers de la merde qu’ils sont !

Ils ont tué et continuent à tuer.

Marielle demande : Jusqu’à quand tueront-ils ?

Les brigands réunis seront-ils jamais pris ?

Le Premier Avril continue de se cacher derrière le 31 mars.

Et les ordures tarées du pouvoir,

pour qui le Brésil se résume à un pal

installés sur la pointe de ce pieu, la bite-Brésil,

comme sur le cou des pauvres, des indigènes, des femmes, des travestis assassinées tous les jours,

ils gueulent les vieux mensonges.

Ustra vit !

Qui ? Demande le peuple, une assiette vide dans les mains.

Le bois-Brésil arraché.

L’or dilapidé.

Le sang des jeunes noirs assassinés par l’État coule.

Les gens ne peuvent plus respirer car on vole leur air.

Les fascistes ont toujours su que le mensonge vaut pouvoir.

Ce qu’ils ne savent pas, c’est que l’art est le mensonge libéré du pouvoir !

Et le mensonge libéré du pouvoir

Renverse tous les masques.

Et la vérité est que l’Ubu Roi Brésilien veut fêter la dictature !

Et que tu es dans une pièce de théâtre, dans un cauchemar, dans un délire collectif.

Et que tu as le droit de dire

Poisson d’avril !!!

Malgré tout

Le Brésil n’est pas une hallucination !

La dictature militaire au Brésil a duré du 1er avril 1964 au 15 mars 1985. Le 1er avril étant la journée internationale de la blague, il a semblé maladroit de dater le régime militaire de ce jour, au risque de paraître ridicule. Ainsi, s’est développé la légende selon laquelle le 31 mars serait la date officielle du début du régime. Les militaires et leurs soutiens l’ont appelé « Révolution », travestissant le sens de l’événement et du terme lui-même. Ce manifeste accompagne la vidéo Premier Avril - Brésil, une parfaite blague diffusée nationalement et internationalement les 31 mars et 1er avril 2021 sur différents médias, une collaboration entre les revues Sens Public et Cult.

Marcia Tiburi, auteure du manifeste, des peintures ci-dessous et l’une des créatrices du projet Olhos Abertos (Les Yeux Ouverts) avec Junia Barreto, est née en 1970, en pleine Dictature Militaire. Elle considère que la dictature – dont le Brésil n’a jamais réparé les torts – est une fange psychopolitique, dans laquelle la mentalité et la sensibilité de la nation brésilienne se sont noyées, et furent capturées par un défenseur de la torture et de l’autoritarisme.

Figure 1

Brésil, poisson d’avril !

-> Voir la liste des figures

Fiche technique :

Marcia Tiburi, Assemblage des œuvres General Asino, 1964-1967 (Général Asinien, 1964-1967) [de la série « Soberanos Infames » (« Souverains Infâmes »)], 2021, Acrylique sur papier, 36X48cm ; General Anal, 1967-1969 (Général Anal, 1967-1969) [de la série « Soberanos Infames » (« Souverains Infâmes »)], 2021, Acrylique sur papier, 36X48cm ; Generais falocêntricos 08-11/1969 (Généraux phallocentriques 08-11/1969) [de la série « Soberanos Infames » (« Souverains Infâmes »)], 2021, Acrylique sur papier, 41X36cm ; General Varonil, 1969-1974 (Général Viril, 1969-1974) [de la série « Soberanos Infames » (« Souverains Infâmes »)], 2021, Acrylique sur papier, 36X48cm ; General Cloacal, 1974-1979 (Général Cloacal, 1974-1979) [de la série « Soberanos Infames » (« Souverains Infâmes »)], 2021, Acrylique sur papier, 36X48cm ; General Equino, 1979-1985 (Général Équidé, 1979-1985) [de la série « Soberanos Infames » (« Souverains Infâmes »)], 2021, Acrylique sur papier, 36X48cm ; Ubu Rei Brasileiro, 2019- (Ubu Roi Brésilien, 2019) [de la série « Soberanos Infames » (« Souverains Infâmes »)], 2021, Acrylique sur papier, 36X48cm

Traduction

Gérard Wormser, Luiz Capelo, Matheus Ferrari