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L’abdication du roi d’Espagne crée une ouverture de possibles dans le jeu institutionnel espagnol. Les résultats des dernières élections européennes en Espagne ont mis en évidence la fin du régime de 1978[1], un système épuisé depuis l’éclatement de la bulle immobilière en Espagne.
Malgré une abstention élevée, quoique inférieure aux attentes, ce sont les premières élections où les partis politiques au pouvoir depuis la Transition ont obtenu moins du 50% des suffrages. Ceci met en échec potentiel un système oligarchique hérité du franquisme. Face aux demandes de participation citoyenne qui ont secoué le pays depuis la sortie de sa coupable minorité après le 15M[2], face au scénario politique des prochaines élections générales en Espagne où les partis du « régime » sont donnés nettement perdants selon la plupart de prévisions – malgré les artifices du système électoral – l’abdication s’est produite alors que le très conservateur Parti Populaire possède une majorité absolue au Parlement. Dès lors, tout débat sur la forme selon laquelle pourrait se dérouler la passation du pouvoir du père en fils est voué à l'échec.
Etant donné la détérioration de l’institution, le roi songeait à l'abdication depuis des mois. Son officialisation révèle la peur de cette dynastie d'être à nouveau renvoyée. Le bipartisme garantit ainsi la succession, en empêchant le jeu démocratique. Puisque la loi espagnole ne prévoit pas le cas d'une abdication, le Parlement devra établir les modalités que celle-ci doit suivre. Il est à prévoir que les Espagnols ne seront pas consultés : les deux partis majoritaires concluront l’accord comme lorsqu'il s'est agi d'approuver l’article 135 le pilotage du budget par la Banque Centrale Européenne. Avec la promotion d'un nouveau « récit » unique de l’abdication, les démons dont parlait Gil de Biezma[3] reviendront hanter l’Espagne.
La vieille politique se meurt et la nouvelle culture démocratique tarde à apparaître, comment en finir avec les monstres ?
Le jour même de l’abdication, les mouvements installés à Puerta del Sol, Plaza de Cataluyna, et sur bien d’autres places, ont demandé à pouvoir s’exprimer, mettant en cause le système territorial, la corruption institutionnalisée, le cadre légal de la vie commune en Espagne. La culture politique espagnole de la Transition ayant toujours traité les demandes citoyennes avec condescendance et paternalisme, il est improbable que leur voix soit entendue. Cela ouvre le champ d'un contexte politique conflictuel pour les années à venir. Le processus de développement de la Constitution s’est arrêté lors de son approbation, et la multiplicité des récits fut réduite au récit unique d’un roi sauveur de la mère patrie : ce fut le récit dominant des dernières décennies. La demande d’un processus constituant fait des adeptes et l'Espagne ouvre une nouvelle étape de son histoire.
Parties annexes
Notes
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[1]
Le régime de 1978 fait référence à la Constitution espagnole approuvée en décembre de cette même année, établissant un système politique en Espagne fondé sur la « monarchie parlementaire »
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[2]
Le mouvement du 15M est un mouvement social surgit en Espagne le 15 mai 2011. Après les manifestations de mai 2011 à Madrid, un groupe de manifestants décida de camper à la Puerta del Sol, un mouvement qui bouleverserait le cadre institutionnel du pays. Voir : http://sens-public.org/spip.php?article1040
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[3]
« Et quoi dire de notre mère l’Espagne, / ce pays de tous les démons / où le mauvais gouvernement, la pauvreté / ne sont pas, simplement, de la pauvreté et du mauvais gouvernement, / mais un état mystique de l’homme, l’absolution finale de notre histoire ? » http://www.fronterad.com/img/nro15/gildebiedma.pdf