Résumés
Résumé
Incontestablement, l’enjeu de l’environnement s’est imposé comme l’un des plus importants de notre génération : que l’on défende avec force les méthodes les plus radicales pour préserver la planète ou que l’on conteste avec véhémence le réchauffement climatique, le sujet suscite des débats passionnés et ne laisse, des citoyens aux dirigeants, personne indifférent. Après avoir passé près de quatre ans à l’Agence internationale de l’énergie à Paris, Ralph E. H. Sims a retrouvé récemment son poste de professeur spécialiste des énergies renouvelables et directeur du Centre pour la Recherche sur l’énergie à l’université Massey de Nouvelle-Zélande. Il est également un auteur/coordonateur de plusieurs rapports pour le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Dans un essai-fiction reposant sur une connaissance précise des enjeux et écrit avec une dose d’imagination et un zeste d’humour, il offre ses perspectives sur le futur auquel sembleraient se condamner les partisans du statu quo et le chemin qui pourrait s’ouvrir devant les tenants d’une action plus vigoureuse en faveur de l’environnement.
Abstract
There is no doubt that the issue of environment has become one of the most important of our generation. Whether people contest global warming with passion or want to preserve planet Earth with the most radical methods, the issue generates ardent debates that leave no one indifferent. After having spent nearly four years at the International Energy Agency in Paris, Ralph E. H. Sims has recently returned to his position as Professor of Sustainable Energy and Director of the Centre for Energy Research at Massey University in New Zealand. He is also an IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change) Co-ordinating Lead Author for several IPCC reports covering energy supply, integration and transport. In an essay based on a solid knowledge of the environmental issues and written with a dose of imagination and a touch of humour, he offers his perspectives on a rather dark future for those who prefer the status quo and a brighter one for those who defend a vigorous action in favour of the environment.
Corps de l’article
Racontant la vie de personnages fictifs, les deux histoires [1] qui suivent opposent un avenir énergétique orienté par le laisser-faire de l’exploitation traditionnelle de combustibles fossiles, jusqu’en 2050 et au-delà (« Bleak House »), et un avenir plus optimiste (« les Grandes Espérances ») marqué par l’adoption rapide de nouvelles technologies propres qui offrent aux citoyens des services d’énergie stables et sûrs à tout moment, à un prix relativement bon marché et permettant également une réduction des émissions annuelles de gaz à effet de serre.
Le présent article a été adapté de la « vision » contenue dans la publication en 2009 par l’Agence internationale de l’énergie intitulée « Cities, Towns and Renewable Energy: Yes in my front yard » [2] , du même auteur. En réalité, le monde dans quarante ans pourrait finalement se trouver quelque part entre ces deux scénarios.
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« Bleak House »
2015
Un jour où une température record avait été atteinte de nouveau, Jay ne fut pas trop surpris d’entendre l’air conditionné de son bureau s’éteindre automatiquement à dix-sept heures afin de ne pas dépasser la capacité de charge maximale du système d’alimentation. Le nouvel immeuble des bureaux avait été conçu et construit par la compagnie d’ingénierie qui l’utilisait désormais comme son siège. Jay travaillait pour eux après avoir obtenu l’année précédente la même licence en ingénierie que son père trente ans plus tôt.
Il quitta son travail pour rentrer chez lui en voiture, traversant des banlieues dont il savait les routes congestionnées tout du long à ce moment de la soirée. Se fondre dans cette masse de voitures lui permit de lire les nombreuses enseignes publicitaires, en particulier celles affichées partout par le gouvernement et affirmant : « Un avenir radieux est assuré - nos ressources de charbon dureront des décennies ».
Cependant, les panneaux ne mentionnaient pas que le prix mondial du charbon avait grimpé ces derniers mois à cause de la hausse rapide de la demande depuis la fin de la crise financière mondiale en 2011. Les champs de gaz naturel locaux approchant l’épuisement, un terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) était en construction sur la côte. Mais une anticipation des risques avait contraint l’expansion attendue du réseau de distribution de gaz national et conduit à la hausse de la demande en électricité plus rapidement que prévu.
Jay savait qu’il y avait des preuves de plus en plus évidentes que le changement climatique causait ces températures estivales extrêmes. Les inondations dans la ville étaient également devenues communes. En conséquence, les contribuables étaient taxés afin de financer la construction de digues de cinq mètres de haut tout au long du fleuve qui la traversait. La mairie s’était résignée à accepter la nécessaire perte de valeur des propriétés riveraines pour mieux protéger le reste de la ville, mais les propriétaires influents s’y étaient opposés.
Le poste que Jay occupait alors consistait à analyser les politiques nationales qui pourraient avoir une incidence sur l’activité principale de son entreprise, à savoir la construction de centrales électriques au charbon. Par exemple, les plans de construction d’une nouvelle centrale dotée d’un réacteur à lit de boulets avaient soudainement été suspendus de nouveau, la compagnie des services publics venant seulement de réaliser, de manière assez surprenante, qu’il y avait une pénurie mondiale d’alliages métalliques essentiels, ainsi qu’un manque d’ingénieurs du nucléaire. De plus, l’accord concernant la proposition d’un site de stockage international partagé pour les déchets nucléaires les plus importants avait échoué. Aussi, un délai supplémentaire de quinze à vingt ans permit dans l’intervalle la construction de davantage de centrales de gazéification opérant au charbon.
Alors que le gouvernement avait bon espoir que les technologies de captage et de stockage du dioxyde de carbone (CSC) viennent équiper ces centrales au charbon dans la région, son optimisme fut douché quand l’on découvrit que le site de stockage le plus approprié se situait sur une faille sismique et qu’une fuite serait très probable puisque de nombreux puits exploratoires avaient été creusés aux alentours pour chercher davantage de pétrole. Les risques étaient donc jugés trop élevés pour continuer. L’entreprise estima alors que la technologie CSC ne serait pas employée pendant encore quelques années, lui évitant ainsi des coûts additionnels sur la production. L’exploitation énergétique ordinaire s’imposait par conséquent comme la voie la plus évidente à suivre, ce qui convenait très bien à la société d’ingénierie traditionnelle de Jay.
Grâce au dispositif de son téléphone portable, Jay alluma la climatisation dans son appartement par commande à distance alors qu’il était encore à vingt minutes de chez lui, sachant que la compagnie d’électricité couperait bientôt le système dans le cadre de sa gestion de coupures sectorielles tournantes pour réduire les charges aux heures de pointe. L’amélioration des lignes de courant locales pour augmenter le transport d’énergie était prévue, mais cette partie de la ville n’était pas prioritaire et il se passerait encore quelques années avant que ce ne soit fait. En arrivant chez lui, il trouva sa facture d’électricité parmi ses emails, avec, en prime, ce commentaire: Notre entreprise est heureuse de vous avoir pour client mais est au regret de vous informer que les prix de l’électricité ont augmenté à nouveau à cause de la hausse de ceux du charbon. « Il est peut-être temps de penser de nouveau à investir dans un chauffe-eau solaire », se dit Jay.
2030
Jay emmena ses deux garçons presque adolescents au canal de drainage des eaux de pluie voisin pour construire un barrage de boue et de bâtons. L’eau était assez trouble mais il pensa que cela ne poserait pas de problème juste pour patauger. Les garçons avaient récemment mené une étude sur les barrages hydro-électriques à l’école et appris des choses sur la compétition croissante pour l’usage de l’eau dans le monde entier : beaucoup d’eau située en amont était maintenant nécessaire pour l’irrigation intensive durant les étés secs, très fréquents.
Les conditions chaudes et sèches avaient également affecté la puissance des centrales au charbon que sa compagnie avait construites une décennie plus tôt, dans la mesure où la température de l’eau utilisée pour le refroidissement s’était élevée d’un degré environ. En conséquence, les centrales thermiques fonctionnaient avec une efficacité considérablement inférieure à celle pour laquelle elles avaient été conçues. Du fait de la demande accrue en air conditionné, la centrale de la ville tournait à plein régime et la température du fleuve s’était élevée au point d’être au-dessus de la limite légale ; les poissons luttaient pour survivre. Mais, puisque avoir de la lumière était la principale priorité, le gouvernement avait fermé les yeux sur cette violation par l’entreprise de la réglementation environnementale.
Une taxe carbone sur les émissions de Co2 payée par les générateurs thermiques a d’abord été imposée par le gouvernement en 2020, avant que le reste de la planète n’accepte finalement des politiques universelles pour contenir le changement climatique. Mais comme elle restait peu élevée, l’entreprise publique pouvait encore afficher un beau profit.
Une fois rentré à la maison avec ses garçons, Jay continua à travailler sur une nouvelle centrale de gazéification avec CSC construite par l’entreprise chinoise qui avait maintenant un monopole presque total sur cette technologie. Le travail de Jay consistait à analyser quelle serait la conception la plus rentable pour ce site spécifique. Compte tenu du prix en cours du carbone, de la raréfaction de l’uranium et du GNL, Jay était convaincu que le moment était venu d’agir. Encore lui fallait-il convaincre les gens du voisinage qu’il n’y avait que peu de risques de fuite de Co2.
Jay avait déjà effectué quelques analyses pour démontrer qu’une exploitation minière à ciel ouvert était l’option la plus économique pour les réserves de charbon subsistantes. Or la demande mondiale pour cette ressource était désormais en hausse et la société minière voulait agrandir son terrain de 65.000 ha - des terrains pour l’heure recouverts par des forêts primitives. Jay n’était pas si sûr que ce fût là une bonne idée, puisque la déforestation augmenterait de manière significative la charge totale de carbone du pays. Pour autant, puisque son entreprise gagnerait à s’engager davantage, il décida de garder cette analyse pour lui-même.
2050
Les fuites du plafond de l’appartement de Jay, déjà vieux de soixante-dix ans, s’étaient aggravées. Une aide financière, que les propriétaires de l’immeuble avaient cherché à obtenir pour la rénovation du toit, ainsi que pour moderniser les cellules photovoltaïques et les systèmes de chauffage, leur avait été refusée. En dépit des meilleures intentions du gouvernement local, toutes les aides étaient utilisées pour financer des mesures radicales d’adaptation au changement climatique comme la rénovation des fondations de l’immeuble, qui étaient en train de s’effondrer à cause de l’assèchement du sous-sol argileux durant les étés plus chauds, et l’accroissement de la hauteur des digues, une augmentation naissante du niveau de la mer faisant s’élever en amont le niveau fluvial.
Ses petits-enfants lui avaient rendu visite récemment, mais il savait qu’ils n’avaient pas vraiment de plaisir à venir dans cette partie de la ville en constant délabrement. L’aînée se voyait déjà entreprendre une carrière de trader de carbone. Elle avait songé à devenir planificatrice de réseaux électriques mais n’aimait pas l’idée de se voir confier le pouvoir de contraindre les gens à quitter leurs maisons ou leurs fermes pour s’assurer que l’électricité irait là où elle devait aller, à n’importe quel prix. Jay avait conseillé à tous ses petits-enfants de faire des études en conseil pour les énergies renouvelables car c’était désormais, selon lui, la voie de l’avenir.
Revenant sur sa carrière, il observait que seules les centrales de charbon aptes à recevoir les améliorations de la technologie de captage et de stockage du dioxyde de carbone avaient été autorisées à continuer leur activité, mais qu’en raison du manque d’anticipation en matière de planification pour la rénovation du CSC lorsque la plupart des centrales avaient été construites, elles étaient finalement peu nombreuses. Et ce qui le faisait le plus cogiter, c’était cette question : pourquoi, alors que la menace du réchauffement climatique avait été comprise depuis longtemps, les dirigeants n’avaient-ils pas pris des mesures drastiques pour lutter contre le phénomène plus tôt dans l’histoire ? Prévoyant son départ en retraite, Jay et sa femme se demandaient s’ils n’iraient pas vivre dans l’une de ces villes nouvelles et en plein essor construites dans les pays d’Afrique les plus riches. Comme l’avait prédit le président des États-Unis 40 ans plus tôt, les pays disposant de ressources énergétiques renouvelables et de la capacité à utiliser au mieux les nouvelles technologies (alors à leurs débuts) deviendraient les futurs leaders mondiaux.
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Les Grandes Espérances
2015
Joy s’assit confortablement dans son nouveau bureau ensoleillé. Comme elle avait récemment obtenu la nouvelle licence en énergie renouvelable et en conception d’immeubles, elle était moins surprise que certains collègues plus âgés que le bâtiment soit confortable toute l’année, tout en ne consommant qu’un tiers de l’électricité comparé à son voisin du trottoir d’en face, en verre teinté et de la même taille, mais datant des années 1980.
Puisque le Plan du District approuvé en 2012 avait garanti que tous les nouveaux immeubles auraient des chauffe-eau solaires, les architectes avaient intégré les panneaux solaires dans le toit et suivi les directives de conception et d’orientation strictes du Code de la Construction pour capturer la chaleur solaire l’hiver, obtenir de l’ombre en été, et bénéficier de la ventilation et de la lumière naturelles. Le léger investissement supplémentaire serait bientôt remboursé par les économies réalisées sur la consommation électrique. Le nouveau métier de Joy consistait notamment à expliquer aux autres propriétaires immobiliers comment accroître l’efficacité énergétique.
A 17h, son mobile lui indiqua que le prochain bus électrique ayant un siège disponible passerait devant les bureaux à 17h09. Lorsqu’elle rentrait chez elle, elle aimait toujours observer furtivement sur les collines les éoliennes pour lesquelles elle avait investi quelques actions, comme beaucoup d’autres personnes qui vivaient dans le voisinage. Les anciennes craintes sur la production variable d’énergie avaient été largement surmontées par des prévisions météorologiques plus précises, par l’intégration de contrôles de gestion de la demande et la construction d’une centrale de cogénération bioénergétique (chaleur et électricité) de secours. De plus, les opérateurs du réseau local avaient été formés pour organiser un système plus flexible donnant la priorité au vent local, à la bioénergie et à la génération solaire, avant d’importer de l’électricité du réseau national.
En arrivant chez elle, une petite maison dotée d’une terrasse, elle pouvait juste entendre le léger bourdonnement de la pompe géothermique, qui toute la journée avait extrait de manière intermittente de la chaleur dans la maison à mesure que la température ambiante grimpait. D’un coup d’œil, le thermomètre montrait que la maison était restée à la température constante de 20oC toute la journée ; celle de l’eau chauffée au solaire avait atteint 62oC sans qu’il y ait besoin d’aucun secours électrique ; et la facture de la compagnie d’électricité s’élevait à seulement 0.08$ de l’heure, principalement pour le réfrigérateur. Même si ce prix était peu coûteux, Joy aimait bien l’idée de produire sur place une partie de l’énergie dont elle avait besoin, tout excédent pouvant être revendu au réseau.
2030
Les parts que Joy détenait dans les trois fermes éoliennes locales, des coopératives, lui avaient récemment offert des dividendes suffisamment élevés pour qu’elle puisse voyager quelques jours à l’étranger. L’augmentation du prix des billets d’avion, sous l’effet de la taxe internationale sur le carbone, avait été en partie compensée par l’usage chez beaucoup de compagnies aériennes de mélanges de biocarburant de deuxième génération, moins chers. Elle venait de rentrer d’un séjour dans plusieurs pays d’Afrique qui s’étaient développés rapidement après avoir pris la pleine mesure des bénéfices liés à la production de biomasse de manière durable pour leur propre production et consommation d’électricité, de chaleur industrielle et de fiouls liquides. Aliments et production de fibres avaient été préservés grâce à la gestion améliorée des fermes, y compris une réduction significative du gaspillage d’eau, des fertilisants et des pesticides grâce à l’application de nouvelles méthodes. Les revenus additionnels, notamment issus de l’introduction du carbone dans les sols sous la forme de « Biochar », avaient fortement incité les fermiers à adopter les nouvelles technologies et à apprendre davantage en ce sens. Le rêve d’une vraie production intégrée de nourriture, de fibres et de matières pour les animaux, ainsi que de biomasse utilisée pour les biocarburants et la cogénération, sans aucune nouvelle déforestation, était devenu réalité.
L’électricité, générée par les turbines à vent, les arrangements hydrauliques des petites rivières et les systèmes de concentration d’énergie solaire était vendue dans les villes avoisinantes. Les propriétaires fonciers en appréciaient les profits, ils se réjouissaient également de pouvoir accueillir des éco-touristes, à l’instar de Joy, venus apprendre ces nouvelles techniques et observer les bénéfices sociétaux qui en résultaient auprès des communautés locales.
Au retour de ses vacances, elle était contente de se souvenir avoir encouragé, dix ans plus tôt, le comité de direction de son entreprise à se diversifier dans le secteur des technologies pour l’énergie renouvelable. Elle avait expliqué que la capacité d’offrir des conseils professionnels de sélection et d’intégration pour des immeubles ou des systèmes énergétiques déjà en place deviendrait une affaire très rentable. Maintenant que presque tous les immeubles et maisons disposaient de l’installation de « compteurs intelligents » (ce qui permettait aux propriétaires de faire des économies en évitant les pics d’énergie et de générer du revenu grâce au surplus d’électricité revendu à n’importe quel moment en fonction de la demande locale), les ventes de panneaux solaires, de micro-turbines et de turbines à vent horizontales fixées le long des toits avaient explosé.
La propre maison de Joy était utilisée par la compagnie locale, qui possédait les lignes électriques et à qui Joy louait son équipement solaire, pour faire des démonstrations. Les détails de variations énergétiques entre l’approvisionnement et la demande de l’habitation étaient suivis sur la base moyenne d’une minute. La plupart des personnes s’intéressait à la manière de gérer un tel système pour éviter les charges d’une demande élevée d’énergie en cas de besoin, mais sans que cela ait d’incidence sur leur confort ou leur mode de vie.
2050
La nièce de Joy arriva au volant de son « pod » électrique (doté d’un revêtement de capteur solaire organique pour « photosynthèse artificielle » intégré dans la peinture du véhicule) après avoir emprunté « l’autoroute supra-conductrice » qui, une fois atteinte, avait tout de suite pris le contrôle de son véhicule. En se dirigeant vers le nord, elle avait toujours du mal à croire ce que Joy lui répétait, que des vaches et des moutons pâturaient naguère dans cette partie de la campagne, aujourd’hui couvertes de pamplemousses, de vignes et de maisons vertes, séparées par des systèmes de concentration et de stockage de l’énergie solaire. Toute matière organique inutilisée était collectée afin d’être employée dans les usines de raffinage des biomasses, qui produisaient une variété de bioproduits, y compris des biocarburants liquides et du Biochar de 2e génération, pulvérisés puis incorporés dans les sols cultivés comme conditionneurs et absorbeurs d’eau. En conséquence, les rendements agricoles étaient plus élevés et le carbone était éliminé de l’atmosphère, ce qui nourrissait l’espoir de parvenir à des émissions de carbone négatives à l’échelle mondiale au cours de la prochaine décennie. Il était maintenant internationalement établi que la seule façon de stabiliser les gaz à effet de serre dans l’atmosphère en dessous d’un objectif de 450 ppm de Co2 était de réduire sévèrement les émissions chaque année, pour atteindre bientôt des émissions négatives.
Sa tante avait pris sa retraite après avoir travaillé trente-cinq ans pour la même compagnie d’énergie progressive. La dernière centrale à charbon jugée inapte à la technologie de captage et stockage du dioxyde de carbone avait été fermée déjà dix ans auparavant. Joy lui expliqua que, tout au long de sa carrière, elle avait vu la technologie du CSC se développer après des débuts certes modestes, mais qu’aujourd’hui, quand elle était employée avec d’autres technologies de conversion de la biomasse, elle aidait aussi à réduire les concentrations de Co2 dans l’atmosphère. Elle et Joy avaient également discuté des plans de démolition de quelques vieux et laids pylônes électriques, qui existaient encore à proximité de la centrale maintenant désaffectée. Toutes les deux comprenaient bien pourquoi dans l’ancien temps les gens ne voulaient pas qu’elles soient construites près de leurs habitations, et comment l’opposition de l’opinion publique avait permis d’intégrer des réseaux supraconducteurs dans les nouvelles autoroutes électriques.
Joy avait aidé sa nièce à super-intégrer son pod électrique à la maison pour obtenir une recharge rapide du système de stockage digital, mais aussi, comme c’était parfois nécessaire à des moments de débit élevé, pour aider le système général d’énergie en optimisant sa capacité disponible et mobilisable sur le réseau en vue d’une exploitation locale ou pour créer un revenu complémentaire. Le compteur installé dans le véhicule relevait les charges, les décharges et les réserves que les batteries fournissaient.
La nouvelle maison de Joy était équipée des plus récents appareils intelligents comme des dernières technologies de communication et n’utilisait pratiquement pas d’énergie extérieure pour le chauffage ou le rafraîchissement de la température. Elle savait que c’était pour cela que sa nièce était toujours aussi contente de venir lui rendre visite. Quelques fois, mais rarement, quand le toit solaire ne collectait pas suffisamment d’énergie pour chauffer, rafraichir ou alimenter le plus récent équipement de stockage d’énergie fonctionnant au scandium, molybdène et gel de silicium, Joy pouvait importer des électrons du réseau national en utilisant les rayons à radiation laser-tronic et à haute fréquence[3], une innovation du dernier cri. Le surplus d’énergie pouvait être exporté de manière similaire. Le nouveau compteur « ultra-intelligent » dans le hall pouvait relever le temps d’usage, celui de l’exportation et de l’importation, et calculer les coûts et les revenus sur la base de tarifs sur le temps d’utilisation mis en place pour ces moments particuliers.
Grâce à ses années de travail et d’expérience dans le secteur de l’électricité, Joy comprenait comment des milliers de micro-générateurs - certains pareils aux siens, d’autres reposant sur des technologies différentes - pouvaient être synchronisés et contrôlés comme des stations d’électricité virtuelles dans le voisinage. Les grandes centrales traditionnelles (à savoir hydroélectriques, nucléaires, ou les centrales thermiques de type CSC dans d’autres régions) continuaient à servir pour garantir la stabilité de charge. Toutefois, au cours des deux dernières décennies, la hausse de la demande, correctement prédite, avait été partiellement contrebalancée par de meilleures mesures d’efficience énergétique, l’installation de davantage de chauffe-eau solaires et de pompes géothermiques. La demande avait aussi été partiellement couverte par l’accroissement de la capacité totale des systèmes de distribution d’énergie. Elle avait expliqué à plusieurs reprises, dans des séminaires pour les habitants, comment le système central, commandé via internet, contrôlait à tout instant l’équilibre entre l’offre et la demande. En conséquence, l’offre d’énergie était stable, les économies étaient substantielles - même après les investissements de capitaux pour la production en masse de ces technologies - et le secteur énergétique tout entier était désormais complètement exempt de carbone.
Pour résumer
Ces deux visions sont simplement présentées pour aider le lecteur à savoir de quel type de monde les gens veulent hériter. Ce sont des exemples de futurs possibles, avec des résultats très différents mais plausibles, fondés sur les choix politiques et sociaux qui se décident aujourd’hui. Chacun des deux repose sur l’évolution de développements technologiques et de réalités économiques qui pourraient, au moins en théorie, prendre place dans de nombreux pays. Ces deux scénarios pourraient probablement se réaliser au cours des prochaines décennies. Il est difficile de dire si les gens seraient dans l’ensemble plus satisfaits de leur mode de vie dans un cas que dans l’autre. Très certainement, il semble que l’accès immédiat à d’importantes sources d’énergie pour beaucoup d’individus, principalement dans les pays de l’OCDE, n’augmente pas plus leur « taux de bonheur » que chez ceux qui n’ont accès qu’aux services énergétiques de base (pour autant qu’ils aient assez d’aliments et d’eau potable).
Mais un investissement significatif dans les domaines appropriés de la Recherche et de Développement est essentiel pour que la transition désirée vers un futur énergétique digne de celui des « Grandes Espérances » soit réalisée. En acceptant l’idée très vraisemblable que l’on assistera d’ici 2050 à des développements technologiques qui n’ont pas été imaginés à ce jour, la génération actuelle conserve toutes ses chances d’influencer le type de monde dont nous souhaiterions que les prochaines générations héritent.
Traduit de l’anglais par Niels Planel