Résumés
Résumé
L’article entend apporter une contribution à l’étude des transformations des formes d’engagement des associations de malades vis-à-vis du monde médical. Deux dynamiques ont été jusqu’ici bien documentées par les travaux de sciences sociales autour notamment des maladies rares et du sida : la dynamique des exclus et la dynamique des minorités. L’article explore une troisième dynamique, à la faveur de laquelle les associations de malades réévaluent leurs rapports à la distribution des pouvoirs et des compétences au sein du monde médical, et reconfigurent leurs formes d’engagement. Il s’agit de la dynamique des victimes, figures émergentes de l’univers sanitaire des vingt dernières années. L’analyse s’appuie sur la comparaison de deux cas de contaminations iatrogènes (VIH et prion) qui ont donné lieu à des affaires marquantes dans l’histoire récente de la santé publique en France : l’affaire du sang contaminé et l’affaire de l’hormone de croissance. L’article examine les tensions qui ont traversé, après la survenue des contaminations, l’univers associatif qui s’était constitué autour de l’hémophilie et des problèmes de croissance dans un rapport de coopération avec le milieu médical. Il analyse, d’une part, comment ces tensions ont favorisé l’émergence de collectifs de victimes entièrement dédiés à la réparation du préjudice et, d’autre part, comment elles ont conduit l’Association française des hémophiles et GRANDIR à se repositionner vis-à-vis de l’affaire, du monde médical et du risque associé aux thérapeutiques.
Abstract
This paper aims to offer a contribution to the study of changes in the forms of engagement of patients’ associations in relation to the world of medicine. Two different dynamics have so far been documented in social studies research concerning rare diseases and AIDS in particular : the dynamics of the excluded and the dynamics of minorities. The paper examines a third form of dynamics, whereby patients’ associations reevaluate their relationships with the distribution of powers and skills within the medical profession, and reconfigure their forms of engagement. This is the dynamics of victims -— persons affected by the health services over the last twenty years. The analysis is based on comparison of two cases of iatrogenic contamination (HIV and prion) that revealed notorious breakdowns in the recent history of public health in France : the contaminated blood case and the growth hormone case. The paper examines the tensions which arose following the revelation of these contaminations and which marked the various associations that had been formed around hemophilia and growth problems in a cooperative relationship with the medical sector. It analyses first of all how these tensions led to the emergence of victims’ rights groups seeking compensation and, secondly, how these groups forced the Association française des hémophiles and GRANDIR to change their position as regards the case, the medical world and treatment-related risk.
Resumen
El artículo se propone aportar una contribución al estudio de las transformaciones de las formas de compromiso de las asociaciones de enfermos frente al mundo médico. Dos dinámicas fueron hasta ahora bien documentadas por los trabajos de las ciencias sociales alrededor, principalmente, de las enfermedades raras y del SIDA : la dinámica de los excluidos y la dinámica de las minorías. El artículo explora una tercera dinámica, al favor del cual las asociaciones de enfermos evalúan de nuevo sus relaciones a la distribución de los poderes y competencias en el mundo médico, y configura de nuevo sus formas de compromiso. Se trata de la dinámica de las víctimas, figuras emergentes del universo sanitario de los últimos veinte años. El análisis se basa en la comparación de dos casos de contaminaciones iatrógenos (VIH y prión) que dieron lugar a asuntos sanitarios destacados en la reciente historia de la Salud Pública en Francia : el asunto de la sangre contaminada y el asunto de la hormona de crecimiento. El artículo examina las tensiones que surgieron, después de la aparicion de las contaminaciones entre el universo asociativo que se había constituido en torno a la hemofilia y los problemas de crecimiento en un relación de cooperación con el medio médico. Analiza, por una parte, cómo estas tensiones favorecieron la aparición de colectivos de víctimas enteramente dedicadas a la reparación del perjuicio y, por otra parte, cómo condujeron a la Asociación francesa de los hemofílicos y de GRANDIR a colocarse, frente al asunto, del mundo médico y del riesgo asociado a las terapéuticas.
Corps de l’article
L’objectif de cet article est d’apporter une contribution à la réflexion engagée depuis plusieurs années par une série de travaux portant sur les transformations des formes d’engagement des associations de malades. Ces travaux ont identifié certaines lignes d’évolutions qui, au-delà de la singularité de chacun des cas étudiés, semblent aujourd’hui toucher l’univers associatif dans son ensemble : l’émergence de nouveaux modes de gouvernance, la redéfinition des rapports entre experts et profanes, l’implication croissante des malades dans la gestion des risques sanitaires et le renouvellement des constructions identitaires liées à la maladie. On assisterait globalement à un changement du modèle associatif de référence, en passant d’un modèle dans lequel les malades et leurs familles délèguent la défense de leurs intérêts aux spécialistes attitrés des domaines scientifiques et médicaux, à un modèle où ils participent à la définition des modalités de leur prise en charge et à la construction des connaissances biomédicales les concernant. Ce passage n’est cependant ni linéaire, ni inéluctable. La question se pose notamment de la nature des dynamiques à la faveur desquelles les associations réévaluent le mode de distribution des pouvoirs et des compétences entre les différents acteurs du monde médical, reconfigurent ou amorcent de nouvelles formes d’engagement.
Nous pensons qu’il est utile aujourd’hui de distinguer trois dynamiques dans l’évolution des mobilisations collectives des associations de malades survenues depuis une vingtaine d’années : la dynamique des exclus, la dynamique des minorités et la dynamique des victimes. Ces dynamiques sont étroitement liées aux transformations contemporaines de la médecine, dont les associations sont elles-mêmes parties prenantes. Elles sont associées également à l’histoire singulière de chacune des pathologies concernées et des thérapeutiques destinées à les traiter. Les recherches consacrées à quelques exemples importants, comme les maladies rares et le sida, ont mis essentiellement l’accent sur les deux premières dynamiques. La dynamique des exclus renvoie à des pathologies initialement délaissées par le corps médical et par l’industrie, pour lesquelles la délégation n’est guère possible, faute d’engagement de la part des professionnels. L’existence même de ces pathologies est souvent indissociable de la mobilisation des malades et de leurs familles pour identifier des cas, accumuler des connaissances les concernant, mobiliser des chercheurs et des laboratoires (notamment, Callon et Rabeharisoa, 1999; Rabeharisoa, 2003; Huyard, 2007). Quant à la dynamique des minorités, elle renvoie à des pathologies ou à des populations stigmatisées. Les malades et leurs familles s’engagent ici dans un rapport tendu au monde médical, souvent considéré comme porteur des valeurs dominantes dans la société. Elles tentent de créer une expertise propre capable de faire contrepoint à celle des spécialistes attitrés (dans le cas du sida, voir notamment : Epstein, 1996; Barbot, 2001 et 2002).
Cet article est consacré à l’étude de la troisième dynamique, la dynamique des victimes, et au rôle qu’elle est amenée à jouer dans la reconfiguration actuelle des formes d’engagement associatif. La dynamique des victimes suppose la reconnaissance d’un préjudice lié aux thérapeutiques elles-mêmes. Par sa nature ou par sa gravité, ce préjudice suscite aux yeux de certains acteurs une prise en compte particulière, que celle-ci soit matérielle, psychologique ou judiciaire. Cette dynamique suppose également la mise en avant, par les personnes traitées elles-mêmes ou par des défenseurs, d’une posture de victimes, que celle-ci soit accusatrice ou non. La dynamique des victimes est accompagnée de controverses dans lesquelles différents acteurs (associations de malades ou de consommateurs, médecins, institutions publiques, notamment) défendent des conceptions, souvent très contrastées, qui touchent au bien-fondé des thérapeutiques et à l’opportunité d’une redéfinition de leurs modalités d’évaluation, à la nature des préjudices invoqués et, s’il y a lieu, aux formes de réparation les mieux ajustées pour y répondre. La dynamique des victimes est ainsi au coeur d’un travail politique (Dodier, 2003) qui peut déboucher sur un renforcement ou, au contraire, sur une remise en cause de la distribution des pouvoirs et de compétences entre les acteurs mobilisés autour d’une pathologie, voire plus généralement, au sein du monde biomédical.
Nous analyserons la dynamique des victimes, et le rôle qu’elle a joué dans la reconfiguration des formes d’engagement associatif, à partir de l’examen de deux cas de contaminations iatrogènes de malades à la suite de traitements, survenues au début des années 1980. Il s’agit, d’une part, de la contamination massive des patients hémophiles traités avec des produits dérivés du sang, par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) responsable du sida[1]. En 1980, on compte environ 5 000 patients hémophiles en France. L’hémophilie est une maladie rare d’origine génétique, qui se manifeste par un déficit de facteur de coagulation provoquant des hémorragies internes aux séquelles souvent invalidantes. La moitié de ces patients est atteinte de formes sévères de la maladie et nécessite un recours fréquent aux dérivés sanguins; environ 1 350 d’entre eux ont été contaminés par le VIH, selon les données du Fonds d’indemnisation des transfusés et des hémophiles (FITH, 2003); 600 sont décédés du sida avant 1996 et on peut estimer aujourd’hui le nombre des décès à plus de 900 (Réseau France-Coag, 2006)[2]. D’autre part, il s’agit de la contamination par le prion, responsable de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ), d’enfants qui avaient été traités par des hormones de croissance extractives fabriquées à partir d’hypophyses humaines prélevées sur des cadavres[3]. La plupart de ces enfants souffraient d’un déficit somatotrope complet ou partiel qui les aurait conduits, selon toute probabilité, à ne pas dépasser une taille adulte de 1,10 à 1,40 mètre, caractérisant le nanisme hypophysaire. Pour d’autres, il a pu s’agir de retards de croissance beaucoup moins marqués. Au 1er mars 2007, 109 enfants ou jeunes adultes ont contracté la MCJ et en sont morts[4]. On estime à environ 1 700, le nombre des enfants traités susceptibles d’avoir été exposés, au début des années 1980, à une contamination par le prion (IGAS, 1992)[5]. En l’absence de test de dépistage, et face à une durée d’incubation très variable dont on sait aujourd’hui qu’elle peut atteindre plus de 20 ans, il n’existe aucun moyen d’établir avec certitude combien d’entre eux ont été contaminés et contracteront la maladie[6].
Ces contaminations ont donné lieu à deux affaires sanitaires qui ont marqué l’histoire de la santé publique en France : l’affaire du sang contaminé et l’affaire de l’hormone de croissance. Dans ces affaires, la question a été posée — publiquement et dans le cadre d’une instruction menée par la juridiction pénale — de l’existence de responsabilités au plus haut niveau de l’État, au sein des administrations sanitaires, et dans les institutions relevant du droit privé, chargées de gérer des missions de santé (voir encadré). Dans les deux cas, en effet, les traitements contaminants ont été produits par des institutions à but non lucratif relevant de l’intérêt public : une association régie par la loi de 1901[7], dans le cas de France-Hypophyse qui assurait la coordination de la collecte, de la fabrication et de la distribution de l’hormone de croissance; une fondation d’intérêt public dans le cas du Centre national de la Transfusion sanguine (le CNTS) pour les produits sanguins[8]. Les traitements issus de produits du corps humain échappaient alors au système d’évaluation auquel les autres médicaments étaient soumis. Ce modèle à la française, structuré à partir d’un modèle de production artisanale, fondé sur des principes de solidarité et de désintéressement, était l’objet d’éloges récurrents (concernant la Transfusion française voir : Bastin et al., 1977; Hermitte, 1996). Après les contaminations, c’est la dimension marchande et faiblement contrôlée de l’ensemble du dispositif qui va être mise en avant et mise en question en tant qu’obstacle à la prise en compte adaptée des alertes concernant l’éventuelle transmission, par ces produits, de nouveaux agents pathogènes (le VIH et le prion). En sciences sociales, des travaux ont analysé la manière dont l’affaire du sang contaminé a conduit à une réorganisation majeure du système de production et de distribution des produits issus du corps humain, notamment par leur intégration dans l’univers pharmaceutique et leur soumission à la procédure d’autorisation de mise sur le marché des médicaments (Hermitte, 1996; Fillion, 2005). Des travaux ont également montré l’influence de cette affaire sur le fonctionnement des administrations de la santé et sur l’élaboration des outils et des politiques de gestion des risques sanitaires (Setbon, 1993; Morelle, 1996; Chateauraynaud et Torny, 1999; Steffen, 1999 et 2001; Urfalino, 2000).
Dans cet article, nous envisageons ces deux cas de contamination, et la dynamique des victimes qui les a accompagnés, en tant qu’épreuve pour le milieu associatif qui s’était constitué autour de l’hémophilie et des problèmes de croissance, bien avant la survenue des contaminations. Une vision hâtive a pu conduire certains commentateurs à considérer que la préexistence d’associations dédiées à la défense de l’intérêt des malades aurait — en toute bonne logique — constitué un terrain favorable à la construction immédiate d’une posture de victimes accusatrices, dénonçant un monde médical jugé défaillant. L’article montre qu’il n’en est rien. Bien au contraire, loin d’être celles par qui le scandale arrive, les associations de malades préexistantes — l’Association française des hémophiles (AFH) et l’Association des parents d’enfants atteints d’insuffisance en hormone de croissance (rebaptisée GRANDIR en 1990) — ont d’abord tenté d’intégrer dans leur forme d’engagement initiale, le drame frappant les personnes contaminées et leurs familles[9]. Une posture de victimes non accusatrices a ainsi été mise en avant par ces associations pour faire appel à la solidarité des institutions, face à ce qui était considéré avant tout comme un aléa du progrès thérapeutique. Aléa dont l’exceptionnelle gravité supposait néanmoins une forme de prise en compte spécifique. L’article montre comment, à la faveur d’épisodes marquants et du fait de l’émergence (initialement aux marges et en dehors de ces associations) d’une posture de victimes accusatrices, ces associations en sont venues en définitive à réinterroger puis à réajuster leurs rapports au monde médical.
L’article s’appuie sur la conjugaison de plusieurs méthodes. Nous avons procédé à un travail d’études d’archives comprenant des rapports officiels (IGAS, FITH, notamment), des documents produits par les associations (revues, site Internet) et des articles publiés dans la presse grand public et dans la presse spécialisée. Nous avons également conduit une série d’entretiens qualitatifs auprès de 101 personnes (44 parents d’enfants traités par hormone de croissance; 57 personnes concernées par l’hémophilie[10]). L’article sera organisé en quatre parties renvoyant chacune à un état particulier de la mobilisation associative. La comparaison systématique des deux cas étudiés nous offrira la possibilité de saisir — dans la dynamique des victimes — ce qui a contribué, au-delà de la singularité de chaque cas, à façonner des expériences associatives semblables et ce qui, au contraire, a conduit à la différenciation de ces expériences.
Avant les contaminations : des associations de « malades » engagées dans le soutien des traitements
Pour comprendre la manière dont les contaminations iatrogènes, et la dynamique des victimes qui les a accompagnées, ont constitué une épreuve pour l’univers associatif qui s’était formé autour de l’hémophilie et des problèmes de croissance, il est essentiel de mieux caractériser les formes d’engagement adoptées par ces associations avant la survenue des contaminations. Une forme d’engagement peut être définie par la conjonction de plusieurs options. Elle renvoie, tout d’abord, à une manière bien particulière de concevoir les enjeux de l’action associative et son positionnement public. Elle renvoie également à une conception spécifique du statut des différents types de connaissances mobilisées dans les soins, qu’il s’agisse de l’expérimentation scientifique, de l’approche clinique ou de l’expérience de la maladie. Elle renvoie enfin à une conception bien particulière de la distribution des rôles et des compétences entre les différents acteurs du système de santé : les malades, leurs familles, les médecins, les autorités publiques, les chercheurs ou les industriels[11]. Les formes d’engagement associatif entretiennent ainsi un rapport étroit avec les modes d’exercice de la médecine en vigueur à un moment donné. En même temps, chaque forme d’engagement est, nous le verrons, indissociable des mondes sociaux qui se sont constitués autour de chaque pathologie, et qui sont étroitement liés à un état du développement des thérapeutiques[12].
Ainsi au début des années 1980, l’AFH et l’Association des parents d’enfants atteints d’insuffisance en hormone de croissance présentent des formes d’engagement assez proches. Dans les deux cas, ce sont tout d’abord des associations qui se sont positionnées publiquement en tant qu’associations de malades ou de parents d’enfants malades. Aujourd’hui ce positionnement peut surprendre : ces associations ont en effet été fortement impulsées par les spécialistes des pathologies concernées. Ces professionnels étaient en outre d’éminents spécialistes, figures de proue de l’introduction et du développement des nouvelles thérapeutiques en France. Ils bénéficiaient ainsi d’une aura importante auprès des malades et de leurs familles, en tant que médecins innovateurs sur un segment médical mal connu et composé d’un petit nombre de cliniciens et de malades. Par ailleurs, cette aura était renforcée par les fonctions de responsabilités qu’ils occupaient au sein des dispositifs organisant la production et la distribution de traitements (fractions plasmatiques et hormone de croissance). Ces traitements issus de produits du corps humain (sang et hypophyse) échappaient alors, rappelons-le, aux procédures d’évaluation ordinaires des médicaments et s’inscrivaient dans un montage original, dans lequel l’État, à la fois entrepreneur et garant de la santé publique, avait confié à ces spécialistes reconnus des prérogatives exceptionnelles et étendues. L’Association française des hémophiles (AFH) a ainsi été créée en 1955 par le Professeur Jean-Pierre Soulier, l’un des premiers spécialistes de l’hémostase, avec Henri Chaigneau, un patient hémophile. Le Professeur Soulier était alors directeur du Centre National de la Transfusion Sanguine (CNTS), où il était entré dès sa création en 1949, succédant ainsi à Arnault Tzanck, l’un des pionniers de la Transfusion sanguine française. L’Association des parents d’enfants atteints d’insuffisance en hormone de croissance, quant à elle, a été créée en 1979, à l’initiative du Professeur Jean-Claude Job et de Georges Brenner, le père d’une enfant en traitement. Pédiatre de renom, Job avait contribué à l’introduction en France du traitement par hormone de croissance extractive, testé dès la fin des années 1950 aux États-Unis. Secrétaire depuis sa création en 1973 de France-Hypophyse qui coordonnait les activités de collecte des hypophyses, de fabrication et de distribution de l’hormone de croissance, il en assume la présidence à partir de 1984. Si la présidence respective de l’AFH et de l’Association des parents d’enfants atteints d’insuffisance en hormone de croissance revient le plus souvent à des personnes malades ou à des membres de leurs familles, ces spécialistes en restent les présidents d’honneur jusqu’à ce qu’éclatent les affaires. Ce sont ces médecins introducteurs des thérapeutiques en France et leurs héritiers directs qui ont à la fois impulsé la création de ces associations de malades (ou de parents), et joué un rôle de premier plan dans la définition de leurs objectifs[13].
Dans l’une et l’autre de ces associations, il s’agissait de promouvoir l’innovation thérapeutique et le développement des traitements en s’appuyant sur une coopération entre les médecins, les malades et leurs familles[14]. Si le progrès des thérapeutiques est ainsi placé au coeur de la mobilisation associative, c’est parce qu’il est étroitement associé à un objectif de premier ordre : la normalisation du statut des malades et de la maladie. Du côté de l’hémophilie, comme l’ont très bien montré les travaux de Danièle Carricaburu (1993, 2000)[15], les dérivés sanguins ont permis aux malades de sortir des internats spécialisés dans lesquels ils ont été pendant longtemps reclus. Ils leur ont ouvert la perspective d’une vie normale, dans laquelle la maladie chronique ne constituait plus un handicap empêchant les enfants d’être scolarisés et de faire du sport, les adultes d’exercer un métier et de fonder une famille[16]. Avec le développement de l’autotraitement (injection des fractions antihémophiliques par le patient lui-même), les personnes hémophiles ont gagné une autonomie conditionnée par l’intégration d’une norme thérapeutique (la perfusion au moindre doute) et à la maîtrise de certains actes médicaux ordinaires inculqués par leurs médecins. Cette volonté de normalisation, conçue comme un ajustement à une norme sociale prédéfinie (Winance, 2004), peut être observée également — bien que sur un mode quelque peu différent — du côté des problèmes de croissance. Les enfants traités par hormone de croissance présentaient pour la plupart des déficits somatotropes partiels ou complets, d’origines très diverses : consécutifs à des tumeurs cérébrales ou à des traumatismes crâniens, liés à des maladies rares (syndrome de Turner) ou sans étiologie précisément définie. Dans certains cas, il s’agissait de retards de croissance pour lesquels la perspective d’un handicap social lié à la très petite taille était le principal enjeu du traitement[17]. Si, du point de vue de nombreux commentateurs, les indications de l’hormone de croissance étaient amenées à s’étendre, elles restaient alors relativement limitées. En raison de son mode de production (lié à la collecte des hypophyses humaines), ce traitement était à la fois rare et cher. L’attribution de l’hormone de croissance passait par l’examen du dossier des jeunes patients devant le comité d’experts de France-Hypophyse. Les familles dont la demande était acceptée s’estimaient souvent redevables d’avoir bénéficié d’un tel traitement. Dans les deux cas, les associations constituées autour de l’hémophilie et des problèmes de croissance avaient un rôle essentiel à jouer : d’une part, pour faire valoir aux administrations sanitaires la nécessité d’un soutien constant au développement de ces thérapeutiques si particulières, d’autre part, pour sensibiliser le public afin de favoriser les collectes de sang et d’hypophyses[18].
Le mode de coopération entre les médecins, les malades et leurs familles est alors pensé selon une division des rôles et des compétences dans laquelle les spécialistes attitrés prennent en charge les questions médico-scientifiques, les malades et leurs familles les dimensions psychosociales de la maladie. Il est important de noter que cette manière de concevoir la division des rôles et des compétences dans les rapports médecins/malades — au sein d’une forme d’engagement associatif — coïncide alors avec le type d’exercice de la médecine en vigueur : celui de la tradition clinique (Dodier, 2003). Dans ce modèle, en effet, le clinicien est considéré comme la référence incontournable, à la fois en matière de thérapeutique et d’éthique. Il est ainsi le plus apte à juger de la validité des traitements et à trancher, en son âme et conscience, des dilemmes moraux que l’administration de ces traitements est susceptible de poser. La tradition clinique s’accompagne ici d’une forme de paternalisme du médecin vis-à-vis de son patient. Ce paternalisme médical, basé sur une asymétrie des positions vis-à-vis des savoirs, concède aux patients une autonomie, en quelque sorte, assistée. Cette autonomie est liée en grande partie aux nécessités nouvelles apparues avec la chronicité des maladies : le malade devant désormais être capable de gérer, chez lui, au quotidien et dans la durée, des traitements médicaux souvent complexes et contraignants. Cette contrainte est conçue comme la condition sine qua non d’une vie normale. Dans cette optique, les associations ont un rôle important à jouer au niveau de la socialisation des malades (Herzlich et Pierret, 1984). Il s’agit principalement d’apprendre aux malades et souvent aussi aux membres de leur famille à prendre en charge une partie des soins y compris dans leurs aspects les plus techniques (perfusions, piqûres, etc.)[19]. Il s’agit aussi d’organiser des partages d’expériences permettant d’aborder, notamment, les difficultés éprouvées par les malades et les stratégies ou les trucs qu’ils mettent en oeuvre pour tenter de les surmonter et de diffuser des informations médicales validées par les spécialistes et vulgarisées par la voie de revues ou de rencontres associatives[20].
Ce mode de coopération entre médecins et malades est caractéristique des formes d’engagement adoptées par les associations qui se sont constituées, à partir des années 1950, autour des malades chroniques. Ces associations ont alors opéré une rupture importante vis-à-vis des formes de mobilisation antérieures, incarnées au début du siècle dernier par les ligues philantropiques, les rôles et les compétences des malades et des médecins se trouvant sensiblement redéfinies. Les ligues fonctionnaient en effet selon un modèle caritatif. Composées de femmes du monde et de personnalités de l’univers médical et politique, elles organisaient des collectes de fonds destinées à la recherche et laissaient aux spécialistes le soin d’en définir les orientations et d’en évaluer les résultats. Dans les ligues, le malade était avant tout considéré comme un objet de sollicitude. Cette sollicitude s’inscrivait bien souvent dans le cadre d’une entreprise de moralisation concernant la responsabilité du malade sur les causes de la maladie — dans le cas des maladies vénériennes comme la syphilis —, mais aussi dans d’autres pathologies qu’on associait aux mauvaises conditions d’hygiène ou aux déviances des classes populaires, comme ce fut le cas notamment pour la tuberculose [21]. Le rôle du malade consiste alors à s’en remettre à son médecin et à se soigner afin de réintégrer la société des bien portants. Ce retour sur le modèle caritatif permet de mieux comprendre ce qui, dans les formes d’engagement de l’AFH et de l’Association des parents d’enfants atteints d’insuffisance en hormone de croissance, est particulièrement innovant lorsqu’elles se créent. Il s’agit principalement de l’implication des malades et de leurs familles, de la prise en compte et de la capitalisation de leurs expériences, de la mise en place, dans le cadre d’un paternalisme médical rénové, d’un mode de coopération médecins/malades inédit. Le modèle caritatif renvoyait à un paternalisme médical conservateur, dans lequel la marge d’autonomie accordée aux patients était très faible et sous-tendue par un jugement moral concernant leurs conduites, bien au-delà du cadre des soins. La maladie et le lien avec l’univers médical étant alors considérés comme une parenthèse entre deux phases de la vie normale; assistance et sollicitude devaient soutenir le malade sur son chemin vers la guérison. En revanche, dans un paternalisme médical libéral[22], le médecin reconnaît aux malades et à ses proches — tous acteurs de soins — une marge d’autonomie plus importante et une compétence qui reste néanmoins limitée au domaine psychosocial lié à la maladie.
Une gestion des contaminations fondée sur un paternalisme associatif : resserrer les liens et gérer entre soi, soutenir et contenir
À l’AFH comme à GRANDIR, lorsque les malades ou leurs familles apprennent la survenue des premières contaminations, le choc est pour ainsi dire absorbé dans la cohérence d’ensemble de leurs formes d’engagement. Se met ainsi en place un mode de gestion des contaminations fondé sur ce que nous appelons un paternalisme associatif, terme proposé pour marquer que c’est désormais l’association dans son ensemble qui adopte une position paternaliste et non plus uniquement les médecins. Ce paternalisme associatif consiste, d’une part, à renforcer les liens entre les malades et les médecins pour gérer entre soi (et selon le mode de répartition des rôles et des compétences en vigueur au sein de ces associations) le drame qui affecte les petits mondes de l’hémophilie et du traitement par hormone de croissance. C’est une gestion à bas bruit, dans laquelle est mise en avant la nécessité de protéger la collectivité des patients d’un double danger : celui de la stigmatisation et celui de la panique. D’autre part, ce mode de gestion consiste à soutenir, mais aussi à contenir les personnes contaminées et leurs familles. Celles-ci sont alors considérées comme les victimes de complications liées aux traitements, dont la gravité nécessite une prise en considération particulière, mais qui doivent être préservées des débordements associés aux excès d’engagement sur la scène judiciaire ou médiatique.
À l’annonce des contaminations, tant sur le plan cognitif que sur le plan moral, les malades et leurs familles sont appelés à remettre immédiatement au petit nombre de médecins considérés à la fois comme les spécialistes éminents de la maladie et les meilleurs garants de leur intérêt concernant les questions éthico-scientifiques. C’est à ce titre que les liens entre l’AFH et le CNTS, et entre GRANDIR et France-Hypophyse, sont perçus comme les moyens privilégiés d’avoir accès à une information fiable et de première main sur les causes du drame et sur son ampleur. Ces liens sont également considérés comme un atout majeur pour favoriser la mise en place d’un mode de circulation maîtrisée de l’information à destination des malades et du public en général. En effet, il s’agit avant tout, pour ces associations, de ne pas voir ruinés les efforts accomplis en faveur de la normalisation du statut des malades et de la maladie, par des annonces intempestives et sensationnalistes concernant ces contaminations. Les risques de stigmatisation des malades hémophiles et des enfants traités par hormone de croissance et de leurs familles sont alors perçus comme d’autant plus forts que le sida et la maladie de Creutzfeldt-Jakob sont des maladies difficilement endossables dans l’espace public. Le sida est une maladie transmissible par le sang et les sécrétions sexuelles, alors fréquemment représentée dans les médias par une imagerie violente (corps décharnés, manipulés par des soignants gantés). Elle est, qui plus est, associée aux comportements hors normes des homosexuels et des usagers de drogue[23]. La maladie de Creutzfeldt-Jakob, quant à elle, suscite également l’effroi en tant que pathologie neuro-dégénérative à l’évolution rapide et toujours mortelle. Parce qu’elle touche généralement les personnes âgées, la MCJ vient également réactiver les représentations négatives associées à l’origine macabre des traitements par hormone de croissance[24]. L’enjeu de l’AFH et de GRANDIR est alors de gérer une menace essentiellement perçue comme extérieure aux petits mondes de l’hémophilie et du traitement par hormone de croissance. À l’AFH, ce resserrement des liens autour des médecins est d’autant plus fort qu’ils sont, à l’échelle de la relation singulière médecin/malade, souvent profondément ancrés et jugés indéfectibles. Le traitement de l’hémophile est en effet un traitement à vie, le plus souvent commencé dès la prime enfance; contrairement au traitement par hormone de croissance qui est, dans la plupart des cas, interrompu à l’âge adulte, mettant ainsi fin aux relations entre les médecins pédiatres et leurs patients. La survenue des contaminations des hémophiles et les nouveaux problèmes de santé s’y afférant, ont été considérés comme ne pouvant que renforcer les relations entre les malades et leurs médecins traitants, tant par confiance que par nécessité. L’AFH soutient ainsi la mise en place d’un suivi spécifique de la séropositivité des hémophiles au sein même des centres de traitement de l’hémophilie. Il s’agit pour l’association à la fois d’éviter l’assimilation des hémophiles aux personnes contaminées par voie sexuelle ou intraveineuse, d’entretenir l’idée d’une spécificité du sida des hémophiles, et de considérer que les liens privilégiés entre les médecins de l’hémophilie et leurs patients contaminés seront un atout majeur pour bénéficier précocement des premiers essais thérapeutiques concernant le VIH.
Pour l’AFH, comme pour GRANDIR, il s’agit donc de soutenir activement les personnes contaminées et leurs familles face au malheur qui les frappe. Soutenir les personnes contaminées renvoie, en quelque sorte, à une forme d’extension naturelle de la vocation d’aide aux malades de ces associations : les contaminations sont ici intégrées comme un aléa des progrès thérapeutiques, dont les conséquences d’une exceptionnelle gravité supposent l’expression d’une solidarité. L’AFH et GRANDIR vont ainsi jouer un rôle supplétif des pouvoirs publics pour prendre en charge des situations urgentes et dramatiques, sur les plans matériel, psychologique et médical. GRANDIR va notamment aider les familles des premiers enfants atteints de la MCJ, pour l’achat de lits anti-escarres, la mise en place d’un système d’aide à domicile et l’aménagement nécessaire de l’espace familial, face à une dégradation physique et neurologique rapide. Les cas de MCJ iatrogène sont rares, peu connus des services sociaux et médicaux, échelonnés dans le temps et dispersés géographiquement : GRANDIR participe à l’organisation, dans l’urgence, d’une première centralisation de l’information sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob et une médiation entre les familles et les professionnels de la santé et de l’aide sociale.
À cet engagement de soutenir les malades et leurs familles, ces associations ont assorti également la volonté de les contenir et d’éviter ainsi les débordements qui procéderaient de leurs excès d’engagement dans deux arènes : celle des médias et celle de la justice. Ni l’AFH ni GRANDIR ne seront ainsi à l’origine de la médiatisation des premiers cas de contamination touchant les patients hémophiles ou les enfants ayant des problèmes de croissance. Elles ne seront pas non plus à l’origine de l’action judiciaire. Bien au contraire, quand les contaminations se trouvent exposées dans l’espace public, ces associations s’engagent dans un travail de dédramatisation de l’information. Lorsqu’en février 1992, le quotidien Le Monde « révèle » les 10 premiers décès d’enfants à la suite de la MCJ iatrogène, les porte-parole de GRANDIR tentent d’endiguer la polémique et les « comportements irrationnels » des familles que pourrait susciter une telle annonce[25]. Ils déclarent ainsi avoir été tenus au courant des cas survenus depuis 1988 et avoir choisi de « garder le silence », y compris vis-à-vis de leurs propres adhérents[26]. Les familles sont considérées comme devant être protégées de la panique qui n’aurait pas manqué de les gagner si elles avaient eu accès à cette information. Cette panique anticipée est jugée irrationnelle, d’une part aux vues des prévisions des spécialistes, « un ou deux cas supplémentaires tout au plus » (ces prévisions se révèleront dramatiquement fausses). Cette panique anticipée est jugée irrationnelle, d’autre part, au motif qu’elle risque de gagner, non seulement les familles d’enfants traités par hormones de croissance extractives, mais aussi celles des enfants traités à partir de 1988 par les hormones issues du génie génétique, pour lesquelles le risque infectieux est exclu. Enfin cette panique est considérée comme inutile, puisqu’en l’absence de test de dépistage et de traitement préventif ou curatif de la MCJ, on considère que rien ne peut être proposé aux familles[27].
Ce mode de gestion des contaminations va d’ailleurs être conforté, par le fait que la mission d’expertise concernant les circonstances des contaminations est officiellement confiée par Jean-Louis Bianco (ministre des Affaires sociales et de l’Intégration) et Bruno Durieux (ministre délégué chargé de la Santé), aux professeurs Job (fondateur de l’association des parents, président de France-Hypophyse) et Dangoumau (directeur de la Pharmacie et du Médicament). Les conclusions de cette expertise s’avéreront, qui plus est, optimistes. Par la suite, ni les déclarations successives de nouveaux cas de contamination, ni les conclusions du rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS, 1992)[28] pointant les multiples défaillances du système français de production et de distribution de l’hormone de croissance, ne conduiront l’association à remettre publiquement en cause cette confiance. Après le « rapport IGAS », alors que nombreux commentateurs considèrent que les premières plaintes de familles de victimes, déposées en 1991, aboutiront à un procès pénal, le président de GRANDIR critique la logique du procès à laquelle il oppose celle d’un règlement serein et solidaire [29], jugé mieux à même de respecter l’intérêt des victimes et de leurs familles[30]. Ainsi, lorsqu’en juillet 1993, Jean-Claude Job (France-hypophyse) et Fernand Dray (Institut Pasteur) sont mis en examen pour homicide involontaire, GRANDIR défend publiquement ces « deux praticiens qui ont entrepris, au nom de la médecine, en leur âme et conscience, tout ce qu’ils pouvaient faire de mieux[31] ». L’association, mettant en avant la position de victimes non accusatrices, demande que la vérité soit établie, par une autre voie que celle du procès et que les familles bénéficient rapidement d’un fonds d’indemnisation[32].
On ne saurait uniquement expliquer la position de GRANDIR par la faiblesse du nombre de cas de MCJ déclaré et par l’incertitude relative à l’ampleur des contaminations, même si celles-ci jouent un rôle important. Du côté de l’AFH, on observe les mêmes réserves, et ce, encore plusieurs années après que la contamination massive des hémophiles a été établie. Dès la fin de 1985, en effet, au sein de l’AFH, les chiffres sont connus (un hémophile sévère sur deux est séropositif), même si les conséquences de cette contamination restent assez floues[33]. Si, dans sa revue, l’AFH invite les hémophiles à prendre au sérieux le risque du VIH et à se rapprocher des structures de soins, elle n’en garde pas moins une grande réserve dans sa communication publique et critique le sensationnalisme de la presse concernant le sida et la contamination transfusionnelle. Les médias sont accusés de contribuer à la stigmatisation des hémophiles en les présentant comme un groupe à risque. « Devant la présentation souvent déformée et peu scientifique faite par la presse des problèmes liés au SIDA, précise un courrier de l’AFH aux malades du 25 juin 1985, les Conseillers médicaux et les Responsables de l’Association ont jugé nécessaire de vous informer le plus simplement possible de l’état actuel des connaissances ». Dans l’éditorial de la revue de septembre de la même année, le président de l’AFH écrit : « Informer est bien difficile quand rien n’est sûr [...] Vous ne trouverez donc pas, dans cette revue, de révélations, de mises au point tonitruantes et faussement définitive[34]. » La contamination par le VIH est alors pensée comme un accident tragique accompagnant les progrès thérapeutiques et — dans un contexte où la stigmatisation des malades est considérée comme un danger majeur — l’expérience de la séropositivité doit rester confinée dans l’espace privé. Lorsque des demandes d’aides financières sont adressées par l’association aux pouvoirs publics, c’est avant tout au titre d’un geste de solidarité envers les hémophiles contaminés, et non dans une logique de réparation de fautes ou de négligences commises. La question des responsabilités n’est alors pas véritablement soulevée, même si assez rapidement l’idée qu’il y a bien eu des dysfonctionnements va prendre corps.
L’entrée dans l’affaire : critique du paternalisme associatif et émergence d’une position de victimes accusatrices
Cette volonté des associations de malades de s’appuyer sur le modèle de la coopération entre malades et spécialistes comme meilleur garant de l’intérêt des malades face aux contaminations, et la mise en place d’un mode de gestion consistant à soutenir, mais aussi à contenir les personnes contaminées et leurs familles, vont générer de vives tensions. Ces tensions aboutissent à la création de collectifs de victimes qui procèdent à une lecture critique des conditions qui ont présidé aux contaminations et optent pour la voie judiciaire comme moyen privilégié d’accès à la vérité. En contexte de drame sanitaire, à l’attitude jugée par trop déférente des associations de malades vis-à-vis des institutions médicales et administratives, les collectifs de victimes opposent une démarche plus offensive, basée sur la constitution d’une expertise autonome, étroitement liée à l’action judiciaire.
Ainsi, dans le cas du sang, l’instruction pénale débute officiellement en 1988. Au fur et à mesure que les documents et les témoignages s’accumulent, les articles de presse se font de plus en plus nombreux et incisifs. Si la ligne politique de l’AFH reste du côté de la dédramatisation, dans les réunions associatives l’inquiétude monte face à la succession des sidas déclarés et des décès qui viennent décimer les rangs. La confiance dans le modèle de coopération est mise à rude épreuve. Des informations — ressortant des dossiers individuels des malades, des premiers procès au civil et du travail journalistique — viennent de plus en plus régulièrement contredire la version du tragique accident[35]. C’est dans ce contexte que va être créé le premier collectif de défense des victimes du sang contaminé. L’Association des Polytransfusés (ADP)[36] est fondée en novembre 1987 par Jean Peron-Garvanoff, un homme hémophile contaminé, ancien membre de l’AFH. Dès 1986, Jean Peron-Garvanoff essaye d’engager l’association dans une action judiciaire. Il doit alors faire face à des refus de la part de l’AFH qui le juge excessif et menaçant pour l’équilibre des relations entre les malades, les producteurs de produits sanguins et les médecins. Dans ce contexte, Jean Peron-Garvanoff considère bientôt l’AFH, non seulement comme incapable de défendre la cause des hémophiles contaminés, mais aussi comme coresponsable de la catastrophe transfusionnelle, du fait de ses liens étroits avec le CNTS[37]. L’ADP rompt donc radicalement avec les orientations de l’AFH en inscrivant au centre de sa mobilisation, à la fois l’action judiciaire conduite au pénal, et la dénonciation publique de ceux qu’elle estime responsables de la catastrophe transfusionnelle. La création de l’ADP, sa forte visibilité — liée à une politique très engagée dans la publicisation d’une cause des victimes — contribue à un changement de cadre majeur : du drame collectif qui touche les hémophiles vers l’affaire du sang contaminé. À la position des victimes malheureuses des dommages collatéraux liés aux progrès thérapeutiques transfusionnels, vient désormais s’ajouter une position de victimes accusatrices qui dénoncent des décisions sanitaires incontrôlées (voire oublieuses de la santé d’individus ou de populations), demandent des explications, exigent des sanctions[38]. Il est indéniable que l’action très largement portée par Jean Peron-Garvanoff au sein de l’ADP a été un opérateur de reconfiguration essentiel de l’affaire du sang contaminé et du monde de l’hémophilie. Ce dernier n’en est pas moins resté un personnage relativement isolé (malgré des soutiens individuels forts), et l’ADP une association dont le destin a toujours été lié à celui de son fondateur. L’entrée dans l’affaire, par l’adoption d’une posture de victime accusatrice, était alors indissociable pour les patients hémophiles d’une double rupture dramatisée : avec l’AFH, d’une part, et avec leur médecin traitant, d’autre part, parfois même avec l’univers médical spécialisé en général[39].
Dans le cas de l’hormone, plusieurs parents d’enfants décédés de la MCJ critiquent la position moralisatrice, sur laquelle GRANDIR se serait appuyée pour tenter de les contenir. Ils font notamment état des pressions psychologiques visant à les dissuader de mettre en avant publiquement leur drame, au nom du tort qu’ils risquaient de causer aux enfants et aux familles indemnes ainsi exposés à une information traumatisante[40]. Certains parents reprochent également à GRANDIR d’avoir voulu les maintenir dans l’isolement, ou pour le moins de n’avoir jamais facilité leur rapprochement. Ce maintien à l’écart, favorisé par le petit nombre de contaminations, a rendu difficile le partage d’expériences et d’informations entre les familles d’enfants atteints par la MCJ, alors que ce partage semblait attendu et au fondement même d’une démarche associative. GRANDIR aurait dû, selon ces parents, constituer le lien naturel entre les familles de victimes. Pour certains, c’est avant tout cet isolement qu’il s’agissait de rompre en mobilisant les médias pour se faire connaître — s’identifier et pouvoir être identifié — pour rencontrer d’autres cas. Ce maintien dans l’isolement a pu être interprété par ces parents comme l’expression d’un paternaliste associatif mal ajusté à la situation, voir comme une politique savamment orchestrée par les spécialistes afin d’étouffer l’affaire et de fuir leurs responsabilités[41]. De fait, cet isolement sera rompu, le 4 mars 1993, quand Bernard Kouchner, s’apprêtant à quitter ses fonctions, réunit dans l’enceinte du ministère de la Santé, les 20 familles de victimes alors recensées. Pour Jean-Bernard Mathieu, président du premier collectif de parents d’enfants victimes (la MCJ-APEV, officiellement créée en 1996), c’est cette rencontre qui a permis de jeter les bases d’une action commune[42]. Il s’agit pour la MCJ-APEV de soutenir les familles, d’une tout autre manière que l’avait fait GRANDIR, par la mise en commun des connaissances spécifiques liées au vécu de la MCJ, la constitution d’une position des victimes accusatrices et l’élaboration d’une expertise des circonstances des contaminations étroitement liée à l’action judiciaire[43]. Néanmoins, après le déclenchement de l’affaire, la MCJ-APEV restera longtemps réservée vis-à-vis des médias, redoutant — comme l’avait fait GRANDIR — ses effets potentiels sur les jeunes à risque et leurs familles[44]. Elle oppose, au nom de la mémoire des enfants, les bienfaits d’un exercice serein et rapide de la justice aux affres d’un spectacle médiatico-judiciaire. En 1999, Jeanne Goerrian crée un second collectif, l’AVHC[45], également consacré à l’aide aux familles des victimes, mais qui juge la MCJ-APEV par trop timorée. Ce second collectif de victimes s’appuie notamment sur une conception très différente de l’usage des médias et du travail judiciaire. Les médias apparaissent ici à la fois comme garants et facilitateurs d’un travail judiciaire. Les deux collectifs de victimes ont participé, à différents moments de leur histoire, aux travaux du Centre national de référence de la MCJ iatrogène[46], contribuant à la rédaction des documents d’informations sur la maladie et à la mise en place des protocoles compassionnels destinés à mettre à la disposition des jeunes malades des traitements potentiellement efficaces pour ralentir la progression de la MCJ[47].
Le réajustement des formes d’engagement des associations de malades : militantisme scientifique et réévaluation du rapport à la norme et au risque
Au début des années 1990, c’est tout le système des solidarités entre acteurs mis en place antérieurement autour des traitements (sang et hormone) qui va être de nouveau mis en question par une grande diversité d’acteurs[48]. Les associations de malades elles-mêmes vont être amenées à réajuster progressivement leurs formes d’engagement vis-à-vis du monde médical. Le travail judiciaire, conduit dans le cadre de la procédure pénale (engagée à partir de 1988, dans le cas du sang contaminé, et de 1991, dans le cas de l’hormone de croissance), va mettre en avant les dimensions marchandes du système de production et de distribution des traitements et ses défaillances dans la prise en compte rapide du risque iatrogène. Ce faisant, il va porter un éclairage nouveau sur les rapports des malades et de leurs familles avec l’univers médical. Ces rapports étaient jusqu’alors pensés de façon très globale sous l’angle du dévouement des médecins et de la reconnaissance des malades et de leurs familles [49]. Ils vont être sensiblement réévalués.
Cette réévaluation va se faire dans un contexte où émerge un journalisme d’investigation abordant les questions médicales d’une nouvelle manière. Dès la fin des années 1980, des journalistes rompent en effet avec le modèle du journalisme scientifique qui, en rapport étroit avec les institutions médicales, était alors essentiellement consacré à la vulgarisation des savoirs spécialisés. Quant au journalisme d’investigation, il revendique une position critique vis-à-vis de l’autorité des institutions médico-scientifiques, dévoilant les intérêts, notamment économiques, susceptibles d’influer sur les décisions prises par ces institutions, indépendamment même de toute concertation avec les personnes directement concernées par ces décisions[50]. Cette réévaluation va se faire enfin sous le coup de l’action lancée par les collectifs de victimes accusatrices qui contestent publiquement le bien-fondé des réactions des associations de malades aux contaminations et dénoncent les liens entre l’AFH et le CNTS et entre GRANDIR et France-Hypophyse, en tant qu’obstacle à la recherche de la vérité. C’est dans ce contexte polémique que plusieurs événements marquants vont conduire l’AFH et GRANDIR à réviser leurs positions en rejoignant la procédure judiciaire et à réajuster leur forme d’engagement vis-à-vis du monde médical. Ce réajustement empruntera néanmoins des voies différentes à l’AFH et à GRANDIR, l’une s’orientant vers la construction d’une nouvelle forme de militantisme scientifique, l’autre révisant plus à la marge ses positions pour gérer la crise morale à laquelle elle est confrontée. La comparaison des deux cas offre ici une perspective intéressante pour l’analyse.
Entre 1985 et 1992, plusieurs épisodes marquants ont ébranlé l’économie de la confiance que les patients hémophiles et leurs familles avaient bâtie, au sein de l’AFH, sur la base des solidarités constituées relativement au traitement de l’hémophilie. Le passage de l’association d’une position de dédramatisation à la dénonciation publique de l’affaire et à l’action judiciaire a ainsi été déclenché, notamment par l’âpreté de la lutte menée par l’AFH pour l’indemnisation et par le sentiment de trahison qu’a suscité le dévoilement des intérêts économiques ayant participé aux prises de décision concernant la gestion du risque du VIH. En effet, formulées dès 1987 par l’AFH, les demandes d’aides financières destinées aux hémophiles contaminés se sont d’abord heurtées aux réticences des pouvoirs publics et de l’univers médical[51], motivées par la volonté d’épargner les deniers publics et d’éviter que la catastrophe transfusionnelle soit interprétée en termes de faute et non plus d’aléa. L’AFH ne mettait pourtant pas en cause la Transfusion et les médecins, mais invoquait le recours à une aide solidaire de l’État, ou aux contrats d’assurances souscrits par les centres de Transfusion. Cette fin de non-recevoir pousse l’association à adopter une position plus offensive dans les médias, qui aboutit en juillet 1989 à la création d’un fonds de secours qu’elle négocie avec l’État et les assureurs[52]. L’Association des Polytransfusés (ADP) condamne alors de façon virulente ce protocole et le rôle qu’y tient l’AFH. Le montant de l’indemnité est en effet très en deçà de ce qu’accordent les tribunaux civils et une clause particulière engage les bénéficiaires à renoncer à toute action en justice. Le rôle de l’AFH est également vivement critiqué par ses propres adhérents. Ce protocole d’indemnisation est souvent qualifié dans les entretiens des « 100 000 francs de la honte ». Confrontée à une crise interne majeure, l’AFH ne peut alors que considérer ce protocole comme un premier pas et s’engage dans un rapport tendu avec les instances politico-administratives pour faire évoluer le fonds. Dans le même temps, les tensions montent entre l’AFH et beaucoup des médecins de l’hémophilie, notamment ceux qui s’étaient investis au sein de l’Association pour promouvoir innovations et normes thérapeutiques. Mais la radicalisation de l’AFH tient surtout à la parution, le 25 avril 1991, d’un article d’Anne-Marie Casteret dans L’Événement du Jeudi[53]. Cet article soutient — procès-verbal à l’appui — qu’en mai 1985, le CNTS avait pour des motifs économiques choisi de distribuer des produits qu’il savait contaminés à 100 %[54]. Le retentissement de cet article est considérable, engageant résolument le dossier du côté d’une affaire d’ampleur nationale. Interpellés, les pouvoirs publics et le CNTS déclarent avoir pris cette décision en concertation avec l’AFH. Cette dernière sort alors définitivement de sa réserve pour infirmer publiquement ces propos. Peu de temps après, le rapport Lucas (IGAS, 1991) souligne quant à lui que le retard du gouvernement à donner l’autorisation du test de dépistage américain visait à favoriser les intérêts industriels français, contribuant ainsi au retard du dépistage systématique des dons de sang et à la contamination tardive de dizaines, voire de centaines, d’hémophiles. C’est dans ce contexte de violente mise en cause d’autorités sanitaires et politiques de premier rang qu’est adoptée le 31 décembre 1991 la Loi d’indemnisation des personnes contaminées en France étendue à l’ensemble des victimes par transfusion sur le sol français et alignant le montant de l’indemnité sur celui des tribunaux civils. C’est dans ce contexte aussi que l’AFH s’engage dans la procédure pénale, entraînant la démission de son cofondateur et président d’honneur, le Professeur Soulier.
L’effet déclencheur qui, à quelques années d’intervalle, conduit GRANDIR à rejoindre la procédure pénale est également lié à la parution d’un article d’Anne-Marie Casteret, dans L’Express en 1997[55]. La mise en place du fonds d’indemnisation joue là un rôle sans doute moins important, car elle a été plus rapide et d’emblée calée sur le précédent de l’indemnisation du sida transfusionnel. Par son contenu, l’article de Casteret provoque la même rupture de confiance concernant l’intégrité morale des responsables de la production et la circulation des traitements. En effet, Casteret soutient qu’en juin 1985 non seulement la Pharmacie centrale des Hôpitaux n’aurait pas rappelé les lots d’hormone de croissance non purifiée, alors que le risque de contamination par le prion était connu, mais qu’elle aurait aussi, pour des raisons financières, écoulé les lots qu’elle détenait encore en stock[56]. Cette révélation remet à l’ordre du jour une affaire qui a quitté la scène médiatique depuis presque deux ans et précède, de quelques jours à peine, l’annonce de la requalification par la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy, des chefs d’inculpation retenus à l’égard des principaux mis en examen : on ne parle plus alors d’homicide involontaire, mais d’empoisonnement. Les parents dirigeant GRANDIR avaient affirmé à maintes reprises que si, rétrospectivement, une erreur d’appréciation du rapport risque/bénéfice avait sans aucun doute été commise, cette erreur ne pouvait justifier — à elle seule — la tenue d’un procès pénal. Ils considèrent désormais avoir été trahis et que, bien davantage qu’un dysfonctionnement technique ou qu’une mauvaise évaluation des risques, les acteurs du système ont pu également commettre une faute morale.
La révision des positions de GRANDIR et de l’AFH vis-à-vis de l’affaire va entraîner des remaniements importants et notamment l’éviction progressive ou les départs volontaires des personnalités médicales les plus mises en cause par la procédure judiciaire. De son côté, l’AFH s’engage sur une voie étroite : menant un travail critique vis-à-vis de l’univers transfusionnel, sans jamais rompre avec lui, défendant l’intérêt des victimes de la contamination, sans perdre de vue sa spécificité d’association des hémophiles (dont les plus jeunes sont nés aujourd’hui plus de 20 ans après les années de contamination). À une mobilisation constante dans la procédure pénale, elle adjoint un travail actif de recomposition de ses relations avec l’univers médical dans lequel la confiance a priori dans les bienfaits des innovations thérapeutiques n’est plus de mise [57]. La notion de risque associé aux traitements est désormais omniprésente et l’Association quitte sa position de promotion de l’innovation thérapeutique au profit de conduites de précautions définies en fonction d’une balance bénéfices/risques. Le développement des traitements et des savoirs scientifiques — loin de réduire l’incertitude — est désormais considéré comme porteur de nouvelles questions, ouvrant sur des choix qui n’ont plus lieu d’être délégués exclusivement aux spécialistes attitrés, et vis-à-vis desquels il s’agit désormais, pour l’Association, de mieux équiper les patients[58]. Dans ce travail de recomposition, l’AFH s’appuie également sur les grandes réformes de santé publique des années 1990 — d’ailleurs explicitement liées à l’affaire du sang contaminé — et notamment sur la loi du 4 janvier 1993 qui réorganise la Transfusion sanguine et crée les premières agences de sécurité sanitaire[59]. Elle s’empare de nouveaux outils, tel le principe de précaution[60], pour asseoir ses positions face à l’éventualité d’un nouveau risque de contamination iatrogène et préfère désormais systématiquement prendre le risque d’une erreur scientifique en tenant pour possible ce qui n’est qu’incertain, plutôt que d’encourir un risque sanitaire qui néglige une menace sur la population. En 1997, lorsque la possibilité d’une transmission sanguine du prion est scientifiquement posée[61], l’AFH répercute l’information auprès des hémophiles et fait pression sur les pouvoirs publics pour que la menace soit prise au sérieux. Le président de l’AFH de l’époque explique aujourd’hui en entretien :
Par principe, j’ai fait du Creutzfeldt-Jakob une entité aussi redoutable que le VIH. La suite me donnera probablement tort, mais un principe de sécurité doit s’appliquer de la même façon, quel que soit le risque [...] Avant tout, il faut être réactif. Dès qu’on a un soupçon, quel que soit le motif de ce soupçon, il faut interroger les pouvoirs publics. On s’aperçoit presque toujours après que ce soupçon avait des raisons d’être interrogé.
L’AFH exige (et obtiendra en 2005) que les patients hémophiles ayant reçu des lots de sang issus d’un donneur MCJ soient informés de leur situation, alors même que le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) s’y oppose et que tous les autres receveurs de produits sanguins sont laissés dans l’ignorance[62]. Face à ceux qui lui reprochent d’affoler inutilement les malades, l’AFH soutient désormais publiquement que « les hémophiles préfèrent être inquiets que contaminés[63] ». L’association inscrit sa politique de précaution à l’égard des patients hémophiles dans une forme d’engagement civique vis-à-vis de la population générale à l’égard de laquelle elle se définit comme sentinelle. Cette position est soutenue par un triple constat : la population hémophile a été depuis 30 ans la première victime des trois grandes épidémies qui ont touché ensuite massivement les populations (hépatite B, hépatite C, VIH), elle a été parmi les premières à être traitées avec des médicaments issus du génie génétique aux effets inconnus à long terme. Elle sera sans doute parmi les premières également à bénéficier d’éventuelles thérapies géniques. Ainsi, pour l’AFH, cette population agit comme révélateur de risques sanitaires collectifs. Et des mesures conservatoires doivent être adoptées dès lors que des faits alarmants touchent les patients hémophiles. La notion de population sentinelle permet ainsi à l’AFH de revendiquer une forme d’engagement civique touchant à la sécurité sanitaire des populations et de lever le reproche communément fait aux mobilisations de victimes de procéder d’une revendication égocentrée, à distance — voire en tension — avec le bien commun. Il s’agit bien pour l’AFH de constituer une cause d’intérêt général à partir d’une forme particulière d’exposition au risque liée à la nature des thérapeutiques.
Contrairement à l’AFH, l’expérience des contaminations et de l’affaire ne constituera pas le moteur d’une réévaluation profonde du rapport de GRANDIR au risque iatrogène et au rôle des malades et de leurs familles dans les choix médico-scientifiques. Et, ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, en 1992, au moment où l’affaire éclate, l’hormone de croissance extractive n’est déjà plus utilisée depuis plusieurs années. Elle a été remplacée par une hormone issue du génie génétique. Contrairement au sang — où, malgré la présence de produits recombinants, les fractions plasmatiques d’origine humaine font toujours partie de l’arsenal thérapeutique[64] — dans le cas de l’hormone, le risque iatrogène spécifique à l’usage des produits issus du corps humain n’est plus d’actualité. Par ailleurs, le traitement s’adressant à des enfants, souvent pour une durée limitée, GRANDIR, plus encore que l’AFH, verra à la fois ses membres actifs et la population des personnes traitées se renouveler massivement en l’espace de quelques années. Les parents d’enfants ayant reçu des hormones de croissance extractives se retirant, pour ainsi dire naturellement, au terme du traitement ou se désinvestissant progressivement d’une association pour laquelle le problème des contaminations iatrogènes allait bientôt faire partie du passé[65]. Dans ce contexte, si GRANDIR reste engagée dans la procédure judiciaire, c’est aujourd’hui en affichant un devoir de mémoire vis-à-vis d’une partie de ses adhérents, ou anciens adhérents. Et l’association envisage toujours la médiatisation de l’affaire dans ces aspects négatifs. La mauvaise publicité donnée à l’hormone de croissance risque, selon elle, de relancer la stigmatisation des jeunes malades en cours de traitement, et de semer la confusion entre ce qu’était l’hormone extractive et ce qu’est aujourd’hui un traitement entièrement réformé. Enfin, GRANDIR s’est repositionnée dans un contexte où existent désormais deux associations de familles de victimes — la MCJ-APEV (récemment rebaptisée MCJ-HCC[66]) et l’AVHC — particulièrement actives sur le front de l’action judiciaire et des médias, et avec lesquelles ses rapports sont restés très tendus. GRANDIR restera toujours pour la plupart de ces familles, l’association du professeur Job, celle qui a géré la survenue des contaminations sur un mode inadéquat, voire suspect. Dans le cas du sang, au contraire, les associations de victimes se sont peu à peu effacées[67], laissant l’AFH s’imposer sur la scène publique au cours des différents rebonds de l’affaire. Même si, pour certains, l’AFH est toujours suspecte d’allégeances trop rapides à l’égard des institutions, d’un point de vue judiciaire, elle a été lavée — lors de la première série de procès en 1992-1993 — du chef d’accusation de non-assistance à personne en danger soulevé par l’ADP et de toute responsabilité dans la contamination transfusionnelle. La réputation de GRANDIR, en revanche, reste encore suspendue à un procès qui, 16 ans après le début de l’instruction et plus de 20 ans après les faits incriminés, est annoncé pour février 2008.
Conclusion
Cet article part d’une interrogation générale concernant les dynamiques de transformation des formes d’engagement des associations dans le domaine de la santé. Une dynamique de transformation renvoie, pour une association, à une manière particulièrement aiguë de s’interroger, à un moment donné de son histoire, sur le mode de distribution des pouvoirs et des compétences entre les différents acteurs engagés autour d’une pathologie. Nous n’abordons pas ces dynamiques dans une vision linéaire et évolutionniste des changements généraux qui affecteraient le monde associatif dans son ensemble et que l’on retrouverait, de façon plus ou moins rapide, plus ou moins forte, au sein de chaque mobilisation associative. Parler de dynamiques, au sens où nous l’entendons, suppose de s’intéresser également à l’identification des configurations locales dans lesquelles émergent et se transforment les formes d’engagement des associations, se crée et se déplace chaque expérience associative.
Les travaux existants de sciences sociales nous ont permis d’identifier les deux premières dynamiques que nous avons appelées : dynamique des exclus et dynamique des minorités. La dynamique des minorités repose sur une critique de la partialité du monde médical et peut passer par un processus de contre-expertise concernant les dimensions médicales et scientifiques de la maladie, afin de lutter contre les tendances à la stigmatisation des malades, considérées comme propres au monde médical et à la société dans son ensemble. Cette dynamique a été particulièrement à l’oeuvre dans le cas du sida. La dynamique des exclus repose, quant à elle, sur une critique de l’abandon des malades et de leurs familles et suppose la mise en oeuvre d’un processus d’intéressement face à un monde médical considéré comme salvateur, mais difficile à mobiliser. Cette dynamique a été mise en évidence par de nombreux travaux portant sur les maladies rares. Elle est pertinente, concernant les exemples étudiés dans cet article, pour rendre compte de la manière dont GRANDIR et l’AFH ont été créées. La création de ces associations par un petit nombre de médecins innovateurs, introducteurs des nouvelles thérapeutiques en France et en lien étroit avec eux, a donné lieu à la construction d’un rapport de coopération bien particulier : les malades et leurs familles s’engageaient dans le soutien des thérapeutiques aux côtés de ces médecins innovateurs, considérés comme particulièrement dévoués à leur cause. Concernant un segment médical étroit, les associations avaient notamment un rôle de lobbying auprès des autorités sanitaires afin d’assurer la pérennité et l’essor des dispositifs de production et de distribution de ces traitements issus du corps humain. Dispositifs dans lesquels les médecins innovateurs étaient à la fois ceux qui géraient, ceux qui traitaient les patients, ceux qui décidaient de l’affectation des produits, ceux qui évaluaient les risques. C’est ce rapport de coopération qui va être réinterrogé lors de la survenue des contaminations iatrogènes, avec l’enclenchement d’une dynamique des victimes.
Cette troisième dynamique repose sur une critique de l’irresponsabilité. Qu’elle soit l’oeuvre de victimes accusatrices ou non, elle passe par une demande en réparation face à un monde médical considéré comme faillible. Cette réparation peut prendre différentes directions, notamment l’appel à la solidarité, à la sanction de fautes, ou au soutien psychologique et social des victimes. À travers l’examen des deux cas de contaminations iatrogènes, l’article montre que ces directions peuvent coexister, se combiner ou s’affronter, qu’elles sont au coeur d’un travail complexe mené par les acteurs pour définir la nature de l’épreuve à laquelle ils sont confrontés et trouver les moyens d’y faire face, y compris au prix de tensions majeures. La mise en évidence des différences que prennent, au cours de cette dynamique, les reconfigurations de l’AFH et de GRANDIR, nous amène à mettre en question ce qui fonde la singularité de chacune de ces expériences. La nouvelle forme d’engagement de l’AFH dans un militantisme scientifique, son passage d’une position de victime à la requalification des patients hémophiles comme population sentinelle, est sans nul doute congruente avec les transformations plus générales du monde médical (et notamment le passage de la tradition clinique à la modernité thérapeutique offrant de nouvelles perspectives participatives aux associations de malades[68]). Elle est également congruente avec la redéfinition des rapports entretenus par nos sociétés à l’égard du risque (Beck, 2001). Cette nouvelle forme d’engagement n’en a pas pour le moins émergé à la faveur de deux spécificités forte du monde de l’hémophilie : d’une part, le maintien de produits dérivés du sang pour lequel le risque infectieux n’a jamais cessé d’être d’actualité et, d’autre part, le caractère génétique de la pathologie et son traitement à vie qui ont contribué à inscrire de façon durable l’expérience des contaminations iatrogènes dans le vécu des hémophiles actuellement traités et de leurs familles. Du côté de GRANDIR, au contraire, la reconfiguration n’empruntera pas les mêmes voies, elle est discontinue et sans doute plus fortement liée aux transformations contemporaines des modes de relation médecin/malade. Le passage de l’hormone de croissance extractive à l’hormone de croissance synthétique, dénuée de tout risque infectieux, le renouvellement quasi total de la population des personnes traitées et de leurs familles, tendent à renvoyer l’expérience des contaminations iatrogènes à un passé vis-à-vis duquel GRANDIR se sent avant tout redevable d’un travail de mémoire, toujours entendu à travers un soutien, non accusateur, aux familles de victimes ou de jeunes à risque. Ainsi, les divergences sont latentes entre GRANDIR et les collectifs de parents d’enfants victimes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (la MCJ-HCC et l’AVHC), d’autant plus actifs sur le front judiciaire qu’ils restent les seuls tenants d’une position accusatrice.
Au-delà des cas étudiés, le cadre d’analyse des dynamiques de transformations du monde associatif pourrait être utile pour aborder d’autres mobilisations. Dans le domaine de la santé mentale, par exemple, l’histoire de la mobilisation associative a été marquée par l’émergence de collectifs, qui relèvent à la fois d’une dynamique des minorités et d’une dynamique des victimes. Comme en témoignent, par exemple, l’apparition des associations de rescapés des traitements psychiatriques et le rôle qu’elles jouent (Crossley, 2006). Si certaines dynamiques conduisent les associations à travailler les rapports de pouvoirs et de compétences à l’intérieur du monde médical, d’autres peuvent les conduire, au contraire, à sortir de cet univers. C’est le cas, par exemple, de la dynamique des minorités, lorsque les associations en viennent à critiquer le fondement même de l’intervention médicale et à revendiquer une identité spécifique en s’appuyant sur d’autres disciplines que la médecine. En témoigne la mobilisation, dans différents pays, d’associations de sourds qui s’appuient aujourd’hui sur la linguistique pour contrer les effets jugés stigmatisant du développement des innovations relatives aux implants cochléaires (Blume, 1999). Ainsi, étudier les dynamiques de transformation des formes d’engagement des associations dans le domaine de la santé suppose à la fois d’être attentif aux singularités de chaque cas et d’être en mesure d’identifier les grands ressorts d’une expérience collective qui conduit les acteurs à redéfinir, dans différents domaines, les cadres cognitifs et moraux de leur action.
Parties annexes
Annexe
Un long travail judiciaire
Pendant plus de 15 ans, la justice pénale française, saisie par les personnes contaminées (par les produits sanguins et l’hormone de croissance extractive) et leurs familles a, notamment sous la direction du juge d’instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy, examiné les circonstances ayant conduit à ces contaminations. Madame Bertella-Geffroy est responsable, depuis sa création en 2003, du Pôle Santé publique du Tribunal de Grande Instance de Paris. Elle est également en charge des dossiers de l’amiante à Jussieu, des retombées de Tchernobyl en France, de la vache folle et des cas de sclérose en plaques imputés à la vaccination contre l’hépatite B. Dans les affaires du sang et de l’hormone, des responsabilités ont été mises en cause au plus haut niveau de l’État et de l’administration sanitaire. Dans l’affaire du sang, en 1992-1993, un premier procès a conduit à la condamnation notamment du Dr Michel Garretta, ancien responsable du Centre National de Transfusion Sanguine (CNTS) et de l’ancien directeur général de la Santé, le Pr Jacques Roux. Le second procès, devant la Cour de Justice de la République (CJR) en 1999, a impliqué trois ministres, dont le premier ministre, Laurent Fabius. Celui-ci a été déclaré non coupable, ainsi que Georgina Dufoix, ancienne ministre des Affaires sociales et de la Solidarité. Edmond Hervé, en revanche, ancien secrétaire d’État à la Santé, a été déclaré coupable, mais dispensé de peine. Une troisième instruction a été ouverte en 1994 concernant une trentaine de médecins prescripteurs, de responsables de la Transfusion sanguine et de personnels administratifs et politiques des ministères. Celle-ci a débouché sur un non-lieu en 2003. L’instruction de l’affaire de l’hormone de croissance a débuté en 1991. Plusieurs hauts responsables de l’organisation sanitaire ont été mis en examen en 1993-1994 : le Pr Jean-Claude Job (pédiatre à Hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris et président de France-Hypophyse), le Dr Fernand Dray (ancien responsable à l’Institut Pasteur de la production de l’hormone de croissance), Henri Cerceau (ancien directeur de la Pharmacie centrale des hôpitaux) et le Pr Jacques Dangoumau (ancien directeur de la Pharmacie et du Médicament). Après plus de 15 ans d’instruction, le procès n’ayant toujours pas lieu, la MCJ-PEV, l’une des deux associations de parents d’enfants victimes des contaminations iatrogènes, a porté plainte pour non-respect du droit au jugement dans des délais raisonnables. L’ouverture du procès vient d’être annoncée officiellement pour février 2008.
Remerciements
Ce travail s’est inscrit dans le cadre de programmes collectifs de recherches réalisés en collaboration étroite avec Nicolas Dodier, et également avec Damien de Blic, Anne de Labrusse et Didier Torny. Ces programmes ont bénéficié du soutien financier de l’ANRS (Agence nationale de recherches sur le sida), du GIS-PRION, de la MiRe (Mission recherche du ministère de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, ministère de la Santé et des Solidarités) et de l’ANR (Agence nationale de la recherche).
Notes
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[1]
L’épidémie de sida a débuté en France au début des années 1980. Le nombre de personnes atteintes est alors très limité. Si la contamination des hémophiles par les dérivés sanguins a été aussi massive, c’est notamment en raison de l’utilisation des techniques de poolage : le sang d’un donneur séropositif ou d’un malade du sida pouvant ainsi être administré à plusieurs milliers de receveurs.
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[2]
Pendant longtemps, les traitements disponibles pour enrayer la réplication du VIH dans l’organisme ont été à la fois peu nombreux et peu efficaces : les malades étaient souvent condamnés à brève échéance après l’apparition des premiers symptômes. À partir du milieu des années 1990, avec l’arrivée de multithérapies, la durée de vie des malades s’est allongée et le sida est devenu, de ce point de vue, une maladie chronique. Néanmoins, les décès consécutifs au sida restent encore la première cause de mortalité parmi les patients hémophiles (avec ceux dus à l’hépatite C).
-
[3]
La MCJ est une maladie neurodégénérative rare. Connue depuis longtemps sous sa forme sporadique, elle touche généralement les sujets âgés. Ce sont donc selon toute probabilité les hypophyses prélevées dans les hôpitaux sur des sujets âgés décédés sans qu’un diagnostic de la MCJ n’ait été établi qui sont à l’origine des contaminations. La technique de poolage des hypophyses ayant ici aussi favorisé la présence du prion dans les lots d’hormone de croissance prescrits.
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[4]
Selon les données du Réseau national de surveillance des maladies de Creutzfeldt-Jakob et maladies apparentées (disponibles sur le site : www.invs.sante.fr).
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[5]
Au total, 1 698 enfants auraient été traités par hormone de croissance extractive avant juin 1985 (date à laquelle une phase d’inactivation supplémentaire des produits à l’urée a été mise en oeuvre). L’hormone de croissance extractive a été abandonnée au profit d’une hormone issue du génie génétique en 1988.
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[6]
La présence du prion peut être détectée par ponction lombaire à un stade avancé du développement de la MCJ; le cas échéant, au cours d’une autopsie. Par ailleurs, on ne dispose pas d’un système de traçabilité pour établir les liens entre les lots d’hormones contaminés et la population des receveurs.
-
[7]
L’article 1 de la loi française du 1er juillet 1901 (relative au contrat d’association) définit l’association comme la convention « par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun [...] leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices ». L’association est régie par les principes généraux applicables au contrat de droit privé qui lui offrent un cadre souple dans la définition de ses objectifs, de ses statuts et de ses modes de fonctionnement. En Belgique, on parle plus volontiers d’ASBL (association sans but lucratif) et au Québec d’OSBL (organisme sans but lucratif).
-
[8]
Outre le CNTS, la Transfusion française comptait 6 autres centres producteurs de dérivés sanguins, de moindre envergure, qui étaient tous des institutions à but non lucratif relevant de l’intérêt public.
-
[9]
Cette réticence (au moins initiale) à l’égard de toute forme de dénonciation et d’accusation a été partagée par toutes les associations d’hémophiles européennes, nord-américaines et japonaises confrontées à l’épidémie iatrogène (Feldman et Bayer, 1999).
-
[10]
Concernant les 44 parents d’enfants traités par hormone de croissance, il s’agit plus précisément de 33 parents d’enfants décédés de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et de 11 parents ayant occupé des fonctions dans l’association GRANDIR et qui sont, pour la plupart, parents d’« enfants à risque »). Sur les 57 personnes concernées par l’hémophilie, il s’agit plus précisément de 38 hommes hémophiles (dont 23 ont été contaminés par le VIH), de 18 parents d’enfants hémophiles (dont 6 ont perdu au moins un enfant du sida) et d’une épouse d’un hémophile contaminé, elle-même contaminée ensuite par voie sexuelle.
-
[11]
Nous avons développé cette notion de forme d’engagement, dans le cadre du sida, à partir d’une comparaison des positions de plusieurs associations (Act Up-Paris, Aides, Arcat-Sida, Actions Traitements, Positifs). Nous avons mis en évidence notamment la manière dont à l’intérieur de ces formes d’engagement se déploient une diversité de comportements dans l’arène médiatique et de conceptions du rôle du patient actif dans les soins et dans la recherche (Barbot, 1999; 2006).
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[12]
En référence à A. Strauss (1992), nous pensons que des questions spécifiques se posent à chaque monde médical et que — lorsqu’une question comparable interroge à un moment donné l’ensemble des secteurs de la médecine — les acteurs la travaillent de façon particulière, avec une créativité propre, en fonction d’outils conceptuels, techniques et organisationnels dont ils se sont dotés au fil du temps. Pour un développement plus détaillé, voir Fillion (2006 : 26-30).
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[13]
La place et le rôle des médecins dans ces associations de malades seront d’ailleurs réinterrogés après la survenue des contaminations par la plupart des personnes interviewées : « Même l’association d’ailleurs, c’était les médecins qui étaient derrière, même des fois devant. Dans beaucoup de comités [régionaux], c’était le médecin qui était le président [...] même s’il y avait une association de patients, elle était un peu formelle », nous dit, par exemple, un homme hémophile d’une cinquantaine d’années, membre actif de l’AFH, sur le plan national et régional depuis plus de 30 ans.
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[14]
Les statuts de l’AFH spécifient qu’elle se donne pour rôle de « favoriser les Recherches scientifiques, en coopération avec le Corps médical » et de « contribuer à promouvoir les réalisations médicales assurant le traitement dans les meilleures conditions ».
-
[15]
Ces travaux portent sur la période allant des années 1950 — lorsqu’il n’existe quasiment aucun traitement adapté — à la fin des années 1980 avec la présence massive de l’épidémie iatrogène de sida. Danièle Carricaburu a montré comment le risque iatrogène lié aux hépatites a été abordé dans le contexte des années 1970 (Carricaburu, 1999). Son travail s’est arrêté avant la période des années 1990-2000 marquée par la reconfiguration de l’AFH qui a suivi les contaminations par le VIH.
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[16]
Henri Chaigneau, cofondateur et premier président de l’AFH, est ici une figure exemplaire du patient, hémophile sévère, lourdement handicapé par la maladie, qui a réussi un de ces parcours de héros de l’adaptation luttant pour la conquête d’une vie normale (Goffman, 1975 : 75). Henri Chaigneau avait rencontré Jean-Pierre Soulier à l’occasion de l’amputation d’une de ses jambes et les liens qui unissent les deux hommes sont emblématiques de ceux décrits par Renée Fox (1988) entre des malades et des médecins ayant traversé des épisodes dramatiques et s’engageant dans une relation qui dépasse le cadre strict des soins.
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[17]
Françoise Bouchayer (1985) a analysé les trajectoires sociales de ces enfants, notamment leur insertion professionnelle et relationnelle, au début des années 1980.
-
[18]
L’Association des parents d’enfants atteints d’insuffisance en hormone de croissance a explicitement pour vocation « l’action auprès des autorités administratives et hospitalières ainsi que de l’opinion publique en vue de permettre la collecte des hypophyses humaines ». Certains parents se souviennent avoir eux-mêmes « démarché » les services hospitaliers pour témoigner, « au nom des enfants », de la nécessité d’accroître la collecte d’hypophyses. « [Notre] premier but, c’était d’aller trouver les hôpitaux, les directeurs d’hôpitaux pour leur expliquer qu’on pouvait faire les prélèvements d’hypophyses sur des cadavres humains, que c’était très peu fait et que, de ce fait, on avait très peu d’hormone de croissance », nous a ainsi raconté la mère d’une enfant traitée, très investie dans l’association à cette époque. Ce souvenir suscite chez plusieurs parents le sentiment d’avoir été les « chevilles ouvrières » d’un système qu’ils ne maîtrisaient pas et qui s’est révélé dramatiquement défaillant. De son côté, l’AFH « participe aux campagnes de propagande en faveur du don de sang » en collaboration étroite avec les centres de transfusion sanguine et les associations de donneurs bénévoles, ainsi que s’en félicite dans la revue associative le Pr Izarn, l’un des présidents d’honneur (L’Hémophile, n° 101, mars 1985 : 7). Cette situation durera jusqu’à ce qu’éclate l’affaire.
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[19]
Le patient fait ainsi fonction pour certains auteurs d’« auxiliaire médical » (Pinell, 1992) ou d’« auto-soignant » (Herzlich, 1985). Il exécute lui-même des actes médicaux simples prescrits par son médecin. L’apprentissage des techniques ordinaires de soins aux parents a été particulièrement documenté concernant des associations constituées autour de pathologies touchant les enfants (voir notamment, dans le cas de la mucoviscidose, Bachimont, 1999).
-
[20]
Ainsi, un père se souvient de l’ambiance « bon enfant » qui régnait dans les réunions de l’Association des parents d’enfants atteints d’insuffisance en hormone de croissance, à la fin des années 1980, avant la révélation des premiers cas de contaminations : « Ça permettait de parler, que les gens ne se sentent pas tout seul dans leur coin. D’avoir d’autres expériences, c’était très, très enrichissant. J’ai rencontré des gens formidables. On était contents, on se retrouvait, on voyait les gosses qui grandissaient d’une année sur l’autre [...] C’était bien pour [mon fils] qu’il voit d’autres gosses comme lui, qu’il se dise “Je ne suis pas seul” [...] Il fallait extérioriser, il fallait parler. Je pense que la maladie soude les gens. Donc, j’étais délégué et je me disais : “Il faut y aller, il ne faut pas hésiter”. Je faisais passer des annonces publicitaires dans les journaux, on a été contactés par des gens, on expliquait notre cas, notre vécu, ce qu’il fallait faire, à qui il fallait s’adresser pour avoir le traitement. »
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[21]
Patrice Pinell (1987) souligne ainsi un changement de cadre important, lorsque la production de statistiques médicales montre la prégnance du cancer comme maladie touchant également les classes moyennes et supérieures.
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[22]
Nous nous appuyons ici sur la distinction proposée dans un article en cours de publication, entre la tradition clinique conservatrice et la tradition clinique libérale (Dodier et Barbot, en cours).
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[23]
On a longtemps parlé de « groupes à risques », avec les dérives possibles en termes de stigmatisation. Michaël Pollak (1988) et Geneviève Paicheler (2003) ont analysé tout le travail nécessaire pour que, au cours des premières années de l’épidémie, la notion de « pratiques à risques » soit substituée à celle de « groupes à risques », inscrivant ainsi le sida dans un nouveau mode de gestion des épidémies.
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[24]
Les parents d’enfants traités que nous avons interviewés ont très souvent évoqué l’effort qu’ils ont fait pour dépasser les images négatives et les appréhensions associées à l’idée d’administrer à leurs enfants des traitements issus de prélèvements post-mortem. De fait, les conditions de collecte des hypophyses allaient bientôt être au centre de la polémique, puis de l’affaire.
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[25]
C’est l’article de Jean-Yves Nau (Le Monde, du 7 février 1992) qui lance véritablement l’affaire (« À la suite d’une contamination, dix enfants traités par une hormone de croissance non synthétique sont atteints d’une maladie mortelle »). Le 12 février 1992, Le Monde publie : « Précision de l’Association Grandir ».
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[26]
De fait, la plupart des délégués régionaux de l’association auraient également été tenus dans l’ignorance des premiers cas de contamination discutés entre le professeur Jean-Claude Job et un cercle très étroit de représentants associatifs. Un délégué régional nous raconte la scène qui allait motiver son départ de GRANDIR : « En 1992, c’est le coup de massue. On apprend à la télé : Scandale — hormone de croissance : des gosses sont morts. Là, ça nous est tombé BOUM, comme ça. Tout de suite, j’ai appelé l’association. J’ai eu le président. J’ai dit : “Qu’est-ce que c’est que ce bazar? Tu le savais?”. Il me dit : “Oui, mais je ne voulais pas vous affoler”. Je dis : “Merde, on est une association!” Un autre délégué se rappelle avoir d’abord cru que l’information donnée dans les médias était erronée. S’il désapprouve ce silence des responsables de GRANDIR vis-à-vis des membres actifs de l’association (« C’était complètement inadmissible de ne pas nous en parler à nous »), il déclare quant à lui « comprendre » leurs motivations vis-à-vis d’une circulation très large de l’information. À la suite de l’annonce publique des contaminations, ce délégué régional s’engagera quant à lui activement pour soutenir les premières familles d’enfants victimes de la MCJ dans sa région, en s’associant à l’idée d’une gestion à bas bruit d’un drame dont il ne demande qu’à croire qu’il resterait limité.
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[27]
Ces arguments ne sont guère éloignés de ceux utilisés aujourd’hui par les instances éthiques, pour recommander le non-rappel des personnes transfusées après que des lots de sang se sont avérés provenir d’un donneur contaminé par le prion. « Dès lors qu’un risque est connu, scientifiquement démontré, l’information du malade s’impose. Si le risque est virtuel, théorique, cette information n’a pas de justification éthique, car elle peut être ressentie comme une menace inconnue, diffuse, qui peut inciter à des comportements irrationnels dangereux pour le malade lui-même et pour la société » (avis n° 55 du Comité Consultatif National d’Ethique — CCNE — rendu le 1er octobre 1997).
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[28]
Ce rapport a été commandité par Bernard Kouchner alors nouvellement nommé au ministère de la Santé et de l’Action humanitaire.
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[29]
« Un procès serait un drame de plus pour les parents », déclare Daniel Bouvier, président de l’association GRANDIR. Dépêche de l’Agence de Presse Médicale (16 juin 1993), Joëlle Maraschin, « Hormone de croissance et Creutzfeldt-Jakob : France-Hypophyse assignée pour la première fois en procès ».
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[30]
En juillet 1993, Le Monde publie l’extrait d’une lettre adressée par GRANDIR à la famille Benziane, qui est à l’origine de la plainte déposée devant le juge pénal. Leur fils est l’un des premiers enfants décédés de la MCJ à l’âge de 14 ans. L’association les met en garde : « certains avocats chercheront plus volontiers à améliorer leur réputation et à gagner de l’argent sur votre dos qu’à défendre réellement vos intérêts ».
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[31]
Le Quotidien de Paris, 21 juillet 1993, « Deux professeurs inculpés. Un drame de la lutte contre le nanisme ».
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[32]
Ce fonds sera créé en octobre 1993 sur le modèle du sida transfusionnel avec le Fonds d’indemnisation des transfusés et des hémophiles (FITH) mis en place deux ans plus tôt.
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[33]
Comme l’ont établi Bastin, Stievenard et Vinchon (1993), la séropositivité a été très souvent annoncée aux patients hémophiles comme la simple présence d’anticorps, de « rencontre avec le virus », sans nécessairement engager un pronostic péjoratif.
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[34]
L’Hémophile, n° 102, p. 3.
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[35]
La mère d’un enfant contaminé explique ainsi que c’est au cours des réunions de l’AFH locale que s’est forgée sa conviction qu’une action plus accusatrice devait être menée : « Les événements, ils arrivent comme ils arrivent, au fil des réunions et de ce que les gens apportaient, soit autour de leur vécu, soit autour de leur ressenti. Petit à petit, on prenait de plus en plus conscience qu’il s’était passé quelque chose et que ce n’était pas forcément tombé du ciel et qu’on avait besoin de savoir quoi, comment et qui [...] Au départ, il y a une personne qui s’est levée en disant que c’était les médecins et tout le monde s’est regardé, parce que — effectivement — tout le monde le pensait un peu, mais personne n’osait le dire. On avait tous en tête que quand on allait soigner nos enfants [...] on avait quand même affaire à des médecins et, qu’à aucun moment, ces médecins ne nous avaient parlé du risque ou de ce qui se passait et qui — au contraire — nous ont rassurés quand les gens posaient des questions. »
-
[36]
Les polytransfusés ne sont autres que les patients hémophiles sévères nécessitant le recours régulier aux apports sanguins.
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[37]
Les plaintes avec constitution de parties civiles déposées par l’ADP viseront le CNTS pour « homicide involontaire » et « non-assistance à personnes en danger », le Laboratoire national de la Santé pour « non-assistance à personnes en danger » et « mise en vente de substances falsifiées », le Comité consultatif national d’éthique et... l’AFH pour « non-assistance à personnes en danger ».
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[38]
J’accuse médecins et politiques est d’ailleurs le titre du témoignage édité par Joëlle Bouchet (1992), autre victime accusatrice, proche de Jean Peron-Garvanoff, qui a tenu un rôle de premier plan sur la scène publique tout au long de l’affaire du sang contaminé.
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[39]
Cette rupture avec l’AFH, nous a été racontée, notamment, par le père d’enfants hémophiles contaminés par le VIH : « Nous, on faisait partie de l’AFH [...] Quand, en 1988, [mon cadet] a commencé à être pas bien [...] on a déposé une plainte[...] À l’AFH, ils ont essayé de nous dissuader. Personne ne voulait y croire, même dans le bureau de l’association : « Non, on va quand même pas attaquer les médecins, c’est pas possible, ils n’ont rien fait, qu’est-ce que vous racontez? » Ils ne voulaient pas y croire, personne ne voulait y croire [...] On s’est fait traiter de fous. » Une autre mère a mis davantage l’accent sur la rupture avec le milieu médical et sur ce qu’elle implique quand il s’agit de continuer à se soigner : « Il y en avait qui n’avaient pas porté plainte, qui étaient encore bien vus par les médecins, qui prenaient plus de médicaments [...] et puis on se les refilait comme ça. [Mon fils] il ne pouvait pas avoir vraiment ses médicaments. [Il] n’est plus suivi au niveau de l’hémophilie. C’est fini, la rupture est faite avec les médecins. »
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[40]
Une mère nous décrit ainsi la pression qu’elle a ressenti lorsqu’elle a témoigné dans les médias : « À GRANDIR, on m’a dit que j’allais faire du mal aux familles, qu’il fallait mieux se taire, si on ne voulait pas faire de mal aux autres enfants. C’est dur d’entendre ça pour une mère qui a perdu son fils ».
-
[41]
Une autre mère exprime ainsi ses doutes quant aux motivations de GRANDIR : « Ce qu’on aurait souhaité très profondément c’est rencontrer des parents qui étaient dans la même situation que nous, des parents qui vivaient le même malheur que nous [...] GRANDIR a fait tout ce qu’il fallait pour que, jamais, on ne se rencontre. C’est une grave erreur. Mais GRANDIR avait alors le monopole des choses et elle faisait ce qu’elle voulait [...] GRANDIR voulait cacher les cas. Nous, quand on demandait s’il y en avait d’autres, ils nous disaient “non, non, y en a très peu” [...] On a su par la suite qu’il y avait des cas déclarés dans toute la France, mais on le savait pas. Je pense qu’ils faisaient un cloisonnement volontaire entre toutes les familles pour qu’il y ait absolument pas d’échange entre nous, pour qu’il y ait pas une cohésion, une coalition qui se fasse ».
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[42]
Cette dynamique sera confortée par la parution, en 1996, du livre témoignage de Francine Delbrel pour sa fille Bénédicte décédée de la MCJ iatrogène.
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[43]
La parution en 2003 du livre : Le dossier noir de l’hormone de croissance, de J-B Mathieu et F. Delbrel, illustre cette volonté de la MCJ-APEV de proposer sa propre lecture de l’affaire.
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[44]
Ceci fera l’objet de nombreuses discussions au sein de l’association. Et, en 2001, la MCJ-APEV en viendra à soutenir la démarche de plusieurs jeunes à risque visant à engager une action judiciaire pour tentative d’empoisonnement.
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[45]
Jeanne Goerrian a mené pendant plusieurs années une bataille singulière afin de faire reconnaître son fils Éric, décédé en 1994, comme victime de la MCJ iatrogène et non d’une récidive tumorale.
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[46]
Ce Centre est situé au sein de l’hôpital de la Pitié-Salpétrière à Paris.
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[47]
En août 2001, l’AFSSAPS a mis en place une procédure d’autorisation temporaire d’utilisation (ATU) pour la quinacrine, un anti-antiparasitaire utilisé pour soigner une patiente en Angleterre atteinte du nouveau variant de la MCJ. Les résultats concernant les patients traités par ATU, à un stade avancé de la MCJ, n’ont pas montré d’efficacité de la quinacrine (www.afssaps.sante.fr).
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[48]
Ce système des solidarités est indissociable du régime d’exception qui entoure les thérapeutiques issues de produits du corps humain, de leur très faible cadrage réglementaire et législatif, et de l’économie domestique qui régit ces univers où les relations entre médecins et malades sont conçues comme des liens de dépendance hiérarchisée.
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[49]
À diverses reprises dans les entretiens menés avec les patients et avec les médecins qui ont connu cette époque, revenait l’image des hémophiles, enfants de la Transfusion ou encore enfants des médecins, y compris pour qualifier les patients adultes.
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[50]
La thèse de Dominique Marchetti (1997) analyse, à propos de l’affaire du sang contaminé, les transformations internes au champ journalistique. Celles-ci sont rapportées aux luttes stratégiques pour la domination qui traversent alors ce champ professionnel. Nous sommes, pour notre part, davantage portées à souligner l’existence de tensions au sein de l’espace journalistique, en montrant comment elles renvoient à des différences de conceptions épistémologiques concernant la médecine. Ces différences se sont manifestées avec force dans la presse tout au long de l’épidémie de sida (Dodier, 2003).
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[51]
Bastin et al., (1993 : 113-125 et 183-187), Hermitte (1996 : 320-337).
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[52]
Le protocole indemnise au titre de la solidarité les hémophiles français, à l’exclusion des hémophiles étrangers soignés en France et des transfusés.
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[53]
Anne-Marie Casteret est, en France, une figure clé du journalisme d’investigation concernant des questions sanitaires. Elle est l’auteur de L’Affaire du sang (1992). Elle est décédée en 2006.
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[54]
Il s’agit du PV d’une réunion tenue le 25 mai 1985 au CNTS au cours de laquelle Michel Garretta et huit autres médecins ou scientifiques du CNTS (dont le Docteur Allain, conseiller de l’AFH) enregistrent la contamination de l’ensemble des lots de fractions antihémophiliques et décident du « non-blocage et non-rapatriement a posteriori » de ces lots.
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[55]
Anne-Marie Casteret, « Un nouveau scandale médical », L’Express, 9 janvier 1997.
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[56]
Le rapport IGAS avait souligné le « non-rappel » des lots, mais pas le fait d’avoir « mis en circulation » des lots stockés (1992, op. cit.). Le terme « écoulement » est employé par Casteret.
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[57]
Un administrateur réformateur de l’AFH explique : « S’il y a eu une évolution terrible, c’est à partir du moment des plaintes. C’est à ce moment-là qu’on a complètement reformulé les relations avec les médecins et les patients [...] C’était un rapport de force permanent [...] Ça s’est fait dans l’affaire de la transfusion sanguine. Les mesures de précautions qu’on a prises... En tout cas, vis-à-vis de l’hémophilie, c’est incontestable : il y a une vigilance qu’il n’y avait jamais eu avant. On ne se préoccupait pas avant des problèmes d’infection chez les hémophiles. »
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[58]
Ce souci de mieux équiper les patients est particulièrement manifeste dans le changement de ton et de la nature des informations diffusées dans la revue de l’Association à partir de 1993.
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[59]
L’Agence française du sang (aujourd’hui Établissement français du sang) et l’Agence du médicament (aujourd’hui Afssaps, Agence de sécurité sanitaire des produits de santé).
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[60]
Le principe de précaution défend l’idée que l’incertitude scientifique ne doit pas interdire l’action, notamment dans un sens conservatoire en faveur de l’environnement et de la santé des personnes.
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[61]
Il s’agit d’une communication de Paul Brown à l’OMS en mars 1997 signalant la transmission du vMCJ (le nouveau variant de la MCJ) à des souris par voie intracérébrale.
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[62]
Néanmoins, les ratés de la traçabilité rendent de fait quasi impossible une information personnalisée des patients hémophiles concernés par ces lots suspects.
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[63]
Le leitmotiv est régulièrement invoqué lors des réunions entre l’AFH et les autorités de Santé. Il résume une philosophie largement exposée dans la revue de l’AFH.
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[64]
Les plasmatiques représentent encore aujourd’hui un peu moins de 20 % de la consommation totale des médicaments antihémophiliques. Les produits d’origine humaine sont également utilisés pour traiter des maladies du sang (autour desquelles l’AFH est également mobilisée) comme la maladie de Willebrand pour laquelle on ne dispose d’aucun produit recombinant.
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[65]
Plusieurs parents d’enfants à risque fortement engagés dans GRANDIR jusqu’au milieu des années 1990, nous ont expliqué, comme cette mère, leur éloignement vis-à-vis de l’association : « [à GRANDIR], on disait : “il faut passer à autre chose, il faut passer à autre chose parce que, maintenant, ceux qui sont traités, c’est pas leur problème, c’est du passé”. Donc, c’est fini quoi [...] C’est vrai qu’on avait le sentiment, de vraiment être laissés de côté. Ben oui, voilà, c’est du passé. Le mot d’ordre c’est : “il faut tourner la page, il faut accepter de tourner la page et d’aller vers l’avenir”. »
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[66]
La MCJ-APEV a changé de nom fin 2005. Elle s’appelle désormais MCJ-HCC (Maladie de Creutzfeldt-Jakob, Hormone de croissance contaminée) afin notamment d’éviter la confusion avec une autre association nommée APEV (et qui concerne les enfants victimes de violences, essentiellement sexuelles).
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[67]
Le très faible nombre de plaintes au pénal dans l’affaire du sang contaminé (une cinquantaine en tout pour la seconde instruction, dont une trentaine concernant des patients hémophiles contaminés) et les décès des victimes au cours des instructions ont cristallisé le dynamisme et la visibilité des collectifs sur quelques personnalités. Dans le cas de l’ADP, la maladie et la lassitude de son président ont sans doute contribué au relatif effacement de l’association sur la scène publique. C’est à titre personnel, et non pour l’Association, que celui-ci s’est constitué partie civile dans le cadre de la seconde instruction pénale qui a débuté en 1994.
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[68]
Concernant le développement du cadre d’analyse du passage de la tradition clinique à la modernité thérapeutique, voir Dodier (2003). Ce passage a donné lieu à l’émergence de modalités inédites de participation des associations au sein des dispositifs de recherche et de mise sur le marché des nouveaux médicaments, au début des années 1990, dans le cadre du sida (Barbot, 2002). Les réformes sanitaires du milieu des années 1990 ont créé un cadre favorable à une participation plus institutionnalisée des associations (Fillion, 2006). La Loi du 4 mars 2002 sur les Droits des malades et la qualité du système de soins est venue renforcer cette participation des associations, au titre de la « démocratie sanitaire ».
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