Résumés
Résumé
Dans la foulée des travaux de Gøsta Esping-Andersen, plusieurs études ont défini divers régimes providentiels en Europe occidentale et en Amérique du Nord. L’examen d’un ensemble d’indicateurs sociaux au moyen d’analyses de classification hiérarchique permet de confirmer l’existence de tels modèles, qui correspondent à des articulations spécifiques entre la famille, l’État et le marché pour produire les ressources nécessaires au bien-être des individus. En fait, notre analyse permet de distinguer quatre ensembles de pays, correspondant aux trois régimes identifiés à l’origine par Esping-Andersen — social-démocrate, libéral, conservateur — auxquels s’ajoute, comme l’avaient anticipé plusieurs auteurs, un régime distinct de ce dernier, le régime latin. Ces résultats, qui persistent quand on passe des années 1980 aux années 1990, relèvent aussi l’existence de liens étroits et durables de causalité réciproque entre l’organisation des programmes sociaux dans les sociétés analysées, les situations sociales qui sont en partie le résultat des politiques élaborées, et, enfin, le niveau de participation civique, qui conduit les gens à se mobiliser (ou non) collectivement pour donner forme aux programmes sociaux. Cette analyse comparative permet de situer le Canada parmi les mondes du « capitalisme providentiel ».
Summary
Following the seminal work of Esping-Andersen, many studies have identified a variety of welfare regimes in Western Europe and North America. This study examines a set of quantitative social indicators, using hierarchical cluster analysis, in order to identify such regimes, which display specific arrangements between markets, the State and families in the production and distribution of the resources required for the well-being of people. Indeed, our empirical analyses reveal the existence of the three regimes originally identified by Esping-Andersen — social-democratic, liberal, and conservative — to which one must add, as many authors had pointed out, a fourth regime, distinct from the latter, called Latin. These results pertain whether one turns to data from the 80s or the 90s. The data also reveal strong and durable relations of mutual causality between the configuration of social programs in the various societies under analysis, the social situations which largely result from these social programs, and, lastly, the level of civic participation, which leads (or not) people to collective mobilization which in turn shapes social programs. Our comparative analysis allows us to identify Canada’s place in the worlds of welfare capitalism.
Resumen
En la continuidad de los trabajos de Gosta Esping-Andersen, varios estudios identificaron diversos regímenes providenciales en Europa occidental y en América del norte. El examen de un conjunto de indicadores sociales a través de análisis de clasificación jerárquica permite confirmar la existencia de tales modelos, que corresponden a articulaciones específicos entre la familia, el Estado y el mercado para producir los recursos necesarios al bienestar de los individuos. De hecho, nuestro análisis permite identificar 4 conjunto de países, correspondiendo a los tres regímenes identificados al comienzo por Esping-Andersen— social-demócrata, liberal, conservador — a los cuales se añade, como lo habían anticipado varios autores, un régimen distinto de éstos últimos, el regimen latín. Estos resultados, que persisten cuando se pasa de los años 1980 a los años 90, señalan también la existencia de lazos estrechos y durables de causalidad recÌproca entre la organización de los programas sociales en las sociedades analizadas, las situaciones sociales que son en parte el resultado de las polÌticas elaboradas y al fin el nivel de participación civica, que conduce a la gente a movilizarse (o nó) colectivamente para dar forma a los programas sociales. Este an·lisis comparativo permite situar al Canad· entre los mundos del « capitalismo providencial ».
Corps de l’article
Économie globale, compétitivité, nouvelle économie : la croissance économique des nations est de plus en plus liée à l’internationalisation rapide des échanges économiques et à la diffusion de l’information et du savoir suscitées par le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (Thurow, 1997). La mondialisation et ses multiples facettes ont contribué à modifier la structure de l’économie et, dans une certaine mesure, les modes de gestion gouvernementale. Dans ce contexte de mondialisation de l’économie, qu’est-il advenu du tissu social ? Comment les citoyens et les gouvernements se sont-ils ajustés à cette nouvelle économie ?
Le contexte de performance, d’efficacité économique et la mondialisation des échanges est souvent évoqué par les gouvernements pour légitimer une réduction des dépenses relatives aux programmes sociaux afin d’éliminer les déficits budgétaires et de favoriser les investissements étrangers. Il en découle des conséquences comme la perte d’efficacité du système de santé (Maioni, 1996) ou la polarisation des revenus d’emploi[1] qui a comme conséquence de gonfler les rangs des plus riches et ceux des plus démunis, aux dépens des classes moyennes (O’Connor, 1997 ; Jesuit et Smeeding, 2002).
On peut se demander si l’on n’assiste pas à la généralisation de ce que Betcherman et Lowe (1997, p. 39) appellent l’individualisation du risque, au moment où se fragilisent les institutions d’ancrage qui avaient permis la prise en charge collective de plusieurs risques (assurance santé, sécurité sociale, conventions collectives, etc.). Même l’Organisation pour la coopération et le développement économique (2001, p. 26), pourtant championne de la flexibilité économique, s’inquiète elle aussi des conséquences de ce nouveau contexte économique, notamment d’une possible dislocation des consensus sociaux et de la perte du capital social.
Pour prendre la mesure de ces transformations, il faut partir du fait que les individus ont à leur disposition trois systèmes d’échanges pour se procurer les ressources nécessaires pour répondre à leurs besoins (voir Bernard, 2001) : le marché, l’État et la société civile (en particulier la famille), qui contribuent à la production et à la circulation des biens et des services. Sur le marché, les individus contribuent par leur travail et obtiennent en retour un revenu. Vis-à-vis de l’État, les individus contribuent par leur participation civique et fiscale, et ils détiennent des droits politiques, civiques et sociaux (services publics, paiements de transferts, etc.). Dans les familles et la société civile, enfin, les individus s’inscrivent dans une logique de don, chaque contribution créant des obligations, mais des obligations dont les contours sont plus flous que ce n’est le cas sur le marché ou dans la sphère étatique (Godbout, 1992).
Suivant l’inspiration idéologique qui anime les diverses sociétés, l’articulation de ces trois systèmes d’échanges donne forme à différents régimes providentiels, véritables modèles globaux d’organisation sociale. En effet, plusieurs études, surtout qualitatives, inspirées des travaux novateurs de Gøsta Esping-Andersen (1990, 1999a), ont confirmé la présence et la persistance de distinctions importantes sur le plan de l’organisation des politiques sociales dans les sociétés avancées. Nous reprendrons ici ces analyses, mais en utilisant des indicateurs et des méthodes quantitatives, ce qui nous permettra de mettre à l’épreuve diverses typologies des régimes providentiels, et d’examiner plus systématiquement les contours de ceux-ci, leur évolution récente et, surtout, les raisons de leur résilience.
Une analyse typologique des régimes providentiels
Les sociétés appartenant à divers régimes providentiels articulent chacune à sa manière les principes fondamentaux de la citoyenneté sociale. Selon Bernard (1999), ces principes sont ceux qu’a identifiés la Révolution française : liberté, égalité et solidarité, et ils se combinent en une complexe relation dialectique. Comme l’exprime la figure 1, toute vision du développement des sociétés avancées qui néglige un de ces principes est vouée à l’échec. Ainsi, les sociétés où la liberté l’emporte voient souvent les libertés économiques dominer, sous forme de néolibéralisme, et imposer une polarisation des conditions de vie (déficit d’égalité) ainsi qu’une dislocation des communautés (déficit de solidarité). Les sociétés qui misent très fortement sur l’égalité peuvent, pour leur part, conduire au totalitarisme, comme c’est le cas des sociétés communistes (déficit de liberté), tandis que dans les cas moins extrêmes, l’uniformité du traitement bureaucratique des problèmes sociaux conduit, d’une part, à l’échec des programmes sociaux dans lesquels la communauté n’est pas engagée (déficit de solidarité) et, d’autre part, à une crise fiscale (voir Iversen et Wren, 1998). Enfin, les sociétés misant d’abord sur le principe de la solidarité risquent de conduire à l’embrigadement dans une cause (déficit de liberté), qui consolide à son tour la domination de ceux qui contrôlent les actions soi-disant requises pour la cause (déficit d’égalité).
S’il est vrai que ces trois principes fondamentaux sont en tension constante, ils forment néanmoins un tout dont chacune des composantes est indispensable. C’est pourquoi Jane Jenson (1998) arguait que la cohésion sociale perd son sens si, afin de tempérer les méfaits d’un néolibéralisme de plus en plus influent, elle se limite à un appel à la solidarité autour de valeurs communes. En effet, il n’y a de cohésion réelle possible qu’entre des citoyens jouissant tous et chacun de ressources minimales et entre lesquels existe une relative égalité. L’exclusion, au contraire, sape la cohésion.
On pourrait d’ailleurs dire que les régimes providentiels visent justement à maintenir la cohésion sociale en organisant selon diverses modalités les niveaux et les types de tension entre ces trois principes. La réduction des inégalités, caractéristique des sociétés avancées, permet en effet de donner aux individus les moyens de leur liberté[2], tout en favorisant le déploiement d’une véritable solidarité au sein de communautés dont les membres ont tous voix au chapitre. Mais le rôle des institutions publiques est fort différent dans les diverses sociétés, modifiant de ce fait les rapports que les individus entretiennent avec le marché et la famille.
Les études comparatives des régimes providentiels qui se sont penchées sur ces différences remontent aux années 1960 et 1970. Cette période est marquée par l’émergence des États providence dans le contexte de prospérité de l’après-guerre ; Marshall (1964), Rimliger (1971) et Titmuss (1974) s’intéressent alors aux avancées des sociétés sur le plan de l’élargissement des droits sociaux. Au cours de la décennie suivante, caractérisée par un contexte de difficultés économiques qui fait suite aux deux chocs pétroliers, Castles (1982), Korpi (1983) et Skocpol (1985) s’attachent à comprendre les mécanismes de soutien au financement des instruments providentiels en dépit des crises évidentes auxquelles sont confrontés les pays.
Durant les années 1990, période marquée presque partout par une remise en question de l’État providence, les travaux portant sur la résilience des régimes providentiels connaissent un essor important, l’ouvrage de référence étant sans contredit The Three Worlds of Welfare Capitalism (1990) de Gøsta Esping-Andersen. À partir d’une analyse de l’articulation entre le marché, l’État et la famille, cet auteur regroupe les sociétés capitalistes avancées en trois types d’arrangements institutionnels visant à concilier développement économique et protection des citoyens contre les risques associés au marché : le régime conservateur, notamment en Allemagne et en Autriche, le régime libéral, surtout dans les pays anglo-saxons, et le régime social-démocrate dans les pays scandinaves. Reprenant le modèle d’Esping-Andersen, Leibfried (1992), Ferrera (1996) et Bonoli (1997) ajoutent à cette typologie un quatrième type, qu’ils nomment « latin » ou méridional parce qu’il se retrouve principalement dans les pays du sud de l’Europe[3]. La figure 2 illustre les caractéristiques des régimes providentiels selon ces auteurs.
Dans les pays scandinaves, l’accent est mis sur l’égalité, ce qui confère un rôle considérable à l’État. Dans les pays anglo-saxons (y compris, dans une large mesure, le Canada), c’est davantage sur la liberté qu’on insiste, ce qui fait des marchés l’institution clé. Enfin, c’est le principe de solidarité qui prédomine dans les régimes conservateurs d’Europe continentale, avec leurs schèmes assuranciels souvent fondés sur l’activité professionnelle, de même que dans les régimes familialistes des pays méditerranéens, où la famille joue le rôle déterminant dans la distribution des ressources nécessaires au bien-être. Examinons plus en détail chacun de ces régimes.
Dans le régime providentiel social-démocrate, les inégalités produites par le marché du travail sont réduites par des dépenses liées aux programmes sociaux, qui sont universels dans leur principe. Ceux-ci visent non seulement à limiter l’exclusion sociale, mais aussi à contribuer à la croissance économique (par exemple au moyen d’investissements en éducation et dans la formation des travailleurs). L’importance accordée à la notion de ressources s’exprime par la mise en place de programmes sociaux permettant de minimiser la dépendance par rapport au marché (processus de démarchandisation[4] de la force du travail). En outre, comme le dit Esping-Andersen (1999b, p. 278), « l’engagement envers l’égalité des sexes et leur provision massive de services de soins aux enfants et aux personnes âgées, avec des congés parentaux généreux et des allocations familiales » rendent ce régime plutôt défamilialisant : il se caractérise par un engagement à collectiviser le poids et les responsabilités de la charge familiale[5]. Ainsi, tout en reconnaissant l’importance du rôle de la famille et du marché, les arrangements institutionnels des régimes sociaux-démocrates font de l’État une ressource importante dans le déploiement de la trajectoire de vie des individus.
Les pays de modèle libéral misent d’abord sur l’économie de marché pour répondre aux besoins de tous et ils évitent le plus possible les dépenses de programmes sociaux, qui risquent de réduire la performance économique (en particulier par leurs effets de désincitation au travail). L’État définit donc des politiques d’assistance résiduelles, ne fournissant qu’un minimum aux plus démunis après un examen de leurs moyens de subsistance (Titmuss, 1987). Cela limite rigoureusement la démarchandisation de la force du travail, et la famille doit s’en remettre largement au marché pour subvenir à ses besoins. La liberté constitue le fondement idéologique principal du régime, et elle se traduit par la promotion de la souveraineté du marché : théoriquement, tous les individus ont la possibilité d’y rechercher leur bien-être, même si en pratique « la promotion de la solution de marché peut résulter en une condamnation des droits du citoyen » (Esping-Andersen, 1999a, p. 74-75).
Le régime providentiel conservateur met d’abord l’accent sur les risques qu’encourent les travailleurs (et conséquemment leurs familles) au cours de leur vie de travail (chômage, maladie, etc.) ou par la suite (retraite, décès du conjoint). Pour les pallier, l’assurance sociale garantit certains bénéfices, le plus souvent en contrepartie des charges sociales payées. Mais comme « dans un système d’assurances sociales fondées sur le travail, l’exclusion du marché du travail se retrouve redoublée par une exclusion du système de protection sociale » (Palier et Bonoli, 1999, p. 406), le processus de démarchandisation de la force de travail n’est possible que pour ceux qui vivent dans l’entourage d’une personne en emploi. En conséquence, la famille devient l’acteur central dans la satisfaction des besoins de ses membres en difficulté ; elle est le dernier recours pour les exclus du marché du travail. Les politiques sociales de l’État sont d’autant plus familialistes qu’elles misent également sur le maintien du modèle traditionnel du gagne-pain masculin. L’inspiration idéologique prédominante est donc ici la solidarité. Mais il s’agit en quelque sorte d’une solidarité de classe, puisque les bénéfices sont associés au niveau de revenu et, plus généralement, à la position sociale. Le système d’assurance fondé sur le travail contribue à consolider la stabilité sociale à l’intérieur des catégories professionnelles et l’intégration sociale par le développement des solidarités d’entraide.
Le régime latin, enfin, regroupe les pays situés au sud de l’Europe. Les politiques sociales redistributives y sont plus rudimentaires, mais l’emploi du principal gagne-pain familial y est en général objet de fortes protections, ce qui entraîne des difficultés d’adaptation à la mondialisation. Le régime latin est très familialiste, plus encore que le modèle conservateur : c’est la famille qui devient l’appui fondamental lorsque les gens sont en difficulté, et même quand ils ne le sont pas. Mais la ressemblance est grande entre ces deux derniers régimes, de sorte que plusieurs auteurs, dont Esping-Andersen, refusent de les distinguer.
Un triple objectif de recherche
Nous poursuivrons dans cet article trois objectifs successifs, de plus en plus ambitieux et complexes : valider la typologie des régimes providentiels au moyen de données quantitatives, ce qui n’a pas été fait jusqu’ici de façon satisfaisante ; puis examiner la question de la convergence des régimes providentiels, ce que nous ferons en comparant leur configuration vers la fin des années 1990 à celle qui prévalait dix ans plus tôt ; et enfin, une fois que nous aurons constaté une résilience marquée des régimes providentiels au cours de cette période, en examiner les raisons au moyen des données quantitatives dont nous disposons.
Valider la typologie à l’aide d’un modèle quantitatif
Nous voulons d’abord déterminer, à l’aide d’un modèle quantitatif et sur de nouvelles bases empiriques, si une vingtaine de pays de l’ocde situés à un niveau de développement similaire peuvent être classés selon la typologie d’Esping-Andersen et de Leibfried-Ferrera-Bonoli (ajout d’un type latin). Alors que la détermination de ces types fut fondée principalement sur l’étude qualitative des principales politiques publiques en matière de sécurité sociale — avec, à l’occasion, l’utilisation de quelques indices synthétiques additifs — nous souhaitons plutôt examiner un vaste ensemble d’indicateurs sociaux mesurés durant la deuxième moitié des années 1990 ; comme on le verra, une analyse de classification hiérarchique nous permettra de confirmer quantitativement l’existence de cette typologie.
On peut soulever deux objections par rapport à une telle démarche, objections qui sont d’ailleurs opposées. D’une part, elle n’apporterait rien de nouveau parce que les contours des régimes sont déjà bien connus par d’autres méthodes ; et d’autre part, chacun des pays présente, au plan des politiques sociales, une situation beaucoup trop complexe pour être exprimée par la simple appartenance à un seul type.
La réponse à la première objection ne s’appuie pas simplement sur le caractère systématique des mesures quantitatives, mais de façon beaucoup plus importante sur la nature largement inductive de la démarche que nous employons ici. Nous allons utiliser un grand nombre d’indicateurs, représentant divers aspects des régimes providentiels, sans assigner au départ, arbitrairement, un poids plus grand à l’un ou à l’autre. C’est donc uniquement le jeu des associations entre ces indicateurs qui dictera les rapprochements entre les pays, nous permettant ainsi de déterminer leur appartenance à l’un ou l’autre des régimes. Une telle démarche inductive n’a pas beaucoup de sens quand elle est isolée ; mais quand, comme c’est le cas ici, des auteurs ont considéré plusieurs variantes différentes pour classifier les régimes providentiels, une analyse comme la nôtre permet de conférer à certaines de ces variantes une plausibilité significativement plus grande que les autres.
La seconde objection, notons-le, s’adresse à la démarche de construction d’une typologie comme telle, et non pas seulement à l’approche quantitative que nous employons pour ce faire. Arts et Gelissen (2002) en discutent abondamment, en montrant bien le potentiel heuristique de tels types dans un champ scientifique relativement neuf ; pour cela, il faut éviter de fétichiser ces types et viser plutôt à représenter ainsi les traits essentiels de la situation, à révéler la forêt plutôt que la myriade d’arbres singuliers — même si bien sûr ces singularités sont indéniables et si certains cas demeurent difficiles à classer dans un seul type. En fait, types et singularités sont tous deux reconnaissables et servent de révélateur l’un pour l’autre : c’est sur fond de scène de types globaux, élaborés à partir des traits de l’ensemble des sociétés, qu’apparaissent les traits particuliers de chacune de celles-ci ; la plupart d’entre elles — voire toutes — se rattachent principalement à un type, mais présentant certains des traits caractéristiques d’un autre type[6]. De plus, ajoutent Arts et Gelissen, une typologie n’est utile que si l’on peut l’utiliser pour accomplir autre chose ; c’est précisément ce que nous ferons en poursuivant les deux autres objectifs de notre recherche.
Vérifier la résilience des régimes providentiels
Les pays avancés sont maintenant confrontés à des forces de marché de plus en plus puissantes et autonomes ; les décisions des principaux acteurs économiques semblent échapper à la sphère d’influence des États. Qu’advient-il des régimes providentiels dans ce contexte ? Les États parviennent-ils à maintenir une articulation qui leur soit propre entre les trois piliers du bien-être que sont le marché, l’État et la famille et les institutions de la société civile ? Assistons-nous au contraire à une convergence des nations vers un modèle similaire d’organisation politique et sociale, modèle où les libertés économiques domineraient la scène et imposeraient à la fois une polarisation croissante des conditions de vie et une certaine dislocation des communautés ?
Dans une perspective théorique « néo-institutionnelle », la théorie de la subordination au parcours suggère plutôt que les choix politiques sont fortement déterminés par les choix antérieurs (Myles, 1998). Les politiques déjà en place bénéficient en effet d’une dynamique de « rendements croissants » (Pierson, 2000), entre autres à cause de l’effort et des coûts associés à l’élaboration d’une nouvelle politique. « Une fois établies, les conceptions politiques de base sont généralement tenaces et favorisent la continuité contre les changements » (Palier et Bonoli, 1999, p. 406). Noël (1996) soutient d’ailleurs qu’une analyse des changements en politique doit s’orienter davantage vers l’analyse de l’érosion des programmes en place que des ruptures radicales de ces programmes, puisque la transformation majeure d’une politique implique des coûts (conversion des institutions, transformation des mentalités, changement de l’ordre établi, etc.) que les partis politiques ne peuvent généralement pas soutenir. Pierson (1997) avance quatre raisons pour lesquelles les rendements croissants et la subordination au parcours se retrouvent au coeur des choix politiques : 1) la prédominance des horizons à court terme chez les acteurs politiques, sujets à réélection périodique ; 2) les possibilités limitées de reconnaître ou de mesurer l’efficacité d’un projet ; 3) des institutions politiques souvent conçues pour freiner le changement, comme les constitutions ; et 4), la complexité de la mobilisation d’un grand nombre d’acteurs, souvent requise pour changer les choses.
Les décisions politiques seraient donc tributaires des choix du passé et donneraient forme aux rapports sociaux en fonction de la culture politique établie. Dans cette perspective, la convergence des régimes providentiels en fonction des exigences des marchés est loin d’être acquise, et l’hypothèse de la résilience de ces régimes est tout aussi plausible, sinon davantage. C’est d’ailleurs pour cette raison que les chercheurs ont eu recours à la notion de régime, qui traduit à la fois le caractère global et la résilience probable des différents types d’articulation entre le marché, l’État et la société civile.
Nous allons évaluer la stabilité de ces régimes en reprenant nos analyses sur des données correspondant aux années 1980, ce qui nous permettra en plus de valider à nouveau la typologie. L’intervalle d’une dizaine d’années n’est certes pas très long. Mais il faut noter qu’il se situe dans une période mouvementée de la conjoncture sociale, économique et politique dans ces pays et au plan international, comme le montre bien Castles (2001, p. 149-150). Certes, une stabilité d’une décennie — voire même plus — n’est en rien garante de l’avenir, mais elle indique, en tout cas, que les régimes providentiels sont résilients et elle impose une recherche des causes de leur reproduction au fil du temps.
Comprendre la résilience des régimes providentiels
Dans cette perspective, il faut prendre en compte la dynamique de l’espace public, c’est-à-dire de « l’arène où sont canalisés des rapports de force et les intérêts des acteurs en place » (Lagroye, 1993, p. 111). Cette dynamique est invoquée implicitement dans les travaux sur les régimes providentiels, mais nous voulons la rendre ici beaucoup plus explicite et en tirer des hypothèses quant à la résilience de ces régimes.
Esping-Andersen n’a jamais considéré que les régimes providentiels se réduisaient au simple répertoire des politiques sociales des divers pays. Au contraire, il a dès le départ mis l’accent sur « les caractéristiques historiques des États, et en particulier l’histoire des coalitions politiques de classes en tant que causes les plus décisives des variations dans les régimes providentiels » (1990, p. 1). Trois facteurs lui paraissent cruciaux à cet égard : la nature de la mobilisation de classes (particulièrement de la classe ouvrière), les structures d’action politique des classes et l’héritage historique qu’est l’institutionnalisation du régime (1990, p. 29).
De plus, Esping-Andersen définit deux caractéristiques fondamentales des régimes providentiels : la démarchandisation, dont nous avons déjà parlé, qui correspond à la capacité qu’ont les individus d’obtenir des services et un revenu sans devoir se tourner vers le marché ; et la stratification sociale qui résulte des politiques sociales, ainsi que de l’ampleur ou de l’étroitesse des solidarités sociales qui sous-tendent celles-ci (voir Arts et Gelissen, 2002). Ces deux caractéristiques renvoient donc d’une part aux droits sociaux et aux politiques sociales, et d’autre part aux résultats qui en découlent.
En parallèle aux trois aspects interreliés que nous venons de relever dans l’approche d’Esping-Andersen[7], nous distinguerons dans notre analyse trois composantes de la dynamique de l’espace public, que nous mesurerons par trois ensembles distincts d’indicateurs sociaux : indicateurs des situations sociales, des politiques publiques et de la participation civique des citoyens. La figure 3 illustre les interrelations entre ces trois composantes, de même que les indicateurs retenus.
Par situations sociales, nous entendons ce que vivent les citoyens au plan de l’activité économique et de l’emploi, des formes de la vie familiale, de la santé et de l’éducation. Ces situations sont déterminées, dans une mesure significative, par les politiques publiques (que celles-ci, d’ailleurs, soient minimalistes ou plus interventionnistes). Et ces politiques elles-mêmes (la place de l’État, ses politiques éducatives, de santé, du travail, de bien-être) sont à leur tour déterminées de double façon par ces situations sociales. D’une part, les politiques publiques s’ajustent, plus ou moins efficacement, aux besoins de la population. Et d’autre part, les politiques sont influencées par la participation civique des citoyens (à travers le vote, l’intensité de la discussion politique, l’activité syndicale, la confiance mutuelle) ; cette participation reflète à son tour, quoique de manière complexe, les situations sociales dont les citoyens font l’expérience.
On peut faire l’hypothèse, par exemple, que les sociétés sociales-démocrates confient à l’État un rôle clé dans la correction des inégalités sociales et que cette action politique s’appuie sur une mobilisation des citoyens autour de situations et d’enjeux sociaux comme l’organisation du travail, l’équité entre les sexes, l’accès universel à l’éducation et aux soins de santé, etc. Les sociétés libérales, au contraire, présentent moins de politiques publiques visant à limiter le développement de situations sociales d’inégalité, ce qui tend à reproduire au fil du temps une mobilisation relativement faible des citoyens autour d’enjeux collectifs.
Soulignons ici le rôle clé de la composante de participation civique et politique. C’est par l’intermédiaire des institutions de la société civile (syndicats, partis, associations, médias, etc.) que les revendications des citoyens peuvent avoir du poids. C’est grâce à ces institutions que les questions civiques sont débattues dans l’espace public, que les politiciens sont sommés d’intervenir, que se cristallisent les différentes idéologies et que se définissent les enjeux des débats politiques publics (voir Milner, 2002). La participation des citoyens permet de maintenir la cohésion d’une société différenciée et traversée de conflits sociaux (Bernard, 1999 ; Flacher, 2000).
Nous pensons donc qu’il existe une causalité mutuelle entre ces trois composantes : la participation politique interprète les situations sociales, ce qui contribue à orienter les politiques publiques ; à leur tour ces politiques transforment les situations sociales et suscitent de nouvelles mobilisations et modalités de participation. Pour mettre à l’épreuve cette hypothèse d’une causalité en boucle (correspondant aux flèches en gras de la figure 3), nous reprendrons nos analyses typologiques — grâce à l’analyse de classification hiérarchique — séparément pour chacun des trois ensembles d’indicateurs sociaux que nous avons étudiés. Si les situations sociales sont de fait, dans une certaine mesure, le produit des programmes publics de même que de l’intensité et du type de participation sociale, alors les indicateurs décrivant les situations sociales devraient permettre, à eux seuls, de classer les divers pays en catégories qui reflètent les régimes providentiels dont nous posons l’existence en hypothèse. Le même découpage en régimes devrait prévaloir quand nous examinons les seuls indicateurs de politiques publiques, puis les seuls indicateurs de participation, chaque ensemble portant en lui-même l’empreinte spécifique de l’action des deux autres.
Si, en d’autres termes, nous retrouvons les mêmes groupements de pays en régimes dans chacune de nos trois analyses typologiques séparées (indicateurs de situations, de politiques et de participation), cela nous indiquera que ces régimes, une fois établis, dominent à ce point la scène économique, sociale et politique des divers pays qu’ils donnent une même « couleur » à la fois à leurs situations sociales, à leurs programmes gouvernementaux et à l’engagement civique des citoyens. Ces trois composantes se consolident l’une l’autre, produisant ainsi la résilience qui, par hypothèse, caractérise les régimes providentiels.
Par l’entremise de la subordination au parcours, cette résilience s’inscrit dans l’histoire, la culture et la démographie des diverses sociétés, et elle leur permet de négocier les données de leur situation géographique et leur position dans l’économie mondialisée. Signalons toutefois que cette perspective néo-institutionnaliste se double d’une autre, davantage inspirée de l’approche de la mobilisation des ressources : si les régimes providentiels se reproduisent, ce n’est pas simplement à cause d’une logique inertielle des institutions, mais c’est aussi parce que les forces sociales façonnées par les régimes se mobilisent afin d’en assurer la perpétuation.
Considérations méthodologiques
Pour mettre à l’épreuve la typologie des régimes providentiels d’Esping-Andersen et de Leibfried-Ferrera-Bonoli, l’analyse de classification hiérarchique s’avère la méthode la plus pertinente, puisqu’elle permet de regrouper les pays qui présentent des caractéristiques similaires pour un ensemble de variables et de former des types empiriques homogènes (Rapkin et Luke, 1993)[8]. Elle est dite hiérarchique parce qu’elle divise l’ensemble des cas (les pays) en sous-ensembles de plus en plus nombreux et spécifiques, en fonction d’une mesure de distance entre ces cas qui prend en compte leur position dans l’ensemble des variables analysées[9]. Comme cette méthode inductive se fonde sur les seules ressemblances entre les cas, ses résultats ne dépendent que de deux facteurs : la structure propre du phénomène observé d’une part, et d’autre part les choix méthodologiques relatifs aux cas et aux variables retenus, ainsi qu’à la méthode d’identification des sous-ensembles. Nous examinons brièvement ci-dessous les règles que nous nous sommes données à cet égard afin d’éliminer tout arbitraire dans l’identification du phénomène observé.
Puisque nous souhaitons comparer les sociétés avancées, c’est-à-dire les sociétés caractérisées par une économie de marché capitaliste et possédant des programmes sociaux élaborés, l’analyse doit inclure l’ensemble de ces sociétés et seulement elles. Notre choix s’est d’abord arrêté sur les 30 pays membres de l’ocde. Mais une première exploration révèle qu’une dizaine d’entre eux, tels le Mexique, la Corée et la Turquie et les anciens pays communistes (Hongrie, Pologne et République tchèque), présentent un niveau de développement nettement plus faible à cet égard ; il existe d’ailleurs beaucoup moins de données standardisées sur les programmes sociaux de ces pays. Cette situation nous contraint à les retirer de l’analyse (voir à ce sujet Saint-Arnaud, Bernard et Boisjoly, 2000). Cela ne compromet en rien notre objectif de valider la typologie des régimes providentiels, puisque la plupart des auteurs ont de fait analysé les mêmes pays que ceux que nous avons retenus ici.
C’est le choix des variables qui pose le plus grand défi à l’analyse, car c’est sur cette seule base que sera définie opérationnellement la notion de régime providentiel. Nous avons déjà indiqué que nous serons guidés par un souci de représenter les trois composantes interreliées des régimes providentiels : les situations sociales, les politiques publiques et la participation politique. Il est bien sûr impossible d’inclure l’ensemble des variables relatives à ces composantes, car seules les plus importantes apparaissent dans les répertoires statistiques standard[10]. Mais il suffit d’en retenir un échantillon raisonnablement diversifié pour parvenir à caractériser les pays et les régimes sous l’angle qui nous intéresse : échantillon diversifié quant aux trois composantes, bien sûr, mais diversifié aussi parce que nous toucherons aux différents domaines que sont l’emploi, la santé, l’éducation, les budgets publics, les cotisations sociales et diverses formes de participation civique[11].
Nous devons à cet égard éviter deux écueils. D’une part, nous ne devons pas inclure dans l’analyse des variables intéressantes, mais qui fourniraient des bases de rapprochement entre pays étrangères à notre objet. Et d’autre part, nous ne devons pas non plus incorporer à nos analyses des indicateurs qui soient des mesures directes de leur appartenance à l’un ou l’autre des régimes, ce qui nous inscrirait dans un raisonnement circulaire sans valeur probante. Une étude récente d’Obinger et Wagschal (2001) utilise, comme la nôtre, l’analyse hiérarchique de classification et elle obtient des résultats apparentés ; mais elle présente ces deux difficultés.
D’une part, les auteurs ont choisi d’inclure dans leurs analyses un ensemble de variables économiques (par exemple : le pibper capita, l’ouverture de l’économie aux exportations et importations, l’équilibre de la balance des paiements, la proportion de la main d’oeuvre occupée à l’agriculture) qui mettent davantage l’accent sur le niveau absolu de développement et de richesse économiques que sur le type de régime de sécurité sociale, c’est-à-dire sur la configuration des choix politiques et fiscaux des sociétés. D’autre part, Obinger et Wagschal recourent à des variables reflétant la composition des gouvernements (par exemple, le pourcentage de membres des partis sociaux-démocrates, conservateurs et libéraux qui siègent au pouvoir). Cela court-circuite l’analyse et la rend en partie circulaire : si l’on sait que les régimes présentant de telles orientations sont ceux dont les élus se rattachent explicitement à celles-ci, on n’apprend pas grand-chose à propos de la résilience des régimes.
Nous avons pour notre part évité ce double écueil, en nous en tenant à des indicateurs qui reflètent exclusivement la spécificité des situations sociales, telles que modelées par les politiques publiques, elles-mêmes issues des diverses modalités de participation civique (et non pas les positionnements idéologiques qui en résultent).
En ce qui concerne, enfin, la méthode d’identification des sous-ensembles, nous avons fait quatre choix qui prêtent peu à controverse. Premièrement, nous avons standardisé toutes les variables utilisées sur une échelle de 0 à 1, afin d’éviter que certaines variables mesurées avec des unités de cardinal élevé dominent l’analyse. Deuxièmement, nous avons choisi la classique distance dite « euclidienne au carré » pour évaluer les ressemblances entre les cas, car elle donne plus d’importance aux distances les plus fortes et permet donc de dégager des différences entre des pays dont les profils présentent tout de même de grandes similitudes[12]. Troisièmement, nous avons adopté, pour les regroupements proprement dits, la méthode usuelle de Ward, qui permet de minimiser la variance à l’intérieur des regroupements, et donc de maximiser l’homogénéité de ceux-ci. Quatrièmement, suivant les procédures courantes dans de telles analyses exploratoires, nous avons retenu un nombre de regroupements de pays qui faisait sens théoriquement tout en fournissant une représentation parcimonieuse de la réalité[13].
Soulignons enfin que même si l’analyse de classification hiérarchique n’exige pas au sens strict de tests de validité, puisqu’il s’agit d’une méthode exploratoire (Falissard 1996), quelques vérifications ont néanmoins été réalisées sur le modèle et les variables utilisées. Ainsi, nous avons retiré tour à tour chacune des variables de nos analyses, pour nous assurer qu’aucune d’entre ces variables ne les dominait à elle seule et n’en déterminait artificiellement les résultats. L’application des tests de « F » et du « b » de Tukey nous a également permis de déterminer quelles variables contribuaient au regroupement des cas et si ces variables étaient significatives lors de la comparaison des regroupements (les résultats de ce dernier test sont indiqués dans le tableau 1). À la suite de l’application de ces tests, nous avons retiré du modèle certaines variables et avons refait une analyse de classification hiérarchique, qui a produit des résultats très similaires à ceux que nous présentons ci-dessous.
La validation de la typologie des régimes providentiels
L’analyse de l’ensemble des indicateurs pour les années 1990 a permis de reproduire la typologie d’Esping-Andersen et de Leibfried-Ferrera-Bonoli. La figure 4 montre bien que les principaux pays généralement considérés comme libéraux se regroupent (Canada, États-Unis, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande, Australie), tout comme les pays conservateurs (Belgique, France, Allemagne, Autriche), les pays sociaux-démocrates (Suède, Finlande, Norvège, Danemark) et les pays latins (Espagne, Italie, Grèce, Portugal). Le dendrogramme montre également très bien la similitude entre les régimes conservateur et latin, qui ont plus de caractéristiques en commun qu’avec les deux autres modèles, comme le prévoyait Esping-Andersen (1999a, p. 90). Mais le fait qu’une analyse à quatre regroupements colle d’aussi près aux prédictions de Liebfried, Bonoli et Ferrera nous oblige à conclure à l’existence d’un régime latin spécifique. Quant à l’Islande et à l’Irlande, dont le régime providentiel a fait l’objet de peu d’études, nos analyses suggèrent que ces pays se rattachent au profil libéral.
Comme l’analyse de classification hiérarchique est une méthode exploratoire, le choix du nombre de sous-ensembles à retenir est fonction de l’interprétation théorique que l’on peut donner à ces regroupements. Nous avons en fait poussé jusqu’à sept regroupements, mais sans découvrir dans ces nouvelles différenciations des sous-ensembles de pays qui recouperaient les analyses existantes des régimes providentiels[14]. Nous nous en sommes donc tenus aux quatre regroupements illustrés dans la figure 4.
Les caractéristiques des régimes providentiels
Outre la confirmation de la typologie, cette première analyse permet de caractériser les quatre régimes providentiels en utilisant les moyennes obtenues par les regroupements de pays pour chacune des variables (voir le tableau 1). L’examen de ces données confirme en tous points la caractérisation de ces régimes que nous avons présentée ci-dessus.
Ainsi, les pays libéraux investissent très peu dans la sphère publique ; les transferts de sécurité sociale, en particulier, y sont de loin les moins importants. On y accorde toutefois beaucoup d’importance aux subventions aux entreprises publiques et privées, qui sont nettement supérieures aux autres régimes. Dans le modèle libéral, les travailleurs tout comme les employeurs paient très peu de cotisations de sécurité sociale. En revanche c’est là, à l’exception des pays sociaux-démocrates, que les individus paient le plus d’impôts. Le système de santé libéral coûte très cher, si on considère la proportion des dépenses publiques accordée à la santé par rapport aux dépenses publiques totales. Les investissements publics en éducation sont importants, quoique inférieurs à ceux des pays scandinaves, mais ils sont très faibles en formation professionnelle. Quant au chômage, les pays libéraux ont de meilleurs résultats que tous les autres régimes. Ils sont aussi très performants pour ce qui est de la participation et du taux d’activité des femmes. Sur le plan de la participation politique, le modèle libéral se classe second derrière le régime social-démocrate sur toutes les variables sauf sur ce qui a trait à la proportion de gens qui votent, où il se classe dernier.
Dans le modèle social-démocrate, les investissements dans la sphère publique sont très importants : les dépenses et les recettes de l’administration publique, les transferts de sécurité sociale (mais non pas les autres transferts et les subventions), les dépenses dans le domaine de l’éducation et pour la formation professionnelle sont autant d’investissements pour lesquels ce régime se démarque considérablement des autres. Soulignons que ces efforts en éducation portent leurs fruits puisque ces pays affichent la plus grande proportion de scientifiques et de techniciens en recherche et développement. C’est également le régime où les impôts sont les plus élevés, ce qui explique en partie les recettes importantes des gouvernements. Quant à l’emploi, le régime social-démocrate présente un niveau de chômage bas, des taux élevés d’emploi dans l’administration publique et une forte participation professionnelle chez les femmes. Enfin, le modèle social-démocrate se démarque également des autres régimes par ses excellents résultats relativement aux variables de participation politique, c’est-à-dire la proportion de la population qui vote, le niveau de confiance envers autrui, le nombre de journaux lus et la proportion des salariés syndiqués.
Le régime conservateur présente aussi des investissements importants dans la sphère publique (dépenses courantes des administrations publiques, santé, formation professionnelle, transferts de sécurité sociale). Il perçoit aussi, à l’instar du régime social-démocrate, des recettes considérables, mais relativement peu sous forme d’impôts sur le revenu ; les cotisations de sécurité sociale payées par les employés et par les entreprises sont d’ailleurs très élevées. Les taux de chômage et de chômage de longue durée sont élevés (tout comme dans les pays latins). De plus, la prédominance du modèle du « gagne-pain masculin » se traduit dans un faible taux d’activité des femmes, qui entraîne un modeste taux d’activité de la population dans son ensemble. Enfin, bien que les pays du régime conservateur détiennent la proportion la plus élevée de la population qui vote, les autres variables décrivant la participation politique présentent des résultats peu élevés.
Le régime latin, enfin, ressemble fort au régime conservateur, mais les dépenses des administrations publiques y sont généralement plus limitées, tout en demeurant supérieures à celles des pays libéraux. Une part importante des dépenses de ce modèle prend la forme de transferts de sécurité sociale, les plus importants de tous les régimes. De plus, ce sont les employeurs (plutôt que les impôts sur le revenu) qui financent en grande partie ces programmes de sécurité sociale, avec des dépenses importantes pour les cotisations de sécurité sociale. Quant aux investissements en santé, en éducation et en formation professionnelle, ils sont ici les plus bas. Les taux de chômage et de chômage de longue durée sont élevés et les femmes ont un taux d’activité encore plus bas que dans le modèle conservateur. Enfin, la participation politique dans les pays de ce régime est très inférieure à la moyenne des autres régimes.
Un seul pays s’est mal classé quand on compare ses résultats aux analyses de politiques classiques, plus qualitatives ; il s’agit des Pays-Bas, classés ici avec les conservateurs et non pas, comme le font la plupart des auteurs, avec les sociaux-démocrates. Toutefois, de récents travaux de Esping-Andersen (1999a) suggèrent que les Pays-Bas ont un modèle d’assistance sociale (couverture, structure des programmes et générosité des redistributions) similaire au régime social-démocrate, mais que dans d’autres dimensions, comme l’importance des services sociaux et de la famille, ils s’approchent davantage du type conservateur.
Les régimes providentiels au milieu des années 1980
Nous avons évalué la stabilité des régimes dans le temps en effectuant de nouvelles analyses sur les mêmes variables, mais qui couvrent cette fois-ci la période du milieu des années 1980[15]. Les résultats reproduisent à nouveau la typologie, comme on le voit à la figure 5. Les pays libéraux sont regroupés ensemble (Canada, États-Unis, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande, Australie, auxquels se rattachent, ici encore, l’Irlande et l’Islande), tout comme les pays conservateurs (Belgique, France, Allemagne, Autriche et, cette fois encore, les Pays-Bas), les pays sociaux-démocrates (Suède, Finlande, Norvège, Danemark) et, finalement, les pays latins (Grèce, Portugal). Tout comme dans la figure 4, le dendrogramme exprime très bien la similitude entre le régime conservateur et le régime latin ; cette proximité explique en partie pourquoi l’Espagne et l’Italie se retrouvent avec le régime conservateur au lieu du régime latin.
Si on se fie aux variables utilisées dans notre modèle, la convergence des marchés économiques ne semble donc pas avoir affecté le découpage des régimes providentiels : les quatre types demeurent toujours présents sur une période qui s’échelonne sur une dizaine d’années. Il semble donc, comme le suggèrent Palier et Bonoli, qu’une fois établis, les schémas politiques de base sont généralement tenaces et favorisent la continuité plutôt que les changements (1999, p. 402) : on constate une subordination au parcours, en vertu de laquelle les institutions politiques reproduisent la différenciation des régimes providentiels des pays.
La confirmation de la typologie pour chacun des trois axes théoriques
Nous avons posé l’hypothèse que la résilience des régimes providentiels repose sur un renforcement mutuel, au fil du temps, entre les situations sociales, les politiques publiques et la participation politique caractéristiques de chacun d’entre eux. Chacune de ces composantes prendrait, dans chaque pays, une forme spécifique qui lui serait dictée, justement, par le développement du régime auquel ce pays se rattache. Nous nous attendons donc à retrouver le même regroupement de pays quand nous examinerons séparément les indicateurs sociaux se rattachant à chacune des trois composantes. Nos résultats se conforment dans l’ensemble à ces attentes, avec quelques imprécisions qui s’expliquent en partie par le nombre limité de variables disponibles dans certains cas (surtout pour la participation politique).
Les résultats de l’analyse selon l’axe des caractéristiques des programmes sociaux sont illustrés dans la figure 6. Ils permettent de discerner quatre modèles distincts d’organisation des politiques sociales et économiques. Les pays de type libéral et social-démocrate sont très bien définis. Quelques ambiguïtés se présentent toutefois entre le régime latin et le régime conservateur. L’Italie et l’Espagne (régime latin) se sont classées avec le modèle conservateur, laissant ainsi le Portugal et la Grèce seuls dans un même regroupement. Un examen des variables[16] montre que l’Italie et l’Espagne ont des politiques sociales et fiscales similaires à celles des pays conservateurs, tandis que la Grèce et le Portugal ont des programmes moins généreux.
La figure 7 présente l’analyse des situations sociales. La typologie est assez claire malgré trois changements par rapport à la figure 4 : la France est regroupée avec le régime social-démocrate, le Portugal et l’Irlande avec les pays conservateurs. L’examen des variables nous permet de constater que la France possède un fort taux d’emploi dans l’administration publique et un important contingent de techniciens et de scientifiques en recherche et développement, tout comme les pays sociaux-démocrates ; mais cela ne signifie pas pour autant que le pays appartient vraiment à ce régime, car il en diverge selon les autres indicateurs de situations sociales. Quant au Portugal, il se détache des moyennes des pays du régime latin à cause d’une meilleure situation quant à l’emploi (chômage, activité en général et chez les femmes), où il se rapproche davantage du régime conservateur. L’Irlande, enfin, présente quelques caractéristiques sociales communes avec les pays conservateurs.
Dans la cas de la participation politique (voir figure 8), on observe trois modèles distincts de mobilisation politique, ce qui coïncide avec la perspective d’Esping-Andersen. Les pays libéraux et les pays sociaux-démocrates forment leurs propres regroupements, alors que les pays conservateurs et les pays latins, pour leur part, n’en forment qu’un seul. Les Pays-Bas sont encore ici classés de façon inattendue, puisqu’ils se rapprochent du régime libéral ; un tel résultat n’est pas inhabituel dans les analyses qualitatives de politiques, puisque ce pays présente une situation complexe.
Certaines des variables que nous analysons obéissent donc à des logiques autres que celle des régimes providentiels (par exemple, la logique de construction d’un État fort en France), ce qui conduit à quelques anomalies dans la reproduction de nos résultats pour chacune des trois composantes de ces régimes. Mais nous observons tout de même des liens très étroits entre l’organisation des programmes sociaux dans les diverses sociétés, les situations sociales qui sont le résultat des politiques élaborées, et la participation politique qui mobilise les citoyens pour donner forme aux programmes sociaux. On peut donc croire que la stabilité des régimes providentiels reflète l’intensité de ces liens et leur résilience quant aux répercussions des transformations économiques liées à la mondialisation.
Les analyses que nous avons faites nous permettent d’atteindre un objectif supplémentaire : situer le Canada parmi les mondes du « capitalisme providentiel », examiner en quoi il ressemble à d’autres sociétés de référence et en diffère, envisager son évolution possible en tenant compte à la fois de son passé (subordination au parcours) et des contraintes que présente son environnement international. C’est la question que nous abordons en dernier lieu.
Le Canada est un pays libéral, mais…
Le Canada se rattache, comme nous l’avons vu dans les différentes figures, au régime providentiel libéral. Rien d’étonnant à cela, étant donné sa proximité géographique et l’intensité de ses échanges économiques avec les États-Unis, en particulier (Banting, 1996). Mais les données de la deuxième colonne du tableau 1 permettent de constater qu’il se rapproche davantage, sur quelques points, des logiques sociale-démocrate, conservatrice ou latine.
Les dépenses et les recettes publiques représentent, au Canada, une part relativement faible du pib, comme dans les autres pays libéraux ; mais elle est tout de même plus élevée que chez ces derniers, se rapprochant de celle des pays conservateurs et latins mais sans atteindre celle des sociaux-démocrates. Les transferts au titre de la sécurité sociale y sont également très faibles, comme chez les autres pays libéraux ; mais contrairement à ces derniers, le Canada n’utilise que très peu les subventions et autres transferts. Au plan des recettes publiques, le profil du Canada est semblable à celui des autres pays libéraux, les cotisations sociales des employés et des employeurs étant faibles ; mais les impôts sur le revenu y sont tout de même un peu plus élevés, une situation qui nous rapproche un peu de celle des pays sociaux-démocrates, tout en nous distinguant fortement des pays conservateurs et latins. D’ailleurs, le taux d’emploi dans l’administration publique est aussi plus élevé que dans les autres régimes, à l’exception du modèle social-démocrate, évidemment.
Le Canada consacre une part importante de ses dépenses publiques à la santé, comme les autres pays libéraux. Mais il s’en distingue par son effort public en éducation, qui le rapproche plutôt des pays sociaux-démocrates ; cet effort ne se prolonge cependant pas en formation professionnelle, où les États sociaux-démocrates sont les seuls à investir massivement.
Que résulte-t-il de ces diverses interventions ? Notre taux de chômage se rapproche de celui des régimes conservateur et latin, plutôt que de celui des libéraux et des sociaux-démocrates (dans ces deux derniers régimes, le chômage est limité respectivement par la faiblesse des transferts sociaux et par une politique active de l’emploi). Cela dit, le Canada présente relativement peu de chômage de longue durée. Le taux d’activité y est élevé, comparable à celui des régimes sociaux-démocrates et un peu supérieur à celui des régimes libéraux ; le taux d’activité des femmes est également élevé, comme dans ces deux régimes. Au plan de la participation politique, enfin, le Canada s’éloigne fortement de la situation des pays sociaux-démocrates, se rapprochant principalement des pays libéraux, sauf en ce qui concerne la lecture de quotidiens, où il rejoint le faible score des pays latins.
En somme, le Canada est un pays libéral, mais il présente des spécificités qui le distinguent quelque peu de ce régime. Les interventions publiques y sont un peu plus marquées, les situations sociales se rapprochent timidement, sur certains points, de celles qui prévalent en Europe. Mais la participation politique demeure relativement faible, particulièrement si on la compare aux pays sociaux-démocrates.
Conclusion
Nous voulions montrer dans ce travail, en utilisant de nouvelles données empiriques, que les différentes sociétés avancées diffèrent systématiquement dans leurs choix quant à l’interdépendance entre les dépenses sociales et la performance économique. En dépit de l’influence des logiques macroéconomiques (Clement et Myles 1994 ; Banting 1996 ; Soskice 1999), nos résultats confirment la présence et la persistance de distinctions importantes sur le plan de l’organisation des politiques sociales dans ces sociétés, de la lutte aux inégalités sociales et de l’articulation de l’action de l’État, du marché et de la famille.
L’utilisation de l’analyse de classification hiérarchique, appliquée à un ensemble d’indicateurs quantitatifs, a permis de valider la typologie d’Esping-Andersen et de Leibfried-Ferrera-Bonoli, qui prévoit l’existence des quatre régimes providentiels : libéral, social-démocrate, conservateur et latin. Les résultats comparatifs dans le temps ont permis de rejeter, du moins pour la période du milieu des années 1980 au milieu des années 1990, l’hypothèse d’une convergence des régimes résultant des contraintes des marchés économiques. La stabilité des régimes a pu être éclairée par des analyses portant sur chaque axe théorique du modèle : programmes sociaux, situations sociales et participation politique. La typologie peut être reproduite — à quelques variantes près — en analysant chacun de ces axes séparément, ce qui démontre l’existence de liens étroits entre l’organisation des programmes sociaux dans les sociétés, les situations sociales qui sont en partie le résultat des politiques élaborées, et la participation politique qui amène les gens à se mobiliser (plus ou moins) pour donner forme aux programmes sociaux. Cette stabilité des régimes suggère que les voies choisies sont tributaires des choix du passé (subordination au parcours), ce qui ne laisse pas présager une convergence dans l’avenir.
Par la suite, en comparant les résultats du Canada avec les moyennes de chaque régime, nous avons constaté une similarité d’ensemble avec les pays libéraux. Mais le Canada se rapproche à certains égards des autres régimes, et en particulier du régime social-démocrate ; les interventions publiques y sont un peu plus marquées que dans les autres pays libéraux, ce qui reflète les particularités de notre situation politique et la résilience de notre propre parcours.
Parties annexes
Notes
-
[1]
Du moins avant impôt et transfert, dans le cas du Canada.
-
[2]
C’est le sens qu’il faut donner au livre d’Amartya Sen, Development as Freedom (1999).
-
[3]
Notons que Castles et Mitchell (1993) proposent également l’addition d’un autre type à la classification d’Esping-Andersen, sis aux antipodes et regroupant l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ces pays se caractériseraient par une intervention étatique sur les inégalités visant davantage le marché du travail (c’est-à-dire le revenu avant impôt et transfert), de même que par des programmes de soutien au revenu généreux, mais accessibles sous condition de ressources (means-tested). Les données sur les politiques publiques qui sont à notre disposition à cette étape de notre recherche, qui n’abordent pas les questions de fiscalité des individus mais se limitent aux dépenses de programmes, ne nous permettent pas de vérifier cette hypothèse à l’heure actuelle.
-
[4]
La notion de démarchandisation de la force de travail renvoie à la marge de liberté que détiennent les acteurs sociaux, selon les régimes providentiels, quant à la nécessité de vendre leur force de travail sur le marché pour atteindre des conditions de vie acceptables (Martin, 1997). Le travail demeure certes, dans toutes les sociétés capitalistes avancées, la source principale dont les individus tirent leur subsistance, mais il conduit également au développement des inégalités sociales. Les individus qui ne peuvent s’en remettre qu’à leur force de travail pour subvenir aux besoins de la vie quotidienne se retrouvent dans une position qui les désavantage par rapport aux propriétaires des moyens de production. Pour amenuiser les inégalités sociales occasionnées par le marché, les droits de démarchandisation sont développés différemment dans les sociétés avancées. Ces droits se reflètent dans les politiques sociales qui permettent aux citoyens d’opter librement pour le non-travail lorsqu’on considère cette solution comme nécessaire, sans perte conséquente d’emploi, de revenu ou de bien-être général (Esping-Andersen, 1999b). Le processus de démarchandisation peut prendre la forme de prestations de services étatiques d’éducation, de santé, de sécurité du revenu, etc. Le degré de démarchandisation variera selon les valeurs idéologiques (liberté, égalité, solidarité) qui animent principalement les sociétés.
-
[5]
Toujours selon Esping-Andersen (1999b), cette défamilialisation de la politique sociale constitue une condition préalable à l’harmonisation travail/maternité pour les femmes. Un haut niveau de défamilialisation de la politique sociale signifie que l’État procède à divers investissements pour convertir le travail gratuit en services marchands ou publics. À l’inverse, une société familialiste (niveau de défamilialisation faible ou inexistant) soutient que la famille doit demeurer au centre des responsabilités quant aux besoins de ses membres, ce qui correspond à une prédilection pour le modèle traditionnel de l’homme gagne-pain principal, voire exclusif.
-
[6]
Nous aurons l’occasion de revenir sur cette question vers la fin du texte, quand nous examinerons plus en détail la position du Canada dans les mondes du « capitalisme providentiel ».
-
[7]
Obinger et Wagschal (2001) font brièvement allusion à la présence de cette causalité mutuelle dans la pensée d’Esping-Andersen.
-
[8]
Ce choix parmi les diverses méthodes de regroupement de variables ou de cas (analyses factorielles de divers types, par exemple) s’impose d’autant plus que nous disposons ici de nombreuses variables mais de peu de cas.
-
[9]
En langage plus simple, c’est comme si on demandait au modèle de diviser les cas en deux sous-ensembles les plus homogènes possible à l’interne et les plus différents possible entre eux (en fonction de la distance multidimensionnelle entre les cas). Une fois ces deux sous-ensembles déterminés, on refait le même travail sur chacun d’entre eux, et ainsi de suite en cascade.
-
[10]
Les variables utilisées dans le cadre de cette recherche sont tirées de répertoires statistiques de l’ocde, de l’onu, de l’unicef, de la Banque mondiale, de certains travaux de Knack et Keefer (1997), du site Social Security Online des États-Unis et du « World Value Survey ». L’information sur les sources statistiques détaillées est disponible auprès des auteurs sur demande.
-
[11]
La liste des variables a déjà été présentée sommairement dans la figure 3, et elle est reprise de façon plus détaille dans le tableau 1.
-
[12]
Nous avons cependant répété nos analyses en substituant à la mesure de distance « euclidienne au carré » les mesures « block », « euclidienne », « Minkowski » et « Chebychev », ce qui n’a en rien changé la nature de nos résultats.
-
[13]
Aucune règle ne précise où il faut arrêter la désagrégation en sous-ensembles de plus en plus fins, qui aboutirait en fin de compte à reconnaître que chacun des cas (des pays) a sa propre spécificité ; mais un tel résultat n’est guère utile pour identifier des régimes et donc des parentés entre pays, comme le montre bien Esping-Andersen (1990, 1999a). Nous justifierons ci-dessous le choix spécifique du modèle à quatre regroupements.
-
[14]
Soulignons toutefois que l’analyse à cinq regroupements montre un rapprochement entre le Canada et les États-Unis (nous y reviendrons plus loin). On peut d’ailleurs noter qu’en plus de ce rapprochement, trois des quatre regroupements présentent un aspect régional (pays sociaux-démocrates du nord de l’Europe, pays conservateurs de l’Europe continentale, pays latins de l’Europe du Sud). Comme le soutient Banting (1996), la proximité des pays semble avoir une influence sur le développement de leurs politiques sociales : à cause des échanges économiques et du déplacement de la main d’oeuvre entre les pays ou les régions limitrophes, certains programmes sociaux (par exemple sur l’emploi, l’éducation et la santé) doivent devenir plus compatibles, voire se plier à des accords internationaux et interrégionaux, ce qui peut contribuer à homogénéiser jusqu’à un certain point les situations sociales.
-
[15]
Il est difficile de pousser l’analyse plus loin dans le passé, car les données de base ne sont pas colligées avant les années 1980 pour un ensemble de pays semblable à celui que nous avons étudié.
-
[16]
Les informations statistiques détaillées à ce sujet sont disponibles sur demande auprès des auteurs.
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