Corps de l’article

1. Introduction

1.1 Les innovations et l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal

Ayant vu le jour en 1873, l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM) a une histoire inspirante qui représente bien l’évolution de la psychiatrie au fil des années (Bolduc, 2016). L’Institut est reconnu pour son engagement à améliorer la compréhension et les soins en santé mentale puisqu’il a toujours été à l’avant-garde des approches novatrices de diagnostic, de thérapie et de réadaptation (Stip, 2015). Son intégration de technologies de pointe dans l’évaluation et le traitement des troubles de santé mentale, en utilisant les avancées en neuro-imagerie, en réalité virtuelle et en médecine personnalisée, est une réalisation remarquable (Fortin et coll., 2014). De plus, l’IUSMM joue un rôle important dans la promotion de la collaboration interdisciplinaire en réunissant des experts de divers domaines pour explorer des approches holistiques des soins en santé mentale.

L’engagement de l’Institut dans la recherche, l’éducation et la sensibilisation communautaire a non seulement augmenté les connaissances scientifiques en santé mentale, mais a également amélioré la vie des personnes confrontées à des problèmes de santé mentale dans la communauté montréalaise et dans le monde entier (Stip, 2015).

1.2 Santé numérique

Au fil des 2 dernières décennies, les grands domaines de la médecine moderne ont commencé à se tourner vers l’exploitation des données numériques afin de développer les soins aux patients (Shah, 2023). Les innovations en santé numérique représentent donc l’introduction ou l’amélioration de l’utilisation des technologies de l’information et de la communication via des modalités informatisées pour améliorer la prestation des soins de santé, la gestion des données médicales, la communication entre les professionnels de la santé et les patients et la promotion de la santé (Smith et coll., 2023). Plus spécifiquement dans le domaine de la santé mentale, diverses technologies ont été utilisées telles que des interventions numériques ou l’usage de l’intelligence artificielle en recherche. Les interventions en santé numérique ciblent habituellement l’accessibilité aux soins grâce aux interventions numériques, le concept de polynumérique où plusieurs applications/fonctionnalités abordent différents facteurs sur le plan de la symptomatologie des patients et la capacité de récolter des données de haute résolution pour la surveillance en dehors des soins cliniques (Senbekov et coll., 2020).

Dans la grande famille des outils en santé numérique, il est possible de retrouver ceux issus de l’intelligence artificielle. Cette modalité inclus des algorithmes en mesure de reproduire avec un degré de précision variable une ou plusieurs des composantes de l’intelligence humaine (Lee et coll., 2021). Celle-ci est utilisée majoritairement afin de prédire certains enjeux cliniques, d’aider à la prise de décisions cliniques, ainsi qu’à améliorer la gestion des ressources et l’accessibilité aux soins et services.

1.3 Objectifs

L’objectif principal de cette revue est de recenser les innovations en santé numérique développées au sein de l’IUSMM ainsi qu’aux centres de recherche affiliés. Ce recensement met en lumière l’excellence de l’établissement, de ses chercheurs et de ses cliniciens, pour ce qui est de mettre sur pied de nouvelles approches thérapeutiques pour prodiguer les meilleurs soins aux patients et chercher des avenues thérapeutiques novatrices afin de surmonter les limites des traitements usuels. En effet, de nombreux développements ont vu le jour à l’IUSMM pour une panoplie de conditions psychiatriques, et l’innovation dans ce secteur a été en forte croissance au fil des dernières années.

2. Méthode

2.1 Stratégies de recherche

Une revue de portée a été réalisée afin de proposer un aperçu complet des types d’innovations en santé numérique développées à l’IUSMM et leurs implications pour la pratique clinique. La méthodologie de Tavares de Souza, développée en 2010 pour les revues intégratives, a été utilisée (Souza et coll., 2010). Celle-ci comprend 6 étapes : le développement de la question de recherche, la recherche de la littérature, la collecte de données, l’analyse critique des articles recensés, la discussion des résultats et la présentation de la visée intégrative des articles recensés.

La recension des écrits a été réalisée en collaboration avec une bibliothécaire spécialisée en santé mentale. Les bases de données Medline, Web Of Science, PsycNet (PsycINFO), et Google Scholar ont été interrogées afin de ressortir les articles parus entre leur date de lancement jusqu’à décembre 2023. Des mots clés et des termes d’indexage (MeSH) incluant le domaine de la psychiatrie, de la santé mentale ainsi que l’institution qu’est l’IUSMM ont été utilisés. Les champs d’innovation que sont la santé numérique et l’intelligence artificielle ont également été utilisés dans la recherche documentaire. Le site du centre de recherche de l’IUSMM a également été consulté afin de s’assurer d’inclure les données préliminaires de projets qui ne seraient pas incluses dans les bases de données susmentionnées. La recherche documentaire a été effectuée par les deux auteurs (AH et MB).

2.2 Critère d’admissibilité des études recensées

Les études recensées ont été incluses dans l’analyse si elles répondaient aux critères d’inclusion suivants : 1) présentant une ou plusieurs innovation(s) dans le domaine de la santé numérique ou en intelligence artificielle ; 2) l’étude a été réalisée dans le domaine de la psychiatrie ; 3) l’étude a été réalisée en partie ou en totalité par des collaborateurs de l’IUSMM ou de son centre de recherche (l’affiliation devait être mentionnée dans le manuscrit de l’étude) ; et 4) le manuscrit a été rédigé en français ou en anglais. Les études de cas, les protocoles, les études préexpérimentales et les écrits non publiés ont été exclus de l’analyse.

2.3 Collecte des données

Les données ont été extraites à l’aide d’un formulaire standardisé. Les données suivantes ont été recueillies et documentées dans un classeur Microsoft Excel : auteurs, année, revue, type d’étude, le type d’intervention clinique, la modalité étudiée et la population cible.

2.4 Analyse des données

L’ensemble des études ont été classifiées selon le cadre conceptuel de Cano et coll. (2014). Ce cadre, développé pour la classification des applications en santé numérique, définit 4 catégories d’applications numériques : pour les soins informels, pour les soins formels, pour la recherche en sciences biomédicales et pour le dossier médical du patient.

Les « soins formels » impliquent les applications qui touchent les soins directement prodigués aux patients, par exemple : les outils d’aide à la prise de décision clinique, les outils représentant une forme de traitements et autres formes d’interactions directes ou indirectes avec les patients. Les « soins informels » sont axés sur les services en dehors du système de soins, par exemple les applications mobiles, les outils pour le bien-être. Pour ce qui est de la catégorie « recherche en sciences biomédicales », toutes les applications touchant la recherche dans ses multiples sphères ont été incluses. Finalement, la catégorie « dossier médical du patient » comprend tous les outils qui s’intègrent au dossier médical informatisé des patients afin de faciliter les tâches cliniques des professionnels de la santé et des administrateurs.

L’évaluation des critères d’éligibilité de cette recherche documentaire a été menée par AH et MB pour l’ensemble des écrits. Un accord interjuge de 91 % a été obtenu et un consensus des études à évaluer a été réalisé pour l’ensemble des articles qui ont été retenus dans le cadre de cette revue.

Résultats

La recension des écrits a permis l’identification initiale de 239 articles. Parmi ceux-ci, 108 doublons ont été retirés. Des 131 études restantes, à la lecture des titres et des résumés, 63 articles furent exclus, car ils ne répondaient pas aux critères d’inclusions. Un total de 22 articles a été pleinement retenu après l’analyse complète des 68 articles identifiés pour évaluation d’éligibilité. Les détails de la sélection des articles sont présentés à la Figure 1. Les articles identifiés sont présentés au Tableau 1.

Figure 1

Diagramme de flow de la recension des écrits

Diagramme de flow de la recension des écrits

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Tableau 1 

Recension des écrits

Recension des écrits

Tableau 1  (suite)

Recension des écrits

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Le cadre des axes des innovations numériques à l’IUSMM, présenté à la Figure 2, témoigne de l’ensemble des grandes catégories de développement retrouvées au sein des articles recensés. Ces catégories sont : la réalité virtuelle (ou outils immersifs), les applications numériques, les prestations des services et thérapies à distance, l’utilisation de l’intelligence artificielle et finalement la biométrie (ou utilisation d’un assistant personnel digital).

Figure 2

Présentation des axes d’innovations numériques à l’IUSMM

Présentation des axes d’innovations numériques à l’IUSMM

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3.1 La réalité virtuelle ou outils immersifs

La réalité virtuelle est une technologie informatique qui offre à l’utilisateur une expérience sensorielle réaliste en simulant un environnement tridimensionnel. Pour permettre à l’utilisateur d’interagir avec cet environnement simulé, des casques haptiques peuvent être utilisés, avec ou sans gants ou contrôleurs (Samadbeik et coll., 2018). L’objectif de la réalité virtuelle est d’immerger l’individu dans un monde artificiel afin qu’il puisse percevoir et ressentir cette réalité simulée comme s’il s’agissait de la réalité physique. Certaines variantes de la réalité virtuelle existent et impliquent l’utilisation d’écrans tactiles ou interactifs afin de faire interagir la personne concernée avec l’environnement numérique (Samadbeik et coll., 2018). Un total de 6 articles a été recensé dans cet axe d’innovations en santé numérique à l’IUSMM.

En 2010, en utilisant une batterie de plusieurs outils psychométriques pour évaluer les symptômes dissociatifs et affectifs de 30 individus universitaires (14 femmes et 16 hommes), l’équipe du docteur Aardema a tenté d’identifier les processus imaginaires associés avec la dissociation à l’aide de la réalité virtuelle. Des environnements tridimensionnels ont été utilisés afin de tenter d’induire une expérience dissociative (Aardema et coll., 2010). Les auteurs concluent que ceux qui avaient initialement des symptômes dissociatifs plus élevés ont montré plus de symptômes après une exposition à la réalité virtuelle que ceux qui avaient des symptômes plus faibles (Aardema et coll., 2010). L’exposition à la réalité virtuelle a également diminué le sentiment de présence dans la réalité objective (Aardema et coll., 2010). Ce type d’exposition s’inscrit dans les soins formels comme entendu par Cano et coll. (2014).

Une autre innovation de taille dans le domaine de la réalité virtuelle au sein du centre de recherche à l’IUSMM est la thérapie par Avatar. Développée en 2008 en Angleterre, cette thérapie a été reprise dans un contexte québécois par les docteurs Alexandre Dumais et Stéphane Potvin (du Sert et coll., 2018). Il s’agit d’une thérapie expérientielle protocolisée durant laquelle les patients interagissent avec une représentation tridimensionnelle de leur hallucination auditive la plus souffrante. Cette thérapie est présentement à l’étude chez les patients atteints de schizophrénie réfractaire à la médication. Un premier essai clinique randomisé démontre une amélioration significative des hallucinations auditives des participants et de leur qualité de vie (Dellazizzo et coll., 2018). Le projet clinique actuel compare cette thérapie à la thérapie cognitivo-comportementale pour la psychose (identifiant clinicaltrials.gov : NCT04054778). D’autres applications de cette thérapie sont à l’étude tel que pour les patients atteints d’un trouble de l’usage du cannabis concomitant avec un trouble psychotique (Giguère et coll., 2023). Ces types de traitements s’inscrivent également dans les soins formels.

Chez la population adolescente, docteure Monthuy-Leblanc et son équipe se sont intéressés à l’utilisation de la réalité virtuelle afin d’évaluer et traiter les distorsions cognitives reliées à l’image corporelle. À cet effet, une étude comprenant 93 adolescents a été réalisée en utilisant l’application eLoriCorps-IBRS (Monthuy-Blanc et coll., 2022). Il s’agit d’un environnement virtuel qui présente différentes représentations corporelles d’hommes et de femmes. Son étude a permis de valider l’outil de réalité virtuelle et de mettre en évidence que les mesures allocentriques étaient davantage reliées aux aspects perceptuels, sensoriels et affectifs des distorsions cognitives de l’image corporelle (Monthuy-Blanc et coll., 2022). Ce type de soin formel est rarement exploré dans le domaine des troubles alimentaires.

L’utilisation formelle de vidéos immersives permet également d’atteindre certaines modalités intrinsèques de la réalité virtuelle. À cet effet, l’équipe du docteur Stéphane Potvin s’est penchée sur le développement de vidéos immersives pour entraîner la cognition sociale chez les patients atteints de schizophrénie dans un contexte de psychiatrie légale. Une étude de type méthode mixte a été réalisée auprès de 7 patients et 7 soignants pour les phases de développements de 5 scénarios immersifs (Dumont et coll., 2022). Ce projet a mis en évidence la faisabilité de créer des vidéos immersives permettant de générer de nouveaux apprentissages pour les patients ayant des déficits sur le plan de la cognition sociale (Dumont et coll., 2022).

3.2 Les applications numériques

Un logiciel destiné à être utilisé sur des appareils électroniques tels que des ordinateurs, des téléphones intelligents, des tablettes ou d’autres appareils numériques est appelé application numérique (Das, 2002). Les applications numériques sont conçues pour effectuer des tâches spécifiques, fournir des fonctionnalités spécifiques ou fournir des services spécifiques aux utilisateurs (Das, 2002). Dans le contexte des soins de santé, les applications numériques peuvent être de nature très variée et impliquer l’utilisation de sites Web, d’interfaces numériques ou simplement d’une bonne vieille application logicielle sur un poste informatique.

Sur le plan des applications mobiles – tous dans la catégorie des soins formels – l’outil PsyAssistance, développé par docteur Réal Labelle et son équipe, est rapidement devenu un chef de file dans les outils numériques pour la prévention du suicide. Cette application permet de soutenir en temps réel les gens qui souffrent avec une humeur dépressive, des idées suicidaires ou une situation de crise. Il s’agit d’un outil téléchargeable et utilisable sur téléphone intelligent avec lequel un utilisateur peut interagir avec l’application et développer un plan de sécurité en cas de crise (Labelle et coll., 2013).

Pour les jeunes issus de la communauté LGBTQ+, l’équipe du docteur Robert-Paul Juster a développé l’application mobile +Fièr, adaptée des travaux de docteure Isabelle Ouellet-Morin de l’application mobile +Fort pour soutenir les jeunes victimes d’intimidation. Cette application permet aux jeunes de cette communauté de développer des stratégies d’adaptation face à la stigmatisation (Bourdon et coll., 2021). De plus, celle-ci permet également aux jeunes d’apprendre à partir de ce type d’outil personnalisé et de partager leurs expériences en lien avec les défis auxquels ils font face dans leur quotidien (Bourdon et coll., 2021).

Toujours dans le développement des applications mobiles, une étude pilote ouverte a été mise sur pied afin d’évaluer l’efficacité de l’application ChillTime (Pennou et coll., 2023). Cette application, développée pour les individus souffrant de troubles psychotiques et troubles liés à l’usage concomitant, a permis de démontrer une amélioration de la régulation émotionnelle et une possible amélioration des symptômes négatifs de la schizophrénie et un changement des habitudes de consommation (Pennou et coll., 2023).

L’équipe du docteur Emmanuel Stip, en 2007, a su mettre sur pieds les premières évaluations de patients à l’aide d’outils numériques sur plateformes informatisées (Levaux et coll., 2007). Par exemple, l’utilisation du Cambridge Neuropsychological Test Automated Battery (CANTAB), sur ordinateur, a permis de mettre en évidence que cet outil pouvait être bénéfique pour identifier les déficits cognitifs visuospatiaux chez les patients atteints de schizophrénie (Levaux et coll., 2007). Ceci s’inscrit autant dans la prestation formelle des soins que dans les soins informels puisque cela a permis d’ouvrir la porte aux évaluations psychométriques numériques.

L’équipe du professeur Marc Corbière a innové également dans le domaine des applications numériques en testant la possibilité d’utiliser une plateforme numérique pour favoriser le retour au travail en mettant la plateforme au profit des employeurs et des employés (Corbière et coll., 2021). L’application web PRATICAdr a donc permis d’augmenter le succès du retour au travail auprès des individus qui ont eu des arrêts de travail en lien avec la maladie (Corbière et coll., 2021). Cette forme d’approche de soins informelle permet d’avoir un impact sur le plan organisationnel tout en favorisant le rétablissement des individus concernés.

3.3 Les prestations des services et thérapies à distance

La prestation des services en santé mentale est une pierre angulaire pour la prévention et le traitement des patients qui souffrent de troubles mentaux. Parmi différentes techniques, le domaine du numérique peut aider à l’accès au service par différents moyens.

La psychothérapie menée par vidéoconférence, également connue sous le nom de téléthérapie ou thérapie en ligne, est une forme de traitement de santé mentale dans laquelle un thérapeute offre à un client des conseils ou un soutien psychologique en utilisant un système de communication vidéo. La psychothérapie à distance est devenue de plus en plus populaire grâce aux avancées technologiques et à l’accessibilité qu’elle offre aux personnes qui peuvent rencontrer des obstacles géographiques, physiques ou autres à l’accès à la thérapie en personne. L’ensemble des méthodes recensées ci-dessous s’inscrivent comme soins formels et informels.

Au sein des études recensées, l’équipe de Catherine Briand s’est penchée sur la prestation des soins à distance en évaluant l’impact d’un modèle de coapprentissage pour permettre un bien-être psychologique pour les personnes à risque de se retrouver en situation de détresse dans le cadre de la pandémie de COVID-2019 (Briand et coll., 2023). Une étude qualitative a fait émerger 5 catégories de thématiques sur cette technique : mettre à jour ses connaissances en santé mentale, prendre soin de soi et de sa santé mentale, améliorer et modifier ses comportements, changer la façon de se voir et de voir les autres et interagir avec les autres (Briand et coll., 2023). Cette méthode novatrice de prestation de soins a permis à des personnes en situation de vulnérabilité de développer des stratégies d’adaptation dans le cadre de la pandémie de COVID-2019 (Briand et coll., 2023).

Un peu plus tôt, en 2021 toujours dans le contexte de la pandémie de COVID-2019, l’équipe de la docteure Tania Lecomte a réalisé une étude pilote portant sur une thérapie de groupe cognitivo-comportemental, pour les patients atteints d’un premier épisode psychotique (Lecomte et coll., 2021). Cette étude, réalisée auprès de 14 jeunes, a démontré une amélioration de la symptomatologie psychotique de ces patients ainsi qu’une augmentation de leur estime de soi (Lecomte et coll., 2021).

Dans le cadre d’une collaboration albertaine avec l’équipe du docteur Macmaster, il y a eu l’évaluation d’une thérapie cognitivo-comportementale (RESILIENT) pour des réfugiés avec des symptômes de trouble stress posttraumatique. Cette technique s’est montrée efficace pour diminuer ces symptômes, ainsi que l’insomnie, la dépression et l’anxiété (Belleville et coll., 2023).

3.4 L’intelligence artificielle

L’intelligence artificielle signifie le développement d’algorithmes capables d’accomplir des tâches qui nécessitent généralement en partie l’intelligence humaine. L’apprentissage par l’expérience, la compréhension du langage naturel, la reconnaissance de schémas et la résolution de problèmes font partie de ces tâches (Sun et coll., 2023). Les systèmes d’intelligence artificielle visent à imiter les capacités cognitives et à s’adapter à de nouvelles informations, leur permettant d’effectuer de nombreuses tâches de manière autonome (Graham et coll., 2019).

À l’IUSMM, des travaux préliminaires de la reconnaissance du langage chez les patients atteints de schizophrénie réfractaire à la médication ont été effectués par l’équipe du docteur Alexandre Dumais en se basant sur la thérapie par Avatar. À cet effet, en se basant sur le contenu thérapeutique de 18 patients ayant suivi la thérapie par Avatar, il a été possible de réaliser des annotations automatisées des séances de thérapie à l’aide d’algorithmes de classifications automatisés (Hudon et coll., 2023). Cette forme d’annotation s’est montrée aussi performante que si elle avait été réalisée par des analystes humains (Hudon et coll., 2022).

L’application d’algorithmes déjà existante pour la prédiction du devenir de patients a également été recensée. Mélissa Beaudoin, dans le cadre de ses travaux avec docteur Dumais, a repris la base de données Clinical Antipsychotic Trials for Intervention Effectiveness (CATIE) Schizophrenia Trial. En utilisant un algorithme de régression de type Least Absolute Shrinkage and Selection Operator, elle a identifié des prédicteurs significatifs de qualité de vie d’une population atteinte de schizophrénie (Beaudoin et coll., 2022). Cette application de l’intelligence artificielle a également été réalisée auprès de patients de l’IUSMM atteints de troubles mentaux sévères et persistant afin de mettre en évidence les habitudes de consommations et le risque de violence (Hudon et coll., 2023).

D’autre part, il y a également eu une collaboration entre l’IUSMM et l’École de technologie supérieures afin d’analyser si l’intelligence artificielle serait un bon outil pour mesurer les stéréotypies vocales chez les personnes atteintes du trouble du spectre de l’autisme. L’évaluation de 1500 minutes de données audio provenant de 8 individus avec des stéréotypies vocales a permis de démontrer une performance efficace de l’intelligence artificielle pour réaliser cette tâche (Dufour et coll., 2020).

3.5 La biométrie ou l’assistant personnel digital

Des modalités afin d’améliorer le quotidien des personnes atteintes de troubles mentaux ou pour éviter les erreurs médicales ont également été recensées à travers la recherche documentaire. Ces formes de soins formels et informels voient davantage le jour dans les différents domaines médicaux et c’est également le cas en psychiatrie.

L’équipe des docteurs Tranulis et Stip a réalisé une étude contrôlée et randomisée portant sur l’utilisation d’un distributeur de médicaments automatique (DoPill®) afin de vérifier l’adhérence à la médication chez les patients atteints de schizophrénie (Stip et coll., 2013). Le groupe de patients souffrant de schizophrénie (N = 26) a démontré versus le groupe contrôle (N = 21) une meilleure adhérence à la médication (Stip et coll., 2013).

Une autre étude recensée porte sur l’évaluation d’un devis d’aide aux patients portant le nom de Mobus a été réalisée par docteure Sablier et son équipe. Neuf patients atteints de schizophrénie et suivis en clinique externe ont mis à l’essai cet outil numérique par l’intermédiaire d’Internet (Sablier et coll., 2012). Les auteurs ont conclu qu’il s’agit d’un outil important dans le contexte du rétablissement, notamment pour le développement d’un horaire occupationnel (Sablier et coll., 2012).

4. Discussion

Cet article avait pour but de recenser les innovations numériques réalisées à l’IUSMM. Les 22 articles recensés ont mis en évidence des travaux ayant eu lieu notamment dans les 13 dernières années, ce qui suit les développements numériques observés dans le domaine de la santé mentale.

Concernant la réalité virtuelle, les développements identifiés par la recherche documentaire ont démontré son utilisation, notamment pour les soins directs aux patients. Depuis les années 1950, la réalité virtuelle est devenue un outil novateur en médecine, notamment en recherche clinique (Park et coll., 2019). C’est plutôt vers la fin des années 1990 qu’elle a été utilisée pour traiter les troubles psychiatriques, ce qui explique que la recherche documentaire n’a pas identifié d’études dans ce domaine avant les années 2000 (Park et coll., 2019). La réalité virtuelle, qui est immersive, interactive et permet une forme de rétroaction sensorielle, aurait comme avantage de personnaliser les avenues thérapeutiques pour les problèmes auxquels les cliniciens et les patients font face dans les psychopathologies complexes (Bakir et coll., 2023). Les études identifiées permettent de mettre en lumière l’importance clinique de cette approche, notamment pour les troubles psychotiques. À l’international, cette modalité est utilisée également pour d’autres troubles mentaux tels que les troubles anxieux, le trouble déficitaire de l’attention et le contrôle de la douleur (Dellazizo et coll., 2020).

Il n’est pas surprenant que la majorité des innovations en santé numérique identifiées soient des applications mobiles ou numériques. Ce type d’application a même suscité l’attention de l’Organisation mondiale de la Santé en 2015 considérant sa pertinence dans l’aide au diagnostic, au traitement et aux soutiens des patients (Chandrashekar, 2018). L’augmentation de l’utilisation de l’intelligence artificielle appliquée à la psychiatrie est également d’intérêt pour aider les cliniciens, les professionnels de la santé et les patients pour différentes conditions psychiatriques (Ray et coll., 2022). L’utilisation de ces formes d’innovations en santé numérique vient toutefois avec son lot de considérations éthiques, notamment sur le plan de la validité externe et de la confidentialité des données (Rubeis, 2022). Les modalités numériques pour favoriser l’adhérence au traitement et la personnalisation des soins font également partie des axes d’innovations pour les futures approches en santé mentale (Češková et Šilhán, 2021).

Le manque criant de professionnels dans certaines sphères de la prestation de soins en santé mentale ainsi que des situations extraordinaires hors de notre contrôle (p. ex. la pandémie de COVID-19) a amené à se pencher sur des modes de prestations de soins à distance. C’est ce qui explique la recension de ce type d’innovations dans le cadre de cette recherche documentaire. Ces modalités amènent un potentiel intéressant, notamment pour les patients qui résident dans des déserts de services (Malhotra et coll., 2013).

Finalement, la nature technologique de la question de recherche a limité le recensement aux 2 dernières décennies. Il est toutefois important de noter que l’IUSMM faisait déjà preuve d’avant-gardisme avant l’essor de la santé numérique, comme en témoignent divers écrits sur le développement de la technologie publiés au début des années 2000 (Giroux et coll., 2008 ; Sablier et coll., 2010 ; Sablier et coll., 2011 ; Pigot et coll., 2007). De plus, des réflexions cliniques des docteurs Rialle et coll. concernant l’utilisation de nouvelles technologies en psychothérapies avaient déjà vu le jour durant les années 90 (Rialle et Stip, 1994 ; Rialle et coll., 1994). Les articles inclus dans la présente étude s’inscrivent donc dans cette mouvance et dans l’innovation dont a fait preuve l’IUSMM au fil du temps.

4.1 Limites de l’étude

Cette revue s’est limitée au recensement de types d’applications utilisées ou développées au sein de l’IUSMM et n’avait pas pour but d’inclure une recherche approfondie de leur efficacité. Ceci pourrait faire l’objet d’études subséquentes. La recherche documentaire s’est restreinte aux bases de données susmentionnées et il est donc possible que certaines études n’aient pas été identifiées dans ce contexte. Il est également possible que des projets novateurs n’aient pas été recensés si ces derniers n’ont pas encore fait l’objet de publications scientifiques qui dépassent l’élaboration d’un protocole ou d’un cas de figure. De plus, considérant la grande hétérogénéité des types d’études recensés, l’analyse de la qualité des articles n’a pas été effectuée. Il est également intéressant de situer l’absence de certaines entités cliniques (p. ex. le trouble bipolaire, le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité) dans la recension des écrits. Ceci pourrait être dû au fait que les études recensées se situent principalement dans les domaines de recherche des chercheurs impliqués dans la réalisation de celles-ci.

Conclusion

Cette revue intégrative a permis de mettre en évidence le fait que l’IUSMM a innové au cours des dernières années autour de 5 axes en santé numérique : la réalité virtuelle, les applications numériques, la prestation des services à distance, l’intelligence artificielle et les assistants personnels digitaux. En suivant la méthodologie d’une revue intégrative, un total de 22 articles a été identifié et analysé. Les innovations sont concentrées principalement dans les 10 dernières années, ce qui suit le cours actuel des études réalisées dans ce domaine émergent de la science. La transition à la clinique reste à être évaluée. Des études de transition à la pratique cliniques devront voir le jour dans les prochaines années. Cette revue met toutefois en évidence un potentiel varié et intéressant d’applications numériques qui pourraient venir aider les personnes souffrant de troubles mentaux dans le quotidien. L’IUSMM est donc bien placé pour être un chef de file dans le domaine notamment dans le développement des soins formels numériques tel que décrit par Cano et coll. (2014).