Résumés
Résumé
L’urgence joue un rôle de baromètre de la qualité du système de santé. Basée sur le Système intégré de surveillance des maladies chroniques du Québec (SISMACQ), une cohorte de patients avec troubles mentaux (TM) incluant les troubles liés aux substances psychoactives (TLS) est décrite quant à son utilisation de l’urgence, de l’hospitalisation, incluant sa durée, et les raisons de l’utilisation de ces services en 2014-15, selon le sexe, l’âge, et la zone d’habitation, et certains résultats comparés aux patients sans TM et à ceux d’une cohorte de 2000-01. De la population québécoise, 12 % (865 255) avaient présenté des TM, et de ceux-ci 39 % visité l’urgence en 2014-15, une diminution de 6 % depuis 2000-01. Environ deux fois plus de patients avec TM que sans TM ont visité les urgences et ont été hospitalisés. Près de 17 % des patients étaient de grands ou très grands utilisateurs (>4 visites/an) de l’urgence, et 34 % avaient été hospitalisés. L’urgence était davantage utilisée par les plus de 65 ans et en milieux ruraux. Pour les TM exclusivement (sans les TLS), 68 % des visites étaient reliées aux patients avec des troubles anxio-dépressifs ; pour un TLS exclusivement, 51 % à l’alcool. Les maladies physiques étaient la principale raison des visites à l’urgence et d’hospitalisation, mais plus les patients présentaient des TM sévères et visitaient fréquemment les urgences, plus les visites étaient reliées aux TM. Cette étude relève l’importance de l’utilisation de l’urgence et de l’hospitalisation des patients avec des TM, exposant ainsi l’intérêt d’améliorer l’accès et la continuité des services pour ces patients.
Mots-clés :
- utilisation des urgences,
- hospitalisation,
- troubles mentaux (TM),
- troubles liés aux substances psychoactives (TLS),
- grands utilisateurs
Abstract
Objectives This study investigated emergency department (ED) use, reasons for emergency visits, hospitalization rates, and duration of hospitalization in 2014-15 for a cohort of patients with mental disorders (MDs) including substance use disorders (SUDs), regarding sex, age and residential areas. Results were compared with data from patients without MDs for 2014-15, and with another cohort from 2000-01, which marked the beginning of primary care reform in Quebec and elsewhere, with the aim of measuring ED use over time.
Methods Based on data from the Quebec Integrated Chronic Disease Surveillance System (QICDSS), participants included patients age 12 and over, diagnosed with at least one MD (or SUD) during an ED visit, hospitalization, or outpatient consultation in 2014-15 and 2000-01. Frequency distributions for ED visits and hospitalizations were produced, as well as for MDs or SUDs exclusively, or for co-occurring MDs-SUDs, and among high or very high ED users (4 to 11 visits/year, ≥12 visits/year), by gender, age (12-17, 18-24, 25-44, 45-64, and 65 and over) and residential area (Montreal, urban areas:>100,000, semi-urban areas: <100,000, and rural areas: <10,000). The age-standardized method based on the age structure of the 2014-15 population was used to compare data from 2014-15 to 2000-01. Frequency distributions for patients with and without MDs, and on ED and hospitalization rates were also produced for 2014-15.
Results For the Quebec population, 12% had MDs including SUDs, of whom 39% had visited an ED, a decrease of 6% since 2000-01. Approximately twice as many patients with MDs had ED visits or hospitalizations, compared to patients without MDs. Nearly 17% of patients were high or very high ED users; and 34% were hospitalized. ED use was higher among patients 65 years and older, and those living in rural areas. Sixty-eight percent of ED visits for MDs exclusively were made by patients affected by anxiety-depression; whereas 51% of visits for SUDs exclusively were alcohol-related. Physical illnesses were the main reason for ED visits and hospitalizations; yet patients with severe MDs, co-occurring MDs and SUDs as well as those with more frequent ED visits tended to use EDs more for MD reasons.
Conclusion This study demonstrated a very high volume of ED visits and hospitalizations among patients with MDs, including SUDs, compared to patients without MDs. Co-occurring disorders, especially physical conditions and multiple and severe MDs, contributed to frequent ED use and hospitalizations. Better care management, including more comprehensive personal care, for patients with MDs including SUDs and co-occurring disorders is needed, as well as the deployment of strategies that provide integrated mental health and medical care, particularly in Montreal where ED use by patients with predominantly severe and co-occurring MDs and physical illnesses, is more frequent.
Keywords:
- emergency department (ED) use,
- hospitalization,
- mental disorders (MDs),
- substance use disorders (SUDs),
- high users
Corps de l’article
Les services d’urgence hospitaliers jouent un rôle de baromètre de la qualité du système de santé1, 2. Ils sont les premiers lieux utilisés par les patients lorsqu’ils sont en état de crise et les derniers lieux lorsque les autres ressources ont été épuisées3. Les études démontrent que la plupart des pays développés ont des problèmes d’engorgement des salles d’urgence2, 4-7. Depuis le début des années 1990, 18 % à 23 % des adultes nord-américains visiteraient l’urgence annuellement8, 9. Les visites à l’urgence auraient augmenté de 9 % aux États-Unis de 2006 à 201110, et de 6 % au Canada de 2005 à 20117. Au Québec, 2,8 millions de visites auraient été effectuées à l’urgence en 2016-17, soit 1,3 % de plus de visites par rapport à 2014-1511. Pour une part importante de la population, l’urgence est ainsi devenue la porte d’entrée aux services12 et l’alternative aux soins de première ligne13.
Les enjeux d’accès aux soins sont particulièrement importants pour les personnes avec troubles mentaux (TM) incluant les troubles liés aux substances psychoactives (TLS), réputées être de « grands utilisateurs » de l’urgence14-16. Selon des études canadiennes et américaines, de 4 % à 12 % des visites à l’urgence seraient effectuées pour raison de TM17-19. Au Québec, ces visites s’établissent à 6 % pour 2016-1711. Depuis la fin des années 2000, l’utilisation de l’urgence pour raison de TM en Amérique du Nord aurait augmenté de 4 % à 15 %12, 20, démontrant une difficulté croissante du système à répondre aux besoins21, 22.
L’utilisation de l’urgence pour TM varie en fonction de certaines caractéristiques telles que le sexe, l’âge, le diagnostic du patient et les zones d’habitations19, 23, 24. Parmi les individus ayant exclusivement un TLS, les hommes utiliseraient l’urgence deux fois plus que les femmes ; à l’inverse, lorsque les individus ont exclusivement un TM, ce sont davantage les femmes et les personnes âgées de plus de 45 ans19. Certaines études ont relevé un achalandage à l’urgence pour TM plus important en milieux urbains comparativement aux territoires moins populeux23, 24, particulièrement pour les troubles anxieux19. L’utilisation de l’urgence serait plus fréquente pour les TM sévères tels que la schizophrénie ou les troubles bipolaires, ou les crises suicidaires11, 18. Une étude portant sur la population schizophrénique du Québec avec TLS concomitants a démontré que 72 % de ceux-ci avaient utilisé l’urgence au moins une fois en 2006-0725.
Les patients avec TM sont aussi souvent hospitalisés. En 2012 aux États-Unis, on estimait à 32 % la proportion de patients hospitalisés pour raison de TM26 ; et selon une recension systématique des écrits, ce pourcentage varie de 8 % à 27 %, comparé à entre 6 % et 16 % pour l’hospitalisation de soins généraux18. Au Québec, 20 % des visites à l’urgence pour TM ont nécessité une hospitalisation en 2016-1711. Les hommes seraient plus souvent hospitalisés pour des TLS, les femmes pour TM exclusivement26, et les patients plus âgés pour TM incluant TLS27. Les troubles de l’humeur, la schizophrénie et les TLS à l’alcool nécessiteraient plus d’hospitalisations26 ; et l’hospitalisation des patients avec TM serait 38 % plus longue que pour ceux sans TM selon une étude américaine récente26.
Les patients avec TM contribuent ainsi significativement à l’engorgement de l’urgence, aux admissions hospitalières et à leur durée. Or, à notre connaissance, aucune étude n’a été conduite sur une cohorte populationnelle au Québec avec TM, considérant les visites à l’urgence, l’hospitalisation et sa durée, et distinguant les raisons de l’utilisation de ces services. De plus, les études populationnelles incluant de grands échantillons s’intéressent peu à l’utilisation de l’urgence28, 29. Cette étude est ainsi originale, visant à dresser un portrait de l’utilisation de l’urgence au Québec des patients avec TM, y compris l’hospitalisation, ainsi que des raisons associées aux visites à l’urgence et à l’hospitalisation en 2014-2015, selon le sexe, l’âge, et la zone d’habitation. Certains résultats de 2014-15 seront aussi comparés à ceux des patients sans TM, ainsi qu’à ceux d’une seconde cohorte de patients avec TM, recrutés en 2000-01, année marquant le début des réformes des soins primaires au niveau international et au Québec30, 31, afin de cerner l’évolution de l’utilisation de l’urgence.
Méthodologie
Les données de cette étude proviennent du Système intégré de surveillance des maladies chroniques du Québec (SISMACQ) de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), permettant le suivi de cohortes populationnelles prospectives, représentatives de la population québécoise. Du SISMACQ, les fichiers d’inscription des personnes assurées (FIPA) administrés par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), de rémunération des paiements à l’acte de la RAMQ, et des hospitalisations MED-ÉCHO (Maintenance et exploitation des données pour l’étude de la clientèle hospitalière) ont été utilisés. Dans l’étude, la cohorte inclut les personnes de 12 ans et plus, ayant reçu au moins une fois un diagnostic de TM (incluant les TLS) par un médecin à l’urgence ou hors urgence, au cours de l’année financière du 1er avril 2014 au 31 mars 2015, basé sur la RAMQ ou comme raison principale ou secondaire dans MED-ÉCHO. La cohorte de comparaison inclue la même définition de cas, mais est extraite en 2000-01. Les diagnostics sont codés selon la neuvième révision de la Classification internationale des maladies dans RAMQ, et de la dixième révision pour MED-ÉCHO. Soutenus par de précédents travaux25, 29, 30, 32, les TM correspondent aux troubles : anxio-dépressifs[i], de la personnalité[ii], schizophréniques[iii], du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH)[iv] et autres troubles (p. ex. démence sénile forme simple, psychose non organique [v] ; excluant les TLS), soit d’un à cinq TM pour un même patient. Les TLS regroupent : les TLS-Alcool (TLS-A)[vi], les TLS-drogues[vii] (TLS-D) et les TLS-AD à la fois. Les troubles concomitants sont reliés aux combinaisons des diagnostics reçus en 2014-15 ou en 2000-01 par un même patient : TM-TLS, TM-MP (maladie physique), TLS-MP, et TM-TLS-MP. Les raisons des visites à l’urgence et des hospitalisations sont reliées aux MP (p. ex. diabète, hypertension, asthme, maladies cardio-vasculaires), TM ou TLS exclusivement, TM-TLS concomitants, ou autres combinaisons de troubles concomitants. Les grands et très grands utilisateurs de l’urgence incluent les patients ayant effectué soit de 4 à 11 visites, soit 12 visites ou plus pour une année39,40. Une seule visite à l’urgence est comptabilisée par un même patient dans une période de 48 heures. Les chirurgies d’un jour ont été exclues du dénombrement des hospitalisations, mais non les autres types d’hospitalisations comme celles de réadaptation.
Après avoir extrait et jumelé les données des fichiers du SISMACQ, la sélection des patients avec TM, pour les cohortes de 2014-15 et 2000-01, a été réalisée en se basant sur la définition de cas, citée plus haut. Des distributions de fréquence (visites et hospitalisation) ont ensuite été produites selon les diagnostics de TM et TLS exclusivement, de TM-TLS concomitants, par diagnostics de TM ou TLS et pour les grands et très grands utilisateurs de l’urgence, tenant compte du sexe (hommes, femmes), de l’âge (12-17 ans, 18-24 ans, 25-44 ans, 45-64 ans, 65 ans et plus) et des zones d’habitation (régions métropolitaines de recensement : Montréal ; milieux urbains : >100 000 habitants ; milieux semi-urbains : <100 000 habitants ; milieux ruraux : <10 000 habitants). Les données (moyenne, fréquence cumulée) sont agrégées par patient, incluant s’il y a lieu ses divers diagnostics ou raisons de visite lors de plusieurs utilisation de l’urgence ou hospitalisation dans une même année. Les différences relatives[viii], visant à comparer les résultats de 2014-15 à 2000-01, tiennent compte du vieillissement de la population. Elles sont effectuées à partir de la méthode de standardisation directe selon l’âge ; les données de 2000-01 sont ainsi pondérées selon la structure d’âge de la cohorte de 2014-15. Des distributions de fréquence chez les utilisateurs de l’urgence avec TM versus sans TM ainsi qu’hospitalisés en 2014-15 ont enfin été réalisées, afin de comparer ces deux groupes de patients quant à leur utilisation de l’urgence.
Résultats
Utilisation de l’urgence
Au total, 865 255 patients ont présenté un TM en 2014-15, ce qui représente un peu plus de 12 % des patients inscrits à la RAMQ. Parmi eux, 39 % ont visité l’urgence (diminution de 6 % depuis 2000-01), soit près de deux fois plus que les patients sans TM (22 %) (Tableau 1). La fréquence des visites à l’urgence des patients avec TM était de 2,3 contre 1,7 chez les patients sans TM. Les patients de 65 ans et plus sont ceux ayant le plus visité l’urgence (51 %), suivi des 18-24 ans (45 %). Plus de 16 % des patients avec TM ayant visité les urgences étaient de grands utilisateurs (6,0 visites en moyenne), représentant 43 % des visites à l’urgence (données non rapportées [DNR]), et près de 1 % de très grands utilisateurs (16,7 visites en moyenne), représentant 6 % des visites à l’urgence (DNR).
Les patients avec TM exclusivement représentaient 79 % de l’ensemble des visites à l’urgence pour TM ou TLS en 2014-15, avec une fréquence moyenne de 2,1 visites (Tableau 2). Près de 70 % des visites avec TM exclusivement étaient attribuables aux patients avec des troubles anxio-dépressifs. La fréquence des visites à l’urgence était néanmoins plus élevée chez les patients diagnostiqués avec un trouble de la personnalité ou la schizophrénie (plus de 3 visites). Les patients ayant deux diagnostics de TM (excluant les TLS) représentaient 60 % des visites à l’urgence. Parmi l’ensemble des visites à l’urgence pour TM ou TLS, les patients avec TLS exclusivement ne représentaient que 3 % des visites avec une fréquence de 2,6 consultations. Les visites à l’urgence étaient plus élevées pour les TLS-A (51 %), mais la fréquence des visites était plus élevée pour les TLS-AD (5,4 visites). Les TM-TLS concomitants ont impliqué 18 % des visites à l’urgence pour une moyenne de 3,3 consultations. La plupart des diagnostics de TM ou TLS exclusivement ont impliqué une hausse d’utilisation des urgences en 2014-15, comparativement à 2000-01, mais surtout pour le TDAH (471 %)[ix].
Hospitalisations et durée des hospitalisations
Parmi les patients avec TM ayant visité l’urgence en 2014-15 (Tableau 3a), 34 % ont été hospitalisés (diminution de 7 % depuis 2000-01 – DNR) pour une durée moyenne de 16 jours. Chez les patients sans TM, 20 % ont été hospitalisés pour une durée d’hospitalisation deux fois moindre. Près de 37 % des hommes avec TM ont été hospitalisés, et 34 % des femmes. Des patients avec TM, c’est parmi le groupe d’âge des 65 ans et plus que l’hospitalisation était la plus importante (57 %) ainsi que la durée de l’hospitalisation, soit de 19 jours. Le deuxième groupe d’âge le plus hospitalisé était les 44-65 ans (30 %, 14 jours) ; les 12-17 ans présentaient le taux le plus bas d’hospitalisation (18 %, 10 jours) (DNR). Parmi les grands utilisateurs de l’urgence, 58 % ont été hospitalisés au moins une fois (hommes : 63 % ; femmes : 56 %), pour une durée d’hospitalisation de 12 jours. Chez les très grands utilisateurs, 73 % ont été hospitalisés au moins une fois (hommes : 76 % ; femmes : 70 %), pour une durée d’hospitalisation de 8 jours. Au total, chez les patients avec TM, les grands utilisateurs ont contribué à 25 %, et les très grands utilisateurs à 21 % des hospitalisations de la cohorte en 2014-15 (DNR).
Des patients avec TM exclusivement (Tableau 3b), 20 % ont été hospitalisés pour une durée moyenne de 15 jours. Des patients avec TLS exclusivement et des TM-TLS concomitants, les taux d’hospitalisation étaient respectivement de 53 % et 33 %, pour une durée d’hospitalisation de 10 et 14 jours. La schizophrénie et les TLS-A ont impliqué plus d’hospitalisations (35 % et 40 %), pour une durée de séjour plus longue que les autres diagnostics (20 et 14 jours).
Utilisation de l’urgence et hospitalisations selon les zones d’habitation
Des patients avec TM en 2014-15, l’utilisation de l’urgence était plus élevée dans les milieux ruraux (46 %) et plus basse à Montréal (35 %) (Figure 1). La fréquence d’utilisation était également plus élevée en milieux ruraux qu’à Montréal, soit de 2,4 visites contre 2,2 (DNR). Une plus grande proportion de grands utilisateurs se retrouvait dans les milieux ruraux (18 %) qu’à Montréal (16 %), tandis que les très grands utilisateurs se retrouvaient principalement à Montréal (45 %). C’est aussi à Montréal que le taux d’hospitalisation chez les patients avec TM était le plus élevé avec 36 %, ainsi que le nombre moyen de jours d’hospitalisation, soit de 18 jours, contre 13 jours dans les milieux ruraux (DNR). Chez les grands utilisateurs, le taux d’hospitalisation était aussi plus élevé à Montréal (66 %), et plus bas dans les milieux ruraux (49 %). Le taux d’hospitalisation était toujours plus élevé à Montréal (79 %) chez les très grands utilisateurs, et plus bas dans les milieux ruraux (61 %).
Raisons des visites à l’urgence et des hospitalisations
Les maladies physiques (MP) étaient la principale raison des visites à l’urgence chez les patients avec TM (77 %), la seconde étant pour TM exclusivement (12 %) et la troisième pour MP-TM exclusivement (7 %) (Tableau 4). Lorsqu’un patient effectuait deux visites en moyenne à l’urgence dans l’année, les raisons des visites étaient pour MP dans 64 % des cas et pour MP-TM exclusivement dans 26 %. Pour une fréquence moyenne de trois visites par année, les raisons des visites étaient pour MP dans 48 % des cas et 37 % pour MP-TM exclusivement (DNR). Le taux d’hospitalisation était plus élevé lorsqu’associé à des raisons à la fois de MP-TLS (47 %). Chez les grands utilisateurs, les MP représentaient aussi la première raison des visites à l’urgence (77 %), suivies des TM exclusivement (11 %) et des MP-TM exclusivement (7 %) ; chez les très grands utilisateurs, les principales raisons étaient les MP-TM-TLS (40 %) et les MP-TLS (39 %). Chez les grands et très grands utilisateurs, le taux d’hospitalisation était plus élevé pour les MP-TLS (42 % et 31 % respectivement).
Discussion
Cette étude a décrit l’utilisation de l’urgence au Québec des patients avec TM, y compris l’hospitalisation et les raisons associées aux visites et à l’hospitalisation selon le sexe, l’âge et la zone d’habitation. La prévalence des TM pour l’année 2014-15 rapportée dans l’étude concorde avec la littérature, ayant établi des taux allant de 12 % à 18 %33, 34. Cette étude démontre une utilisation très élevée des urgences au Québec, y compris l’hospitalisation, des patients avec TM, comparativement aux patients sans TM, soit quasiment le double de visites à l’urgence, d’hospitalisation et de sa durée. Des études internationales traitant de cohortes cliniques de patients avec TM ont rapporté des taux d’utilisation de l’urgence similaires à nos résultats, soit de 37 % à 40 %35-37. Une étude américaine récente a aussi identifié un taux d’hospitalisation relié aux TM similaire à nos résultats, soit de 32 %26. Contrairement à la plupart des études s’intéressant à l’utilisation des urgences pour raison de TM où des taux entre 4 % et 12 % des visites globales à l’urgence en Amérique du Nord sont rapportés12, 17-19, et 6 % au Québec11, cette étude s’est intéressée à l’utilisation des services d’urgence pour toutes raisons, incluant les MP, d’une cohorte diagnostiquée avec TM. Les études se rapportant essentiellement à l’utilisation des services pour raison de TM, quoique fort pertinentes, ne distinguent pas ainsi les personnes ayant préalablement un diagnostic de TM et celles qui n’en ont pas, ou l’utilisation globale de l’urgence des patients avec TM, peu importe les raisons des visites. L’étude de cohorte, telle que conduite ici, contribue ainsi à mieux cerner l’impact global des visites à l’urgence et de l’hospitalisation chez les patients avec TM.
La fréquence d’utilisation des urgences s’est également avérée plus importante chez les patients avec TM que chez les patients sans TM comme l’ont montré des études antérieures10, 38. Le manque de services dans la communauté, le peu de services offerts les soirs et les fins de semaine, le renouvellement de la médication et le manque de soutien social sont les principales raisons qui incitent les patients avec TM à fréquemment utiliser l’urgence39, 40. La stigmatisation de la population envers les TM, principalement les TM sévères et les TLS contribue aussi à sous-utiliser les autres services41, 42, entraînant un recours à l’urgence lorsque la santé se détériore. Tel que l’indiquent la littérature et notre étude, les patients souffrant d’anxiété et de dépression majeure sont les plus nombreux parmi les patients avec TM à utiliser les urgences43, 44. Cependant, les TM sévères ou complexes (p. ex. schizophrénie, trouble de la personnalité, TM-TLS concomitants) impliquent une fréquence plus élevée de visites à l’urgence16, 45, 46 comme le rapporte notre étude.
En contrepartie, les tendances générales d’utilisation de l’urgence et d’hospitalisation ont diminué en 2014-15 comparativement à 2000-01. Ces résultats sont surprenants puisque la littérature rapporte plutôt des tendances à la hausse au cours des dernières années10, 17, 19, 20. Nos données montrent que la fréquence d’utilisation n’a diminué que chez les patients ayant des troubles anxio-dépressifs, et aussi particulièrement chez les groupes d’âges les plus jeunes (spécialement les 18-24 ans). Il est possible que cette diminution résulte d’une plus grande prise en charge de ces TM par les soins primaires, et de l’emphase mise au cours des dernières années sur la santé mentale des jeunes, tant au Canada qu’au Québec47-49. Notre étude souligne cependant des hausses chez certains patients avec des profils plus complexes : chez les plus âgés (65 et plus), avec TM-TLS concomitants, TLS exclusivement, TLS-AD, et TADH. L’augmentation drastique du TDAH peut se justifier par un dépistage systématique de ce TM au cours des dernières années50, 51. Enfin, l’augmentation chez les autres types de patients s’explique probablement par les problèmes d’accès aux services plus difficiles pour ces profils plus complexes, particulièrement en première ligne. Il existe par ailleurs une pénurie importante de services spécialisés pour les patients avec TLS ou TM-TLS concomitants52, 53. La principale raison des visites à l’urgence des patients avec TM n’était pas les TM exclusivement, mais majoritairement les MP. Les patients avec TM sont beaucoup plus souvent aux prises avec des MP que les patients sans TM54. Le diabète, les maladies cardio-vasculaires et du foie, ou certaines maladies virales (p. ex. sida) sont plus prévalents chez les personnes avec TM, y compris les TLS10, 55, impliquant un recours fréquent à l’urgence. Les études soulignent également que le fait d’avoir des TM exacerbe les symptômes des MP10, 56, 57, expliquant qu’elles soient la principale cause des visites à l’urgence. D’ailleurs, plus un patient effectuait de visites aux urgences dans une année, plus la raison impliquait un TM concomitant aux MP.
La littérature confirme nos résultats obtenus sur les taux d’hospitalisation plus élevés et la durée plus longue du séjour chez les patients avec TM, en particulier pour la schizophrénie ou autres troubles sévères27, 58, 59, à cause notamment des problèmes métaboliques ou endocriniens dus à la prise d’antipsychotiques, ou à des MP nécessitant des soins de longue durée à l’hôpital60. Les taux rapportés de séjour hospitalier par type de TM sont similaires à nos résultats, soit autour de 20-22 jours pour la schizophrénie ou de 12 jours pour les troubles anxio-dépressifs et les troubles de la personnalité59, 61, 62, 63. Nos taux d’hospitalisation plus élevés lorsque la visite impliquait un MP avec TLS concordent également avec de précédentes études29, 60.
Le nombre substantiel de grands ou de très grands utilisateurs de l’urgence rapporté dans notre étude, engorgeant l’urgence et l’hospitalisation, confirme de précédents résultats45, 64. Ceux-ci étaient environ deux fois plus hospitalisés que les patients sans TM. Leurs fréquentes hospitalisations s’expliquent par la vulnérabilité importante, les conditions socioéconomiques précaires et l’isolement social de ces personnes65, 66, ainsi que par leurs problèmes psychosociaux élevés et associés à des MP. Une mauvaise coordination des services hors urgence et une continuité des soins déficiente expliquent également leurs taux élevés d’utilisation des urgences15.
Concernant le sexe, certaines études ont démontré un taux d’utilisation de l’urgence plus important chez les hommes que chez les femmes avec TM19, 26, 38. Nos résultats confirment ces tendances, mais surtout pour les taux d’hospitalisation, nettement plus élevés chez les hommes. L’hospitalisation est souvent plus élevée chez les patients avec TM sévères, ou chez les utilisateurs fréquents de l’urgence, dont les hommes seraient sur-représentés16, 38. Nos résultats concernant l’hospitalisation pourraient s’expliquer par la surreprésentation d’hommes pour la schizophrénie et les grands utilisateurs. Cependant, contrairement à la littérature26, les hommes n’étaient pas plus hospitalisés que les femmes pour l’ensemble des TLS, mais seulement pour les TLS-A. Ces troubles sont plus importants chez les hommes que chez les femmes67, tandis que la différence entre les sexes pour les autres TLS est beaucoup moins marquée67.
Concernant l’âge, nos résultats ont confirmé que les visites à l’urgence étaient plus fréquentes chez les patients plus âgés36, 68. Les MP sont particulièrement prévalentes chez les personnes de 65 ans et plus69 et, combinées à des TM sévères, conduisent à une plus grande utilisation de l’urgence14, 15, 70. Cette clientèle est aussi plus fortement à risque d’être affectée par la maladie d’Alzheimer et autres types de démence. Également, tel que rapporté dans la littérature27, 71, les patients âgés étaient plus souvent hospitalisés, ceci étant certainement justifié par la sévérité de leurs problèmes27, 60, 71. En contrepartie, les très grands utilisateurs des urgences ont été surtout identifiés dans notre étude parmi les 45 à 64 ans, ce qui a été reporté antérieurement16, 72, 73. Le très grand nombre de visites à l’urgence dans ce groupe d’âge est souvent expliqué par des TLS ou des troubles concomitants avec TM et MP10, 16. La plus faible utilisation de l’urgence, incluant l’hospitalisation, chez les moins de 17 ans s’explique dans le contexte global d’une sous-utilisation des services de santé chez les jeunes en raison de la stigmatisation74. Ces jeunes sont aussi plus aptes à recevoir du soutien via le milieu scolaire en partenariat avec le réseau public. Le recours à l’urgence chez les jeunes a lieu généralement à une période plus tardive (18-24 ans) lors de l’émergence des TM incluant les TLS75-77.
Concernant la zone d’habitation, contrairement à plusieurs études19, 78, 79, l’utilisation de l’urgence chez les patients avec TM s’est avérée être plus élevée dans les milieux ruraux qu’urbains ou métropolitains. En raison d’une couverture moindre des services de santé mentale en milieux ruraux, incluant les services spécialisés et surspécialisés, l’urgence peut représenter une voie d’accès privilégiée aux soins80, jouant ainsi le rôle de cliniques sans rendez-vous. En contrepartie, la défavorisation socioéconomique et la mobilité résidentielle plus prévalentes en milieux urbains23, 81, associées à une plus grande sévérité des TM72, peuvent justifier l’utilisation de l’urgence et l’hospitalisation plus élevées pour les TM-TLS concomitants et les grands (essentiellement ici l’hospitalisation) et très grands utilisateurs à Montréal82.
Bien que notre étude intègre 98 % de la population québécoise, elle comporte certaines limites. Le SISMACQ utilise des banques de données administratives non conçues pour les fins d’études épidémiologiques. Il n’inclut pas les médecins payés autrement qu’à l’acte, notamment en CLSC, qui suivent beaucoup la clientèle vulnérable. Il comporte aussi 15 % de données manquantes sur les diagnostics rapportés à l’urgence, patients qui n’ont pu ainsi être intégrés à l’étude. Malgré ces lacunes, les données présentées dans cette étude montrent que le SISMACQ peut servir de base ou de complément à de futures recherches épidémiologiques.
Conclusion
L’étude démontre l’importance des visites à l’urgence et des hospitalisations des patients avec TM incluant les TLS au Québec, quasiment deux fois plus élevées comparativement aux patients sans TM, incluant une fréquence d’utilisation de l’urgence et une durée d’hospitalisation aussi substantiellement plus élevées chez les TM. Ces patients utilisent grandement l’urgence pour leurs MP concomitantes, soulignant les lacunes dans la prise en charge globale de cette population. Par contre, plus les patients avec TM visitent l’urgence, et plus les raisons des consultations sont reliées aux TM. Les grands et très grands utilisateurs de même que les 65 ans et plus sont surreprésentés à l’urgence et dans les unités d’hospitalisation, représentant environ la moitié du volume des services d’urgence ou d’hospitalisation de la cohorte avec TM. Ces derniers et les patients avec TM plus sévères et concomitants utilisent particulièrement les urgences à Montréal, quoique globalement, l’utilisation des urgences soit plus élevée en milieux ruraux. Ainsi, notre étude souligne le manque d’accès aux services et de continuité des soins ambulatoires pour les patients avec TM, et la pertinence pour de futures recherches d’identifier les déterminants de l’utilisation de l’urgence chez ces patients, y compris les grands utilisateurs. Une meilleure prise en charge globale et personnalisée des patients avec TM, TLS et troubles concomitants associés à des MP est recommandée, ainsi que le déploiement d’alternatives à l’urgence telle que le suivi intensif ou d’intensité variable, et particulièrement à Montréal, puisque cette région présente une proportion élevée de patients avec TM sévères et concomitants utilisant régulièrement l’urgence.
Parties annexes
Remerciements
Cette étude a été subventionnée par le Fonds de recherche du Québec (FRQS). Nous aimerions remercier cet organisme pour son soutien à nos travaux. Nous remercions également les professionnels de l’Institut national de santé publique pour leur soutien.
Notes
-
[i]
(296.0 ; 296.2 ; 296.9 ; 300 ; 311.9 ; F30.0 ; F32.1-F32.5 ; F32.9 ; F33.0-F32.3 ; F32.9 ; F33.0-F33.3 ; F33.41-F33-42 ; F34.1 ; F34.8 ; F39 ; F40-F48 ; F68)
-
[ii]
(301 ; F60 ; F070 ; F340 ; F488 ; F61)
-
[iii]
(295 ; 297 ; 298 ; F20-F25 ; F28-F29 ; F32.3 ; F33.3 ; F44.89)
-
[iv]
(314 ; F90.0)
-
[v]
(290 ; 291 ; 293 ; 302 ; 307 ; 310 ; 312 ; 315l 317-319 ; 571.0-571.3 ; F00-F09 ; F17 ; F38 ; F39 ; F50-F59 ; F61-F69 ; F70-F79l F80-F89 ; F-F99)
-
[vi]
(291 ; 303 ; 305 ; 357.5 ; 425.5 ; 535.3 ; 571.0-571.3 ; 980.0-980.1 ; 980.8-980.9 ; F10.1-F10.3 ; F10.9 ; K70.0-K70.4 ; K70.9 ; G62.1 ; I42.6 ; K29.2 ; K85.2 ; K86.0 ; E24.4 ; G31.2 ; G72.1 ; O35.5 ; F10.0l T51.0 ; T51.1 ; T51.8 ; T51.9)
-
[vii]
(292 ; 340.0-304.9 ; 305.02-305.7 ; 305.9 ; 965.0 ; 965.8 ; 967.0 ; 967.8 ; 967.9 ; 964.4-964.9 ; 970.8 ; 982.0 ; 982.8 ; F11.1 ; F12.1 ; F13.1 ; F14.1 ; F15.1 ; F16.1 ; F18.1 ; F19.1 : F11.2 ; F12.2 ; F13.2 ; F14.2 ; F15.2 ; F16.2 ; F18.2 ; F19.2 ; F12.3 ; F13.2 ; F14.2 ; F15.2 ; F16.2 ; F18.2 ; F19.2 ; F11.3-F11.9, F12.3-F12.9, F13.3-F13.9, F14.3-F14.9, F15.3-F15.9, F16.3-F16.9, F18.3-F18.9, F19.3-F19.9 ; F11.0, F12.0, F13.0, F14.0, F15.0, F16.0, F18.0, F19.0, T40, T42.3, T42.4, T42.6, T42.7, T43.5, T43.7-T43.9, T50.9, T52.8, T52.9)
-
[viii]
Les différences relatives correspondent aux valeurs de l’année 2014-15 moins les valeurs de l’année 2000-01 divisées par les valeurs de 2000-01, et multipliées par 100 pour obtenir la valeur en %.
-
[ix]
L’augmentation relative de l’utilisation de l’urgence chez les patients avec TDAH est particulièrement élevée entre les années 2000-01 et 2014-15, mais diminue à travers les années. Par exemple, l’augmentation relative entre 2003-04 et 2014-15 est de 280 %, de 205 % entre 2005-06 et 2014-15, mais de seulement 29 % entre 2012-13 et 2014-15 (données pondérées selon l’âge).
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